gauthier c. bergeron, (1973) c.a. 77

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  • 5/13/2018 Gauthier c. Bergeron, (1973) C.a. 77

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    .RlffiTS RESUMES 77France did fix a date for its coming into force by joint agreementas provided by article 16.

    reject this reasoning because it assumes what Icannot accept - thatart. 16 does not set up a condition precedent or if it does that thesay-so of those above referred to settles the matter. We are dealingwith rights that cannot be taken away save in the manner providedin the Agreement and any doubt on this issue should be resolvedin favour of appellant. .:or these reasons Iwould maintain this appeal and dismiss respondents'action.

    Appel rejete.

    Le 9 n ov et nb re 1 97 2

    4.ccident d' automobile au Quebec - Proprieiaire et mctimes domicilies enOntario - Fils mineur au volant - Defense de conduire sur la voie publl-que - Prise. de possession du oehicule hors la connaissance du proprietaire(peTe) - Ne possedait pas de permis - Action intentee atl Quebec - Con-flit de iuridictions et de lois entre l'Ontario et le Quebec - Competence auQuebec - Loi de 1'indemnisation des victimes d'accidents d' automobile(S.R.Q. 1964, ch, 232), art. 3 - Highway Traffic Act (R.S.O. 1960, ch.172), art. 105(1) - C.P., art. 68(2), 75 - C.C., art . 6, 1054 - C.Cr.,art. 283.

    Gauthier, defendeur appelant (Charles Major, c.r., Tache, Pharand, Du-four et Hamon) v. Bergeron, demandeur intime (Martineau et LucForget). No 12236(C.S..Ville-Marie, 2237, j. Barbes), M. le juge enchef Tremblay et MM. les juges Casey et Deschenes.

    A la suite d'un accident d'automobile dans lequel l'intime, pieton, futblesse et son epouse tuee, la Cour superieure a condamne l'appelantet son fils de 17 ans conjointement et solidairement a payer audemandeur personnellement la somme de $29,731et au demandeuren sa qualite de tuteur a ses cinq enfants ages de 3 a 10 ans lasomme de $21,025.L'appelant proprietaire et son fils conducteur de l'automobile impli-quee dans l'accident avaient produit des plaidoyers distincts et ont

    aussi separement inscrit le jugement en appel. Nous ne sommescependant saisis que de l'appel du pere, qui ne met en questionni la responsabilite de son fils ni le quantum des dommages.L'appelant soutient toutefois qu'il aurait du etre exonere en vertu dela loi d'Ontario qui serait seule applicable en l'espece: il ajoute que,rneme sous la loi du Quebec l'action devait aussi etre renvoye quanta lui.Un certain nombre de faits sont constants au debat:

    a) I'appelant et son fils sont domicilies et resident en Ontario;b) le fils de l'appelant avait a l'epoque 17ans et ne detenait pas depermis de conduire;c) l'accident est arrive au Quebec, alors que le fils de l'appelantconduisait la voiture de celui-ci;

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    78 RECUEILS DE JURISPRUDENCE [1973] C. A.d) I'appelant n'a pas mis les pieds au Quebec, en autant que cet

    accident est concerne:e) l'action a ete instituee au Quebec.

    De plus, la preuve entraine, sans contestation possible, les conclusionssuivantes:

    a) I'appelant avait defendu a son fils de se servir de Sonautomobile;b) I'appelant ignorait que son fils avait pris possession de sonautomobile, le soir de l'accident;c) le fils de l'appelant avait manoeuvre pour prendre I'auto-mobile, apres Ie depart de son pere et de sa mere, pour

    une sortie au village et il voulait la rapporter avant leurretour, pour qu'ils ne s'apercussent pas de sa fugue;d) c'etait la premiere fois que le fils de l'appelant conduisaitl'automobile de son pere sur la voie publique.

    La Cour superieure l'a d'aiIleurs constate avec raison:Le jeune homme n'avait pas d'experience sur la voie pub Iique aveccette automobile dont il s'etait ernpare sans Ia permission du pro-prietaire, bien qu'il n'ait pas. eu l'intention de commettre un vol.

    Sur la base de ces faits, il faut d'abord resoudre Ie conflit de juridic-tions, puis le conflit de lois entre l'Ontario et Ie Quebec.1. Con/lit de juridictionsLa seule base sur laquelle on puisse fonder la competence des tribu-naux du Quebec est l'article 68(2) C.P.: Ie tribunal du lieu ou toute

    la cause d'action a.pris naissance.Quant au fils de I'appelant, l'action repose sur Ie quasi-delit qu'il a corn-mis au Quebec et la competence est par lit etablie,Mais iln'en va pas de meme quant au pere, l'appelant. L'action contrelui repose sur deux bases differentes: son lien de paternite avec le

    .conducteur et son lien de propriete avec l'automobile. L'un aul'autre de ces elements est necessaire it I'etablissement du lien dedroit, et non pas seulement Ie quasi-delit du conducteur; or l'un etl'autre echappent au Quebec et ne relevent que de l'Ontario. II estdone loin d'etre evident que toute la cause d'action contre l'appe-Iant ait pris naissance au Quebec: Landry v Hurdman (1); LewisBros Ltd. v. Groulx (2); Trower and Sons Limited v. Ripstein (3).

    L'intime pourrait peut-etre vouloir prendre avantage de l'article 75 C.P.pour assigner le pere, a Ia faveur de son assignation du fils mais,lit aussi, le probleme reste entier, comme ila deja ete expose dansune.etude surLe mystere de l'article 75C.P. (4).

    Sous tous les aspects, cependant, il s'agit la d'une question de compe-tence ratione personae seulement, car il n'y a aucun doute que, sur(1) (1903) 5 R.P. 273 (Cour de Revision).(2) (1937) 62 B.R. 448.(3) [1944] A.C. 254.(4) [1966] 26 R. du B., aux pp. 565 a 581.

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    ARRETS RESUMES 7 9lefond, la Cour superieure etait competente pour entendre ce litige.Or l'appelant s'est soumis a la juridiction des tribunaux du Quebecet, tant devant nous qu'en Cour superieure, ne souleve pas ledeclinatoire. II y a done lieu de conclure que le conflit possible dejuridictionsest resolu en faveur de la reconnaissance de la compe-tence des tribunaux du Quebec a connaitre du present litige quanta ['appelant.

    2. Conflit de loisReste a determiner en vertu de quelle loi, d'Ontario oude Quebec, ce

    litige doitetre regle.La question presente plus qu'un interet academique car, sur les deuxpoints d'attaque contre l'appelant, les deux systernes de loi recon-naissent des solutions qui peuvent entrainer des resultats diarne-tralement opposes. Le sort de la cause tournera done eventuellement

    sur le choix du systeme legal que le tribunal doit appliquer au litige.A son tour, ce choix depend de la qualification du probleme juridi-que. IIest de toute premiere importance de retenir, a ce moment,que seules les lois du Quebec doivcnt alors recevoir consideration.Ce serait en effet ouvrir un cercle vicieux et preter Ie flanc a l'illo-gisme que d'entreprendre de qualifier un probleme en vertu de laloi etrangere alors qu'on ignore encore si celle-ci doit s'appliquer etqu'on s'apprete a rechercher precisement quel systeme de loi doitregir les relations entre les parties. Comme l'ecrivait avec raisonle professeur Paul Crepeau (5):

    Les regles de conflits sont des regles propres a chaque systerne:eIles ne doivent, elles ne peuvent etre interpretees, comme d'ail-leurs les regles internes, que par les modes d'interpretation dusysteme juridique qui les a concues,Au cours des dernieres annees, la Cour de cassation et le Tribunal degrande instance de la Seine se sont tous deux prononces dans le

    rneme sens: Caraslanis v. Caraslanls (6); Stroganoft-Scherbatoft v.Bensimon (7). C'est egalement la doctrine qu'enseigne le doyen Ba-tiffol dans son etude sur les Conflits de lois dans l'espace et con-flits de lois dans le temps (8).Leprofesseur Roberto Agoabonde dans le meme sens dans son etude surles Regles generales des conjlits de loi (9).Ce principe pose, examinons maintenant les deux terrains d'attaquecontre l'appelant et les deux motifs d'appel que celui-ci en tire.

    (5) Cite par le professeur Castel dans Propos sur la structure desregles de rattachement en droit international prive quebecois [1961]21 R.B. 181, a la p. 195.(6 ) Dalloz 1956. J. 73 .(7) Revue Critique de droit international prive, 1 96 7, 1 20 .(8 ) Ripert, 1950, t. 1, p. 292, a la p. 300.(9) Recueil des cours de l'Academie de droit international de LaHaye, 1936, vol. IV , p. 24 3 a la p. 329.

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    80 RECUEILS DE JURISPRUDENCE [1973] c.A.i) la responsabilite de l'appelant comme pere d'un mineur auteur d'UI1quasi-delit.Au Quebec, l'article 1054 (2 et 6) C.C. edicte:

    Le pere, et apres son deces, la mere, sont responsables du dommagecause par leurs enfants mineurs;

    La responsabilite ci-dessus a lieu seulement lorsque la per sonnequi y est assujettie ne peut prouver qu'elle n'a pu empecher Ie faitqui a cause Ie dommage.

    En Ontario, le pere n'est pas responsable du quasi-delit commis par sonfils mineur sans le consentement de son pere et alors que Ie filsn'est pas Ie prepose du pere: voir l'opinion de Me Robert G. Price,du Barreau d'Ontario, deposee en preuve en premiere instance;Canadian Encyclopedic Digest, volume 9, "Infants", Parents' liability,numero 38; Walker v. Martin (10).

    Sur la base de la preuve, ilest clair que l'appelant doit etre exonere siI'on applique la loi d'Ontario, car son fils conduisait sa voiture sanssa permission, hors sa connaissance et a l'encontre de sa defenseexpresse.

    Mais il n'en va pas necessairernent de meme sous la loi du Quebec: ilincombe ici au pere de prouver qu'il n'a pas pu ernpecher - pardes moyens raisonnables (11) - Ie fait qui a cause Ie dommage. LaCour supreme du Canada a mis en relief I'etendue de l'obligation dupere et les moyens qu'il possede de s'exonerer dans Alain v.Hardy (12). La cour est d'opinion que l'appelant a failli a la tache.Sur le temperament et les habitudes de vie du fils de l'appelant, surl'education qu'il a recue, sur les resultats scolaires qu'il a obtenus,sur les amis qu'il frequentait, sur l'occupation de ses loisirs durantrete ou l'accident est survenu: sur tous ces elements, le dossier estmuet. Tout au plus savons-nous que Ie fils de l'appelant est I'ained'une famille de neuf enfants qui vit sur une ferme.

    De plus, il appert que l'appelant permettait a son fils de se servir deson automobile sur la ferme. Or depuis plusieurs jours deja avantl'accident, l'appelant avait pris Ie risque de laisser les clefs de I'au-tomobile dans la boite a gants.

    Comment I'appelant peut-il esperer pretendre qu'il n'a pas pu empe-cher le fait qui a cause le dommage, quand il n'a meme pas prisIe plus simple des rnoyens raisonnables a sa disposition en s'as-surant de la possession des clefs d'allumage de sa voiture?

    La loi du Quebec est plus stricte, a ce chapitre, que celle d'Ontario et Iapreuve qui suffit a exonerer I'appelant, sous l'empire de cette der-niere, presente d'importantes carences qui ernpechent de le Iiberersous la premiere; d'ou l'interet de choisir celle qui doit recevoirapplication.

    (10) (1919) 46 O.L.R. 144 (Court of Appeal).(11) Watt et Scott v. City of Montreal (1922) 2 A.C. 555, ala p. 563.(12) [1951] R.C.S. 540.

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    AIffiETS REsuMEs 81La Cour superieure ne s'est pas arretee a cet aspect du litige; elle n'a pasconsidere la nature et les effets de la relation pere et fils entre l'ap-

    pelant et le conducteur de sa voiture. Cependant la solution de cepremier volet du probleme ne pose guere de difficulte.Les parties sont domiciliees en Ontario. Leur relation s'est nouee enOntario. C'est egalement en Ontario que le fils a viole I'injonctionpatemelle et s'est sauve avec l'automobile. Seule la loi d'Ontario

    est competente pour regler cette situation, qu'il s'agisse d'une ques-tion de loi relative aux personnes (art. 6.3 C.C.) ou, comme la cour lecroit plutot, d'une question d'etat et de capacite (art. 6.4 C.C.).La Cour superieure aurait done dn decider qu'en sa qualite de pere duconducteur, l'appelant ne pouvait pas etre recherche en responsabilitevu I'exoneration dont ildevait beneficier sous l'empire de la loid'Ontario, seule applicable en I'espece.Toutefois la Cour superieure a place le probleme sur le terrain de lalegislation en matiere d'automobile: c'est le second terrain d'atta-que contre l'appelant, qu'il nous faudra maintenant considerer,ii) la responsabilite de l'appelant comme proprietaire d'automobile.La Cour superieure a juge que Ie proprietaire etranger d'une automobile

    qui circule au Quebec tombe automatiquement sous Ie coup des loisdu Quebec, meme s'il n'a pas penetre Iui-meme sur Ie territoire duQuebec.

    Pour eviter toute ambiguite, notons au passage que Ie mot etrangern'est pas employe ici par opposition au mot citoyen, mais biendans le sens de personne domiciliee sur un territoire qui echappe ala competence legislative du Quebec. En effet en droit internationalprive, les provinces canadiennes sont considerees, sous cet aspectparticulier, comme autant d'etats etrangers: Ross et Hutchison v.Royal Institution for the Advancement of Learning (13).

    Pour arriver a sa conclusion, la Cour superieure a enonce les proposi-tions suivantes:a) la responsabilite civile quasi-delictuelle est regie par lalex loci delicti commissi;

    b) Ie quasi-delit, en I'espece, obeit a un regime propre a notreProvince, qui, dans Ie cas d'usage d'un vehicule, est enonceen l'article 3 de la Loi de l'indemnisation des victimes d'acci-dents d'automobile (S.R.Q. 1964, ch. 232)>>;

    c) le proprietaire est solidairement responsable avec le con-ducteur;

    d) en dehors des questions d'etat et de capacite, c'est la loi duQuebec qui doit s'appliquer dans la sanction du quasi-delitcommis chez nous,La premiere de ces propositions est etrangere au probleme qui se poseen l'espece et, au surplus, inexacte quant au droit du Quebec.On se pose en effet la question lorsque Ie tribunal est saisi d'un litigeconsecutif a un delit commis a l'etranger, D'autres juridictions quela notre appliquent alors la lex loci delicti. C'est egalernent la loi a

    (13) (1931) 50 B.R. 107, a la p. 117.

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    82 RECUEILS DE JURISPRUDENCE [1973] C. A.laquelle se referaient les tribunaux du Quebec durant le demi-sieclaqui a precede l 'annee 1930 (14).

    Cependant, sauf une breve et futile tentative de retour a cette regledans Lieff v Palmer (15), c'est depuis 1930 la doctrine du doublecritere qui est recue en droit international prive du Quebec, i.e.le geste delictueux commis a l'etranger doit avoir ete a la foisnon justifiable au regard de la loi etrangere et susceptible de sanc-tion sous la loi du Quebec (16).

    Mais, si tant est que Ie droit du Quebec soit ainsi fixe quand il s'agit dejuger d'un delit commis a l'etranger, il importe de revenir aux faitsde la presente cause et de se rappeler qu'il s'agit ici d'un quasi-delitcommis au Quebec. L'evenement, de toute evidence, ressortit auregime legal du Quebec quant a ses aspects delictuels (art. 6.3 C.C.).Mais on sort de ce domaine quand on recherche un defendeur etran-ger en sa qualite de proprietaire d'une automobile qu'un tiers con-duit, hors sa connaissance et permission, au Quebec: il ne s'agitplus alors d'un probleme tombant sous la loi qui regit les person-nes, mais bien plutot sous la loi qui regit les biens et, singulierement,les biens meubles. C'est alors l'article 6.2 C.C.qui entre en jeu:

    Les biens meubles sont regis par la loi du domicile du proprie-taire. C'est cependant la loi du Bas-Canada qu'on leur appliquedans les cas ou il s'agit de la distinction et de la nature desbiens, des privileges et des droits de gage, de contestations surla possession, de la juridiction des tribunaux, de la procedure,des voies d'execution et de saisie, de ce qui interesse I'ordrepublic et les droits du souverain, ainsi que dans tous les autrescas specialement prevus par ce Code.

    Notons qu'aucune des exceptions enumerees ci-dessus ne s'applique enl'espece.La veritable question est done la suivante: quelle loi regit la respon-sabilite de I'etranger proprietaire d'unmetible - en I'espece, une

    automobile - qu'un tiers importe au Quebec sans la permission ethors la connaissance du proprietaire, et par l'usage duquel ce tierscause un dommage?(14) The Glasgow and London Insurance Co. v. The Canadian Paci-fic Railway Co. (1888) 34 L.C.I. 1; Dupont et al. v. Quebec Steamship Co.(1896) 11 C.S. 188 (Cour de Revision); William H. Logan et Frank Lee(1907) 39 RC.S. 311; Albouze v. The Temiscaming Navigation CompanyLimited (1910) 38 C.S. 279 (Cour de Revision); La Compagnie du GrandTrone du Canada v. Marleau (1911) 21 B.R. 269; Fullum v. FoundationCompany Limited (1919) 25 R.I. 114; The Ottawa Electric Railway Com-pany v. Noe Letang [1924] R.C.S.. 470, infirme sur un autre point par[1926] A.C. 725.(15) (1937) 63 B.R 278.(16) O'Connor v. Wray [1930] R.C.S. 231; Canadian National Steam-

    ships Company Ltd. v. Watson [1939] R.C.S. 11; Howells v. Wilson (1940)69 B.R. 32; McLean v. Pettigrew [1945] R.C.S. 62; Newage (Canada)Limited v. Canadian Pacific Railway Company [1960] B.R. 956; DameSt-Pierre et vir v. Dame McGraw [1960] B.R 998; Samson v. Holden etal. [1963] RC.S. 373; Royer v. Royer [1967] B.R. 661.

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    ARRETS RESUMES 83Encore ici, la question n'est pas simplement acadernique car les legisla-

    tions du Quebec et de l'Ontario presentent, du moins a leur face, unedifference significative.

    Au Quebec, l'article 3 de la Loi de l'indemnisation des victimes d'acci-dents d'automobile (17) prevoit, dans sa partie pertinente a notrecause:Le proprietaire d'une automobile est responsable de tout dom-

    mage cause par cette automobile ou par son usage, a moins qu'ilne prouve

    b) que lors de l'accident I'automobile etait conduite par untiers en ayant obtenu la possession par vol ....

    En Ontario, l'article 105(1) du Highway Traffic Act de 1960 (18). quietait en vigueur au moment de l'accident dont il s'agit, prevoyaitplutot:

    (1) The owner of a motor vehicle is liable for loss or damagesustained by any person by reason of negligence in the operationof 'the motor vehicle on a highway unless the motor vehicle waswithout the owner's consent in the possession of some personother than the owner or his chauffeur, and the driver of a motorvehicle not being the owner is liable to the same extent as owner.

    L'article 1(1)2. definit chauffeur comme suit:'chauffeur' means any person who operates a motor vehicle andreceives compensation therefor.Le problerne de savoir si une personne conduisait l'automobile du pro-prietaire sans son consentement est une question de fait qui depend

    de la preuve dans chaque cas: Newman et Newman v. Terdik (19).Le meme arret a confirme que le proprietaire n'a aucune responsabilite

    en droit quandl'automobile a ete prise sans sa permission et, enplus, en violation de sa defense expresse.

    Encore ici, on constate done imrnediaternent que l'appelant remplit lesconditions imposees par la loi d'Ontario pour qu'il puisse etreexonere, En va-t-it de meme toutefois sous la loi du Quebec? End'autres termes, faut-il donner a la prise de possession par vol,sous la loi du Quebec, une connotation plus restreinte qu'a la prisede possession sans Ie consentement du proprietaire, sous la loid'Ontario?

    La jurisprudence du Quebec est fort controversee sur Ie sujet mais,avant d'entreprendre de departager les opinions, il parait opportunde se demander si l'appelant n'aurait pas reussi a s'exonerer memeaux yeux de ceux qui tiennent que le mot vol, dans I'article 3 de laLoi de I'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile, nedoit pas s'entendre dans son sens general de delit commis par celuiqui prend indurnent la chose d'autruis (20), mais uniquement dansle sens particulier que lui donne l'article 283 C.Cr.(17) S.R.Q. 1964, ch. 232.(18) R.S.O. 1960, ch. 172.(19) [1953] O.R. 1, Court of Appeal.(20) Nouveau Petit Larousse, 1971.

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    84 RECUEILS DE JURISPRUDENCE [1973] C . A .Cet article, dans sa partie applicable a ia presente cause, prevoit quecommet un vol quiconque prend frauduleusement et sans apparen-

    ce de droit ... une chose quelconque ., . avec l'intention de privertemporairement ., . son proprietaire ... de cette chose . La preuveconvainc la cour que la conduite du fils de I'appelant remplit ces con-ditions. S'il faut appeler des autorites au soutien de cette conclu-sion, ilfautciter en particulier un arret de la Cour d'appel du Nou-veau Brunswick base sur un texte de loi fort sernblable au notre:Babineau v. Colette et Colette (21).

    La loi en cause etait l'article 241 du Motor Vehicle Act du NouveauBrunswick tel que rernplace par l'article 16 du chapitre 23 de 1959:

    241 (1) The ownerofa motor vehicle or farm tractor is liableto the same extent as the drivel' of the motor vehicle or farmtractor to an action for tort as the result of negligence in theoperation of the motor vehicule or farm tractor unless the motorvehicle or farm tractor was at the time of the negligent opera-tion in the possession of some person other than the ownerunder such circumstances as to constitute theft.(2) The onus of proof that the motor vehicle or farm trac-tor was at the time of the alleged negligent operation in thepossession of some person other than the owner under suchcircumstances as to constitute theft shall be upon the owner.

    D'apres l'aveu des parties, les faits se presentaient ainsi:1. While the father ... was at work, the son ... searched his father'Sstreet clothes, found and removed the automobile keys;

    2. The son did not have his father'S permission to take the auto-mobile; he had been sternly warned by his father never to take theautomobile out alone;3. The son had a learner's permit and his father had beengiving him driving lessons, but the son had never before thisoccasion driven the automobile alone;4. The son took his father's automobile and drove it away fromthe premises in his father's absence;5. While the son was driving his father'S car, he struck theinfant plaintiff thereby causing the injuries complained of ...6. The father had no knowledge whether his son on that occa-sion was heated for Toronto or whether he was ever coming home.The accident, however, occured a few blocks from his home.

    La cour concIut done que, merne si l'on croit devoir donner a I'article3(b) de la Loi de I'indernnisation son sens Ie plus strict, I'appelant aapporte la demonstration qu'il avait droit au benefice de la clause

    salvatrice.Dans cette optique, I'appelant reussit done dans sa defense, tant sousla loi d'Ontario que sous la loi du Quebec.D'aucuns toutefois pourraient opiner en sens contraire sous la loi du

    Quebec et soutenir que l'appelant n'a pas reellernent preuve vol.Dans ce cas, ildevient necessaire d'examiner le problerne du conflit(21) (1962) 32 D.L.R. 541.

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    ~;.

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    de lois vu que la responsabilite de l'appelant dependra du choix dela loi applicable a l'espece soumise. C'est ainsi que l'on revient a laquestion que je posais plus haut: queUe loi regit la responsabilite del'etranger proprietaire d'un meuble - en I'espece, une automobile -qu'un tiers importe au Quebec sans la permission et hors la con-naissance du proprietaire et par l'usage duquel ce tiers cause undommage?

    On entre ainsi dans le domaine des conflits mobiles. Les conflits mo-biles dans le temps ont suscite de nombreuses etudes et une juris-prudence assez abondante. Il n'en va pas de merne des conflitsmobiles dans l'espace, O U la doctrine et la jurisprudence sont desplus rares et des moins assurees,Retenons done, au depart, le principe que sanctionne l'article 6.2 C.C.:Les biens meubles sont regis par la loi du domicile du proprietaire.Mobilia sequuntur personam: c'est Ie vieil adage que beaucoup de paysont cependant ecarte de leur legislation en faveur de la lex situs:voir Rabel, The conflict of laws (22).Dans une 'brillante etude fort documentee: Le conflit mobile en droitinternational prive (23), le professeur Francois Rigaux, parIant durattachement a la loi du domicile du proprietaire en matiere mobilie-re, ecrit: cette solution est aujourd'hui abandonnee, sauf danscertaines hypotheses particulieres: et il refere, en note, au Code civilargentin ainsi qu'a la loi d'introduction au Code civil bresilien, IIaurait pu aussi 0 referer a 1'article 6 du Code civil du Quebec, qui esttoujours notre Ioi,Le Code civil francais ne contient pas, a son article 3, de dispositionanalogue a notre article 6 au sujet des meubles; aussi auteurs etmagistrats se sont-ils trouves plus a 1'aise pour innover et creer enparticulier la distinction entre les meubles consideres ut universi,auxquels on applique la loi de leur proprietaire, et les meublesconsideres ut singuli auxquels on applique la loi de leur situation.On a tente d'introduire cette distinction chez nous mais, outre laodifficulte d'application qu'elle presente souvent dans la pratique, ilimporte encore de rappeler que nous avons, au Quebec, un texte deloiqui prevoit expressernent la solution au probleme des lois appli-cables aux meubles et qui ne distingue pas dans la facon dont on doitles considerer: hors les exceptions enumerees a 1'article 6.2 C.C. ethors les cas OU, par exemple, les meubles sont affectespar un con-trat, c'est la loi du domicile de leur proprietaire qui doit les regir.Edictee il y a plus 0 d'un siecle, cette regle est-eUe encore realiste etsusceptible d'application a I'age de I'automobile? - La cour insiste:il ne s'agit pas de savoir si l'on doit appliquer la loi du Quebec al'etranger qui cause un accident d'automobile au Quebec: il doitsans doute repondre de son geste fautif devant la loi quebecoise(art. 6.3 C.C.). Ce dont il s'agit, c'est de la responsabilite de l'etran-ger, demeure a l'etranger, pour son automobile impliquee dans un

    (22) Zierne ed., Ann Arbor, 1958,vol. 4, aux pp. 8 a 15 .(23) Recueil des cours de l'Academie de droit international deLa Haye, 1966,117,p. 333.

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    86 RECUEILS DE JURISPRUDENCE [1973] C.A.accident au Quebec sous la direction d'un tiers. Cette automobile, entant que bien meuble, demeure-t-elle soumise a Ia loi du domicile deson proprietaire etranger? Ou le, Quebec peut-iI imposer sa propreIoi ace proprietaire etranger, par Ie fait qu'un bien meuble de cetetranger se trouve de passage au Quebec?

    A deux reprises, Ia Cour superieure a juge qu'il y avait lieu d'etendrel'operation de la loi du Quebec au proprietaire etranger: Fauvelle vEgerton (24); Barnes v. Barnes et Maccullum et al. (25). Cependantces deux arrets appellent certains commentaires. D'abord Ie raison-nement qu'ils offrent n'apparait pas des plus convaincants et,en particulier, il ignore entierernent Ie deuxierne paragraphe deI'article 6 C.C. De plus, dans chaque cas Ie proprietaire avait perrnisque son automobile fUt utilisee par Ie tiers implique dans l'accident;selon que nous Ie verrons plus loin, cette circonstance peut avoir uneffet decisif sur Ie choix de la Ioi applicable. Enfin treize ans apresI'arret Barnes, Ie rnerne juge rendait une decision qui refusait d'appIi-quer la loi du Quebec au proprietaire ontarien: Hachey v. Canuetta etFonds d'indemnisation des vic times d'accidents d'automobile etKeith's Auto Sales Ltd (26).

    Dans O'COnnor v. Wray (27), la situation etait a l'inverse de la presente:Wray, du Quebec, avait prete son automobile a un employe qui futimplique dans un accident en Ontario. La poursuite avait ete logeeau Quebec mais on s'est dernande si Ie defendeur quebecois pou-vait etre recherche en justice sous l'empire de Ia loi d'Ontario.Bien qu'il ne fut pas entre en Ontario, Ie proprietaire de l'automo-bile etait-il neanrnoins devenu sujet a Ia loi d'Ontario, en particuliera son Highway Traffic Act?

    La Cour supreme du Canada ne .jugea pas necessaire de trancher Iaquestion et elle decida Ie litige sur un autre point. Cependant ontrouve dans son jugement des expressions d'opinions qui devraientcommander Ie respect, d'autant plus que ce sont apparemment lesseules remarques ad rem dans la jurisprudence canadienne.

    M. le juge Rinfret a concouru avec le juge Newcombe et M. Ie jugeLamont, avec M. Ie juge Smith.

    On voit done se des siner ici une profonde hesitation a donner a la legis-lation d'une province, en cette matiere, une portee veritablernentextra-territoriale: par ailleurs, c'est la toute l'etendue, semble-toilbien, du droit du Quebec et du Canada sur Ie sujet.

    De son cote, Ie droit francais ne peut pas nous offrir d'aide utile, vu lesparticularites de sa legislation auxquelles il a ete fait allusion plushaut et l'evolution differente de la notre qu'il a connue.

    En droit anglais, Dicey et Morris, dans leur Conflict of Laws (28) nenous eclairent pas non plus. Mais en 1931, Ie professeur Lorenzens'interrogeait sur la solution americaine a Ia question dans son etude:

    (24) [1951] C.S. 106.(25) [1953] C.S. 81.(26) [1966] C.S. 309.(27) [1930] R.C.S. 231, aux pp. 247 et 251.(28) Sieme ed., London, 1967.

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    ARRETS RESUMES 87Tort Liability and the Conflict of Laws (29). Lorenzen soulevaitalors diverses hypotheses, dont malheureusement, la reponse nenous aide guere:What law will be applied by the courts of the United States inthese cases is uncertain.

    Quel principe appliquer maintenant en droit international privc duQuebec? - En these generale, la loi du Quebec n'a pas de porteeextra-territoriale. Pour qu'elle s'applique a un etranger - si c'estune loi personnelle - il faut que celui-ci franchisse les frontieres:ildevient alors sujet de la loi locale. Mais tant que l'etrangerdemeure a l'exterieur du Quebec, il reste a l'abri de nos lois amoins que, par une fiction acceptable a la cornmunaute interrra-tionale, l'etranger ne soit tenu pour avoir tacitement accepte lejoug de la loi du Quebec com me s'il y fIlt venu en personne. Ainsi,si le proprietaire d'une automobile, tout en demeurant a son domi-cile ontarien, la confie a un conducteur qui doit venir transigerune affaire pour lui au Quebec - c'est le cas des vendeurs acommission; ou si ce proprietaire en laisse l'usage pour son plaisira un membre de sa famille qui vient en touriste au Quebec: danschaque cas, la loi considerera que le proprietaire est venu lui-rnemeau Quebec. Son employe ou sa chose constituent alors une veritableextension de la. personnalite du proprietaire et leur presence auQuebec rend le proprietaire etranger sujet aux lois du Quebeccomme s'il y etait physiquement present.

    En dehors de ces cas, toutefois, rien ne permet d'etendre la portee dela loi du Quebec a l'etranger absent de son territoire. En particuliersa chose, en soi, transportee au Quebec sans sa permission et horssa connaissance, ne le represente pas et continue d'etre regie parla loi du domicile de son proprietaire,

    Dans les circonstances revelees par la preuve, la cour croit done queIe conflit de lois, s'il se presente, doit etre resolu en faveur de laloi d'Ontario, avec la consequence de l'exoneration de l'appelant quenous avons deja rencontree, IIne s'agit pas alors d'importer auQuebec la loi d'Ontario en matiere de responsabilite pour un acci-dent d'automobile survenu au Quebec, mais bien de resister a latentation de l'exrra-territorialite et de respecter I'exoneration, soussa loi, d'un proprietaire etranger que rien ne permet de rattachera la loi du Quebec.

    II n'a pas paru utile de s'arreter a la theorie du renvoi (30): la preuven'a pas ete faite des regles ontariennes de conflit et l'on doit pre-sumer qu'elles sont identiques a celles du Quebec. Par ce detour,la cour aurait ete ramenee quand meme a l'application de la loidu domicile du proprietaire,

    Appel accueilli:action de l'intimee rejetee quant a l'appelant.

    (29) (1931) 47 L.Q. Rev. 483, a la p. 496.(30) Voir I'etude de Me Deschenes sur La theorie du renvoi endroit quebecois dans Etudes juridiques en hommage a M. le juge BernardBissonnette, 1966, p. 263.