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Les propriétés collectives face aux attaqueslibérales (1750-1914) Europe occidentale et Amérique latine

Marie-Danielle Demélas et Nadine Vivier (dir.)

Éditeur : Presses universitaires de RennesAnnée d'édition : 2003Date de mise en ligne : 9 juillet 2015Collection : HistoireISBN électronique : 9782753524347

http://books.openedition.org

Édition impriméeISBN : 9782868478726Nombre de pages : 337

Ce document vous est offert par Institut derecherche pour le développement

Référence électroniqueDEMÉLAS, Marie-Danielle (dir.) ; VIVIER, Nadine (dir.). Les propriétés collectives face aux attaqueslibérales (1750-1914) : Europe occidentale et Amérique latine. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Pressesuniversitaires de Rennes, 2003 (généré le 01 mars 2016). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/23641>. ISBN : 9782753524347.

Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.

© Presses universitaires de Rennes, 2003Conditions d’utilisation :http://www.openedition.org/6540

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PRESSES   UNIVERSITAIRES DE   R ENNES

H I S T O I R E

Sous la direction de

Marie-Danielle DEMÉLAS & Nadine VIVIER

Les

propriétés collectivesface aux attaques libérales (1750-1914)

Europe occidentale et Amérique latine

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Europe occidentale et Amérique latine

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Collection « Histoire »sous la direction de Hervé M ARTIN et Jacqueline S AINCLIVIER 

Voir la liste en fin de volume 

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Sous la direction de

Marie-Danielle DEMÉLAS

& Nadine V IVIER 

Les propriétés collectivesface aux attaques libérales (1750-1914)

Europe occidentale et Amérique latine

PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES

Ouvrage publié avec le soutiende l’université du Maine

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© PRESSES UNIVERSITAIRES DE R ENNES

Campus de la Harpe - 2, rue du doyen Denis-Leroy 

35044 Rennes Cedex Mise en page : Laurence C ADET pour le compte des PUR 

Dépôt légal : 2e semestre 2003ISBN : 2-86847-872-7

ISSN : 1255-2364

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Liste des auteurs 

Stefan BRAKENSIEK 

Université de Bielefeld (Allemagne)Gabriella CORONA 

ISSM-CNR, Naples (Italie)Marie-Danielle DEMÉLAS

Université Paris 3 (France)Martina DE MOOR 

Université de Gand (Belgique) Anne-Lise HEAD-K ÖNIG

Université de Genève (Suisse)Rosa María M ARTÍNEZ DE CODES

Université Complutense de Madrid (Espagne) Jeanette NEESON

 York University, Toronto (Canada)María Teresa PÉREZ PICAZO

Université de Murcie (Espagne) Jean PIEL

Université Paris 7 (France) Jürgen PRIEN

Université de Cologne (Allemagne)

Edda O. S AMUDIO A.Université de Mérida (Venezuela)

Margarida SOBRAL NETO

Université de Coimbra (Portugal)Nadine V IVIER 

Université du Maine (France)Paul W  ARDE

Université de Cambridge (Angleterre)

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 Avant-propos

Marie-Danielle DEMÉLAS & Nadine V IVIER 

 À partir du milieu du XVIIIe siècle, les propriétés collectives sont, dans la 

plupart des pays d’Europe occidentale, l’objet d’attaques de plus en plusviolentes au nom des conceptions nouvelles qui s’imposent. Jusqu’ici, cesterres le plus souvent dévolues au pâturage commun, pouvaient être l’objetde litiges entre seigneurs et habitants, entre communautés voisines et ausein de chacune d’elles, les individus essayant d’en accaparer la jouissance oula propriété. Les attaques résultaient aussi des problèmes financiers descollectivités, la vente de leurs terres pouvant servir à apurer les dettes enpériode difficile. Mais vers 1750, la nature des attaques change totalement,elles s’appuient sur un fondement idéologique lorsque naît la pensée écono-

mique libérale.Le libéralisme s’impose peu à peu au cours du XVIIIe siècle. Les penseurs

qui ont commencé à construire des théories économiques globales aban-donnent le mercantilisme qui prévalait jusqu’ici et affirmait que touterichesse était fondée sur la possession des métaux précieux et l’abondancedes hommes. À l’orée du siècle, Boisguilbert propose pour la première foisune conception d’ensemble du circuit économique, et estime que lesrichesses fondamentales d’une nation sont les richesses agricoles. Ces idéessemées par Boisguilbert, puis Cantillon, trouvent leur expression la plusachevée avec la théorie physiocratique qui domine la réflexion économiquede 1756 aux années 1770. Qu’ils aient ou non connu les physiocrates etsubi leur influence, d’autres auteurs de l’Europe des lumières élaborent aumême moment des théories qui toutes conduisent à une nouvelle appré-ciation des données économiques : Adam Smith, les agrariens ibériques, les

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caméralistes allemands. Tous ces courants de la pensée économique, malgréd’importantes divergences, convergent vers quelques grandes idées quis’imposent au XIX e siècle, dont nous ne retenons ici que les aspects qui abou-tissent à transformer la vision des propriétés collectives:

– l’importance de l’agriculture pour la richesse d’un pays. Qu’elle soitla seule source de richesse (physiocrates) ou l’une des sources (pour

 Adam Smith, l’activité de l’homme est la source de toute richesse), ilest nécessaire d’accroître son produit. L’agriculture joue un rôle déter-minant puisqu’elle fournit les nourritures vitales et les matièrespremières pour créer les biens industriels. La terre crée la richesse:

profit pour le fermier, rente pour le propriétaire qui introduit cetargent dans le circuit économique. S’impose alors l’idée d’un impôtunique dont la base est la propriété foncière.

– la garantie des libertés. La non-intervention de l’État doit assurer lelibre jeu de la concurrence et l’établissement d’un ordre naturel. L’Étatdoit garantir les droits et les libertés des individus, en particulier ledroit de propriété.

 Au milieu du  XVIIIe siècle, cet intérêt accru pour l’agriculture prend

plusieurs formes contenues dans « la science nouvelle » : l’économie poli-tique (approche développée par les physiocrates), l’œconomie (sage admi-nistration d’un domaine) et l’agronomie (terme qui naît à ce moment).Tous ces ouvrages qui affirment l’agriculture comme source essentielle deprofit, confèrent de la dignité à l’agronomie qui cherche des procédés tech-niques nouveaux pour accroître la production. En conséquence, le regardporté sur les propriétés collectives change. Elles sont dorénavant condam-nées pour deux raisons: leur production est insuffisante, elles ne génèrentaucune rente, et d’autre part, étant indissociables des autres usages collectifs

exercés sur les propriétés privées comme la vaine pâture, elles sont englo-bées dans la condamnation de tout ce qui limite le droit de propriété.

 Au moment de la Révolution française, la propriété privée triomphe,déclarée droit inviolable et sacré par la Déclaration des Droits de l’Hommede 1789. Les législateurs adaptent dès lors le régime de la propriété ausystème économique libéral et considèrent les biens des collectivités, oubiens de mainmorte, comme des anomalies juridiques. Cette transforma-tion, amorcée déjà en Angleterre avec le mouvement des enclosures , s’opèreprogressivement: vente des biens nationaux et incitation au partage descommunaux durant la Révolution française, desamortización en Espagne eten Amérique latine, etc.

Ces attaques contre les propriétés collectives qui touchent toutl’Occident sont bien connues, du moins dans une vision traditionnelle.

 MARIE-DANIELLE DEMELAS & NADINE VIVIER 

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Ces dernières années, des études ont été publiées dans la plupart des payseuropéens qui renouvellent la question et nous font considérer d’une façonplus riche et complexe le succès de l’individualisme agraire. Chacune deces études adopte une perspective régionale, ou quelques fois nationale.Faire la synthèse de ces données éparses, écrites dans des langues différentes,exigerait un travail colossal Pourtant, l’idée s’impose de confronter cesréflexions, d’avoir une perspective comparative d’où pourraient jaillir denouvelles hypothèses.

La première tentative comparatiste fut la rencontre de Lérida (Espagne)en 1996. Centrée sur les communaux de Catalogne du Moyen Âge au

 XX e

siècle, elle introduisait toutefois trois articles sur d’autres pays, Angleterre,Italie et France 1.Puis les historiens travaillant sur l’Amérique latine ont constitué, au sein

de l’AHILA (Asociación de Historiadores Latinoamericanistas Europeos)un groupe de travail sur la propriété collective et la desamortización, dont lesrésultats ont été publiés 2.

En 1999, une rencontre fut organisée par l’association des ruralistesallemands, l’Arbeitskreis für Agrargeschichte à Göttingen (Allemagne),consacrée au thème du partage des communaux aux  XVIIIe et  XIX e siècles.

Les textes réunis présentent une analyse des causes et des conséquences dela privatisation des terres en Angleterre, France, Allemagne, Danemark etSuède 3.

En l’an 2000, un nouveau groupe de travail s’est constitué au sein duCORN (Comparative Rural History of the North Sea Area). En partantde la question inspirée par les théories de sciences politiques émises parHardin sur « la tragédie des communaux », il a porté ses réflexions sur leurgestion: la propriété collective est-elle par essence inefficace, conduit-elleà la surexploitation des ressources, ou bien comme l’a avancé Ostrom, une

utilisation efficiente est-elle possible 4 ?Le présent ouvrage s’inscrit dans cette dynamique. Il veut capitaliser

l’acquis des travaux précédents, c’est pourquoi nous avons réuni leursmaîtres d’œuvre. Mais cet acquis ne peut être repris ici qu’en filigranepuisque les thèmes abordés n’étaient pas exactement identiques. Nous avonsdécidé de centrer notre réflexion sur le débat autour de la propriété collec-

 AVANT-PROPOS 

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1. Bens comunals als Països Catalans i a l’Europa contemporania . Édité par Joan J. BUSQUETA et EnricV ICEDO, Institut d’Estudis Ilerdencs, 1996.

2. El Proceso Desvinculador y Desamortizador de Bienes Eclesiásticos y communales en la América Española,Siglos XVIII y XIX . Édité par Hans-Jürgen PRIEN et Rosa Maria M ARTINEZ DE CODES, AHILA,Cuadernos de Historia Latinoamericana, n° 7, 1999.

3. « Gemeinheitsteilungen in Europa. Die Privatisierung der kollektiven Nutzung des Bodens im 18.und 19. Jahrhundert », Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte , 2000/2 (édité par Stefan BRAKENSIEK ).

4. The Management of common Land in North West Europe, c. 1500-1850 , édité par Martina DE MOOR ,Leigh SHAW -T AYLOR et Paul W  ARDE, Brepols, Tunrhout, 2002.

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tive et sa remise en cause vers 1750 : débat économique autour d’une priva-tisation jugée indispensable à la modernisation de l’agriculture, débat juri-dique aussi autour de la modernisation du droit, et vaste débat sur lesconceptions des rapports sociaux.

Le champ géographique couvert s’est imposé naturellement, il corres-pond à l’aire où s’est diffusée la pensée économique libérale et où lessystèmes agraires sont comparables, c’est-à-dire l’Europe occidentale etl’Amérique hispanique où la métropole impose ces conceptions. L’Amériquedu Nord, plus récemment conquise, ne répond pas à ce schéma et il nesemble pas exister d’études sur les terres des Indiens, mais ceux-ci, à 

l’évidence, ne participent pas du même système agraire. L’Europe orien-tale, avec le système du mir russe, répond à une logique différente, celled’un système de domination du seigneur sur des personnes plus que surdes terres. Quant aux autres continents, toute comparaison serait impos-sible, aussi bien avec l’Asie dont les terres collectives y sont toujours misesen culture et ne servent jamais au pâturage qu’avec l’Afrique noire où la terre est un bien légué par les ancêtres fondateurs, avec une valeur symbo-lique quasi religieuse.

L’ambition de cet ouvrage est de présenter, pour une aire couvrantl’Europe occidentale et l’Amérique latine, un état de nos connaissancesactuelles sur la question de la propriété collective au  XIX e siècle. Il s’efforce,pour chacun des pays, de fournir les données de base, de définir précisémentles termes et les réalités, de brosser un bilan des travaux historiques, rappe-lant comment la question a été envisagée. Un article de synthèse est présentépar pays, ce qui est une entreprise audacieuse puisque la plupart des étudessur ce sujet ont été élaborées dans un cadre très restreint. Ceci explique lecaractère parfois incomplet de certains passages, les connaissances actuelles ne

permettant pas d’atteindre le degré de précision souhaitable. Malgré tout,ces bilans ouvrent des pistes de réflexion d’une grande richesse.

A B

Les échanges nécessaires à l’élaboration de ce projet et sa publicationont été rendus possibles grâce à plusieurs aides financières. Nous tenons à remercier le Ministère des Affaires étrangères, le conseil scientifique de

l’université de Paris III, l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine(IHEAL) et le CREDAL, l’université de Paris VII, son conseil scientifiqueet le laboratoire SEDET, et l’université du Maine.

 MARIE-DANIELLE DEMELAS & NADINE VIVIER 

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Première partie 

La propriété collectiveen Europe occidentale

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Introduction

Nadine V IVIER 

 À l’issue de recherches sur les biens communaux en France, nous étions

amenée à souligner la diversité des régions françaises, déjà maintes foisconstatée : « Parler des communaux en France ne renvoie pas partout aux mêmes schémas mentaux ». Existait-il la même diversité au sein des autrespays européens, inexplicable, ou bien la France était-elle au carrefourd’influences, et les différents types de propriété collective se répartissaient-ils dans l’espace européen selon une cohérence géographique? Seule unevision internationale comparatiste, appelée de nos vœux, pouvait apporterune réponse. Mais connaître les travaux écrits dans tant de langues diffé-rentes était une gageure. Aussi lorsque l’opportunité s’est présentée, nous

avons décidé, Marie-Danielle Demélas et moi, de nous inscrire dans cettedynamique des rencontres internationales, en élargissant le cadre géogra-phique, et en précisant notre objectif.

Les comparaisons se révèlent ardues, semées d’embûches. La première deces embûches réside dans la définition des termes et des réalités sous-

 jacentes. Il nous a fallu discuter longuement pour préciser les textes et lesrendre comparables. L’autre difficulté consiste dans la réalisation d’un articlede synthèse par pays. Les études sur les pratiques collectives se font essen-tiellement dans un cadre local, étant donnée la variété des situations. La synthèse semble possible pour un pays de taille modeste ou pour un payscentralisé comme la France où la confection du cadastre et les grandesenquêtes nationales aident à une vision cohérente. En revanche, il est diffi-cile de brosser un tableau d’ensemble d’un grand pays, en particulier del’Italie ou de l’Allemagne avant leur unité. Dans la plupart des cas, les

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auteurs, pourtant spécialistes de ce sujet, étaient gênés par le cadre nationalet par la crainte d’approximations. Nous aurions aimé aller plus loin, carto-graphier des données précises, mais ce projet était prématuré. Il faut saluerle difficile travail de synthèse, réalisé de façon très méthodique par tous lesauteurs. Ils se sont efforcés de présenter le panorama de la réflexion et desconnaissances actuelles. Nous espérons en avoir restitué, dans la traductionfrançaise, toutes les subtilités.

Le cadre adopté par les articles est celui des États de l’an 2000, quis’impose à l’historien pour la consultation des archives. Le but étant deréunir les données sur une large part de l’Europe occidentale, durant deux 

siècles de bouleversements majeurs des frontières, ce cadre nous a semblé leplus rationnel. Ainsi figurent: l’Angleterre (seule, sans les autres nations duRoyaume-Uni); l’Allemagne, composée d’une multitude d’États jusqu’en1870, ce qui a conduit Stefan Brakensiek à donner un aperçu en troisrégions ; la Suisse ; la Belgique, d’abord Pays-Bas autrichiens de 1713 à 1795, puis territoire français jusqu’en 1815, devenant partie du royaumedes Pays-Bas et enfin pays indépendant en 1830; l’Italie divisée en huitÉtats principaux jusqu’à l’Unité; l’Espagne et le Portugal.

Le texte d’introduction qui suit essaie de dégager quelques lignesmajeures de comparaison entre les régions d’Europe occidentale. Il s’appuieessentiellement sur les contributions présentées dans cet ouvrage 1. Afind’inclure les données disponibles sur les Pays-Bas, le Danemark et la Suède,sont aussi utilisés les textes présentés dans les ouvrages précédents, le

 Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte , édité par Stefan Brakensiek (2000/2) etThe management of common land in north west Europe , édité par Martina De Moor, Leigh Shaw-Taylor et Paul Warde (2002) 2.

Il ressort de la confrontation de ces textes de frappantes analogies et des

différences tout aussi étonnantes. La principale des similitudes est celle dela vision des propriétés collectives, du  XVIIIe siècle à nos jours. Des idéesanalogues s’imposent simultanément à travers l’Europe des Lumières. Enrevanche, les réalités institutionnelles, les pratiques sociales restent extrê-mement diverses. La conjonction de ces deux groupes de facteurs (condam-nation des communaux et pratiques diverses), explique qu’aux  XVIIIe et XIX e siècles, le partage des communaux soit partout une question essen-tielle, mais qu’il se réalise selon des rythmes et des modalités complexes.Ce sont ces trois aspects que nous développerons successivement.

NADINE VIVIER 

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1. Pour alléger les notes, le texte renvoie, sauf mention contraire, à ces contributions et à leur biblio-graphie, infra .

2. HOPPENBROUWERS Peter, 2002, SUNDBERG, 2000 et 2002.

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La vision des propriétés et usages collectifs

du XVIIIe

siècle à nos joursLa condamnation prononcée à leur encontre au  XVIIIe siècle, reprise

ensuite par les historiens, est bien connue, mais les textes nous surprennentcar nous sommes moins conscients de l’ampleur de la diffusion de ces idéeset surtout de leur évolution au cours du XIX e siècle.

La condamnation du XVIII e siècle

 À partir du milieu du XVIIIe siècle, les usages collectifs sont condamnés

en utilisant une argumentation qui s’appuie sur l’exemple anglais. Dans cepays, les débats sont anciens. Robert Allen rappelle les controverses impor-tantes au  XVIe siècle 3, et le ministre plénipotentiaire de la France à Londresen fait encore état en 1763 lorsque le gouvernement français lui demandeun rapport sur ce sujet 4 : les adversaires des enclosures, c’est-à-dire de la clôture des terres cultivées, ce qui les dégage de toute servitude liée aux usages collectifs, soulignent les conséquences négatives de la conversion enpâturage et de la diminution de la main-d’œuvre employée. Mais aux  XVIIe

et  XVIIIe siècles, ces aspects sont gommés, et le discours officiel en retient

surtout les aspects favorisant l’augmentation de la productivité. Arthur Young voit dans les enclosures et les grandes fermes les moyens d’une agri-culture plus productive, reposant sur un usage plus intensif du capital. Il faitvaloir que l’augmentation de la nourriture disponible par tête provoque-rait une croissance démographique, l’excédent de population trouvant à s’employer dans les manufactures. Il reflète le discours le plus courant dansl’Angleterre du  XVIIIe siècle. Les juges ont coutume de présenter les commu-naux comme « une frontière intérieure à conquérir pour faire progresser la civilisation » (J. Neeson).

L’abondante littérature agronomique anglaise se diffuse largement surle continent, avec au premier rang celle de Tull et de Young. Elle a convaincu les agronomes du bien fondé de la clôture des terres, afin decultiver des plantes fourragères pour nourrir le bétail. De la qualité et del’abondance de ce bétail dépend la quantité des céréales produites. Lesanimaux d’Angleterre et de Flandres sont alors réputés, et ces deux contréesont supprimé le pâturage commun.

Si l’agronomie, « théorie d’une régénération de l’agriculture par l’appli-

cation de procédés techniques nouveaux », prend un tel essor, c’est parcequ’elle s’inscrit dans le contexte d’un intérêt croissant pour les questionséconomiques, en particulier l’œconomie qui a pour but de « rationaliser la 

INTRODUCTION 

17

3. « Les deux révolutions agricoles anglaises, 1540-1850 », in BÉAUR Gérard, 1998, p. 129-130.4. Rapport signé du chevalier d’Eon, 11 mars 1763, Archives Nationales H 1495, 45.

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sage administration d’un domaine », et l’économie politique, approchedéveloppée par Quesnay et les physiocrates. Ils proposent une théorie géné-rale de la société fondée sur deux idées essentielles5. D’une part, la doctrinede « l’ordre naturel » qui donne pour tâche aux gouvernements de fairerespecter la liberté et la propriété. D’autre part, dans leur conception del’économie, la richesse essentielle d’une société découle du produit netconsommable, or ce produit net n’est fourni que par l’agriculture. Dès ledébut du  XVIIIe siècle, Pierre de Boisguilbert 6 avait contesté le mercanti-lisme selon lequel la richesse était fondée sur la possession de métaux précieux et l’abondance des hommes. Boisguilbert conférait à l’agriculture

une place centrale dans le circuit économique parce qu’elle fournissait lesrevenus de la terre et les biens transformés par l’industrie. D’abord rejetées,ces idées d’une prééminence de l’agriculture dans la richesse de la nationet d’une nécessité de la liberté de commerce s’imposent avec les physio-crates. Leur influence s’est répandue à travers l’Europe, en particulier auprèsde l’empereur Joseph II et en Italie cisalpine. Elle a aussi atteint l’Angleterreoù Adam Smith, champion du libéralisme, a pu les critiquer pour appro-fondir sa propre théorie. Dans d’autres pays, la référence aux théories desphysiocrates ne sert qu’à valider des idées qui se sont développées indépen-

damment, mais dans un même esprit, à travers cette Europe des lumières:le caméralisme allemand, l’agrarianisme libéral en Espagne et au Portugaldéfendent la place essentielle de l’agriculture et la nécessité d’accroître sa production grâce à la liberté d’entreprise 7.

Pour tous ces théoriciens, les droits collectifs ne sont souvent qu’unélément laissé à l’arrière plan de leurs développements, mais leur condam-nation est inéluctable. Les terres collectives livrées au pâturage collectif donnent une production physique et financière insuffisante, de plus ellessont exclues du marché foncier et des droits de mutation; enfin étroite-

ment associées aux autres droits collectifs, elles sont une restriction au libre jeu des initiatives individuelles. Aussi, dans toute l’Europe occidentale, lesécrits des agronomes, relayés même par ceux des médecins et hygiénistes,condamnent ces terres toujours décrites comme humides et mal entrete-nues : La Maillardière dépeint les « funestes effets des landages ou marais,vagues ou communs, pour la santé des hommes ou des animaux » dans sonouvrage de 1782 dont le titre résume bien son programme:

NADINE VIVIER 

18

5. Le Tableau économique de la France de François Quesnay paraît en 1758.6. Le Factum de la France , 1707.7. Voir Bruno DELMAS, Thierry DEMALS et Philippe STEINER , La Diffusion internationale de la physio-

cratie (  XVIII e - XIX e  ), Presses universitaires de Grenoble, 1995. Ces courants peuvent converger puisquele roi Carlos III en Espagne (1759-1788) semble plutôt influencé par le courant caméraliste, sonministre Campomanes par Turgot et Jovellanos, quelques années plus tard, sera plus proche du libé-ralisme de Smith.

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« Traité d’économie politique où le patriotisme embrassant toutes sesbranches, essaie principalement de rendre à la fois le souverain plus satis-

faisant et puissant, les provinces […] moins affligées d’épizooties, les habi-tants plus sains et plus fortunés, les armées mieux pourvues, […] pourparvenir à ces fins, spécialement convertir en champs, bois, prés artificiels,etc., nos landes inutiles et marais pestilentiels ».

C’est le point commun de tous les textes concernant l’Europe occiden-tale, de rappeler l’impact du libéralisme et celui de l’agronomie anglaise, etde dater les premières mesures contre les usages collectifs des années 1750-1770, de la France à l’Autriche, de la Suède aux péninsules ibériques etitaliennes. Partout, juristes et hommes d’État se rallient à cette condamnationet la propriété collective est considérée comme une « monstruosité » (France)ou comme une « propriété imparfaite » (Espagne).

L’évolution au cours du XIX e siècle

L’évolution de ces idées dans les décennies suivantes est nettement moinsbien connue. Une analyse du discours serait à conduire mais il semble bien,dans une première approche, que d’importantes convergences existent entreles pays européens. Le discours sur les communaux se dégage d’une approche

purement économique et juridique pour tenter une réflexion philosophiqueet sociale.Le courant philanthropique, important en France dès la fin du

 XVIIIe siècle, voit dans les communaux un instrument d’une politiquesociale, capable de stabiliser les pauvres en leur donnant les moyens desubsister dans les campagnes. Cette idée peut revêtir deux formes, soit fairecultiver un lopin de terre attribué à une famille, soit maintenir les droitsd’usage. Après la Révolution de 1848, les conservateurs aussi bien en Francequ’en Allemagne, s’emparent de cette idée, et ils croient pouvoir ainsi stabi-

liser et moraliser l’ouvrier, le maintenir à l’abri du socialisme.Parallèlement existe un courant de réhabilitation de la propriété collec-tive, pour des raisons philosophiques et politiques, courant qui trouve sa filiation dans les idées de Rousseau. Ce revirement est précoce en Allemagneoù, à partir des années 1830, certains intellectuels commencent à glorifierles anciens usages collectifs car ils voient en eux une institution par laquellel’égalité des hommes libres se serait transmise des Germains jusqu’aux tempsmodernes (S. Brakensiek). Dans les années 1870, cette réhabilitation estsensible, elle se manifeste à travers les études sur l’origine des communaux 8.

Le débat est européen, lancé par le livre de Henri Summer Maine selonlequel l’homme primitif n’aurait connu que la propriété commune, la propriété individuelle serait née ensuite. Erwin Nasse, professeur à l’univer-

INTRODUCTION 

19

8. Cette réhabilitation est sensible chez les théoriciens de l’économie, elle se manifeste aussi chez Marx qui, dans ses écrits des années 1850-1870, évoque le communisme primitif du sol.

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sité de Bonn et Émile de Laveleye, à l’université de Liège, défendent la même idée 9. Pour ce dernier qui appartient au courant du christianismesocial, la propriété collective est une nécessité sociale. En la détruisant, « les

 juristes et les économistes modernes ont jeté de leurs propres mains, dans lesol bouleversé de nos sociétés, les semences du socialisme révolutionnaireviolent ». Pour conserver la démocratie menacée par l’hostilité entre classes,il faut assurer à chacun un lot de terres, selon le modèle des  Allmendensuisses. Juristes, spécialistes d’économie politique et historiens s’accordentsur ce thème pendant quelques années. Les conservateurs ne sont pas lesseuls à y voir un instrument de politique sociale. Le courant socialiste est

divisé, dans chacun des pays tout comme au sein de la IIe

Internationale. SiKarl Kautsky pense que faire revivre les communaux serait une folie, ÉmileVanderWelde défend leur utilité sociale.

Ce revirement progressif est aussi lié à une nouvelle conception de la productivité des terres. Dans les années 1760, une terre doit produire descéréales, ou bien des plantes fourragères. Vers le milieu du  XIX e siècle, onconsidère qu’une terre peut être utile pourvu qu’elle rapporte quelqueargent, par les taxes de pâturage. En France, les lois de 1860 imposent mêmela notion d’utilité publique si, par gazonnement ou boisement, la terre

retient les eaux et protège les plaines des inondations. La crise économiquequi frappe l’agriculture à la fin du siècle, donne plus d’importance à cesidées. Le combat contre les usages collectifs s’atténue (Italie en 1888) ousubit des revers (France, échec d’abolition de la vaine pâture en 1889).

L’interprétation des historiens du XX e siècle

Dans tous les pays européens, les historiens jusqu’aux années 1960 ontdonné la même interprétation. Qu’ils soient d’obédience marxiste ou conser-vatrice, ils ont condamné les pratiques collectives. Le raisonnement peutêtre schématisé grossièrement en deux niveaux. Tout d’abord au niveauglobal, trois postulats sont admis, trois credo que résume Robert Allen 10:

– la modernisation de l’agriculture a eu lieu par l’intervention de troisfacteurs novateurs: propriété privée, capitalisme et marché;

– la révolution industrielle n’a été possible que grâce à la révolutionagricole qui a apporté capitaux, main-d’œuvre et denrées;

– l’accroissement de l’inégalité est une conséquence inévitable de cesdeux révolutions.

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9. SUMMER M AINE Henri, Village communities in the East and West , Londres 1871, traduction fran-çaise 1874. Erwin N ASSE, Ueber die mittelalterliche Feldgemeinschaft in England , Bonn, 1869. DE

L AVELEYE Émile, « Les formes primitives de la propriété », Revue des Deux Mondes , 1er juillet 1872,p. 135-163.

10. A LLEN R., article cité, in BÉAUR G., 1998.

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– les conflits pour la possession et l’utilisation de ces terres,– le respect de l’environnement, perspectives importantes en Italie et en

Espagne, essor aussi de l’étude des zones humides, et réflexion sur leconcept d’agriculture durable.

Des conceptions différentes de la propriété collective

De profondes différences de conception de la propriété collective exis-taient dans les régions européennes, aussi nous sommes nous heurtés à desdifficultés de compréhension. Certes, ce n’était pas une surprise puisquenous les connaissions pour le territoire français, malgré sa centralisation.Dans les réunions antérieures des groupes de travail sur les communaux depuis 1999, nous avons déjà travaillé à réduire ces obstacles. Ils ont resurgiici avec la question du statut des terres, la notion de propriété. C’est là, à mon sens, le nœud du problème, l’aspect le moins connu, ce qui expliqueles difficultés essentielles. Aussi nous interrogerons-nous sur le concept depropriété collective avant de tenter une typologie des statuts des terres etdes modes de jouissance.

Que signifie propriété collective? 

 Au  XVIIIe siècle, le propriétaire d’une terre ne détient un droit exclusif que le temps où croissent les fruits semés; une fois la récolte faite – céréalesou première herbe –, la jouissance de la terre devient collective, chacun a ledroit de ramasser (glanage, grappillage) et d’envoyer ses bêtes, c’est le droitde vaine pâture ou compascuité. Dans les forêts, si les arbres appartiennentau propriétaire du sol, d’autres habitants détiennent en général un droit depâturage. Dans les régions méditerranéennes, le droit de propriété s’avèreencore plus complexe: le jus plantandi , connu aussi en France, est une

superposition de droits: « un propriétaire du sol, un ou plusieurs proprié-taires des arbres plantés sur ce dernier, et un autre qui perçoit un pourcen-tage des produits, aussi bien du sol que des arbres » (Corona). La distinctionentre propriété privée et propriété collective est donc ardue.

 Jeanette Neeson souligne les limites au droit de propriété. Celui-ci nepeut signifier contrôle absolu puisque, avant d’enclore, il faut le consente-ment de tous les propriétaires au sein du manoir. Les historiens suédois,attentifs aux définitions anthropologiques de la propriété, notent que :

« celle-ci ne signifie rien, excepté le droit d’un individu ou d’un groupe à interdire aux autres l’accès et l’utilisation de certaines ressources. En cesens, les droits de propriété sont extrêmement variables. La propriété abso-lue est rare car il existe toujours des limitations légales et administrativesà la libre disposition 16 ».

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16. Selon le Macmillan dictionnary of anthropology , 1986, cité par SUNDBERG Kerstin, 2002, p. 174.

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Les historiens anglais n’ont pas fait de distinction entre les propriétéscollectives et les droits d’usages sur les propriétés privées. Cela provient dufait que les deux étaient gérés ensemble par les cours manoriales, et leurdisparition a été précoce et simultanée lors des enclosures. Les Anglais ontfocalisé leurs études sur la modernisation de l’agriculture, sur les enclosureset leurs conséquences sociales, et non sur l’ensemble du processus, sur lestatut préexistant des terres 17. Le texte de Jeanette Neeson nous montrecomment les documents sur les enclosures parlementaires ont été analysésen bloc alors qu’ils donnaient en détail les deux catégories de terres (privéeset collectives). Connaissant l’impact du modèle anglais, aussi bien sur les

agronomes que sur les historiens, on comprend l’importance de cette visionet le retard de la recherche sur le statut des terres.Contrairement aux Anglo-Saxons et Scandinaves qui laissent indisso-

ciés droits d’usage et propriété collective, les juristes français ont manifestéune grande activité aux  XVIe et  XVIIe siècles, ils ont produit maints traitéspour les définir et gloser sur la jurisprudence. Le gouvernement a procédéà des enquêtes différentes sur la vaine pâture et sur les communaux, il a promulgué des édits différents. Malgré cela, il n’en reste pas moins uneconfusion constante entre les deux, toujours associés, aussi bien pour les

utilisateurs que pour les juristes. La définition donnée par le Code civil de1804 est interprétée diversement, en France comme en Belgique (DeMoor) : « les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produitdesquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis ».Le plus souvent on admet qu’il ne s’agit que des terres possédées par la collectivité, les habitants jouissent de cette propriété et ils ont droit auproduit. Mais certains juristes insistent sur le « ou » et incluent dans lescommunaux les droits sur les produits, donc les droits d’usage exercés sur lesterrains privés ou domaniaux.

Marc Bloch avait bien distingué communaux et droit d’usage puisqueson article sur l’individualisme agraire ne traite que des droits de vainepâture. Et cette distinction se justifie pleinement puisque, en France, lescommunaux et les droits d’usage sur les propriétés privées survivent au XIX e siècle et ne posent pas les mêmes problèmes. Le patrimoine fonciercollectif peut être exploité collectivement (pâturage ou coupe de bois) oubien individuellement par la location; les possibilités de gestion sont doncvariées. Les droits collectifs exercés sur les propriétés privées ne sont passusceptibles d’aménagement, ils existent ou bien ils sont supprimés. Ce sontdeux problèmes fondamentalement différents par leur nature qui se posentau cours du  XIX e siècle.

INTRODUCTION 

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17. Il est révélateur à cet égard que le travail mené au sein du groupe CORN, qui envisage méthodi-quement la nature des communaux et les modes de gestion, laisse au second plan le statut juridiquedu sol, qui ne devient préoccupation majeure qu’après 1750 (Warde).

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Il existe une différence d’approche très nette entre les Anglo-Saxons quiétudient les droits collectifs comme un tout, et l’optique adoptée en France.Les historiens hollandais font nettement cette distinction eux aussi, et ilsemble qu’elle soit plus facile à faire en Espagne où les statuts ont été redé-finis lors de la Reconquista ( XIIe- XV e siècles). Malgré le flou de la définitiondu sujet, nous avons voulu insister sur la notion de propriété collective,laissant à l’arrière plan les droits d’usage.

Les statuts des terres en jouissance collective permanente : propriété et gestion

Ce sujet étant le plus mal connu, nous ne donnerons qu’une premièreapproche. Nous avons réuni quelques éléments qui peuvent être sujets à révision.

Il semble que l’on puisse distinguer quatre conceptions dans l’attribu-tion de la propriété des communaux, conceptions qui se répartissent selondes aires géographiques cohérentes.

1. Les commons ou communs appartiennent au seigneur qui accorde lesdroits d’usage à ses vassaux, c’est-à-dire à ceux qui détiennent des terresdans sa seigneurie. C’est le cas de l’Angleterre, de la Bretagne et de la Prusse.Dans les trois cas, lorsqu’est envisagée la suppression des terres communes,elles sont partagées entre le seigneur et ses vassaux, exclusivement. La Bretagne, pour respecter cette conception, se heurte à de longues procé-dures, simplifiées par la loi de 1850.

2. Le roi peut avoir déclaré sa propriété sur les terres vaines et vagues. Ils’agit soit d’une propriété directe: le demanio regio en Italie du Sud, lesrealengos en Espagne; soit il a pu les concéder aux municipalités: les propios d’Espagne, les bens de concelho du Portugal ou le demanio communale d’Italie

du Sud. Les seigneurs ont parfois obtenu ces concessions (maninhos duPortugal) et en ce cas, la maxime « nul seigneur sans titre » s’applique. EnScandinavie, le roi affirme aussi son droit de propriété, selon un processusinversé dans le temps. Gustave Ier Vasa proclame en 1542 son droit régaliensur toutes les terres non appropriées. Ce principe est appliqué avec rigueurdans la jurisprudence du  XVIIe siècle 18.

3. La propriété est celle d’un corps juridique, d’une communauté stric-tement définie, corporation perpétuelle, ce que l’on retrouve dans unebande méridienne de l’Europe. Aux Pays-Bas et en Allemagne du Nord,

les terres sont attribuées à des corporations de propriétaires ou de résidents,les Genossenschaften ou Markgenootschaffen ; en Suisse à une communauté debourgeois dite communauté bourgeoisiale ; en Italie du Nord, à descommunautés d’habitants (vicine , voisins), ou à des associations de gens

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18. SUNDBERG K., 2002, p. 182.

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pratiquant une même activité ( participanze, societe della Malga ). On trouveenfin des associations de cohéritiers: en Corse, en Savoie et en Italie duNord (regole ).

4. La propriété est attribuée aux habitants de la paroisse ou de la commune, donc à une institution. Il s’agit à la fois d’une notion humaineet géographique. C’est le cas de l’Allemagne du Sud, de la Belgique, de la France après 1789, du Portugal (baldios ) et de l’Espagne du sud (comunes ).Le cas de la France au  XVIIIe siècle semble particulièrement complexe 19.Dans le Sud-Est et dans l’Est s’applique la maxime « nul seigneur sanstitre », ce qui permet aux communes d’affirmer légalement leur droit de

propriété, comme en Belgique et Wurtemberg voisins. En revanche, l’anciendomaine royal au cœur du bassin parisien présume le droit éminent dusuzerain (seigneur ou roi) sur toutes les terres vaines et vagues. Sur les autresrégions n’existe aucune règle légale. C’est pourquoi les communautés, quipossèdent rarement des titres, déclarent leur propriété immémoriale, et lesseigneurs revendiquent eux aussi des droits. Les juristes sont remontés à l’origine des biens communaux pour trancher cette question, et ils ontimaginé une théorie permettant de justifier une disposition légale spéci-fique de la France, le droit de triage. Celui-ci donne au seigneur le droit

d’exiger la propriété exclusive du tiers des terres communes, même sansqu’il y ait partage.

Lorsque les biens appartiennent à une personne morale, comme dans lecas de la France, de l’Espagne, du Portugal et du Mezzogiorno avec les biensconcédés par le roi aux communes, on parle de biens de mainmorte car ilsn’apparaissent jamais sur le marché foncier. Ceci pose aux contemporainsun problème d’économie politique. Ils veulent faire disparaître ces bienset ceux d’une autre personne morale, l’Église: c’est l’opération de désa-

mortissement ou désamortisation qui a lieu au  XIX e siècle.De ces différents statuts découle encore l’approche très variable de la 

notion d’usurpation. En Angleterre, cette notion est absente car le statutest clair, la cour manoriale accepte ou refuse l’installation d’un individu surles terres communes de la seigneurie. Les usurpations ne prennent del’ampleur que là où la propriété n’est pas assez clairement définie, enEspagne, en Italie du Mezzogiorno où règne un certain flou, et en France oùil s’agit d’une question centrale, qui a fait vivre des générations d’hommes deloi. Elle atteint son paroxysme durant la Révolution lorsque la loi de 1793encourage les communes à réclamer les terres qu’elles estiment usurpées.

INTRODUCTION 

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19. La carte que j’ai essayé de dresser révèle bien des ignorances, cf. V IVIER Nadine, Propriété collective et identité communale . Les biens communaux en France de 1750 à 1914 , Publications de la Sorbonne,1998, p. 44.

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Le mode de gestion des communaux est un peu plus simple, il peut êtreramené à trois cas : l’institution gestionnaire est soit la seigneurie, soit unecommunauté d’ayants droit, soit une municipalité.

Là où le seigneur détient les terres communes, il gère, directement ounon. En Angleterre, la cour manoriale formée des tenanciers du seigneur, seréunit deux fois par an pour régler tous les usages collectifs et trancher lesdifférents. L’organisation des pouvoirs repose sur le self-government : cettecour s’appuie sur le droit coutumier, elle fonctionne de façon indépendantedu droit public national. Toutefois, celui-ci prévaut lorsque le Parlementvote des statuts ou intervient dans la procédure d’enclosures. On retrouvece système d’une seigneurie indépendante du droit national dans l’est desPays-Bas. En théorie, le seigneur prussien supervise lui aussi la gestion.

 Ailleurs se dessinent deux types d’institutions gestionnaires: les commu-

nautés d’ayants droit et les municipalités. Dans le premier cas, ce sont lesayants droit qui se réunissent annuellement pour voter les statuts, à la majo-rité. En général, ils participent aussi aux tribunaux et fournissent le person-nel de contrôle, engagé par la communauté. Ce qui semble varier selon lesrégions, c’est la représentativité de ceux qui participent: tous ou seulementquelques-uns, souvent les plus riches ? (Warde).

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Le mode de gestion des communaux 

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Dans la péninsule ibérique, le Mezzogiorno et la France, ce sont lesmunicipalités qui assurent la gestion. Les membres des conseils munici-paux sont souvent issus des couches aisées de la population lorsque la commune est importante, urbaine; ils sont de fortune plus modeste dans lesvillages. Il semble que ce mode de gestion soit plus propice aux malversa-tions. Les conseils municipaux tentent d’accaparer les bénéfices, tant enItalie qu’en Espagne, au Portugal et en France (voir tableau ci-contre).

L’accès à la jouissance des communaux 

Il semble que l’on puisse dégager une typologie autour de trois concep-

tions 20 : la jouissance accordée est soit un droit attaché à la terre, soit à la personne, et en ce cas, ce peut être un droit individuel ou collectif.– Le droit de la terre. C’est la possession d’une terre qui seule donne droit

aux ressources des communaux, et ceci en proportion des surfaces détenues.On trouve ce cas en Angleterre, Allemagne du Nord et en France sur unelarge zone allant du Nord-Ouest (Bretagne et Normandie) jusqu’au Sud-Est (Provence), en passant par l’Auvergne. S’y ajoute le Sud-Ouest (Béarn) oùseule la « maison » et son héritier peut avoir accès au communal. Ces droitsde jouissance sont en quelque sorte les appendices de la terre possédée, et

ceux qui en profitent sont ceux qui exploitent la terre, le propriétaire ou sonfermier.Le droit de la personne peut être subdivisé en deux sous-catégories :– le droit individuel lié à la résidence dans une paroisse ou commune. Le

plus souvent, ce droit est accordé aux résidents proportionnellement aux terres exploitées ou aux impôts payés. Il se différencie assez peu du droitde la terre précédant puisque l’autorisation de pâturage est souvent donnéeen proportion du bétail hiverné (Portugal et Espagne). On trouve plus rare-ment le droit accordé également à tout résident : en Suède où les commu-

naux sont très vastes, en Flandre des deux côtés de la frontière, France etBelgique. Cette idée d’un accès pour tous est celle que veut imposer la monarchie française au milieu du XVIIIe siècle, elle est entérinée par la loi de1793 et ne sera plus remise en cause, mais elle sera plus ou moins bienacceptée par les habitants.

– le droit de la personne lié à son appartenance à une communauté,une association d’individus. Celui-ci se retrouve logiquement là où les terrescollectives appartiennent à une communauté: en Hollande et Allemagnedu Nord, en Italie du Nord. En Alsace, tout comme en Suisse et en

 Allemagne du Sud-Ouest, l’appartenance à la communauté se marque parle droit de bourgeoisie qui se transmet héréditairement ou peut s’acquérir

INTRODUCTION 

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20. La typologie présentée par Paul Warde dans le texte infra est ici aménagée en fonction de notreperspective élargie à l’Europe du Sud.

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moyennant finances. Dans un petit nombre de communautés d’Italie duNord, de Corse, Savoie et d’une petite région proche de Bruges, ce droitest réservé aux descendants de familles originelles, la transmission se faitpar succession, quel que soit le lieu de résidence.

La question de l’accès des pauvres à ces ressources, c’est-à-dire de ceux qui ne possèdent pas de terres, ne peut obtenir de réponse claire. Dans la plupart des cas, ils sont exclus ou bénéficient tout au plus d’une tolérance.En Angleterre, là où les common waste sont étendus, les pauvres sans terres(artisans et ouvriers) peuvent y envoyer des bêtes, prendre du bois, de la 

tourbe, etc.; la coutume leur laisse ce droit, excepté lorsqu’un jugement leleur interdit. En Europe méridionale, ils jouissent des droits collectifs surles propriétés privées, le glanage, le grappillage, la vaine pâture pour un oudeux animaux. En France, les cartes ont été brouillées par la distorsion entrele discours officiel et la réalité. La monarchie puis la Révolution ont vouluimposer un droit égal pour tous, et l’idée selon laquelle le communal sert au

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L’accès au droit de jouissance : tableau récapitulatif du modèle dominant

par grandes régions à la fin du  XVIIIe siècle

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pauvre. Ce discours politiquement correct a servi de paravent cachant desréalités bien diverses, car certains conseils municipaux votaient des règle-ments qui interdisaient l’accès des communaux aux oies, chèvres, les bêtesdes pauvres. Seule la vaine pâture accordait toujours la reconnaissance dedeux bêtes aux pauvres et l’affouage était égal entre tous les ménages.

Bien que cette typologie ne soit qu’une première approche simplifica-trice, il apparaît nettement que parler de la propriété ou de l’utilisation deterres en jouissance collective renvoie à des réalités très différentes d’unpoint de vue juridique, ce qui a des conséquences économiques et socialestrès importantes. Si l’opinion dominante veut partout faire disparaître ces

terres, les problèmes soulevés sont donc différents, ce qui explique la diver-sité des attitudes face au partage.

Le partage des communaux 

L’image négative des terres en jouissance collective aboutit partout à uneattaque contre elles, une parcellisation et une privatisation totale ou partielle,mais les rythmes et les acteurs varient, de même que les conséquences écono-miques et sociales, plus controversées.

Les rythmes de la privatisation des communaux 

La privatisation de petites parcelles est monnaie courante durant toutel’époque moderne. Elle s’opère au bénéfice de seigneurs ou de paysans,grignotages légaux ou illégaux selon les lieux. Les communautés endettéespar les guerres vendent aussi des portions. Ce processus de privatisation n’a  jamais pour but de supprimer les terres collectives, il les réduit seulement. Ilest donc par essence, d’une nature totalement différente du mouvementlancé au  XVIIIe siècle qui vise, lui, à la disparition des propriétés et usages

collectifs, jugés nocifs dans leur principe.Le tableau chronologique présenté à la fin de ce texte fournit les grandes

lignes des interventions législatives. Il met en relief les scansions et suggèrequelques commentaires.

L’antériorité du mouvement en Angleterre est bien connue, toutefois sa chronologie est discutée entre les historiens. Les enclosures du  XVIIe sièclefaites petit à petit ( piecemeal ), ne portant que sur quelques acres, ont amorcéle mouvement, mais celui-ci ne prend son caractère systématique qu’au XVIIIe siècle. Le processus se déclenche alors dans tous les pays européens, jusqu’en Suède où la première réforme agraire a lieu en 1757. Il s’ampli-fie, les despotes éclairés prennent des mesures : en Prusse, le roi Frédéric leGrand, en Autriche Marie-Thérèse et son successeur Joseph II qui domi-nent les Pays-Bas autrichiens. Mais cette simultanéité ne doit pas nousabuser. Les effets sont très inégaux, brutaux en Angleterre et en Prusse, lents

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ailleurs. En Suisse, si des opérations de partage ont lieu dans les cantons deBerne et Zurich, d’autres cantons comme Glaris continuent les acquisi-tions pour agrandir leurs communaux. Après une accalmie dans les années1780, liée sans doute aux difficultés économiques et aux aléas météorolo-giques qui peuvent dissuader d’emblaver les terres en pâture, une nouvelleimpulsion est donnée au tournant du siècle.

L’influence exercée par la France de la Révolution et l’Empire sur lesrégions qu’elle domine, apparaît ici. Les républiques-sœurs, la républiquehelvétique et la république batave, sont amenées à une réorganisation desstructures communales. Alors qu’en 1796, l’application de la loi de partage

des communaux est suspendue en France et que Bonaparte en 1800 inter-dit de facto tout nouveau parta ge, les pays sous domination sont encoura-gés à privatiser les communaux: loi de vente et partage dans le royaumede Naples, encouragement, par l’exemption d’impôt, au partage et la miseen culture dans le royaume de Hollande, vente des communaux poursubvenir aux dépenses de guerre en Espagne et dans les états napoléonidesen Allemagne du Nord-Ouest. Sachant que la tutelle de Napoléon étaitétroite, sur Murat et le roi Louis en particulier, on comprend qu’il y a approbation. Ceci confirme bien que si Napoléon a décidé de préserver la 

propriété communale en France, c’est uniquement dans un but d’apaise-ment d’une question devenue explosive sur les plans politique et social.En 1813, lorsqu’il cherche par tous les moyens à renflouer le Trésor pourfinancer la guerre, il fait vendre les communaux affermés. Tout ceci estdonc cohérent: l’Administration française veut la disparition des commu-naux, mais elle n’ose plus la réaliser sur son propre territoire par crainte derévoltes.

Pendant un siècle encore, le processus continue, de 1820 jusqu’aux années 1920. Même si l’essentiel des enclosures est réalisé en Angleterre, le

conseil des commissaires aux enclosures, créé en 1845, réglemente la clôturede 600000 acres, soit près de 250000 ha. Le mouvement se poursuit aussien Allemagne du Nord où il s’achève par des remembrements. Il acquiertplus d’efficacité en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas. Il s’amplifie plustardivement dans le Sud-Ouest de la France et dans l’Europe méditerra-néenne: désamortissement en Espagne en 1855, achèvement du processusau Portugal au début du  XX e siècle. Il est complété par les lois forestières(code forestier français en 1827, lois de 1833 en Espagne, 1875 en Italie)

qui placent les bois des communes sous tutelle. Mus par les besoins consi-dérables en bois d’œuvre pour les mines et les chemins de fer, les forestiersveulent produire de grands arbres, et rationaliser la production en suppri-mant tous les droits de pâturage.

Cette chronologie ne nous donne que les grandes lignes, elle gommeles nuances et passe sous silence les résultats. Il faut être conscient des résis-

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tances. Même si les droits collectifs ont disparu, la propriété collective a survécu, en particulier dans le nord-est de la France, le sud-ouest del’Allemagne, en Suisse et en Italie.

Les acteurs de la privatisation

La concordance des lois met bien en évidence le rôle de l’État. Il estincontestable mais il faut se garder d’en rester à l’image simplificatrice quien a longtemps été donnée, celle d’une impulsion venue d’en haut, desélites de l’administration, des élites intellectuelles et des grands proprié-taires. Car en réalité, le consentement de l’ensemble de la population était

en général nécessaire, ce qui explique que les lois votées n’aient pas toujoursété suivies d’effet. Les actes votés par le Parlement anglais ne sont qu’unecaution, l’initiative était prise par les propriétaires et le consentement desdétenteurs des 2/3 des terres était requis. Pour l’Espagne, María Teresa PérezPicazo montre que l’action de l’État, motivée par les difficultés financièresde la monarchie, a conditionné le rythme et les modalités de la privatisationmais il n’a pas été le seul acteur. En revanche, il est probable que le rôle del’État sur la suppression des droits collectifs en forêt a été déterminant : il a exercé un pouvoir de coercition, contre les volontés des usagers 21.

Les puissances anonymes, marché foncier, commerce des produits, étatde l’agriculture, ont été des facteurs explicatifs essentiels dans l’historio-graphie classique, marxiste en particulier. La croissance de la population à partir du  XVIIIe siècle, la forte demande en produits agricoles, la pressionsur le marché foncier sont évidemment des facteurs incitatifs, mais on nepeut les appliquer mécaniquement. Prenons l’exemple des temporalitésdifférentes des partages en France. On voit la Flandre et l’Artois partagerdès 1760 : les lots viagers donnent une culture maraîchère intensive, valo-risée par les villes qui fournissent les engrais et achètent les productions.D’autres zones urbaines connaissent les mêmes conditions économiques,mais ne privatisent pas à cette époque. Autre exemple, le Massif Central nepartage que dans les années 1870, quand le marché foncier est encoreporteur. Facteurs économiques favorables, certes, mais les motivations dela population ne sont-elles pas les plus importantes? Les propriétaires duMassif Central qui se réservaient l’exclusivité des communaux vendent aumoment où l’exode rural a fait partir tous les ouvriers agricoles, donc aumoment où ils sont assurés de pouvoir se partager les terres entre eux. De

même en Bretagne les idées de partage s’agitent dès les années 1750 et neseront mises à exécution que de 1850 à 1870: ce retard est dû aux diffi-cultés des procédures juridiques.

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21. C’est au moins le cas de la France, de l’Espagne et de la Suède, SUNDBERG K., 2002, p. 190.

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Les recherches actuelles ne négligent pas les mécanismes économiques,mais elles accordent aussi de l’importance aux autres motivations, liées aux mentalités, aux forces politiques en jeu. Ainsi en France ou au Portugal, lesmunicipalités dont l’autonomie était menacée, défendaient avec vigueur toutce qui pouvait préserver cette autonomie, leurs biens tout particulièrement.

Les conséquences économiques et sociales

Voici un autre point très discuté de l’historiographie récente, et d’autantplus difficile que les conditions varient d’une région à l’autre.

Les privatisations ont-elles atteint le but assigné, accroître la production

agricole? Les historiens ont longtemps apporté une réponse positive. Aujourd’hui, nous l’avons vu, les historiens anglais doutent que les trans-formations du paysage aient été le facteur essentiel des progrès agricoles.Stefan Brakensiek soutient que les réserves des populations rurales sont duesà leur scepticisme sur la rentabilité à court terme des investissements néces-saires. Et Gérard Béaur, comparant les rendements des terres en céréales etles superficies des communaux disponibles en France, démontre que lesgains d’une mise en culture ne pouvaient qu’être médiocres, et que les terresen pâturage étaient plus rentables 22. L’enjeu économique a certainement

été surévalué, les espoirs mis dans les communaux étaient irréalistes. Agronomes et historiens ont considéré les doits d’usage et la propriétécollective comme un point central, bloquant la modernisation de l’agricul-ture. Ne serait-il pas plus juste de penser que leur disparition ne fut quel’un des éléments du processus, une mesure d’accompagnement plutôtqu’une décision motrice ?

Les conséquences sociales varient considérablement selon les régions.Tout dépend bien sûr du mode de partage adopté. Celui-ci est difficile à connaître : il est modulé dans le temps, et parfois il est fixé par les localités(Belgique). Trois types majeurs se dégagent: 1. le partage se fait en propor-tion des propriétés: en Angleterre, en Allemagne, au Danemark; 2. lepartage est égal entre les ménages, en Belgique, à Namur en 1773, et enFrance. La loi de 1793 en France est la seule à envisager le partage égal entretous les habitants, quel que soit leur âge et leur sexe; 3. la privatisation peutse faire par la vente, comme en Europe méridionale. Dans le premier cas,ceci profite aux gros propriétaires, prolétarise les petits sans terre et mêmeles tenanciers coutumiers anglais. Toutefois, il faut nuancer puisqu’en

 Allemagne du Nord, les moyens exploitants ont pu en profiter aussi. Ailleurs, les résultats sont toujours complexes. Ils peuvent profiter aux riches,ils peuvent aussi être bénéfiques aux petits, en particulier dans les vallées ausol fertile (pays de Lucerne et de Bâle en Suisse), surtout lorsque les terres

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sont données en viager, et donc inaliénables. On ne peut plus soutenir l’affir-mation traditionnelle selon laquelle les gros propriétaires, adeptes de la modernisation, réclamaient le partage qui leur profitait, tandis que les petits,défenseurs des méthodes archaïques, refusaient les changements qui leurfaisaient tout perdre. Les réalités sont beaucoup plus nuancées et il faut tenircompte d’un plus grand nombre de paramètres. En particulier, la rapidité duprocessus et la survivance des droits collectifs: alors qu’en Angleterre il y a rupture brutale et prolétarisation, dans de nombreuses régions le processusse fait par étapes, il laisse donc des possibilités d’adaptation.

A B

Ce texte de synthèse montre, je l’espère, tout l’intérêt des contributionsqui suivent et de leur confrontation. Elles approfondissent incontestable-ment nos connaissances sur ce sujet qui a tant passionné. Il semble se dessi-ner une géographie de la conception des terres en jouissance collective,ébauche d’une géographie des modèles de la structure sociale et de l’orga-nisation des pouvoirs. Angleterre, Bretagne française et Prusse sont orga-

nisées autour de la seigneurie qui détient toutes les terres et les pouvoirsd’administration. Une zone méridienne qui rappelle les limites de la Lotharingie médiévale, est celle des communautés qui détiennent les terreset en régissent l’utilisation. Enfin une zone méridionale, allant de la Franceà la péninsule ibérique et au Mezzogiorno italien, dominés à partir de 1700par les Bourbons, donne plus de place à un l’État central et ses représen-tants locaux, elle privilégie la propriété institutionnelle de la commune.

Malgré cette avancée, ou plutôt à cause d’elle, nous voyons mieux leslimites de notre savoir, si évidentes sur le statut des terres, sur l’impact social

et les conflits engendrés qui ont été soit délaissés, soit ignorés. C’est tout unpan de l’histoire sociale qui mériterait d’être repris.

INTRODUCTION 

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BIBLIOGRAPHIE

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 Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte , édité par Stefan BRAKENSIEK  (2000/2).S. Brakensiek introduit les contributions de J. Neeson sur l’Angleterre, G. Béauret N. Vivier sur la France, K. Sundberg sur la Suède et le Danemark, R. Prass sur

l’Allemagne, et R. Gudermann sur les conséquences écologiques des partages.BÉAUR  Gérard, « Uber eine mehrdeutige Diskussion. Gemeinheitsteilungen,Eigentumsfrage und agrar-ökonomischer Fortschritt », Jahrbuch…, 2000,p. 33-44

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Chronologie des attaquescontre les propriétés collectives en Europe

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Les Comtés anglais 

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Les terres en jouissance collective en Angleterre1700-1850

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Cet article poursuit un double but. Il veut d’abord donner une descrip-tion, à la veille des enclosures parlementaires, de l’étendue et de la locali-sation des terres communes, de leur propriété, leur mode de jouissance etleur réglementation. D’autre part, il se penche sur deux questions actuellesposées par l’historiographie des terres communes: celles de la nature variéede ces terres dans les Lowlands en Angleterre, et de la durabilité des terrescollectives.

Description des terres en jouissance collective

Étendue et nature

Il est probable que vers 1600, la moitié des terres arables de l’Angleterre(32,2 millions d’acres) ait été plus ou moins en jouissance collective 1. En1750, cette proportion est tombée à un tiers ou un quart selon les estima-tions, et la plupart sont encloses en 1830 2. Ces terres en jouissancecommune étaient soit les common fields , soit les communaux incultes. Lesterres des common fields , composées de parcelles de propriété privée mais

1. W ORDIE J. R., 1983, p. 502. CHAPMAN J., 1984. W ORDIE J. R., 1984. BUTLIN R. A., 1979. Certainesrégions d’Angleterre n’ont pas eu besoin d’enclosures, elles avaient toujours été encloses : THIRSK  J.,1964 et TURNER M. E., 1980, p. 34.

2. TURNER M. E. (1980, p. 36) estime que 20,9 % de l’Angleterre, soit 6,8 millions d’acres, (l’acrevalant 40,47 ares), ont été enclos par acte législatif. CHAPMAN J. (1987, p. 28) va jusqu’à 7,25 millionsd’acres. Ces chiffres se rapportent à la superficie totale du pays et non à la surface cultivée, aussil’importance du changement est-elle sous-estimée: MINGAY G. E., 1997, p. 15.

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Les régions agricoles d’Angleterre 

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LES TERRES EN JOUISSANCE COLLECTIVE EN ANGLETERRE 

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Les usages collectifs en Angleterre au début du  XVIII e siècle 

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non encloses, étaient livrées à la jouissance commune après les récoltes. Lescommunaux incultes n’étaient pas cultivés par définition, excepté là où desparcelles ont été usurpées. En 1750, l’une ou l’autre de ces catégories prédo-minait selon les régions. Parmi les terres que l’on voulait enclore, 40 %étaient surtout des common fields avec peu de communaux incultes, et 60 %étaient composées essentiellement de communaux avec de petites surfaces encommon fields 3. La plupart des enclosures de terres cultivées eurent lieu au XVIIIe siècle, et les enclosures d’incultes au  XIX e siècle.

La localisation peut être donnée à l’aide d’une carte des régions agri-coles vers 1700 4. Bien que ce ne soit pas une carte de la superficie des

communaux, le schéma suggère la complexité des usages collectifs au débutdu  XVIIIe siècle (voir pages 40 et 41). Ceux-ci s’exerçaient, dans les hautesterres du Nord et de l’Ouest, sur les vastes communaux et peu de common

 field s. Les plaines et plateaux du Sud et de l’Est ne peuvent être décritscomme des zones ayant uniquement des common field s. Ceux-ci s’étendentdu Yorkshire vers le sud jusqu’aux portes de Londres, en une sorte de largeéchine, mais ils sont entourés et mités par des communaux. Au Nord, ilssont flanqués par les landes et marécages, à l’Ouest par les vallées pasto-rales, à l’Est par les marais et landes, et au Sud de nouveau par des collines.

Partout, ils étaient parsemés de prairies arborées et de forêts. En fait, lesrégions de plaines et plateaux connaissaient plusieurs types de systèmesagricoles à usages communautaires, et aucun de ces systèmes ne reposaitexclusivement soit sur les communaux soit sur les common field s. Dans lesrégions pourvues de vastes terres incultes en marais et landes, il y avait aussides common field s ; dans les vallées cultivées, où prédominaient les common field s, les usages reposaient aussi sur de petits communaux, parfois d’unegrande signification sur le plan local. En les prenant en compte et ens’appuyant sur les témoignages des cartes des comtés et autres documents

locaux, Alan Everitt estime l’étendue des communaux incultes en Angleterredans les années 1690, à 8 ou 9 millions d’acres 5, ce qui multiplie par deux les estimations précédentes fondées seulement sur les jugements d’enclo-sures. Si Everitt a raison, il faut réviser à la hausse la proportion des surfacessoumises aux usages communautaires en 1750, au tiers plutôt qu’au quartdes terres anglaises (voir infra , Débats).

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3. CHAPMAN J. (1987, p. 32, 39) exclut, dans ses estimations, les terres déjà encloses trouvées dans lesactes et les jugements d’enclosure (4,19 % dans son échantillon).

4. THIRSK  J., 1984, Part 1, p. xxiv. EVERITT A., 1985, p. 13-20. D AVIE N., 1991. THIRSK  J., Figure 0.I,p. xx; THIRSK  J., 1987, chap. 4, et Map 4, p. 39. EVERITT A., 2000, p. 214.

5. EVERITT A., 1985, p. 210-231. Ce qui équivaut à 3,2 ou 3,6 millions d’hectares.

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Possession et jouissance des communaux 

Les droits communaux sont fondés sur les trois sources de loi en Angleterre. Les juristes reconnaissent 1) le droit coutumier du pays entier(common law ); 2) le droit coutumier limité à une localité, comme uneseigneurie (custom of the manor ) ; 3) la législation du Parlement (statute law ).Dans les cours, les juges supérieurs décident la validité de telle ou tellecoutume seigneuriale. Seuls une décision hostile d’une cour ou un acte duParlement pouvaient abolir une coutume locale 6.

La définition légale des usages communautaires évolua dans le temps. Au début du XVIIIe siècle, les commentateurs s’accordaient à en reconnaître

quatre 7. Le pâturage collectif du bétail (common of pasture ), le droit decouper et de ramasser du bois (common of estovers ), le droit d’extraire la tourbe pour se chauffer (common of turbary ) et le droit de pêche (commonof piscary ). Un cinquième droit, (common in the soil of the manor ), permet-tait de prendre sable, gravier, pierre, charbon et minerais, etc.. Comprisautrefois dans le « common of turbary », il apparaît dans les ouvrages juri-diques un peu après 1698, mais n’est pas d’usage courant au  XVIIIe siècle 8.Selon les juges du droit commun, les usages communautaires peuvent avoirdiverses origines: la coutume (custom), et en ce cas, ils sont censés être anté-rieurs à 1179, date à laquelle commence la mémoire légale; un don ( grant )qui a pu être fait à tout un groupe à n’importe quelle époque; ou par undon à des individus dénommés, et à leurs descendants ( prescription).

Qui possède les communaux? La distinction entre propriété et jouissance pose problème. Que signifie

« propriété » lorsque la terre est utilisée en commun depuis des siècles etlorsque l’abandon de cette utilisation commune exige soit l’accord unanime

de tous les propriétaires de la seigneurie, soit un acte privé du Parlement? Leterme propriété ne peut avoir le sens d’un contrôle absolu. Les commu-naux ont créé un type particulier de propriété. Nous comprendrons mieux cela en nous penchant sur les propriétaires et occupants de terres dans lescommon field s, et sur le seigneur en tant que propriétaire nominal desincultes: tous « possédaient » les communaux en vertu de leur possession ouoccupation des champs.

Les terres des common field s appartenaient aux différentes catégories detenanciers du seigneur.

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6. A LLEN C. K., Law in the Making , Oxford, 1964, p. 151.7. The Law of Commons and Commoners , London, 1698, p. 10-11.8. Halsbury’s Laws of England , 2e ed., London, 1932, vol. 4, p. 530. BIRD  J.-B., Laws Respecting 

Commons , 2e ed., 1806 et 3e ed., 1817, (1806, p. 1-2) suppose une communauté du sol derrière lecommon of turbary .

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– Les « freeholders » jouissent d’un droit qui s’apparente à la propriétémoderne: eux-mêmes et leurs terres sont libérés de toute obligation enversle seigneur puisqu’ils sont censés tenir leurs terres du roi. Ils peuvent vendre,hypothéquer ou léguer leur terre, parfois en faisant enregistrer la transactionpar la cour manoriale 9.

– Les tenanciers coutumiers. Les copyholders détiennent la preuve deleur contrat de tenure, transcription du procès-verbal inscrit sur les registresde la cour manoriale. Et le lord ne peut pas changer unilatéralement lestatut de la tenure en copyhold 10. Ces contrats varient selon la coutume dumanoir 11. Parfois, et plus fréquemment à l’Est qu’à l’Ouest, le copyholder a 

un statut proche de celui du freeholder , il peut disposer librement de sa terreet enregistrer la transaction devant la cour manoriale contre une faible rede-vance. Ailleurs, les copyholders ne détiennent la terre que pour quelquesannées ou pour leur vie, payant à chaque renouvellement des taxes quivarient en fonction de la valeur marchande de la terre. En cas de conflitavec le seigneur, ils ne dépendent pas de la cour manoriale et peuvent inten-ter une action devant une cour supérieure si le seigneur entre dans leurpropriété, coupe des arbres ou peuple les communaux de lapins 12.

Les tenanciers coutumiers de la frontière nord, détiennent leur terre par

« tenant right », ressemblent aux copyholders et subissent une évolution simi-laire à la fin du  XVIe siècle et au début du XVIIe siècle vers des tenures plus oumoins stables, toutefois le marché de leurs terres reste plus longtemps aux mains des paysans que celui des copyholders 13. En 1700, un quart ou untiers des terres anglaises pouvaient être détenues en copyhold ou autre modede tenures coutumières, peut-être moins, mais il est important de noterqu’à cause de l’exiguïté de leurs terres, les copyholders étaient plus nombreux que les freeholders 14.

– Les terres de l’Église en common field peuvent être concédées en « bene-

 ficial lease », bail à usufruit, qui ne donne pas la garantie juridique du copy-hold , mais procure une sécurité sur la longueur du bail (jusqu’à trois vies).On peut penser que le renouvellement de ces tenures coutumières estdevenu difficile au  XVIIIe siècle et que l’Église a repris peu à peu ces terrespour les concéder en baux plus courts 15.

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9. CORNISH W. R. and CLARK G. de N., 1989, p. 121. Utile introduction à l’histoire de la tenure dansBUTLIN R. A., 1982, chap. 4.

10. C ARTER S., Lex Custumaria or a Treatise of Copyhold Estates , London, 1696, p. 224, 62-3. CLAY C.,1984, p. 87-89.

11. BLACKSTONE W., Commentaries on the Laws of England , vol. 2, 12th ed., London, 1794, p. 96-97.12. C ARTER S., op. cit ., p. 246-248.13. BUTLIN R. A., 1982, p. 36-37. HOYLE R. W., 1984, 1987. BECKETT J. V., 1977.14. C ARTER S., Lex Custumaria , op. cit ., [p. I] cite Sir Edward Coke qui l’estime à un tiers au début du

 XVIIe s. THOMPSON, 1976, p. 328-329. Pour le XVIe s., voir CLAY C., 1984, p. 87: « la majorité desruraux étaient des copyholders dans la première moitié de ce siècle ».

15. THOMPSON E. P., 1976, p. 335-336. Comparer avec CLAY C., 1980.

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– Les tenanciers à bail précaire (tenants at will ) ont une terre concédéeselon le bon vouloir du propriétaire, souvent à l’année. Les leaseholders détiennent leur terre selon les termes d’un bail négocié, à temps déterminé.Bien que ni les leaseholders ni les tenants at will ne possèdent leur exploita-tion, ils jouissent des communaux et prennent part à leur réglementation :ils n’ont que la jouissance et lors de l’enclosure, ils n’ont droit à aucunecompensation pour la perte de leurs droits d’usage.

– Les lords, comme les autres habitants, possèdent les communaux incultes. Selon la tradition, ce sont les « incultes du seigneur ». Les juristesavancent la théorie d’une origine des communaux liée aux besoins des

tenanciers du seigneur de nourrir les bêtes qui fument les champs16

. Enconséquence, les lords peuvent enclore ou utiliser les communaux poureux-mêmes, soit avec l’accord de leurs tenanciers, soit en leur laissant despâturages suffisants. L’accord nécessaire à la clôture peut s’avérer difficile à obtenir, ce qui oblige le lord à offrir des compensations 17. À moins d’êtreencore le principal propriétaire foncier de la seigneurie, le lord n’obtientqu’un seizième ou moins, lors d’une enclosure parlementaire, et les tenan-ciers se partagent le reste 18. Si un lord oblige à une enclosure partielle sanslaisser suffisamment de pâture pour les bêtes de ses tenanciers, ceux-ci

peuvent détruire ses clôtures pour obtenir un recours en justice 19. Et la coutume manoriale elle-même limite la liberté du seigneur. Samuel Carterporte ce jugement en 1696:

« Aujourd’hui, le lord n’est pas intronisé comme un Grand Seigneurdont les procès sont arbitraires et dont les humeurs font loi; non, c’est unmonarque mixte, aux pouvoirs limités par la coutume et la constitution deson petit empire. Il est vrai qu’il y a des tenanciers Ad voluntatem Domini ,mais cette volonté est entravée et limitée par secundum consuetudinem

 Manerii 20 ».

Néanmoins, en dépit de ces freins, le contrôle du lord sur les commu-naux reste significatif au XVIIIe siècle, pour deux raisons. D’une part il conti-nue à posséder les minerais contenus dans le sous-sol et peut se réserverl’exclusivité de ces droits après l’enclosure 21. D’autre part, le droit coutu-mier (common law ) favorise le lord plus que ses tenanciers car il encouragela mise en culture des communaux. De plus en plus, les juges adoptent lediscours courant dans lequel les communaux sont présentés comme une

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16. The Law of Commons , op. cit ., p. 12. BLACKSTONE, op. cit ., p. 32-33. BIRD, op. cit ., p. 3.17. BILLINGSLEY  John, A General View of the Agriculture of the County of Somerset , London, 1795, 3e ed.,

1798, p. 49-50. CHAPMAN J. et SEELIGER , 1995. HINDLE S., 1998.18. H AMMOND J. L., 1911, p. 93.19. The Law of Commons , op. cit ., p. 43. BIRD J.-B., op. cit ., p. 64. Warwickshire Record Office: CR 

1291/601. THOMPSON E. P., 1991, p. 117-118. PEARSON J., 1998, p. 53.20. C ARTER , Lex , op. cit ., p. [iv-v].21. Bell v Wilson 2 Drewry & Smale 395, 62 ER 671 (1865). R  AYBOULD T., 1984.

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frontière intérieure à conquérir pour faire progresser la civilisation. Dans lecontexte économique du moment, ceci promet au lord une nouvelle sourcede revenu, avant et après l’enclosure 22.

Qui utilise les communaux? On ne peut répondre à cette question que dans un cadre spatio-tempo-

rel précis car le nombre et le statut des ayants droit varient dans le tempset d’un lieu à l’autre, pour des raisons économiques et politiques. Ce déve-loppement présente les utilisateurs des communaux au début du XVIIIe siècle,en se fondant sur les histoires agraires régionales et les auteurs de traités juri-

diques de l’époque, fondés sur la jurisprudence. Aussi, cette descriptionnous renseigne-t-elle peut-être plus sur la pratique du droit coutumier quesur les accords au sein de villages où la coutume seigneuriale était différente,mais tout aussi légale jusqu’à ce qu’une cour de justice supérieure la supprime 23. « Notre loi est la pratique » dit le poète George Herbert en1632 (The Country Parson).

Selon ces auteurs, les ayants droit sont les occupants d’une terre ( free-hold , copyhold , etc.), ou les occupants d’un cottage ou autre propriété ayantun droit d’usage sur les communaux. Dans certaines seigneuries, s’y ajoutent

des habitants sans terre occupant une maison.– Droits attachés à la terre (appendants ): les occupants des champs culti-vés du common field ont un droit de pâturage attaché à leur terre, qu’ilsexercent sur les common field s et sur les communaux de la seigneurie. Lesthéoriciens considèrent ce droit comme immémorial et inséparable de la terre 24. Les champs étaient ouverts à des périodes déterminées de l’année,après la coupe de l’herbe quand les clôtures temporaires étaient ôtées, aprèsla moisson et sur la jachère. La taille de la tenure déterminait le nombre debêtes envoyées au pâturage 25. Au début du XVIIIe siècle, dans les Midlands,

les droits de pâturage sur les common field s étaient contingentés à une vacheou un cheval pour six à dix acres de terre cultivée, et un mouton par acre,et ils étaient soumis à la règle de l’hivernage (levancy and couchancy ) : seulesles bêtes hivernées pouvaient être envoyées au pâturage 26. Les quotas accor-dés sur les communaux des villages riches en marais ou forêts étaient plusgénéreux 27. La part du lord et celle de ses tenanciers pouvait varier, prochede la parité dans les Midlands, jusqu’à une extrême inégalité dans certaines

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22. Comparez C ARTER , Lex Custumaria , p. [iv-v] et Halsbury’s Laws, op. cit ., vol. 4, p. 596, et note(s).R  AYBOULD T., 1984.

23. THOMPSON E. P., 1991, p. 129. HOYLE R. W., 1987, p. 53. K ING P., 1989, p. 139-140.STRETTON T., 1994, p. 175, 185. W OOD A., 1999, p. 145-146.

24. Law of Commons , p. 13. Halsbury’s Laws, op. cit ., p. 569, 570.25. Law of Commons , p. 15. BIRD J.-B., op. cit ., 1817, p. 10.26. THIRSK  J., 1973, p. 249.27. THIRSK  J., 1973, p. 254-255. NEESON J. M., 1993, p. 65-69, 72, 110-118.

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régions de l’East Anglia où les lords avaient commencé au  XVIe siècle à acca-parer le pâturage aussi bien sur les common field s de leurs tenanciers quesur les communaux 28.

– Droit acquis par une concession (appurtenant ): les occupants desautres terres ou cottages pouvaient aussi avoir un droit de pâturage lié à leur propriété. Contrairement au droit précédent qui était immémorial,celui-ci provenait d’une concession du propriétaire foncier, quelle qu’en aitété la date, et autorisait l’ayant droit à envoyer des oies et des porcs aussibien que les ovins et bovins 29. De plus, ces droits, s’ils spécifiaient lenombre d’animaux, pouvaient être séparés de la terre ou du cottage et

vendus, devenant alors un droit brut sur les communaux (common in gross ).En revanche, si ces droits portaient sur le nombre de bêtes hivernées, ils nepouvaient être vendus 30. Ainsi, les différences dans les droits d’accès destenanciers s’expliquaient par l’origine de leurs droits, attachés à la terre ouacquis par une concession (appendant ou appurtenant ).

Le nombre des cottages ayant droit variait au  XVIIIe siècle, selon lesendroits. Dans certaines seigneuries, les jurys des manor courts et les conseilsparoissiaux ont décidé que seuls les anciens cottages auraient droit aux usages. Au même moment surgissaient des conflits entre usagers sur l’attri-

bution ou non de droits aux cottagers qui ne résidaient pas. Les seigneu-ries ont résolu la question de diverses façons, séparant ou non l’occupationdu cottage et le droit à avoir du bétail.

– Au début du XVIIIe siècle, le processus de réification était bien avancédans la jurisprudence. Il transformait des usages attribués à des individus oudes groupes en des droits attachés à la propriété, qui pouvaient être loués ouvendus. Quelques jugements rendus au XVIIe siècle restreignaient la portéedes droits communaux. Ils excluaient ceux qui réclamaient un droit coutu-mier fondé sur le statut simple d’habitant plutôt que celui de propriétaire

ou de tenancier. On cite toujours le précédent de la jurisprudence Gateward(1607) selon lequel ceux qui plaident en tant qu’habitants ne peuvent récla-mer un droit coutumier (comme la vaine pâture) sur les terres des autres 31.Les copyholders peuvent réclamer un droit sur le domaine seigneurial, lespropriétaires de cottages peuvent réclamer un droit pour le cottage, et lestenanciers précaires de cottages peuvent réclamer au nom du propriétairedu cottage. Les conséquences immédiates du jugement Gateward sontobscures: les juges suggèrent que les demandeurs peuvent réclamer commepropriétaires ou au nom des propriétaires des cottages 32. Les habitants

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28. M ARTINS S. W. et W ILLIAMSON T., 1999, p. 11-13, 28 et bibliographie.29. Law of Commons , p. 17-19. BIRD J.-B., op. cit ., p. 1817, p. 10.30. THOMPSON E. P., 1991, p. 131 Law of Commons , p. 19. Comparer la 2e édition en 1806 de BIRD

 J.-B., op. cit ., p. 12 et la 3e éd., 1817, p. 10.31. SMITH and G ATEWARD (4 Jac. I), Cro Jac 152, ER 79, p. 133. THOMPSON E. P., 1991, p 134-138.32. THOMPSON E. P., 1991, p. 132. NEESON J. M., 1993, p. 78.

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d’une maison ou d’un cottage ont continué pendant plus d’un siècle aprèsl’arrêt Gateward, dans quelques manoirs, à prendre du bois, du sable, dela tourbe et à envoyer des bêtes au pâturage 33.

La législation et ses résultats

Les communaux étaient soumis à la loi à plusieurs niveaux des instances judiciaires: les cours manoriales, les cours de droit coutumier, et le Parlementqui a réglementé les communaux successivement par les lois (statutes ) detrois types: des actes privés, qui concernaient tel ou tel manoir; des décretsd’application générale pour assister le processus d’enclosure; et des actes qui

créaient et réglementaient un Conseil des commissaires aux enclosures.Les cours manoriales . Elles siègent en général deux fois par an pour adop-

ter la réglementation rurale détaillée, et assurer leur application en choisis-sant les officiers qui en sont chargés. Elles enregistrent aussi les mutationsfoncières des copyhold . Les membres de cette cour sont le jury (hommage )composé de douze tenanciers du manoir, et tous les tenanciers. Elles fontappliquer la coutume locale, celle du manoir. Leurs décisions ont force deloi (la coutume est loi), et elles peuvent poursuivre les contrevenants réci-divistes devant une juridiction supérieure 34.

Le droit coutumier (common law). De nombreux cas individuels, prove-nant des manoirs, sont portés devant les douze juges de droit coutumierqui jouent ainsi un rôle plus important que celui du Parlement pour régle-menter les communaux durant toute la période moderne. Au cas par cas,seigneurie par seigneurie, ces juges tissent toute une jurisprudence quipermet de définir les usages sur les communaux dans chaque manoir.Lentement, les historiens ont commencé à explorer ce corpus et comprendreles liens entre ce droit coutumier et la coutume propre à chaque manoir.Que la jurisprudence ait ou non altéré la coutume manoriale avant l’enclo-sure, la réification des droits d’usage symbolisée par le cas Gateward abou-tit à ne donner aucune compensation aux ayants droit ne possédant ni terreni cottage, lors d’une d’enclosure parlementaire 35.

Les actes du Parlement (statutes). Le Parlement à Londres régit lescommunaux depuis l’époque des Tudors, et même avant. Il décide de la qualité du bétail et des mesures de lutte contre les épizooties. Il protège lesnouvelles clôtures. Sur les communaux, il préserve les bois, et encourage la construction de cottages pour les pauvres. Il autorise les fermiers à mettre en

prairies temporaires pour régénérer leurs terres en culture. Il fixe les dates où

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48

33. W OOD A., 1997, p. 47-48. SEARLE C. E., 1995, p. 264-265. W OOD A., 1999, p. 51-52, 67-69,71, 108, 111-112. NEESON J. M., 1999, p. 87-92 et 2000, p. 22-25 et bibliographie.

34. ORWIN C. S., 1938, chap. 10. SEARLE C. E., 1986, p. 106-133. NEESON J. M., 1993, chap. 4 et 5.35. THOMPSON E. P., 1976, p. 328-360 et 1991, chap. 3. K ING P., 1992. LOUGHBOROUGH B., 1965,

p. 113. NEESON J. M., 1999 et 1993, p. 77-78.

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peuvent être brûlés les bruyères, ajoncs et fougères. Les lois du  XVIIIe sièclepunissent les individus surpris armés sur les communaux, condamnent à la déportation les auteurs de révolte contre les enclosures. Le Parlementdécide que la réglementation des champs et communaux doit être votée à la majorité des trois quarts des ayants droit (en nombre et en valeur) etsupprime la nécessité de l’unanimité. Finalement, une loi de 1834 faciliteles remembrements (échanges de terres imbriquées) 36.

Le Parlement a aussi fixé les règles de procédure pour les enclosures. Au XVIe siècle, il craignait que les enclosures n’entraînent l’agrandissement desfermes et la conversion des cultures en prairies, aussi les lois l’interdisaient-

elles, avec plus ou moins de succès. En 1640, le Parlement n’associe plusenclosure et dépopulation, et il cesse d’y être hostile 37. Au  XVIIe siècle, lesenclosures sont de trois catégories : celle « parcellaire » ( piecemeal ), d’uneseule parcelle de terrain, celle d’une « unité de possession », lorsque le lordpossède toute la terre, ou celle à l’amiable (agreement ), quand le lord réus-sit à obtenir le consentement de tous les ayants droit. Quelques-uns de cesaccords sont transcrits dans les registres de la cour de la chancellerie. Lesaccords à l’amiable d’enclosure souffraient de faiblesses juridiques, et plus lenombre des parties en cause était élevé, plus la procédure était lente 38. Aussi

les méthodes changent-elles au  XVIIIe siècle. Les accords à l’amiable conti-nuent mais, en cas de conflit, on a recours aux actes privés du Parlement.

Les actes privés du Parlement. Les enclosure s parlementaires Les propriétaires qui désirent enclore leurs terres peuvent présenter

devant le Parlement un projet de loi privé ( private bill ) et obtenir une loi( private act ) d’enclosure d’une paroisse entière ou de quelques paroisses.Cette procédure exige l’accord des propriétaires des deux tiers des terres aumoins, mais elle dispense du consentement unanime 39. Elle commence

réellement au XVIIIe siècle, s’amplifie dans les années 1760, et s’éteint progres-sivement à la fin du XIX e siècle, le dernier acte est publié en 1914. Bien quele mouvement embrasse deux siècles, 80 % des enclosures parlementairessont décidées en deux brèves périodes, 1768-1780 et 1793-1815. Le nombretotal des actes privés enregistrés entre 1604 et 1830 est de 3945.C’est peut-être pour l’Angleterre « le seul exemple d’aussi grande envergure d’une inter-vention humaine sur une architecture du paysage 40 » (voir carte ci-après).

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36. Ces lois (statutes ) sont décrites dans BURN Richard, The Justice of the Peace and Parish Officer , 14e

édition, 4 vol., Londres, 1780.37. THIRSK  J., 1984, vol. 4, p. 213-239. M ARTIN  J. E., 1982. W ORDIE J. R., 1984, p. 391-394.CHAPMAN J., 1984.

38. BROWN D. et SHARMAN F., 1994.39. Sur la procédure parlementaire et les difficultés à s’opposer à une décision d’enclosure prise par un

acte parlementaire, voir H AMMOND J. L., 1911, chap. 2 et CORNISH W. R. et CLARK G. DE N.,1989, p. 138.

40. TURNER M. E., 1980, p. 66 et 71.

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Ce recours au Parlement marque un tournant important pour le pouvoirlégislatif anglais : le droit coutumier cède peu à peu la place aux lois votéespar les Chambres des Communes et des Pairs. Jusqu’ici, les juristes et leParlement n’essayaient pas d’agir sur l’évolution de la société par des lois. LeParlement préférait les actes privés, les juristes et les juges s’appuyaient surla jurisprudence. Mais la multiplication des actes privés d’enclosure destinésexplicitement au bien public, a considérablement accru le rôle du Parlementcomme acteur d’une politique sociale 41. En même temps la création, durantcette période, de plus de 5000 commissaires aux enclosures, chargés del’exécution de ces actes individuels lui apportait l’expérience dans la forma-

tion des experts. C’est parmi eux que seront choisis les membres du Conseildes commissaires aux enclosures en 1845.Les lois générales d’enclosure . Le Parlement vote une série de lois d’enclo-

sures publiques (Public General Enclosure Acts ) en 1801, 1836, 1840 et1845. Le but était de réduire les coûts en reprenant les mêmes clauses, et deréduire la part des consentements nécessaires. Le Parlement confère auMinistère du Commerce la surveillance de leur mise en application 42. Puisen 1845, il crée une administration permanente, le Conseil des commis-saires aux enclosures (Board of Enclosure Commissioners ). Par son rôle de

tribunal administratif, celui-ci a réglementé en vingt-cinq ans 600000 acresd’enclosures. Il a agi sans surveillance, ne se préoccupant guère de satisfairele public ou de donner des compensations aux pauvres. Le Parlement n’estintervenu pour protéger les intérêts du peuple qu’à la fin du  XIX e sièclelorsque les enclosures destinées à la construction de maisons menaçaientde supprimer les espaces libres en ville 43.

Bilan des recherches

Nous avons déjà fait état d’une historiographie marquée par les débats etconflits. Cette deuxième partie ne doit pas gommer cet aspect. Sur la plupart des conclusions, le consensus est précaire et susceptible de révi-sions: les découvertes d’aujourd’hui seront les débats de demain et viceversa. Aussi est-il plus utile de résumer les acquis de portée générale et à partir de là présenter les débats récents. À mes yeux, les principaux thèmessont les suivants:

– l’état des communaux: leur superficie et leur gestion à long terme;

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41. H AY D. et R OGERS N., 1997, p. 101.42. TURNER M. E., 1980, p. 32 et appendix 1. H AMMOND J. L., 1911, p. 71. Le nombre total des lois

publiques et privées, et de décrets compris dans ces General Enclosure Acts s’élève à 5265 pour la période 1604-1914.

43. CORNISH W. R. et CLARK G. DE N., 1989, p. 139-140. La société pour la préservation des commu-naux est créée en 1866 pour défendre ces espaces vacants en ville, voir LEFEVRE G. S., 1867.

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– l’identité des ayants droit : le maintien ou le déclin des droits d’usageavant les enclosures; le droit manorial et la défense des communaux;

– les enclosures parlementaires : leur impact social ; leurs conséquencessur la productivité.

Ces trois thèmes renvoient à la question centrale de la valeur descommunaux pour ceux qui les utilisaient: les arguments sur l’étendue et la durabilité en découlent, de même ceux qui touchent à la perte des commu-naux de facto avant qu’ils ne disparaissent de jure par les enclosures ou encoreceux qui concernent la signification sociale et politique des communaux.

Les conséquences des enclosures parlementaires et l’identité des ayants droitont été l’objet de quelques recherches récentes, dont les miennes, et je ne lesreprendrai pas ici 44. Je concentrerai mon propos sur le premier thème, l’étatdes communaux.

Débat: l’étendue des communaux 

 John Chapman (1987) a démontré la prépondérance des communaux figurant dans les actes parlementaires d’enclosures de l’Angleterre septen-trionale au dix-neuvième siècle. De son côté, Alan Everitt (2000) a décou-vert les nombreux petits communaux caractéristiques de l’essentiel del’Angleterre des basses terres entre 1690 et les a nnées 1950. Ces commu-naux se trouvent soit dans des vieilles terres encloses boisées ou incultes, soitdans des zones de common field . Le Kent, par exemple, qui était couram-ment considéré comme anciennement clos ou « jamais » ouvert, comptait ungrand nombre de petits communaux, dont une grande part échappèrentpendant longtemps à l’enclosure. Le comté de Leicester, archétype de la culture intensive en plein champ, n’était pas non plus démuni de commu-

naux. Il pourrait y avoir eu 8 à 9 millions d’acres de communaux en Angleterre en 1690, soit deux fois plus que le suggèrent les jugements desenclosures et les actes parlementaires d’enclosures 45.

Compte tenu de ce chiffre, Everitt remet en cause la grande distinctionhabituellement faite entre les communaux des montagnes et les common field des basses terres: une séparation née d’une comptabilité d’après la catégorie dominante des terres soumises à enclosure. Il avance tout d’abordque les communaux enclos dans des zones essentiellement de common field ont souvent été comptabilisés parmi les terres arables; et, ensuite, que de

nombreuses clôtures d’une parcelle de communal pouvaient avoir lieuparallèlement à l’enclosure parlementaire d’une paroisse. Une étude précise

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52

44. TURNER M. E., 1984, MINGAY G. E., 1997, et NEESON J. M., 1999 et 2000.45. EVERITT A., 2000, p. 222-231. L’estimation de CHAPMAN J. (1987, p. 28-29), basée sur les juge-

ments, se monte à 60 % des 7,25 millions d’acres, soit 4,35 millions d’acres de communaux.

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de la nature des terres figurant dans les jugements, associée à l’histoire localedes enclosures non parlementaires permet de mettre en lumière les landeset les bois des basses terres 46.

Les hypothèses d’Everitt sont confirmées par les autres auteurs. Ens’appuyant sur le témoignage de William Cobbett, Ian Dyck a étudié lescommunaux des basses terres au début du XIX e siècle: les bois du Sussex, la « New Forest », les forêts près de Tunbridge Wells, certaines régions de jardi-nage du Surrey, les zones argileuses et le bocage du Weald du Sud, les zonesmoins fertiles de l’Avon, l’Hampshire du Nord et l’East Anglia. Cobbettconnaissait un communal de six miles de long dans le Surrey sur lequel il

avait vu 10000 oies dans les années 182047

. Et il y a encore plus de terresincultes dans les plaines des Midlands. Les premières enclosures de champscultivés faites à l’amiable dans les Midlands ont souvent laissé intacts jusqu’aux XVIIIe et XIX e siècles les communaux incultes ou les autres droits depâturage 48. En 1760, dans le Northamptonshire considéré comme la quin-tessence du système des common field s des Midlands, les communaux incultes pouvaient atteindre 15 % des terres, plus que les estimations élabo-rées à partir des échantillons pris dans les Jugements 49. En Wiltshire, près de11000 acres deviennent communales dans la forêt de Dean au XVIIIe siècle

grâce aux activités des mineurs de houille et de fer 50. Finalement, la plupartdes villes elles aussi possédaient des communaux. Une récente étude deH. R. French (2000) avance qu’au moins 180 villes possédaient terres etusages communautaires à la fin du  XVIIIe siècle et au début du  XIX e siècle.Londres même s’est étendu sur maints communaux. En 1894 encore, il exis-tait 19000 acres de communaux incultes dans un périmètre de quinze milesautour de la capitale 51.

 Ainsi, il est évident qu’un état de la superficie des communaux ne peutse réduire à une simple opposition nord/sud, pâtures/labours ou hautes

terres/basses terres. Ils sont disséminés aussi dans le sud-est et le sud del’Angleterre, l’ouest et l’est, et les zones côtières. Lorsque les historiens sepenchent sur les progrès des enclosures parlementaires, ils doivent distinguerles régions où la clôture des communaux surpasse celle des champs cultivésen common field . Lorsqu’ils analysent la superficie des communaux avant

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53

46. Everitt montre que les historiens doivent séparer les deux catégories de terres, données en détaildans les jugements.

47. D YCK I., 1992, p. 111-114. W ILLIAMSON T., 2000, p. 191.48. GOODACRE J., 1994, p. 113-115.49. CHAPMAN J. (dans une communication) estime à 10, 36 % de la superficie du Northamptonshire la 

proportion des communaux incultes soumis aux enclosures. La divergence avec le chiffre que j’avancea deux causes: j’ai inclus les communaux non enclos par acte privé, et l’échantillon de Chapmanconduit à une sous-estimation des communaux des paroisses riches en forêts, landes et marais.

50. FISHER C., 1981, p. 11.51. FRENCH H. R., 2000, p. 173. EVERITT A., 2000, p. 211-213. THOMPSON E. P., 1991, p. 11-14,

121-126.

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les enclosures de toute nature, ils doivent confronter plusieurs sources,comme l’a fait Everitt, afin de comprendre réellement l’ubiquité et la variétédes usages sur les communaux et leur surprenante longévité.

Débat: la durabilité 

Les communaux dans les plaines étaient bien plus largement répandusqu’on ne le disait jusqu’ici. On peut donc se demander s’ils étaient dégradésou bien rentables et dans quelle mesure cela a joué sur la volonté de lesenclore? Avant de répondre à cette question, définissons d’abord les termesemployés. Il me semble qu’une réflexion sur la durabilité des communaux 

doit prendre en compte ce que Michael Turner qualifie « d’écologie dansson sens le plus large » : elle doit inclure les facteurs humains aussi bien quenaturels, le bien être des habitants aussi bien que les qualités de la terre 52.En même temps, l’application du concept de durabilité à l’Angleterre du XVIIIe siècle doit mettre en valeur les capacités d’adaptation d’un systèmeécologique. Les estimations sur la durabilité n’ont un sens que si l’oncompare les usages existants aux alternatives réelles du moment plutôt quethéoriques.

Les historiens anglais ont souvent associé, pour le  XVIIIe siècle, les terresen jouissance collective avec une agriculture épuisée et une populationexploitant les ressources jusqu’à leurs limites 53. L’étude de Robert Allensur l’innovation dans les common field s jette le doute sur le premier point,la dégradation. Nous attendons les études de démographie comparativeentre villages enclos et villages à usages communautaires.

Les travaux récents sur les Midlands et les forêts des basses terresappuient et en même temps contestent le pessimisme traditionnel. JohnGoodacre (1994) a décrit la misère croissante des petits tenanciers et des

cottagers sans terre, vivant dans les villages de common field qui servaient deréservoirs de main-d’œuvre pour les villages voisins enclos au milieu du XVIIe siècle. Michael Freeman (1997) et Brian Short (1999, 2000) ont décritla dégradation des sols dans les forêts royales de la fin du  XVIIIe siècle et dudébut du  XIX e siècle. En revanche, Charles Searle (1993) voit la menacereprésentée par des entreprises de pâturage capitalistes sur la durabilité del’agriculture paysanne dans les communaux du Cumberland, menace siréelle qu’elle pousse les yeomen à enclore. En adoptant un angle de vue unpeu différent, Richard Moore-Colyer (1997) note le déclin des cottagers (et

non celui des petits tenanciers) de la forêt de Rockingham après l’enclo-sure de leurs communaux, ce qui signifierait qu’ils en tiraient autrefois des

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52. TURNER M. E., 1997, p. 132. SHEAIL J., 1995, p. 179.53. Cf. H ARDIN Garrett, « The tragedy of the commons », Science , vol. 162, 1968, p. 1243-1248. Cf.

aussi le développement plus précis de NEESON J. M., 1993, p. 6-7, 16-17 et bibliographie.

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ressources 54. Et les oppositions aux enclosures, menées par des groupes devillageois, montrent bien que ces communaux leur étaient utiles.

Peut-on concilier ces différents points de vue? L’appauvrissement d’unepaysannerie du comté de Leicester et la dégradation des forêts royales prou-vent-elles que les communaux anglais n’étaient pas viables? La réponsesemble claire: la pression démographique dans un contexte économiquecomme celui des plaines cultivées des Midlands au  XVIIe siècle aussi bienque l’affaiblissement de la réglementation dans les forêts royales ont forcé-ment un impact écologique néfaste. Mais la relation est sans doute tropsimple. Même les sols forestiers pauvres et les communaux surpeuplés des

Midlands pouvaient faire vivre les cottagers dans une certaine mesure. Poureux, la question n’était pas de savoir s’ils vivaient bien ou mal sur lescommunaux mais s’ils pouvaient vivre, bien ou mal, sans eux. Pour les plusriches habitants (officiers de la Couronne, forestiers et fermiers), la valeurdes communaux est évidente, ces terres leur étaient utiles, mais moins quesi elles étaient encloses et utilisées autrement. L’essentiel de la pression enfaveur des enclosures et la critique contre l’utilisation de la forêt par lespauvres, proviennent de la même source: celle des habitants aisés 55. Onvoit bien que la faillite de la réglementation dans les forêts royales faisait

l’affaire de la plupart des usagers, ce que prouve l’économie très diversifiéede la forêt de Dean au  XVIIIe siècle 56. Les plaintes ne s’élèvent quelorsqu’une autre économie apparaît possible, et c’est le cas à la fin du XVIIIe siècle, mais cette nouvelle économie forestière ne peut faire vivrequ’une partie des habitants, moins que le système précédent. Et bien sûr,l’enclosure peut dégrader tout autant les sols que les abus antérieurs, commec’est le cas à Enfield Chase en 1777, à Needwood en 1801, dans les forêtsde Windsor en 1817 et de Hainault en 1851, et même celle de Wychwooden 1857, étudiée par Freeman 57.

Les enclosures des communaux du Cumberland, décrites par CharlesSearle posent des questions analogues: les cottagers désiraient-ils autantl’enclosure que les fermiers? Malgré l’érosion de leurs droits au cours desdécennies précédentes, ils ont pu craindre de souffrir plus de l’enclosureque des troupeaux des « gros ». C’est ce qu’exprimait Thomas Bewick à propos de la valeur incertaine des enclosures sur les hauteurs ( fell ) duNorthumberland: pauvres et tenanciers ont tous souffert du changement.

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55

54. C’est ce que montre PETTIT P. A. J., « The Royal Forests of Northamptonshire. A Study in theirEconomy, 1548-1714 », Northamptonshire Record Society , vol. 23, Northampton, 1968, p. 152-158. Voir aussi NEESON J. M., 1993, p. 233-234.

55. THOMPSON E. P., 1976, p. 329, et 1991, p. 103-108. FISHER C., 1981, p. 13.56. FISHER C., 1981, p. 1, 10-12. THIRSK  J., 1984, p. 191-192.57. R  ACKHAM, 1986, p. 139. De même C ADIGAN S. T., 1999. Je remercie Sean Cadigan de m’avoir

donné sa communication à lire. R  AYBOULD T., 1984.

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« Cette colline ( fell ) ou communal, contenant 1852 acres 2 roods et9 perches, fut partagée en 1812. Cette division déracina le pauvre, et les

différents artisans des villages n’en tirèrent aucun bénéfice. Les fermiersvoisins (les tenanciers) qui y envoyaient leurs jeunes bovins et autant demoutons qu’ils le voulaient, doivent maintenant payer pour louer cesportions attachées à leur ferme. La sagesse qui a poussé à ce changement estcontestable, mais la cupidité égoïste est évidente 58 ».

Un peu plus au Sud, dans les montagnes du comté de Derby, Andy  Wood affirme que les mineurs indépendants et les squatters sans terre préfè-rent garder leurs communaux en l’état 59. La relative quiétude des pauvresdu Cumberland nous en apprend plus sur leur isolement politique au sein

de la communauté que sur leur sentiment face à l’enclosure de leurscommunaux. Il faut croire que les usages collectifs permettaient à bonnombre de membres de la communauté de subsister assez correctementpour déplorer leur perte. L’un des aspects de la question de la rentabilitédes communaux est donc: « rentables pour qui? »

Il faut aussi se poser la question: « rentabilité sous quelle forme? ». Lescommunaux pouvaient-ils s’adapter, évoluer sans être enclos? Étant donnéeleur diversité, la réponse ne peut être univoque. Il est incontestable qu’encertaines régions, l’adaptation aux changements nécessaires eut lieu aussibien sur les communaux que sur les common field s. Cela devrait être admissans discussion si l’angle d’approche des historiens uniquement focalisé surles enclosures, ne les avait pas conduits à dénier tout intérêt aux commu-naux. Récemment Joan Thirsk a prouvé la remarquable capacité d’innova-tion agricole des petits producteurs, entre 1650 et 1750, qui s’exerce le plussouvent sur des terres communales qu’ils ont pu faire évoluer. Dans l’undes premiers travaux d’histoire de l’environnement, Victor Skipp a montrécomment les usagers de la forêt d’Arden surmontaient la crise de surpopu-

lation et d’érosion des sols au  XVIIe

siècle, en développant une activité arti-sanale. H. R. French a présenté l’intégration profitable des communaux à une agriculture et un commerce périurbains aux mains de petits fermiers ;E. P. Thompson a décrit la défense tenace des communaux des villes. Et Alan Everitt a découvert une large gamme d’activités économiques sur lescommunaux incultes des basses terres au  XIX e siècle, les identifiant commedes lieux d’innovation grâce à leur liberté, préservés des ingérences: « c’étaitdes lieux non incorporés, non entravés par un trop fort contrôle 60 ».

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56

58. BEWICK Thomas, A Memoir of Thomas Bewick Written by Himself  , Iain Bain (ed.), London, 1975,p. 24. SEARLE C. E., 1993 et 1995. Comparer avec l’étude de SHEPHERD M. E., 1999, qui commeSearle, s’intéresse aux petits propriétaires relativement aisés d’environ 100 acres, et non les plus petitsoccupants.

59. W OOD A., 1999, p. 51-52, 69, 109-114, 189, 319, 324.60. SKIPP V., 1978. THIRSK  J., 1997, chap. 3 à 5 et p. 141. THOMPSON E. P., 1991, p. 121-126.

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Les communaux ne furent jamais une entité simple ni unique. Ils étaientdivers, certains étroitement associés aux labours, d’autres donnant lieu à des économies variées, et ils changèrent. Si l’ancienne focalisation de l’histo-riographie sur les bénéfices évidents des enclosures avait rendu superflues lesrecherches sur l’économie des communaux, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

A B

Les communaux dans l’Angleterre du  XVIIIe siècle, à la veille de leurdisparition, étaient probablement plus étendus et plus capables d’adaptationqu’on ne l’a supposé. Cela aiderait à comprendre les regrets durables engen-drés par leur perte, doléances exprimées aussi bien dans les villes que dansles villages, dans les basses terres que dans les régions largement pourvues encommunaux du Nord et de l’Ouest. Démontrer cette hypothèse exigeraitun examen attentif de l’utilisation des communaux sur le long terme. Tropsouvent, l’historiographie n’a traité les communaux anglais qu’à partir d’unerelecture des témoignages dans les procès d’enclosures. Ces témoignagessont de grande valeur pour l’étude des enclosures, mais, pour celle des

communaux, ils sont incomplets et même trompeurs. Les travaux récentssur le maintien de vastes communaux dans les plaines anglaises suggèrentpourquoi les descriptions habituelles des usages collectifs, fondées sur destypologies régionales trop vastes, expliquent peu l’histoire sociale et cultu-relle des communaux.

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La gestion des terres en usage collectifdans l’Europe du Nord-Ouest 

Paul W  ARDE

Les terres en usage collectif étaient un élément essentiel de l’agriculturede la plupart des régions d’Europe du Nord-Ouest à l’époque moderne, etleur suppression souleva une question politique; elle est devenue l’objetd’un vaste débat historiographique. Les historiens du monde rural depuis le

 XVIe siècle ont l’habitude d’aborder les thèmes des enclosures, de la priva-tisation ou la nationalisation des propriétés collectives, mais ils prêtentmoins d’attention à la gestion des terres utilisées collectivement durant lessiècles précédant leur dissolution ou leur absorption dans la propriété del’État ou des communes. Leur intérêt s’est focalisé sur les conséquences de

l’abandon des systèmes agricoles communautaires, plus que sur leurs perfor-mances lorsqu’ils fonctionnaient. Les approches traditionnelles ont examinéles effets de cet abandon, d’une part sur la productivité agricole, supposantque le système communautaire souffrait de faibles rendements et d’unedégradation des ressources, et d’autre part, ses conséquences sociales, enparticulier pour les pauvres et les petits propriétaires.

Un groupe s’est constitué dans le cadre du projet Comparative RuralHistory of the North Sea Area (CORN) dans le but de remédier à cettesituation, dans le contexte d’une réflexion comparée sur l’ensemble del’Europe du Nord-Ouest. Les travaux menés de 1999 à 2001 ont abouti à un ouvrage 1 qui présente des études régionales sur l’Angleterre septentrio-nale et méridionale, les Pays-Bas, les Flandres belges, la France, les pays

1. DE MOOR M., SHAW -T AYLOR L., W  ARDE P., 2002

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nordiques, l’Allemagne du Sud-Ouest et celle du Nord 2. Ces recherchescomparatives se sont attachées aux communaux pour eux-mêmes, elles neles ont pas considérés comme simple composante d’un système agricole deplus en plus désuet, ni remis dans le contexte du processus de modernisationde l’agriculture. Le texte présenté ici reprend dans une large mesure lescontributions et les conclusions de ce volume du CORN.

Ces études se sont inspirées, en partie, des œuvres théoriques de sciencespolitiques des années 1980-1990 3, qui répondaient à l’article devenu clas-sique de Garret Hardin 4 sur « La tragédie des communaux » dans lequel ilaffirmait que la propriété collective est par essence inefficace et conduit à la 

surexploitation des ressources. Une vision contradictoire a été proposée, enparticulier celle d’Elinor Ostrom, qui montre que des groupes d’usagerspeuvent mettre au point des institutions qui contrôlent étroitement lescomportements de chacun des individus. Ceci peut être formulé de façonplus positive : il est nécessaire qu’existent des institutions (les règles et leurapplication) qui favorisent la coopération entre les individus, ainsi ils obéis-sent et aboutissent à une utilisation optimale et efficace des communaux.

Ces théories ont exigé des historiens qu’ils s’attachent essentiellement à la nature de ces « commons », terres en usage collectif, et aux institutions qui

régissent leur utilisation. Les historiens de l’Europe du Nord entendent engénéral ce terme de « commons » comme les terres où les « commoners », lesusagers, exercent le droit d’utiliser les ressources des propriétés appa rtenantsoit à des institutions, à des seigneurs, ou à l’État aussi bien qu’à despersonnes privées. Ces propriétés couvrent surtout des étendues non culti-vées ou seulement temporairement, terres ouvertes comme les landes etbruyères, les bois. Bien souvent, ces droits d’usage s’exercent aussi sur lesterres cultivées individuellement. La suppression de ces droits est générale-ment appelée « enclosure » en anglais, ce qui implique souvent, mais pas

toujours, une clôture physique de la terre. Bien que se dégage un consensusautour de cette description des « commons », certaines historiographiesnationales, notamment française et hollandaise, tendent à réserver l’expres-sion « communaux » aux terres possédées réellement par la communautédes usagers, que ce soit une coopérative, une commune, ou les sujets duseigneur (en ce cas, les communaux appartiennent en fait au seigneur).Nadine Vivier a insisté sur cette distinction. Les communaux, au sens strictde la propriété, et non des droits d’usage, sont « le patrimoine foncier dela communauté ». Ceci signifie qu’ils pouvaient être utilisés, soit collecti-vement comme pâturage commun, soit individuellement par la location

PAUL WARDE 

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2. BRAKENSIEK  S., 1991; NEESON J., 1993 ; PRASS R., 1997; V IVIER N., 1998; V  AN Z ANDEN J.-L.,1999; W INCHESTER  A., 2000.

3. OSTROM E., 1990; GIBSON C., MCK EAN M., OSTROM E., 2000; BROMLEY D., 1992.4. H ARDIN G., 1968.

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de parcelles. Cette gestion est susceptible de changer, selon les volontés dela communauté. « Au contraire, note Nadine Vivier, les droits d’usage sur lespropriétés privées ne pouvaient subir aucune modification, soit ils se main-tenaient, soit ils étaient supprimés 5 ». Ici, j’ai adopté une définition trèslarge des « terres en usage collectif », comprenant toute terre sur laquelles’exercent des droits d’usage, dans le but d’illustrer la diversité des proprié-taires réels de ces terres, ce qui a d’importantes implications sur leur gestion.

Les théoriciens comme Ostrom ont adopté une position plus abstraite,liant la propriété commune au concept d’un « fonds commun deressources » (common pool resource ). Leurs approches, aussi utiles soient-

elles, ne peuvent être transposées aisément à l’Europe des temps modernes.Néanmoins, Ostrom a proposé des critères, largement admis, qui selon elle,doivent exister pour assurer une gestion réussie d’une propriété communedurable. Pour aider à notre entreprise comparative, ses 7 critères des « fondscommun de ressources » ont été pris pour référence.

1. Des limites clairement définies.2. Adéquation entre règles d’appropriation des ressources, conditions

locales et dispositions de maintenance.3. Accords issus de choix collectifs.

4. Surveillance des ressources par des responsables.5. Sanctions modulées.6. Mécanismes de résolution des conflits.7. Reconnaissance d’une autonomie minimale pour les membres qui

régissent leurs propres institutions, sans intervention d’autoritésgouvernementales.

La recherche comparative du groupe CORN a intégré ces critères dansun ensemble d’autres questions visant à bien définir les propos afin d’éviter

les confusions puisque les études portent sur des contextes écologiques,politiques et agricoles très divers. Ces questions ont fourni la trame de cetarticle. Tout d’abord il est nécessaire de décrire la nature de ces terres etcelle des ressources exploitées en commun. Dans un second point, il fautenvisager le statut légal des usages collectifs et des propriétaires des« commons » qui ne sont pas partout les mêmes. Ensuite, dans un troisièmetemps, sont définis les usagers, ce qui nous conduit à étudier les institu-tions locales chargées de gérer les « commons », c’est-à-dire les organismesofficiels (tribunal seigneurial, assemblée villageoise, etc.), leurs procédures etles agents qu’elles emploient. À partir de là, nous pouvons espérer être enmesure de préciser quelles ressources communautaires existaient et quelleétait leur valeur pour les différents groupes d’utilisateurs. Les usagers en

LA GESTION DES TERRES EN USAGE COLLECTIF…

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5. V IVIER N., 2002, p. 144.

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Europe étaient très divers et rien ne laisse supposer, bien au contraire,qu’une communauté d’usagers signifie une communauté d’intérêt sansconflits. Bien que nos connaissances restent partielles et nos conclusionsinachevées, nous tenterons des observations comparatives.

Nature des terres en usage collectif et systèmes agraires

 À l’évidence, il existe de nombreuses confusions dans la terminologieservant à décrire ces terres dans les diverses régions européennes. Nousavons essayé de mettre au point, en anglais, une terminologie raisonnée quiprenne en même temps en compte le mieux possible les nuances dans lesautres pays. Son utilisation a dégagé une typologie de ces terres et a permisde souligner les variations locales. Ceci donne une typologie en troisgroupes 6. Le premier terme, common, renvoie au fait que ces terres sontutilisées pour un temps par plusieurs personnes, par opposition à une terreutilisée toute l’année par une seule personne. Le suffixe (arable, meadow ouwoodland ) renvoie à la destination principale de cette terre.

Common arable :

terres arables privées soumises à des usages collectifsIl s’agit d’une terre vouée à la culture, en particulier des céréales. Dans

la forme la plus courante en Europe du Nord-Ouest, cette terre se présenteen longues parcelles étroites. Chaque exploitant cultive quelques-unes deces lanières. Après la récolte et durant les années de jachère, ces parcellesservent au pâturage commun. Elles sont regroupées en blocs appelés

 furlongs , eux-mêmes regroupés en grands champs. Ces champs étaientl’unité de gestion prise en compte pour la rotation des cultures. Ce systèmeagraire pouvait comporter deux, trois soles ou plus, mais les plus fréquentsétaient l’assolement biennal et le triennal, ce qui signifie que la terre étaitmise en jachère un an sur deux ou trois.

Common meadow: prairies privées soumises au pâturage collectif 

 Meadow est la prairie qui produit du foin. Common meadow est, de la même façon que le common arable, divisée en parcelles en propriété indi-viduelle et s’ouvre au pâturage commun après la récolte de la première

herbe. En certains lieux, les droits de récolte de l’herbe dans le commonmeadow étaient redistribués chaque année par tirage au sort des lots.

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6. Les termes sont laissés en anglais pour en garder la cohérence.

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L’accès au droit de jouissance

La question du droit de jouissance a traditionnellement été associée à celle de l’origine des droits. Proviennent-ils d’une origine seigneuriale, oubien sont-ils les vestiges d’associations d’hommes libres qui les contrôlaientavant que ne s’impose le système féodal? Cette dernière théorie était soute-nue au  XIX e siècle par les historiens allemands, tel le juriste von Gierke, etMarx et Engels qui faisaient remonter les « communaux » au temps desGermains 13. L’école autrichienne d’Alfons Dopsch s’oppose à cette théorieau début du  XX e siècle, en attribuant l’origine des communaux aux donsdes seigneurs 14. Les recherches récentes confortent cette version car on voitmal de libres associations primitives de gestion des communaux évoluant defaçon linéaire vers la propriété privée.

Les habitants pouvaient avoir accès à la jouissance à divers titres, quenous regroupons en quatre principales catégories:

– Tenancier d’une seigneurie. Le droit est donc lié à la possession d’unbien dans la seigneurie qui détient la propriété des commons et juge deslitiges. Ce cas, courant en Angleterre, se retrouve en Bretagne (France). Cetteforme de juridiction privée, les « court baron » n’est abolie en Angleterre

qu’en 1925 bien qu’elle ait cessé de fonctionner depuis longtemps.– Membre de la communauté rurale ou la municipalité. Les droitsd’usage sont détenus par la collectivité des « citoyens » ou membres de la communauté qui les exercent en tant que groupe plutôt que comme asso-ciation d’individus. La justice du village fait appliquer les règlements etintervient comme première instance judiciaire. Ce modèle apparaît fréquem-ment, avec des variantes, en Allemagne, dans une partie de la France et duBrabant. Les communaux étaient souvent la propriété de la commune entant qu’institution, toutefois celle-ci était soumise juridiquement au seigneur

puis à l’État. La Révolution française a transformé les communaux enpropriété de la municipalité sur l’ensemble du territoire de la France ainsique de la Belgique moderne.

– Membre d’une coopérative ou association d’individus ayant desdroits à une ressource matérielle, appelée Genossenschaft en Allemagne,

 Markgenootschap en Hollande. En pratique, un membre peut être aussi bienun noble qu’un paysan, une communauté, une corporation ou un monas-tère. La jouissance des droits s’exerce sur une aire définie, elle est réglée pardes institutions propres. Ce cas se rencontre surtout en régions forestières.

– Tous les habitants d’un lieu, ou tous les sujets du dirigeant local. Cecine se trouve en général que là où les communaux sont très vastes, en appa-rence inépuisables, comme dans le nord de la Suède et parfois en Flandres.

LA GESTION DES TERRES EN USAGE COLLECTIF…

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13. GIERKE O. von, 1868; M AURER G. L. von der, 1865, p. 15-16; ENGELS F., 1954, p. 223-224.14. DOPSCH A., 1933, p. 33-34.

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Ils sont régis soit par des institutions locales, librement, soit par une admi-nistration centrale pour certaines ressources comme les forêts. Dans lesÉtats allemands, il est assez fréquent que tous les sujets aient droit à desressources limitées, comme la collecte de bois mort. Il s’agit bien plus d’uneconcession, liée à l’obligation pour le dirigeant de garantir la subsistancede ses sujets, plutôt que d’un droit personnel; et ces droits sont facilementsupprimés lors de l’enclosure.

N’oublions pas que les règles étaient susceptibles de changement au fildu temps. Cette description tient compte des pratiques réelles plutôt quedes modèles théoriques que nous aborderons plus loin. Nous devons exami-

ner ces changements à la fois dans les facteurs exogènes qui affectent lescommunaux et dans les institutions qui les régissent.

Les institutions régissant les terres en usage collectif 

Presque partout en Europe occidentale, existent des institutions degestion des communaux. La plupart font participer les utilisateurs, en tantque jurés dans les tribunaux seigneuriaux ou du village, ou en tant qu’agentsde contrôle. Ces tribunaux, le plus souvent, prévoient des punitions modu-

lées pour les contrevenants et préparent les règlements qui sont approuvésou amendés par le seigneur, ou l’assemblée du village ou celle des usagers. Ainsi, la plupart des critères définis par Ostrom semblent avoir été en place.Mais il faut être attentif à ne pas confondre participation de quelquesusagers à la gestion, et participation de tous. L’étude de Winchester reflètesans doute une tendance fréquente en décrivant des jurés largement issusdes couches aisées, ce qui n’est pas le cas des agents de contrôle 15. Il existeaussi l’écueil de déduire les pratiques à partir des seuls documents quisubsistent et du cas des communaux qui ont connu une grande longévité,

ce qui risque de donner une impression plus positive de la gestion. Demême, les règlements qui ont été conservés sont incomplets, ils n’envisagentpas tous les aspects; bien des clauses devaient être définies par les usages.Ceci peut être vérifié à partir des archives des tribunaux. Beaucoup dedocuments résultent de litiges particuliers et peuvent exprimer la volonté declarifier une situation, mais on ne sait pas clairement si ces procès-verbaux réaffirment des pratiques établies ou bien s’ils innovent face à des problèmesnouveaux.

 Au fil des temps, ces tribunaux ont régulé de plus en plus strictement le

partage des ressources. La règle ancienne qui accordait à chacun de couvrirses besoins mal définis, a été peu à peu restreinte et les quantités ont étéprécisées. Dans certaines régions, ceci se marque par la restriction du droit

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15. W INCHESTER  A., 2000, p. 41-42.

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de pâturage: du bétail hiverné sur une exploitation, on passe à des quotasparfois établis en fonction de la taille des propriétés. Ceci peut révéler lepassage d’une conception de droits collectifs associés à la subsistance versune forme de droit de propriété qui peut être géré plus strictement par lesautorités responsables, grâce aux quotas fixés en fonction des possibilités.Sur les communaux de W ijkerzand au centre des Pays-Bas, 180 « parts »de pâturage semblent avoir été définies au  XV e siècle et subsistent jusqu’à aujourd’hui 16.

Quoi qu’il en soit, que la règle soit fixée en fonction de l’hivernage ou dequotas, de nombreux bénéficiaires potentiels risquent de ne pas en profiter.

Les règles d’hivernage destinées à empêcher le surpâturage estival, excluaientaussi tous ceux qui ne pouvaient se procurer le fourrage pour l’hiver. Dansune certaine mesure, ceci jouait contre une utilisation commerciale descommunaux et une distribution inégale des bénéfices au profit des plusriches qui auraient pu introduire de gros troupeaux. Il était souvent inter-dit de vendre des ressources telles que foin, engrais et bois, à des gens exté-rieurs à la communauté. Thorvild Kjaergaard pense qu’au Danemark, detelles règles ont été introduites par les fermiers ou les seigneurs pour leurassurer le monopole de l’engrais local ou pour éviter qu’une exportation de

la biomasse ne déprécie leurs terres 17.Puisque les usagers étaient capables de gérer les communaux et faireappliquer ces règles, deux problèmes majeurs se posaient: celui du degréde communauté d’intérêt nécessaire pour imposer ces règles au sein dugroupe d’usagers, et celui du respect de ces règles par les étrangers. Cedernier problème exige que le règlement des communaux soit intégré dansun système plus global à compétence judiciaire, c’est-à-dire celui du seigneurpuis celui de l’État.

Les processus d’exclusionLa croissance de la population augmente la demande sur les ressources

collectives. La réponse à ce défi a décidé de la gestion des communaux enEurope du Nord-Ouest. Dès le haut Moyen Âge, nous percevons desdistinctions au sein de la paysannerie, et il est vraisemblable que certainessoient liées aux droits collectifs accordés. Souvent, ils étaient calculés enfonction des obligations féodales, des redevances envers le seigneur ou enversla communauté, ou encore la taille des exploitations; cette relation entre

les besoins et les droits disparaîtra mais restera un sujet de litiges. Cesdistinctions entre usagers étaient faciles à établir dans une seigneurie en liantles droits avec les types de tenures. À ces inégalités se sont ajoutés les effets

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16. HOPPENBROUWERS P., 2002, p. 109.17. K  JAERGAARD T., 1994, p. 60-61.

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des deux grandes vagues de croissance de la population, l’une de la fin du XV e siècle jusque vers 1580-1640, et l’autre au  XVIIIe siècle. Au cours de la première période, les usagers ont eu tendance à délimiter leurs ressourceset restreindre les droits.

Délimiter les ressources peut se faire de deux façons. La premièreconsiste à réserver les droits à certains foyers, exploitations ou maisons.Nous pouvons en citer quelques exemples. En Angleterre aussi bien quedans certaines régions d’Allemagne, on voit les usagers créer ces distinc-tions dans la seconde moitié du  XVIe siècle. Ceci était plus aisé en régionde transmission intégrale des terres à un héritier, où on pouvait garder la 

trace des ayants droit. Ces droits attachés à une possession étaient aussi la caractéristique des Genossenschaften, sortes de coopératives du nord del’Allemagne. Elles créaient une communauté restreinte d’usagers, souvent –mais pas toujours – composée de riches fermiers et petits paysans . Ontrouve aussi une telle forme de restriction dans les régions qui accordaientauparavant un droit à tous les habitants. À un moment donné, il est décidéque seuls les descendants des ayants droit pourront à l’avenir jouir desdroits, comme ce fut le cas aux Pays-Bas autrichiens 18. Les exclus sontessentiellement les petits et les sans terre, part la plus mobile de la popula-

tion, et lorsqu’ils peuvent utiliser les ressources communes, ce n’est que partolérance. Leur nombre augmente par la division des feux et la construc-tion de nouvelles maisons. Ainsi s’accentue la différenciation sociale etl’ambiguïté sur l’essence de ces droits – sont-ils liés à la résidence ou bien à la terre? 19. Ceci engendre des litiges et des jugements entérinant ces diffé-renciations. Cette évolution peut être motivée, parfois, par la peur d’unedégradation de l’équilibre écologique du territoire en période de croissancedémographique.

La seconde forme d’exclusion est l’œuvre des communes ou municipa-

lités. Les autorités pouvaient, par ce moyen, réguler l’immigration en élevantdes barrières fondées sur la possession de biens ou le paiement d’impôts.Elles pouvaient aussi limiter les mariages, les soumettant à autorisation jusqu’à l’âge de 25 ans ou l’interdisant à ceux qui risquaient de devenir desassistés. Ces règles, fréquentes en Allemagne, ne sont pas nécessairementliées aux communaux, elles sont dictées par une inquiétude plus globaledevant les secours à accorder aux indigents. En région de peuplementdispersé et de transmission intégrale des biens sans partage, la citoyennetépouvait être limitée aux propriétaires terriens aisés, mais en région de partagedes héritages, que le peuplement soit groupé ou dispersé, il est bien plusdifficile d’écarter une partie des habitants, aussi les exclus de la citoyenneté

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18. DE MOOR M., 2002, p. 130.19. W  ARDE P., 2002b.

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sont-ils peu nombreux. Dans ce cas, les gens ont plutôt des droits modu-lés en fonction de la taille de leur exploitation, de leur résidence ou descontributions communales. Ce modèle se retrouve fréquemment aux Pays-Bas et en Allemagne centrale et méridionale où les exclus peuvent consti-tuer une minorité ou une majorité de la population 20.

 Ainsi, à des degrés variés, cette exclusion d’au moins une partie despauvres était un phénomène quasi universel, un mécanisme premier de la gestion des communaux. Les autorités locales, qu’elles soient seigneuriales,municipales ou coopératives, pouvaient dans la pratique réguler indirecte-ment l’utilisation des communaux en limitant le nombre des ayants droit.

Ce processus d’exclusion n’est pas mis en place seulement pour les commu-naux. Il est motivé par la situation économique globale, la crainte despauvres, de la surexploitation des ressources, ainsi que par des considéra-tions politiques que nous devons maintenant examiner.

État et terres en jouissance collective

 Aucune des institutions chargées de la gestion des terres collectives nefonctionnait en toute indépendance, mais leurs relations avec les autorités

supérieures étaient variables à travers l’Europe, comme le montrent deux exemples extrêmes. En Angleterre et dans l’est des Pays-Bas, la commu-nauté fondée sur le manoir agissait indépendamment du droit public natio-nal. À l’inverse, dans le Brabant et de nombreux États allemands, lescommunes qui gèrent les terres sont soumises au prince dont le pouvoirs’accroît à l’époque moderne, par les exigences fiscales et réglementairesliées au développement de la bureaucratie et des rivalités militaires. Cescommunes ne sont pas seulement le premier échelon du système juridiqueet administratif, elles sont aussi les unités fiscales responsables de la collecte

des impôts. Comme les taxations augmentent massivement au début de la période moderne, en particulier pendant la Guerre de Trente ans, 1618-1648, les communes se trouvèrent acculées, soit à reprendre les dettes deleurs habitants, soit à les assister dans le besoin. Elles choisissaient souventde payer les dettes en gageant les emprunts sur les terres communales oubien en utilisant les revenus issus de leur location.

La Suède offre l’exemple d’une tutelle étroite de l’État. Les monarquesont réclamé avec beaucoup d’insistance, à partir du  XIV e siècle, toutes lesterres incultes. Les édits de 1542 et les lois de 1734 ont conféré à l’admi-

nistration centrale un pouvoir croissant sur la réglementation des commu-naux, même si la gestion quotidienne est laissée aux officiers locaux 21.

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20. HOPPENBROUWERS P., 2002; W  ARDE P., 2002, p. 203.21. SUNDBERG K., 2002.

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Si les instruments de gestion des communaux et l’intéressement desusagers existent bien à travers toute l’Europe du Nord-Ouest, les soucissemblent différents: dans certaines régions, seuls sont pris en compte lesintérêts économiques des usagers, tandis qu’ailleurs ces terres deviennentun instrument entre les mains des autorités locales. Elles ne peuvent êtrealiénées sans l’autorisation de l’État car elles jouent un rôle dans la solva-bilité des communes.

L’accès aux droits de jouissance peut aussi être contrôlé par l’État. Lesterritoires allemands présentent un éventail de cas différents. LesGenossenschaften, associations d’ayants droit, ont rarement survécu là où les

États gouvernaient par l’intermédiaire des communes, elles ont été absorbéespar la commune. Au contraire, dans les petites principautés ecclésiastiquesallemandes, elles ont survécu jusqu’au XIX e siècle 22. À la fin du XVIIIe siècle,en France, les gouvernements successifs ont voulu que le droit de jouissancesoit accordé à tous les habitants. Mais ces tentatives ont engendré des résis-tances de la part de ceux auxquels étaient réservés les droits d’usage, et ellesont retardé la privatisation que l’État voulait encourager.

La volonté politique joua un rôle déterminant sur le destin des commu-naux. Cependant, les États étaient rarement capables de faire aboutir

réforme ou privatisation contre la résistance d’un groupe d’usagers quandceux-ci s’organisent. Même lorsque les communaux sont partagés, descommunes peuvent rester propriétaires des terres et n’accorder les droitsqu’en échange d’une redevance, comme dans le sud-ouest de l’Allemagne etles Flandres françaises 23.

Communaux et durabilité

 Jan Luiten van Zanden pense que les marken de l’est des Pays-Bas souf-

fraient de dégradation des sols et de surexploitation des bois aux  XVIe et XVIIe siècles. Le remède fut trouvé vers 1700 avec la mise en place d’unsystème de surveillance. Cette capacité d’adaptation des institutions collec-tives fut de nouveau sollicitée quand les changements agricoles, après 1800,réduisirent l’importance du pâturage collectif et exposèrent les communaux aux demandes de ceux qui investissaient dans la culture individuelle 24.

Cette étude de van Zanden soulève bien des questions. Pour lui, l’undes principaux critères de dégradation est la disparition du bois d’œuvre, jointe au pâturage qui empêche la régénération, ce qui transforme les

communaux en lande. Ceci est un cas fréquent dans les régions sableuses etpose un réel problème aux Pays-Bas, Danemark et Allemagne du Nord au

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22. BRAKENSIEK S., 2002, p. 235-236.23. W  ARDE P., 2002, p. 216; V IVIER N., 2002, p. 159.24. V  AN Z ANDEN J.-L., 1999.

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 XVIIIe siècle 25. La lande de Lünebourg est l’exemple le plus connu de ceslandes récemment créées par l’homme. La trop forte demande de boisd’œuvre était un problème dans toute l’Europe, dès le début du  XVIe siècle.On se préoccupait peu d’une gestion à long terme destinée à préserver uneréserve de grands arbres, jusque dans la seconde moitié du XVIIe siècle où lesadministrations forestières sont devenues actives pour répondre à la demande de la Marine. Bien souvent, les habitants n’avaient pas droit aubois d’œuvre de leurs communaux, ils étaient donc peu motivés pour leurconservation, surtout si l’ombre des grands arbres diminuait l’herbe dusous-bois 26. Toutefois, il ne faut pas confondre cette diminution du bois

d’œuvre avec la déforestation car les taillis peuvent se maintenir.Cette question nous conduit à aborder un problème plus général lorsquel’on veut évaluer l’état des communaux. Les problèmes environnementaux ne sont aucunement la particularité des terres en jouissance collective. La destruction des sols minces fut accélérée par l’intensification de l’agricul-ture et ses besoins en engrais. Aussi, des mesures de plus en plus draco-niennes furent prises par les gouvernements pour supprimer les usages enforêt et obtenir des futaies pour le bois d’œuvre 27. La déforestation a engen-dré une hausse du niveau hydrologique, et donc des sols plus humides et

plus froids, une croissance plus lente et tardive de la végétation: ThorkvildKjaergaard pense qu’il en résulta un raccourcissement de la saison végétativedans le Danemark du XVIIIe siècle 28. Ainsi, vers 1800, la crise que connais-sent les régions de sols minces trouve son origine bien plus dans les trans-formations du système agraire que dans son échec ou celui de la propriétécollective.

 À la fin du XVIIIe siècle, la coalition d’intérêts en faveur des communaux s’affaiblit. Des parcelles en culture intensive ou en plantes fourragères ontété soustraites à la jachère et au pâturage commun. Ceux qui ne pouvaient

envoyer de bétail sur le communal et ceux qui en étaient exclus, se décla-raient favorables à la clôture et la privatisation afin d’obtenir un bien.D’autres rétorquaient que ces parcelles seraient vite vendues aux créancierset que la privatisation n’aiderait que les riches. De nombreux fermiers aisésd’Allemagne centrale et méridionale préféraient des droits de pâturage trans-missibles plutôt que le gain d’une terre de qualité incertaine. En fonction dela situation locale, ils pouvaient craindre un partage des communaux quidonnerait trop d’indépendance aux pauvres, ou bien à l’inverse, préférerune force de travail retenue par des lopins de terre ou des bêtes sur lecommunal. Cependant, les régimes de propriété collective n’étaient pas

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25. K ÜSTER H., 1995, p. 184; K  JAERGAARD T., 1994, p. 18-21, 33-39.26. ELIASSON P., NILSSON S. G., 2000.27. V IVIER N., 2002, p. 164-166; GREWE B.-S., 2000, p. 150.28. K  JAERGAARD T., 1994, p. 21.

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Les biens communaux en Allemagne Attaques, disparition et survivance (1750-1900)

Stefan BRAKENSIEK 

Marc Bloch a décrit la disparition des droits d’usages communautairesen termes de « lutte pour l’individualisme agraire ». Comme nous le savons,cette lutte ne fut que partiellement couronnée de succès en France 1. Aucontraire, en Allemagne, on dit que les communaux ont disparu de façonbien plus radicale au tout début du  XIX e siècle. Dans de nombreuses régionsdu pays, la privatisation des terres collectives, le remembrement et l’aboli-tion des droits d’usage auraient clos toutes les revendications des collectivitéssur les terres 2.

Mais est-il vrai que la disparition des communaux en Allemagne ait eu

lieu de façon aussi rapide et globale? Comme nous le verrons, cette affir-mation n’est fondée que sur le cas de la Prusse. La réalité est bien différentedans d’autres régions. L’ensemble du territoire allemand n’a pas connu unprocessus uniforme 3. C’est ainsi que l’on peut déceler, par exemple, plusde similarités entre les régions voisines du nord de l’Allemagne et duDanemark qu’au sein de l’ensemble de l’Allemagne 4. Je ne pourrai donnerici qu’un résumé relativement simplifié de ce processus dans trois régions.Tout d’abord, nous observerons le Sud-Ouest, caractérisé par ses villagesnucléaires, son open-field , ses obligations seigneuriales légères, un vif sens

1. BLOCH M., 1930, étude concernant la vaine pâture.2. A BEL W., 1967, p. 307-311.3. SCHLITTE B., 1886; D AGOTT E., 1934; DIPPER C., 1980, p. 50-92; A CHILLES W., 1993, p. 101-

109, 129-162.4. BEHREND H., 1964; A ST-R EIMERS I., 1965; PRANGE W., 1971.

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Les premières mesures législatives encourageant à la privatisation descommunaux et donnant les lignes directrices, sont prises dans les troisdernières décennies du XVIIIe siècle. Des commissions sont constituées dansla plupart des États allemands, avec pour mission d’accomplir ces réformesen quelques années 8. Toutefois, les obstacles se révèlent rapidement bienplus considérables que prévu. Dans quelques petites régions, les commu-naux sont privatisés dès avant 1800 : ce processus, important au niveaulocal, reste marginal pour l’ensemble du territoire allemand. Il montraitpourtant que la division des communaux était possible et avait des effetsbénéfiques. Encouragés par ces exemples, les partisans de la réforme ont

réclamé de nouvelles mesures9

.Le débat public subit au cours du  XIX e siècle des changements fonda-mentaux. À partir des années 1830, certains intellectuels commencent à glorifier les anciens usages collectifs car ils voient en eux une institution parlaquelle l’égalité des hommes libres se serait transmise des Germains

 jusqu’aux temps modernes. Après la révolution de 1848, des observateursimaginent dans les communaux l’instrument d’une politique sociale,capable de stabiliser les masses prolétariennes. Cette idée se renforce durantla période d’industrialisation intense. Les anciennes propriétés collectives, et

les coopératives agricoles constituées récemment, sont amalgamées etprésentées comme une forme alternative de capitalisme, caractérisée par desentrepreneurs conscients de leurs responsabilités sociales, et des travailleursqui ne seraient pas des prolétaires. L’idéal est incarné dans le Arbeiterbauer 10,le paysan-travailleur, celui qui possède une maison, quelques parcelles deterre et des droits d’usage. Il doit travailler à l’usine pendant que sa femmecultive les terres. Les conservateurs croient qu’un tel Arbeiterbauer serait à l’abri des atteintes du socialisme et du syndicalisme. Ainsi, durant le XIX e siècle, le courant en faveur de la réforme agraire perd de sa force; des

critiques s’élèvent contre ses désastreuses répercussions sur l’ordre social etcontre le mépris des autorités pour la beauté des paysages traditionnels quine sont pas pris en considération par des procédures trop uniformes 11.

En même temps que le débat public perd de sa simplicité, des instancesadministratives, dotées d’un personnel qualifié, sont créées dans la plupartdes États allemands pour régir l’agriculture. La législation concernant tousles aspects juridiques du partage des communaux est alors élaborée. Au XVIIIe siècle, on avait tenté de contrôler ces réformes par quelques décrets. Si

LES BIENS COMMUNAUX EN ALLEMAGNE…

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8. MIDDENDORFF R., 1927; MEYER G., 1965; GOLKOWSKY R., 1966; W RASE S., 1969; PRANGE W.,1971; ZIMMERMANN C., 1983; SCHNEIDER  K.-H. et SEEDORF H. H., 1989, p. 80-101;BRAKENSIEK S., 1991, p. 46-74.

9. BRAKENSIEK S., 1991, p. 108-126, 419-424.10. ZIMMERMANN C., 1998.11. FRAUENDORFER S., 1957, p. 350-362; 386-402; PRASS R., 1997, p. 276-291; R  ADKAU J., 2000,

p. 90-98.

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on compare ces textes assez brefs avec la législation kafkaïenne du  XIX e siècle,on est frappé par cette expansion du processus de réglementation 12.

Les répercussions de ces transformations sur la société rurale sont diffi-ciles à exagérer. Au  XVIIIe siècle, les paysans avaient tendance à ignorer lesappels aux changements émanant d’écrits théoriques. L’inobservation desmesures gouvernementales était en général sans conséquence; dans la plupart des régions où les paysans s’y opposaient, les partages n’avaient paslieu. En revanche, au  XIX e siècle, la présence constante de représentants del’administration de l’agriculture change la perception que les populationsrurales peuvent avoir des réformes. L’agent du changement est omnipré-

sent et ne peut plus être ignoré13

. En conséquence, l’opinion se transformedans les villages : peut-être le partage des communaux présente-t-il des avan-tages? Comment les diverses régions d’Allemagne répondent-elles à cettequestion? C’est ce que nous essaierons de voir maintenant.

L’Allemagne du Sud-Ouest 

Ce développement sur les biens communaux du Sud-Ouest del’Allemagne repose principalement sur les travaux de Wolfgang von Hippel,

Clemens Zimmermann et surtout Paul Warde14

. La région se caractérisepar un émiettement du pouvoir seigneurial, un village pouvant être soumisà plusieurs suzerains. Sur la plupart des territoires les seigneurs ne déte-naient que quelques prérogatives, avaient du mal à exercer leur autoritésouveraine, l’homme du peuple (Gemeiner Mann) n’était pas confronté à un trop fort pouvoir des nobles ou des princes 15. L’Allemagne du Sud-Ouest était essentiellement une région de peuplement concentré en villagesnucléaires. Le système de l’open-field y était courant, soumettant l’agricul-ture à de strictes règles communautaires. L’utilisation des champs appro-

priés et des communaux était un sujet important sur lequel s’est fondéel’unité sociale et politique de la communauté villageoise, au début de la période moderne. De plus, les communaux étaient l’expression matérielle etlégale d’une économie morale centrée sur la reproduction du ménage 16.

Les communaux s’étendaient sur de grandes surfaces boisées, tandis queles landes et pâtures étaient réduites à quelques parcelles. Mais les usagescollectifs ne se limitaient pas aux propriétés collectives. Beaucoup depropriétés privées, champs, prairies et bois, y étaient soumises et pouvaient

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STROBEL A., 1972; TROßBACH W., 1993, p. 20-31, 101-112 ; W  ARDE P., 2002.

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ticisme n’était pas l’expression d’un conservatisme des ruraux, comme il a étési fréquemment répété jusqu’à aujourd’hui. Pour que les réformes agrairesréussissent, il était essentiel que les produits agricoles puissent être vendus à des prix attractifs. Les paysans ne pouvaient être prêts à accepter les risquesque lorsque les perspectives de profit devenaient réelles 27.

Les réticences envers ces réformes imposées d’en haut n’ont pas empêchéune large diffusion des améliorations, en particulier celles liées à la stabu-lation du bétail. Les villageois n’étaient pas aveuglément attachés à leursusages, même lorsque leurs droits légaux reposaient sur les coutumes. Aucontraire, ils introduisaient des innovations dans les modes d’utilisation des

ressources communes. C’est pourquoi, dans un grand nombre de ces villagesdu Sud-Ouest, les communaux sont restés jusqu’au  XX e siècle, un élémentessentiel de l’agriculture moderne 28.

Si l’on prend en considération la faiblesse des superficies de landes etpâtures communales, leur privatisation ne pouvait revêtir qu’un intérêtmineur, en comparaison des autres régions d’Allemagne. Pourtant, il fautsouligner avec d’autant plus de force, l’impact révolutionnaire qu’eut leremembrement des parcelles extrêmement dispersées jusque-là. Mais cesmesures n’interviennent que vers la fin du  XIX e siècle 29.

Il existe de bonnes raisons d’affirmer que ces conclusions ne sont pasvalables seulement pour le Sud-Ouest de l’Allemagne. L’étude récente deReiner Prass sur la privatisation des communaux et le remembrement aux alentours de Göttingen, dans une région située bien plus au nord, suggèreune attitude similaire de la population là où la communauté rurale, agglo-mérée en villages nucléaires, avait une forte cohérence 30. C’était aussi lecas dans de larges régions centrales comme la Hesse 31.

 Allemagne du Nord-Ouest 

 Alors que la pratique de transmission égalitaire dominait dansl’Allemagne du Sud-Ouest et du centre, le Nord se caractérisait par la trans-mission à un seul héritier. Ici, les différences sociales étaient plus marquéesau sein de la population rurale et le servage profondément enraciné. Bienque les paysans soient parvenus à obtenir la possession héréditaire de leurexploitation, avec des corvées relativement limitées, ils étaient obligés nonseulement de payer des impôts en argent et en nature (céréales et bêtes),mais ils devaient obtenir la permission du seigneur pour se marier, vendre

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27. BRAKENSIEK S., 1991, p. 399-404; K OPSIDIS M., 1996.28. PRASS R., 1997, p. 127-144.29. SCHLITTE B., 1886; SCHARNBERG H.-H., 1964.30. PRASS R., 1997.31. HOOK K., 1927; TROßBACH W., 1991; M AHLERWEIN G., 2001, p. 246-262.

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une part de leur ferme ou demander un prêt 32. Une grande partie del’Allemagne du Nord-Ouest n’a pas été touchée par la création de villagesnucléaires au Moyen Âge. L’essentiel des établissements de population sefirent au début de la période moderne, sous forme de hameaux traditionnelset de fermes isolées 33. Les systèmes de culture variaient beaucoup, l’asso-lement triennal étant une exception. Dans le Nord-Ouest, les Gemeinden à fonctions multiples telles que nous les connaissons dans d’autres régions del’Allemagne n’existaient que très rarement. Nous trouvons par contre diffé-rents corps locaux assurant séparément les fonctions tenues ailleurs par la seule commune: les paroisses avaient à leur charge l’entretien des églises et

des écoles; les coopératives s’occupaient de l’exploitation en commun després et des forêts; le voisinage assurait l’assistance sociale. Les fonctions descommunes (Bauerschaften) se définissaient essentiellement par les exigencesde l’État territorial, lequel leur adressait ses décrets et leur réclamait lesimpôts. En raison de cette fragmentation des fonctions, la commune entant qu’acteur politique était plutôt faible 34.

Les plaines côtières possédaient de vastes étendues de marais et landes,utilisées collectivement. De ces sols majoritairement pauvres, on ne pouvaitobtenir une récolte que par de gros efforts. Les terres cultivées étaient

réduites à de petits champs cultivés sans assolement. La culture en continudu seigle dépendait de l’exploitation des terres incultes alentour : la couchesuperficielle de l’humus était prélevée dans les landes, compostée avec dufumier et importée dans les labours. Cette production céréalière supposaitun rapport de un à dix entre terres cultivées et incultes. Aussi, dans lesbasses terres allemandes, les communaux ne connaissaient que cette utili-sation extensive. Leur partage n’intervint pas avant le début du  XIX e siècle,mais il s’effectua rapidement avant 1850 35.

Dans les bassins plus fertiles et le pays de collines (Hügelland ) du Nord-

Ouest, les conditions étaient totalement différentes. Ici, l’industrie du linoffrait des ressources à une population en croissance. Agriculture et indus-trie du lin étaient si étroitement liées que la production agricole tirait béné-fice de la croissance de la population. Les propriétaires aisés obtenaient la main-d’œuvre nécessaire, variable selon les saisons, en embauchant les petitsfermiers ou métayers. De plus, ils tiraient profit de l’affermage des terres etdes maisons à leurs fermiers qui vivaient essentiellement de cette industrie

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32. W ITTICH W., 1896 ; SCHOTTE H., 1912; MOOSER  J., 1984, p. 95-122 ; SCHNEIDER  K. H. etSEEDORF H. H., 1989, p. 22-31; JÜRGENS A., 1990; S AALFELD D., 1998.

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35. J ÄGER H., 1961; SCHNEIDER K. H. et SEEDORF H. H., 1989, p. 80-101; BRAKENSIEK S., 1991,p. 189-211, 243-292.

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du lin. Dans ces régions, apparaissait une société tournée vers le marché.Ici, le partage des communaux pouvait connaître un succès rapide grâce à des facteurs favorables: les communaux étaient suffisamment fertiles pourque leur mise en culture soit envisagée, les systèmes de culture ne présen-taient pas d’insurmontables obstacles. La population en croissance offraitla main-d’œuvre nécessaire et un marché pour la production agricole.L’organisation du travail était suffisamment souple pour assumer en mêmetemps le maintien des exploitations des agriculteurs aisés et le défrichementdes landes. Dans ces conditions, le partage des communaux commence dèsavant 1770 et obtient des résultats tangibles avant la fin du  XVIIIe siècle, et

ce n’est pas seulement dû à l’efficacité exceptionnelle de la bureaucratie36

.Le remembrement n’eut pas lieu avant les trois dernières décennies du XIX e siècle. En règle générale, les réformes agraires furent menées en troisétapes séparées et indépendantes: d’abord les terres en usage commun furentdivisées, puis le plus souvent après 1848, les droits seigneuriaux furentconvertis, enfin les parcelles dispersées appartenant à des exploitations agri-coles furent remembrées en des parcelles plus rentables 37.

Lors de ce processus, les réalités sociales se transformèrent rapidement.Les répercussions des réformes furent très différentes selon les classes

sociales. L’aristocratie perdit beaucoup plus qu’elle ne gagna. Bien que lesindemnités compensant la perte des droits seigneuriaux aient permis à la noblesse l’agrandissement et la modernisation de ses domaines, ceci étaitloin de compenser la perte de leur domination sur les terres et les gens 38.

Il faut souligner le fait que, en Allemagne du Nord-Ouest, les réformesagraires n’ont jamais menacé les paysans. Bien que vivant dans le servage,leur dominium utile était si fortement enraciné, que lors de l’abolition del’ordre féodal dans la première moitié du  XIX e siècle, le dominium directumdes seigneurs fut estimé secondaire et dédommageable par de l’argent. Il ne

fait aucun doute que les paysans ont gagné à ces réformes, en particulier lesfermiers aisés. Ils avaient toujours été les principaux bénéficiaires des commu-naux et les avaient contrôlés. Même s’ils n’ont pas procédé immédiatementà l’amendement de leur portion, la réforme renforça leur position écono-mique et sociale. Tandis que l’abolition du servage personnel leur permettaitde devenir pleinement membres de la société civile, l’agrandissement de leursexploitations leur donnait les moyens matériels d’utiliser cette liberté récem-ment acquise. Dans la brève période qui va de 1770 à 1848, les paysans sontpassés du statut de sujets soumis et souvent méprisés à celui de membres

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36. MOOSER  J., 1984, p. 122-131; BRAKENSIEK S., 1991, p. 94-126, 292-328.37. SCHLITTE B., 1886, p. 446-484, 531-610; DIPPER  C., 1980, p. 74-76 ; SCHNEIDER  K. H. et

SEEDORF H. H., 1989; A CHILLES W., 1993, p. 154-162.38. BRAKENSIEK S., 1991, p. 116-117, 432-434.

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que l’on retrouve aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est dans l’Allemagne du débutde l’époque moderne 43.

Néanmoins, il reste de nettes différences dans les structures politiques etsociales 44. Aux  XVIIIe et  XIX e siècles, la population dans les principalesrégions de Prusse n’était pas aussi dense qu’ailleurs en Allemagne. Ceci étaitdû à l’importance des sols pauvres, au début assez tardif des défrichementsdans ce pays colonisé au Moyen Âge, et aux effets désastreux des guerres etépidémies du  XVIIe siècle. Aussi n’est-il pas étonnant que l’urbanisation aitété plus faible qu’à l’Ouest. La majeure partie de la population vivait dansde petits villages, des hameaux ou bien dans les nombreux domaines.

 Au cours des  XVIe

et XVIIe

siècles, le servage a été introduit dans les paysdu Nord-Est. Un grand nombre de ruraux ont perdu leur liberté person-nelle. Là où les paysans avaient obtenu la concession de droits héréditairessur leur exploitation, le seigneur choisissait tout de même leur héritier. Lesenfants qui n’obtenaient aucune part de l’héritage devaient se contenterd’une petite métairie ou de devenir manouvriers du seigneur. Ceci dit, ilne faut pas aller trop loin dans la simplification des structures historiques dela région en question, car on trouve également des paysans qui n’ont jamaisété assujettis à ce régime néo-féodal. Néanmoins, on constate que la corvée

était plus lourde en l’Allemagne du Nord-Est qu’ailleurs en Europe occi-dentale. Cela obligeait les tenanciers (Laßbauern) aussi bien que les paysansayant des droits héréditaires, à entretenir des animaux de trait pour cultiverles terres du seigneur et les leurs. Dans ce système, le domaine seigneurial etles fermes constituaient une entité économique. C’est pourquoi le seigneur,qu’on appelle le Junker, autorise ses sujets à envoyer leurs bestiaux paîtresur les communaux, bien que ni les paysans ni les communes ne soient lespropriétaires légaux de ces terres 45. Dans ces conditions, la Gemeinde nepouvait avoir autant de pouvoir que dans le Sud-Ouest. Bien que fréquem-

ment présente dans la vie quotidienne, la commune des paysans ne dispo-sait pas de titres constitutifs, fixés par écrit, qui auraient pu servir d’instru-ment juridique en cas de conflit 46.

 Au début du XIX e siècle, les autorités prussiennes, plus que leurs homo-logues des autres régions d’Allemagne, pensent que les réformes libéralescréeront une société de marché, des marchés libres pour toutes choses :marchandises, terre, travail. On espérait stimuler l’esprit d’entreprise detous, y compris celui des paysans. L’administration de l’agriculture fut miseen place dans un cadre régional sous la forme des Generalkommissionen. La 

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43. PETERS J., 1995.44. SUTER  A., 1997.45. HEITZ G., 1972; V OGLER G., 1986; TROßBACH W., 1993, p. 6-12, 26.46. H ARNISCH H., 1986; H ARNISCH H., 1989; ENDERS L., 1993.

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Prusse joua un rôle pionnier en créant cette institution avec ses agents, sesrèglements, sa hiérarchie 47.

La législation de la Prusse concernant le droit d’initiative du partage descommunaux fut unique en Allemagne par son radicalisme. Jusqu’en 1807l’initiative était une mesure gouvernementale octroyée aux ayants droit,sans leur consentement préalable. L’édit sur le partage des communaux de1821 se démarquait de cette pratique absolutiste. Toutefois, il autorisaitencore tout ayant droit à quitter la collectivité à tout moment, et en ce cas,la Generalkommission pouvait engager une procédure aboutissant au déman-tèlement des communaux. Au contraire, dans les autres États allemands, le

processus était soumis à l’approbation de la majorité des ayants droit48

.Dans les provinces orientales de la Prusse, en comparaison des autresrégions allemandes, la transformation des relations seigneurs-paysanscommença tôt et fut profonde. Quelles furent les raisons du succès de cetteréforme libérale? Elle est l’œuvre d’une élite de la bureaucratie dont lesmembres avaient les mêmes origines sociales et la même formation. Il s’agitd’une génération de diplômés des universités de Königsberg et Halle autout début du XIX e siècle, imprégnés de libéralisme. Ils eurent pour missionla transformation de la société rurale : abolition des droits féodaux, partage

des communaux, remembrement des terres. Ils réussirent, en partie parcequ’ils achevèrent l’essentiel avant le milieu du siècle, époque où les objectifschangèrent et où les privatisations furent entravées 49.

On a beaucoup parlé de ces succès. Ils sont réels mais on a négligé deparler des réactions de la société rurale. La majorité de la population, surtoutla plus aisée, avait toutes les raisons d’accepter car l’individualisme agraireallait de pair avec les autres réformes qui donnaient la liberté personnelleet la propriété privée. La question décisive résidait dans la définition admi-nistrative de l’ayant droit: acceptait-on le tenancier possédant un attelage

(spannfähiger Laßbauer ), ou bien le possesseur de droits héréditaires sur sonexploitation? Lors de la privatisation, les droits d’usage traditionnels de cesgroupes de la paysannerie furent pris en compte. Tous les paysans qui possé-daient des droits héréditaires sur leur exploitation, ainsi que la majorité destenanciers obtinrent des compensations. Le reste des campagnards netoucha rien. La réforme agraire ne se limita pas au partage des communaux et à l’indemnisation des droits seigneuriaux, il y eut simultanément unetransformation radicale. L’assolement triennal, largement répandu jusque-là, fut remplacé soit par la polyculture, soit par la Koppelwirtschaft connueau Danemark, en Holstein et Mecklembourg. Il en résulta un accroisse-

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47. K OSELLECK R., 1975, p. 487-559, p. 493-498.48. MEITZEN A., vol. 1, 1868, p. 391-417; SCHLITTE B., 1886, p. 168-199; D AGOTT E., 1934, p. 21-58.49. K NAPP G. F., 1887, vol. 1, p. 126-146 ; FRAUENDORFER  S., 1963, p. 199-204; 221-223;

H ARNISCH H., 1984, p. 58-101; W EHLER H.-U., 1987, p. 404-405.

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ment des superficies cultivées, même sur les exploitations paysannes, ce quipermit l’introduction d’une polyculture plus productive 50.

On peut affirmer que le partage des communaux fut un élément essen-tiel du processus qui transforma la société rurale. Il fournit les matériaux de base pour le véritable compromis historique entre les paysans et la seigneurie foncière. Grâce à cette privatisation, les droits seigneuriaux pouvaient être démantelés sans qu’il y ait des gens totalement perdants. Lestravaux d’Hartmut Harnisch sur le développement économique et socialdes provinces orientales de la Prusse traitent de ce sujet. Il affirme que les

 Junker ont pu accroître nettement leurs domaines et pourtant ceci n’a pas

conduit à la disparition des moyennes exploitations. Bien que les proprié-taires aient reçu plus d’un million d’hectares de terres cultivées provenantdes tenures paysannes, la majorité des fermiers a pu subsister, grâce à undur labeur par lequel ils cultivèrent les landes communes qu’ils avaient obte-nues lors des réformes agraires. Au cours de ce processus, les différencessociales au village se creusèrent, car ceux qui n’avaient rien tiré des réformes,intégraient forcément le groupe croissant des ouvriers agricoles 51.

A B

En conclusion, on peut dire que les lois et l’action de la bureaucratieont joué un rôle primordial dans le processus de privatisation des commu-naux, un constat auquel l’historiographie allemande a tenu depuis toujours.Bien des différences dans le rythme des réformes ne s’expliquent que parl’intervention de l’État. En revanche, d’importantes différences apparais-sent, selon les États, quant au déclenchement de la réforme, son évolutionet ses résultats sociaux et économiques 52. Si nous voulons comprendre ce

qui s’est passé, nous devons prendre en considération le comportement despopulations rurales. Plusieurs facteurs justifient la grande variété de leursréactions: la stratification sociale dans les villages, l’implication des diversescouches de popula tion dans le marché (marché foncier, marché des biens etcelui du travail), la force des communautés et la signification d’une traditionégalitaire. Bien que les différentes sociétés rurales allemandes aient connudes transformations fondamentales au  XIX e siècle, cela n’aboutit pas à unestandardisation mais à différents types de sociétés de classes.

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50. W EHLER H.-U., 1987, p. 409-428.51. H ARNISCH H., 1984, p. 106-252, 268-310.52. TEUTEBERG H.-J., 1977; H ARNISCH H., 1984; PIERENKEMPER T., 1989.

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Les biens communaux en Suisseaux XVIIIe et XIX e siècles: enjeux et controverses

 Anne-Lise HEAD-K ÖNIG

L’accès aux biens communaux et leur rôle dans la vie quotidienne descommunautés expliquent la place de choix que les biens collectifs ontoccupé dans les discussions publiques du  XVIe siècle au  XX e siècle. Certes,les enjeux se sont modifiés au cours de cette période. La mauvaise gestiondes communaux que dénoncent les diverses sociétés économiques du XVIIIe siècle pour inciter au partage n’est plus au centre des préoccupationsau XIX e siècle. Mais le thème de l’accès à la propriété collective reste au centredes controverses, tout comme l’affectation des revenus et ressources qu’ellegénère. Or, la question de l’accès aux jouissances est liée à des spécificités

helvétiques, aux questions d’appartenance bourgeoisiale qui sont indisso-ciables de l’assistance, puisque les communes sont obligées d’assister leursressortissants. L’accès aux biens est donc réservé aux seuls ressortissants de la commune, à savoir ceux qui en possèdent la bourgeoisie et qui habitenteffectivement dans leur commune dite « d’origine ». Ce n’est donc jamaisl’ensemble des habitants d’une commune qui jouit des biens communaux,car tous ne sont pas bourgeois de la commune où ils habitent.

La réorganisation imposée par la République Helvétique (1798), à la fin du  XVIIIe siècle, a provoqué une césure remarquable quant à la propriétédes biens communaux et à leur gestion. Elle a créé de nouvelles structurescommunales – les communes municipales – qui, le plus souvent, se sontdéveloppées dans le même espace que les communes bourgeoisiales. L’onassiste dès lors à une divergence d’évolution fondamentale des communesselon les régions de Suisse, parfois même au sein d’un même canton. En

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effet, dans quelques parties de la Suisse, ces nouvelles entités se sont substi-tuées aux anciennes communes bourgeoisiales, mais dans la plupart descantons, alémaniques surtout, l’organisation de communes municipales n’a pas entraîné la disparition des anciennes structures. Il y a donc création dece que l’on a appelé le dualisme communal, la commune municipale coexis-tant avec la commune bourgeoisiale. Parfois même, on observe ce qu’ilconvient d’appeler une « triplicité », voire une « quadruplicité » commu-nale. Diverses entités communales coexistent sur le même territoire, quipossèdent chacune leurs fonctions spécifiques et leur structure communale,sans qu’y participent nécessairement tous ceux qui habitent sur le territoire

dit communal: commune municipale, commune bourgeoisiale, communescolaire, commune ecclésiastique, fonds des pauvres, communes corpora-tives, corporations communales, voire fractions de commune qui peuventêtre des villages ou des hameaux 1 et qui possèdent la personnalité moraled’une corporation de droit public.

En fait, il y a dualisme communal, parce que le législateur a considéré lepartage des biens communaux comme inopportun tant que lui-mêmen’avait pas légiféré en la matière 2. Lors de la réorganisation administrativedu pays, il n’a donc pas transféré systématiquement les biens communaux 

aux nouvelles communes municipales, à savoir les communes d’habitants,mais les a laissés à celles des communautés bourgeoisiales qui le souhai-taient, afin qu’elles aient les moyens de poursuivre la politique d’assistancequ’elles avaient menée dans les périodes antérieures. La solution retenueétait donc une solution d’attente. Et le maintien des biens communaux « enl’état » permettait d’éviter l’attribution de charges sociales pesantes, notam-ment les questions d’assistance, aux collectivités nouvellement créées. Enmême temps, l’argument de la prise en charge des ressortissants pauvres dela commune permettait d’éviter toute velléité de démantèlement généralisé

des biens communaux que revendiquaient les habitants non-bourgeois.Toutefois le problème était exacerbé là où les paysans aisés continuaient à mettre davantage de bovins sur le communal, sans qu’il y ait eu une régle-mentation fixant un nombre maximum de têtes de bétail et les nombreusespétitions adressées aux Conseils législatifs de l’Helvétique témoignent dumécontentement de ceux qui sont exclus des biens communaux du fait deleur statut de non-bourgeois.

La conséquence de la politique de l’Helvétique a été la faible dotationdes municipalités nouvellement créées en l’absence de transfert des biensbourgeoisiaux et surtout l’émergence de conflits majeurs dans les décenniessuivant la création de ces entités duales, puisque ceux des habitants d’une

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1. Nul doute que la Thurgovie ne batte tous les records, l’on dénombre jusqu’à 11 types de communesqui se superposent dans certains lieux.

2. C ARONI P., 1964, p. 195.

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Les caractéristiques des biens communaux:

la montagne et la plaine, la ville et la campagneLa taille et la composition des biens communaux, de même que leur

accès, varient fortement selon les régions en fonction de la configuration duterrain, des structures agraires et politiques.

Dans certains cantons alpins, il existe encore, à l’heure actuelle,d’énormes biens communaux appartenant à d’anciennes corporationsd’habitants incluant aussi bien les forêts, les pâturages que les alpages. C’estle cas de certains cantons de la Suisse centrale à régime dit démocratique,

Schwyz et Uri, de même que dans les Rhodes Intérieures, alors que dansles régions alpestres soumises aux patriciats urbains de Berne et de Fribourg,une fraction importante des alpages a été acquise par les patriciens de cesvilles. Sur le Plateau suisse, les biens collectifs des régions d’emblavures sontplus diversifiés et plus nombreux que ceux les régions viticoles, encore qu’ilexiste des exceptions 5. Bien entendu, les structures agricoles régionales et lesformes de l’habitat ont aussi influencé la taille des communaux. Dans lesrégions d’habitat dispersé et d’exploitations d’un seul tenant, les bienscommunaux font défaut ou sont réduits à la portion congrue, au contraire

des régions d’habitat regroupé6

.Mais la propriété collective n’est pas le propre du seul monde rural. Lesbourgeoisies des villes ont possédé, et possèdent parfois encore de nos jours,un patrimoine foncier important 7. Et ces jouissances n’étaient parfois pasnégligeables. Ainsi à Lucerne, à la fin du  XVIIIe siècle, les bourgeois de la ville avaient encore droit à l’estivage d’une vache sur le communal, mêmes’ils ne l’avaient pas hivernée, et à une deuxième vache, s’ils possédaientune maison en ville. De plus, jusqu’en 1832, chaque chef de ménage bour-geois bénéficiait d’une parcelle à cultiver 8, et il lui était aussi alloué un

demi-muid de blé.Il n’existe pas de données globales sur l’importance des communaux.L’on ne possède que des données ponctuelles pour le  XVIIIe siècle, notam-ment pour les régions du Plateau. Dans sept des communes de la vallée dela Suhr, située sur le Plateau, la propriété collective totalise, à la fin du XVIIIe siècle, pour le moins 34 % des terres de la commune, et la forêt repré-sente près de 55 % des biens collectifs 9. Dans les régions de montagne, la 

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5. Cf. deux communes viticoles du canton de Genève où les biens communaux à la fin du  XVIIIe sièclereprésentent respectivement 31,8 % et 25,5 % de la superficie communale. Cf. ZUMKELLER D., 1992,p. 105.

6. Pour le canton de Zurich, cf. PFISTER U., 1992, p. 394.7. La bourgeoisie de Berne possède encore 4535 ha de forêts et de terres au XX e siècle, celle de St-Gall

484 ha de forêts en 1824, mais 822 ha de forêts et 34 domaines totalisant 340 ha en 1833.8. Un usage existant depuis 1693. Après 1832, les parcelles ont été regroupées en cinq lots et affermées.

Cf. GRÜTER R., 1914, p. 80.9. K URMANN F., 1985, p. 132, p. 172.

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propriété collective est quelque peu mieux connue, aussi parce qu’elle s’estparfois conservée jusqu’à nos jours. Dans le canton de Glaris, vers 1770,environ 30 % des alpages et un tiers des superficies de prés de la vallée dela Linth appartiennent aux collectivités et si besoin est, on les parcellisetemporairement. Dans le canton de Uri et certains districts du canton deSchwyz, la propriété collective est largement dominante, même au début du XX e siècle. Néanmoins, quelques enquêtes du  XIX e siècle fournissent desordres de grandeur pour certaines catégories de biens collectifs. Si lesdonnées afférentes aux forêts, aux pâturages et aux alpages sont parfoisassez détaillées, les informations sur l’ Allmend , en revanche, c’est-à-dire les

terres communales proprement dites servant soit à la pâture du bétail soitaux cultures, restent très sporadiques. Bien entendu, ces enquêtes tardivesreflètent la situation du moment et se placent en cours ou au terme d’unprocessus de partages effectués parfois sur une grande échelle. D’après lesdonnées rassemblées par A. von Miaskowski, en 1877, 70,2 % de la forêtsuisse est propriété collective 10. Quant aux alpages, la Statistique desalpages de 1864 fournit une image très contrastée. À Uri et Schwyz 89,3 %des alpages sont des biens collectifs, à Glaris, 72,1 %, à Nidwald, 63,8 %,mais seulement 44,4 % à Berne, 34,9 % dans les Rhodes Extérieures et

33,5 % dans les Rhodes Intérieures 11.Pour quelques régions de la Suisse, l’on possède quelques données plusprécises: les forêts et pâturages communaux du Jura bernois totalisent, en1815, 52,311 ha en 1825 et 54,286 ha en 1865/1866, sans compter lesemblavures appartenant aux communes 12, ce qui reflète une importantepolitique d’acquisitions. Selon les cadastres de 1822 et 1842, la totalitédes biens collectifs aurait représenté 29,5 %, respectivement 42,1 % del’ensemble des terres, toutes catégories confondues 13.

L’une des rares statistiques détaillées incluant l’ensemble des terres collec-

tives est celle du canton de Saint-Gall qui date de 1867/1868. Les25,794 ha de terres – sans les alpages – appartenant aux collectivitéspubliques (communes et corporations) se répartissent ainsi : 65,9 % deforêts, 22,5 % de champs, prés et tourbières, 11,5 % de pâtures et marais à litière et 0,3 % de vignobles. En outre, 58 % des alpages du canton, à savoir14443 pâquiers, sont propriété collective 14.

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10. MIASKOWSKI A. von, 1879, p. 230 sqq .11. Ibid.12. NOIRJEAN F., 1973, p. 93.13. R ENNEFAHRT H., 1905, p. 168.14. Ibid.

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L’accès aux droits communaux 

Dans les régions d’assolement triennal, c’est l’accès lié à la propriétéfoncière qui prédomine généralement, alors que dans les régions demontagne élevée, dans les villes et quelques régions du Plateau, c’est davan-tage le statut personnel qui prédomine. Les modes d’accès et l’ampleur desdroits ne sont toutefois pas immuables, et dans les régions céréalières duPlateau qui comptent des paysans aisés et des communaux importants, onconstate la mise en place de mesures destinées à prévenir tout autant la multiplication de la population sans immeubles qu’une immigration de

régions moins favorisées. Il est incontestable, toutefois, que les transfor-mations ont été moins radicales dans les régions de montagne élevée, parceque seuls les biens collectifs permettaient la survie des petites gens et quetoute modification de l’accès à ces biens l’aurait mise en péril.

La spécificité de la jouissance des biens communaux en Suisse est que cen’est pas l’ensemble des habitants d’une communauté qui en bénéficie, maisque l’accès à ces biens est réservé à une partie seulement de la population.Cet accès inégal peut être la conséquence du statut politique de la personneet des droits qui en dérivent, mais il dépend aussi du mode d’attribution

des droits de jouissance. Les principes qui règlent l’accès aux communaux diffèrent fortement selon les régions, de même que leurs conséquences surl’organisation de la famille et la mobilité qu’elle génère. Si le mode d’accèsa eu tant d’importance jusque dans la seconde moitié du  XIX e siècle, c’estqu’il est devenu un enjeu important de discussions publiques, de débats à la fois politiques et philosophiques et que, lié à des questions de possessiondu droit de bourgeoisie et de possession de biens-fonds, il a fortementinfluencé les mariages et la reproduction sociale.

On peut distinguer deux systèmes principaux d’accès, l’un lié à la 

personne, l’autre à des droits réels liés à la possession de biens-fonds, enl’occurrence d’une habitation spécifique, mais historiquement, les varia-tions d’emphase quant aux critères retenus et les nouvelles pratiques socialesont conduit à l’émergence de systèmes secondaires d’accès. On peut doncdistinguer quatre systèmes d’accès aux biens communaux.

Les droits réels – Ce système est basé sur des droits dits réels, attachés à une propriété qui est un système fortement inégalitaire, puisque les ressor-tissants de la commune qui sont sans bien-fonds n’ont, en principe, pasaccès aux biens communaux. Cette manière de procéder pour délivrer des

 jouissances s’observe principalement dans les régions céréalières du Plateau.Dans le système où les maisons sont porteuses de droits d’accès au

communal et aux prestations en bois, la politique des communes vise à enrestreindre la multiplication en fixant un nombre déterminé de droits et il

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n’est donc guère possible d’accroître le nombre de maisons dans l’espacecommunal. Par conséquent, jusqu’au début du  XIX e siècle, le nombre deménages ne peut guère augmenter, si ce n’est par une division éventuelled’une habitation pour y loger deux, trois ménages ou plus, qui jouirontd’un droit partiel au prorata , mais ensemble d’un seul droit. La fragmen-tation des droits est le résultat, pour l’essentiel de partages successoraux, del’achat de droits ou de faillites, ce qui dans le canton de Zurich a mêmeconduit à la création de huitièmes de droit de jouissance 15. Cette régle-mentation, appliquée de manière stricte dans bon nombre de communes a eu pour conséquence aussi la construction de maisons auxquelles n’était

attaché aucun droit communal. Dans ce modèle d’attribution des jouis-sances, les autorités communales se réservent parfois une petite partie ducommunal, afin de pouvoir allouer des parcelles aux ressortissants les pluspauvres de la commune 16.

Lorsque c’est à l’exploitation que sont attachés les droits d’accès, l’on a affaire à un système doublement inégalitaire. Il exclut entièrement la couchedéfavorisée qui ne possède pas de bien-fonds et il est créateur de grandesinégalités au sein du groupe accédant au droit de jouissance, lorsqu’il estmodulé en fonction de la taille de l’exploitation et porte aussi bien sur la 

pâture que sur les attributions de bois. L’accaparement au profit des seulesgrandes exploitations est certain ici.Ce mode d’accès limité qu’est le droit de jouissance attaché à des biens

fonciers est le résultat d’un long processus qui, pour certains historiens,résulte d’une transformation de droits personnels en droits réels à la suite dela croissance démographique et de la pression accrue sur les biens commu-naux. Pour le canton de Zurich, Peter Witschi décèle trois phases dansl’établissement de normes plus prohibitives pour limiter le nombre desayants droit. La première phase est celle de la domiciliation qui n’est plus

suffisante, la communauté exig eant la possession d’un bien-fonds, mêmemodeste. Dans la seconde phase, les droits liés au statut de la personnen’habilitent plus à l’accès, mais seuls les droits réels liés à des habitationsspécifiques donnent droit à la jouissance des biens communaux 17. Cela signifiait qu’en cas de vente de la maison, les droits d’accès étaient transfé-rés ipso facto au nouvel acquéreur. L’augmentation de population au XVIe siècle s’accompagne, par conséquent, d’une pression accrue sur lescommunautés pour qu’elles autorisent la construction de nouvelles maisons.Dans une troisième phase, les communautés d’habitants pour limiterl’établissement d’étrangers à la commune, outre qu’elles augmentent les

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15. Geschichte […] , vol. 2, 1996, p. 94.16. K ELLER V., 1937, p. 41.17. W ITSCHI P., 1981, p. 46 sq .

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droits d’entrage, attribuent les droits d’accès à des exploitations spécifiques,ce qui prévient toute possibilité d’accroissement des droits.

On constate même que ces droits sont dissociés des exploitations dans denombreuses régions du Plateau, parfois déjà au  XVIIe siècle. Il s’agit, pourl’essentiel, d’endroits où domine l’assolement triennal, mais ce processusest souvent constaté. Ce processus de dissociation des biens-fonds et des

 jouissances résulte d’une circulation accrue de la terre, les droits de jouis-sance devenant l’objet de spéculations foncières et se vendant séparémentdes biens-fonds auxquels ils étaient attachés 18. C’est en vain que les auto-rités communales et cantonales s’efforcent parfois de s’opposer à ce proces-

sus dès le XVIIe

siècle et de manière répétée au  XVIIIe

siècle19

.

Les droits personnels – En revanche, dans d’autres régions, certains auteursconstatent un processus inverse. L’exigence pour jouir des biens commu-naux se fonde progressivement sur des droits personnels qui se substituentparfois aux droits réels 20. Ce phénomène s’observe fréquemment à la findu XVIIIe siècle, et dans le canton de Berne, son implantation résulte aussi del’appui que donne le gouvernement cantonal aux pauvres qui revendiquentla possibilité de participer, même partiellement, aux droits de jouissance de

la commune dont ils possèdent le droit de bourgeoisie, même s’ils n’y possè-dent pas de droits réels. Pour G. Tramèr, le phénomène observé à Zernez,dans les Grisons, est l’aboutissement d’une évolution analogue qui a contraint les autorités de cette commune élevée à modifier les exigencesd’accès à la jouissance en raison de la paupérisation de la population 21,l’exigence de la possession de terre, puis d’une maison étant trop lourde.

Dans ce système de droits personnels, la jouissance est liée au statut dela personne, encore qu’il faille différencier entre les régions où il suffit deposséder le droit de cité « cantonal » parce que l’organisation en communes

ne s’y est créée que tardivement et les régions où c’est le droit de citécommunal qui a été le critère d’accès.

Pour pouvoir bénéficier des jouissances communales, il fallait que, outrela possession du droit de bourgeoisie, un ensemble de conditions soientréunies. Ce sont les prérequis, notamment, de la résidence dans l’entité poli-tique où sont situés les communaux, du sexe qui doit être masculin (lesfemmes ne possédant que des droits dérivés et ne pouvant les transmettre,puisqu’elles n’en ont pas la pleine propriété), le plus souvent de la naissancelégitime, du statut matrimonial (les droits d’accès étant réservés aux hommesmariés ou veufs), avec parfois l’exigence d’un âge minimum pour le chef de

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18. Ibid., p. 47.19. MIASKOWSKI A. von, 1879, p. 91.20. GEISER , 1905, p. 29.21. TRAMÈR , 1950, p. 54.

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famille qui doit être feu-tenant à la tête d’un ménage indépendant 22. Quantau ménage « en miettes 23 », c’est-à-dire ce qui en subsiste après le décès dupère de famille, la conception a toujours prévalu, dans toutes les régions oùdominaient les droits personnels, que la veuve et/ou ses enfants, mineursou majeurs, continuent à jouir conjointement du droit communal héritédu père, pour autant qu’ils continuent à vivre ensemble à même feu et pot 24.

Ces règles ont été appliquées avec diligence parfois jusqu’au début du XIX e siècle. Ce modèle a cependant connu des mutations, bien qu’il aitpersisté dans sa forme première dans bon nombre de régions de montagne,avec un système d’accès entièrement égalitaire pour tous les ressortissants de

la commune et parfois même une compensation pour ceux qui n’avaientpas de bétail sur le communal 25. Le souci de la surexploitation des bienscommunaux a parfois conduit à l’émergence de sous-systèmes, surtout là où l’équilibre entre ressources des vallées (hivernage) et ressources en pâtu-rages et alpages (estivage) était précaire. C’est donc, dans certaines régions,dans l’Oberland bernois, la Basse-Engadine et en Toggenbourg, l’existencede droits corrélés et indissociables entre hivernage et estivage. Ils forment untout, et il n’est pas possible de vendre l’un sans l’autre 26. Mais ce systèmeintroduit aussi, avec le temps, une différenciation sociale importante au

sein des communautés villageoises, lorsque les droits de jouissance sontmodulés en fonction de la taille de l’exploitation, On constate l’émergencede clauses maximales : à Uri, un propriétaire n’a pas accès à plus de 30pâquiers, ce qui correspond à autant d’unités de gros bétail 27, à Schwyz à 40 pâquiers, et dans les Rhodes Intérieures à 15, puis à 12 pâquiers.

Les systèmes hybrides – Il s’agit d’une curiosité que l’on observe surtoutdans le canton de Lucerne et elle s’explique par le fait que dans quelquescommunes cohabitent plusieurs modes d’accès, aussi bien celui des droits

réels que celui des droits personnels, ces derniers dérivant du fait quecertains ressortissants ont vendu leurs biens-fonds, mais accèdent néan-moins aux biens communaux. Et lorsqu’un ressortissant de la communepossède tout à la fois un droit personnel et un droit réel en vertu de l’exploi-tation qu’il possède, il ne peut les cumuler 28.

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22. Deux ménages à même feu et pot ne jouissent que d’un seul droit communal.23. L’expression est de Micheline Baulant.24. Avec cependant des modalités différentes pour la veuve qui, dans certaines régions, ne jouit pas d’un

droit de jouissance entier.25. À savoir une taxe prélevée par tête de bétail estivée sur l’alpage qui sert à dédommager ceux qui

n’ont pas de bétail sur le communal. C’est le cas à Glaris.26. D’autres droits sont parfois associés à l’exploitation: en Toggenbourg, outre l’estivage, les droits au

bois et aux terres à litière (cf. W  AGNER E., 1924, p. 54), voire en pays sec comme le Valais, le droitaux fontaines.

27. A RNOLD P., 1994, p. 111.28. GRÜTER R., 1914, p. 93 sq, 142 sq .

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Les dérogations – À ces trois systèmes, il faut en ajouter un quatrième,celui des dérogations, qui implique une attribution en fonction de critèresnon systématiques, que ce soit en raison du célibat, de la commisération(survie des petites gens, statut de non-bourgeois, etc.), mais aussi de l’utilitéde ceux que l’on souhaite attirer dans la commune.

Le problème des enfants majeurs célibatairesne vivant plus avec leurs parents

Dans le système des droits personnels, c’est le mariage qui confère seulle statut de la bourgeoisie à un homme et permet d’accéder aux jouissances

communales. Les hommes célibataires en sont donc exclus dès qu’ils quit-tent le ménage de leurs parents, sans fonder en même temps une famillequi leur donne automatiquement droit aux biens collectifs. Cette concep-tion résulte des normes que les élites ont essayé d’imposer aux couchespopulaires avec un double objectif: celui de limiter la pression sur lesressources communales et celui d’obliger les célibataires adultes à poursuivrela cohabitation avec leurs parents en leur fournissant la force de travailnécessaire. Or, des discussions très vives sur cette question sont menées dansplusieurs cantons dès le  XVIIe siècle. Dans le canton de Glaris, les avis sontsi partagés que la Landsgemeinde décide, en 1646, de laisser désormais à chaque commune le droit de décider à sa guise, ce qui a conduit à des solu-tions très diverses: 35 ans à Bilten, dès 1646, s’ils forment un ménage indé-pendant feu-ayant, 50 ans à Ennenda, mais seulement à partir de 1806.Un dispositif similaire, avec un âge minimum de 40 ans, est décidé en 1776par le gouvernement lucernois pour certaines communes du canton 29. La notion de ménage séparé a souvent été l’objet de controverses et pour remé-dier à certains abus constatés depuis la seconde moitié du  XVIIIe siècle, la corporation de Schillingsrüti, dans le canton de Schwyz, décrète en 1817que tant qu’un père est en vie, le fils ne peut devenir usufruitier 30. Quantaux femmes célibataires vivant seules dans un ménage séparé de celui deleurs parents, il est rare qu’elles aient accès à la jouissance des biens commu-naux avant le  XIX e siècle. Nidwald est ici une exception remarquable, à la suite d’une décision de la Landsgemeinde en 1688.

Les droits d’accès des non-bourgeois « utiles »

Il est parfois accordé un droit de jouissance réduit, temporaire et non

transmissible, à certaines catégories d’individus qui, bien que sans droit debourgeoise, sont néanmoins jugés utiles au fonctionnement du village, ainsiles artisans. On peut mettre dans cette catégorie également le clergé protes-

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29. Ibid., p. 95.30. Une clause qui est restée en vigueur jusqu’en 1979 (HUBLI A., p. 84 sq ).

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tant, car les pasteurs avaient parfois, dans la commune de leur ministère, ledroit de bénéficier des jouissances, au même titre qu’un ressortissant de la bourgeoisie, leur revenu incluant « un lot de bois comme les communiers »et l’accès aux alpages, « à l’instar des communiers de la paroisse ».

Les pratiques de la commisération

Elles sont très diverses, parce que les conceptions à l’égard des exclus des jouissances divergent selon qu’il s’agit de pauvres possédant la bourgeoisie oude simples « habitants » non-bourgeois. Dans les systèmes plutôt égalitaireset à droits personnels, l’on constate certaines dérogations aux exigences

coutumières en faveur des premiers, notamment en ce qui concerne le critèrede l’hivernage de la vache du pauvre ou du menu bétail, l’allocation deparcelles, et la construction d’une cabane sur le communal. En fait, cesdiverses dérogations aux règles d’usage doivent permettre la survie des petitesgens qui font partie de la communauté bourgeoise.

En revanche, les conséquences économiques négatives d’un statut denon-bourgeois, celui d’« habitant », de domicilié, etc., sont indéniables.Sauf rares interventions du gouvernement cantonal, par exemple celui deBerne, qui s’interpose parfois entre les exclus et les communes lorsqu’il s’agitd’« habitants » établis depuis longtemps dans une commune sans avoir puen acquérir la bourgeoisie, les dérogations sont rares. Les pratiques diffè-rent toutefois selon les régions et selon les conceptions qui prévalent quantà la pression démographique et les besoins du marché du travail. La Basse-Engadine est un bon exemple de cette moindre pression démographiquetout comme la partie septentrionale de l’Évêché Bâle. Il n’y existe pasd’exclusion totale des étrangers, parce qu’on a besoin de main-d’œuvre, etils peuvent participer aux jouissances, moyennant une taxe annuelle. En

Suisse centrale, c’est uniquement par commisération que l’on permet parfoisaux « habitants » de mettre une chèvre sur le communal ou qu’on leur attri-bue temporairement une parcelle à cultiver 31.

Les mesures pour empêcher l’augmentationdu nombre des ayants droit 

Dès le  XVIe jusqu’au  XIX e siècle inclus, la préoccupation commune à l’ensemble des communautés urbaines et rurales qui possèdent des bienscollectifs est d’en restreindre l’accès par une politique dissuasive. Il s’agit

en effet:– de limiter le nombre des ayants droit par des mesures jugées appro-

priées,

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31. HUBER M., 1999, p. 7.

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– d’éviter le risque de surexploitation des biens communaux lorsqu’unnombre croissant de ménages bourgeoisiaux est habilité à accéder aux communaux,

– de maintenir les jouissances aussi grandes que possible pour les ayantsdroit de longue date.

Le processus de réification proportionnellement à la taille des exploi-tations a été, en lui-même, un facteur de frein à la croissance démogra-phique, et là où les droits d’accès reposaient sur l’habitation, l’interdictionde construire de nouvelles habitations, voire celle du fractionnement des

droits au sein des maisons, promulguées dans certaines communes, se sontavérées une arme redoutable.Dans les régions à droits d’accès personnels, le système de régulation

s’est développé simultanément avec l’obligation de l’assistance qui incombaitaux communes et il portait aussi bien sur la gestion des biens communaux – diminution des jouissances, lorsque c’était nécessaire: moins de bétailestivé, moins longue durée de pâturage, des lots de bois réduits pour chaqueménage, etc. – que sur les personnes. Dans certaines régions, alémaniquessurtout, l’intervention des autorités a donc eu pour objectif de limiter le

nombre de pauvres, afin que les charges de l’assistance et que la pression surles jouissances n’augmentent pas démesurément. Il y a donc contrôle dumariage par les instances communales et, parfois interdiction faite aux pauvres de se marier, lorsque les autorités jugeaient que l’époux était inca-pable de subvenir aux besoins d’une famille. Deux autres mesures impor-tantes ont été la perception d’une taxe, parfois assez élevée, auprès de tousceux  qui souhaitent accéder aux jouissances pour la première fois et surtoutle relèvement de l’âge minimum des chefs de ménage pouvant jouir desbiens communaux, ce qui a parfois soulevé de fortes oppositions, surtout

lorsque l’interdit touchait tous les chefs de famille de moins de 30 ans 32.Mais, en fait, les mesures les plus draconiennes ont porté sur les possi-

bilités d’accès à la bourgeoisie et ici l’opposition à l’admission de nouveaux bourgeois tant dans les villes que dans les campagnes a été féroce, qu’ils’agisse d’« habitants », établis de longue date, parfois depuis plusieurs géné-rations, ou d’immigrés récents, de domiciliés. L’objectif était d’empêcher à tout prix l’accès aux jouissances. L’on observe donc, à l’échelle non seule-ment des cantons, mais souvent aussi des communes, la quasi-fermeturede cette institution par l’exigence de finances d’entrage prohibitives. Or, la non-possession du droit de bourgeoisie impliquait une forte précarisation,la menace permanente de l’expulsion, l’absence de prise en charge et surtoutl’exclusion de la jouissance des droits collectifs qui, dans certains cas, consti-

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32. En général, le consensus se fait sur un âge proche de 25 ans. cf. D ANEGGER K., 1920.

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tuaient un revenu d’appoint important pour la survie des ménages. Etparfois, même en cas d’acquisition de la bourgeoisie, l’on observe des tenta-tives dans les années 1780 pour que les nouveaux admis à la bourgeoisie –qui sont pourtant très rares – ne soient acceptés qu’avec des restrictions quien faisaient des ressortissants bourgeoisiaux de second rang en les excluantde la jouissance des bois 33.

Partage et parcellisation d’une part,maintien des formes collectives anciennes d’autre part :deux mondes qui diffèrent 

Le processus de partage des biens communaux a revêtu plusieurs formes,s’est déroulé dans un espace spécifique, selon une chronologie variable, et estimputable à des causes très diverses. Or, il importe tout d’abord de diffé-rencier les biens communaux, car il s’agit d’une désignation générique quiselon l’altitude et le climat a un contenu très varié dont l’une des compo-santes peut être absente ou réduite à une portion congrue : mauvaises terres,mais que l’on peut cultiver, sur le Plateau, grandes étendues de forêts d’alti-tude et d’alpages surtout, dans le monde préalpin et alpin. Il faut donc

préciser, dans la mesure du possible, à quels types de biens communaux l’on a affaire: terres que l’on peut morceler et valoriser en les cultivant,herbages que l’on peut clôturer ou forêts et alpages. Ensuite il faut releverl’attitude duale des sociétés agronomiques, qui ont exercé une influencemajeure sur la politique de parcellisation dans la seconde moitié du

 XVIIIe siècle. L’offensive qu’elles prônaient contre les communaux n’a toujours visé que la suppression des communaux du Plateau, pas ceux de la montagne, peut-être aussi parce que leurs membres étaient presque tousissus des bourgeoisies urbaines. Et enfin, il faut rappeler qu’il a existé des

politiques d’agrandissement systématique des communaux dans plusieursrégions. Mais alors que ce mouvement semble cesser au début du  XVIIe sièclesur le Plateau, il se poursuit, voire s’accélère dans certaines régions demontagne jusqu’au début du XIX e siècle, à Glaris, dans le Jura et l’Entlebuch.

 Alors que William Rappard estimait encore que les premiers partagess’étaient faits plus tardivement en Suisse que dans d’autres pays européens 34,les recherches faites durant le dernier quart de siècle montrent, au contraire,la précocité du phénomène, même s’il reste localisé. C’est que toutes lesrégions ne sont pas intéressées par le partage, pour des raisons sociales etaussi économiques: les conditions naturelles peuvent inciter au maintiende la propriété collective, comme c’est le cas dans les hautes vallées des

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33. Ibid ., p. 113.34. R  APPARD W., 1912, p. 116.

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 Alpes. Mais c’est aussi que dans bon nombre de régions, la parcellisationsous une forme temporaire a existé de bonne heure, dès le  XVIIe siècle, cequi a fréquemment contribué à désamorcer les antagonismes sociaux à l’échelle de la communauté.

Il faut souligner l’ambivalence des politiques des seigneuries urbaines,Berne et Zurich notamment. Selon les régions, elles ont pratiqué des poli-tiques diamétralement opposées : politique tolérée, parfois encouragée,d’accès limité, au  XVIe siècle, voire de suppression des biens collectifs dansles régions d’habitat dispersé où les exploitations d’un seul tenant résultantd’une transmission inégalitaire étaient majoritaires, surtout dans la zone

intermédiaire entre Plateau et Préalpes dans le canton de Berne, dans lesrégions d’emblavures et d’assolement triennal dans celui de Zurich, alorsqu’elles s’y opposaient dans les autres régions soumises à leur autorité, et y facilitaient l’immigration par une politique de finance d’entrage appropriée,notamment dans la région de collines du canton de Zurich qui se proto-industrialise. Mais ces politiques se sont parfois modifiées, au  XVIIIe sièclesurtout, lorsque l’autorité cantonale défendait les intérêts des ressortissantspauvres d’une commune contre leurs autorités communales 35.

En fait, une première vague de partages définitifs a eu lieu au  XVIe et au

début du  XVIIe siècle, et si parfois, ainsi en Emmental, elle profite large-ment aux paysans aisés possédant de grosses exploitations d’un seul tenant,ailleurs, les petits paysans en ont aussi profité, ainsi en pays lucernois, dansle plat pays et au fond des vallées 36. Le même phénomène s’observe en paysbâlois, mais de manière prononcée au  XVIIIe siècle surtout 37. Et dès 1765,le Grand Conseil de Berne autorise les communes à procéder à la parcelli-sation de leur communal, sous sa supervision, et le plus souvent sous formed’allocations viagères. La commune de Aarwangen, sur le Plateau, quiservira de modèle à d’autres communes, décide, en 1766, d’allouer à chaque

chef de famille 18 ares dont il jouira sa vie durant 38. Les communes del’Oberland bernois réagissent plus lentement. Celle de Matten ne se décideà attribuer des lots qu’en 1803 et, en 1826, en réorganise l’attribution pourtenir compte de la pression démographique. Le droit d’accès entier pourun homme marié est fixé à 25 ans, celui d’un homme célibataire à un quartde droit et seulement dès l’âge de 30 ans révolus 39. Dans le canton deZurich, entre 1771/1772 et 1798, ce sont 600 à 700 ha de terres qui sontparcellisés temporairement 40. Quant au pays fribourgeois, F. Walter pense

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35. H ÄUSLER F., 1968, vol. 2, p. 149 sq ; FLÜCKIGER E., 2000.36. INEICHEN A., 1996, p. 62 sq .37. HUGGEL S., 1979, vol. 1.38. GEISER K., 1905, p. 36.39. Z WAHLEN H., 1981, p. 54.40. Geschichte […] , vol. 3, 1994, p. 23.

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que le premier véritable partage, au sens d’une concession viagère d’uneparcelle à chaque communier qui peut la transmettre à un fils, date de1778 41, mais qu’il s’agit encore de phénomènes ponctuels, le phénomènene s’accélérant qu’à partir des années 1815 pour se généraliser à partir desannées 1830 42.

 Alors que dans le premier tiers du XIX e siècle, plusieurs administrationscantonales autorisent des partages dans les campagnes en raison de la pres-sion démographique qui accroît la pression foncière, les forêts et les alpages,surtout dans les Préalpes et les Alpes, font rarement l’objet de partages systé-matiques. L’on a affaire ici à un maintien assez systématique du bien

commun, voire à un agrandissement de la propriété collective, de sorte quela forêt en Suisse, au début du  XX e siècle, appartient pour plus des deux tiers(66,9 %) sur un total de 878 500 ha à des communes ou des consortagespublics ou semi-publics, 4,3 % étant propriété de l’État, le reste apparte-nant à des privés 43.

Le canton de Lucerne représente une exception importante dans cettepratique. La privatisation des biens communs entre 1803 et 1854 (3600 ha de terres communales et 13 000 ha de forêts alloués de manière trèsinégale 44), a entraîné un morcellement extrême des biens, avec des parcelles

qui ne dépassent parfois pas 200 m2 lorsque les droits de jouissance ontdû être divisés en douzièmes, une gestion inadéquate, en même tempsqu’une exacerbation des antagonismes sociaux 45. Au milieu du XIX e siècle,75,3 % des forêts de ce canton appartiennent à des particuliers, 23 % seule-ment sont propriétés communales ou propriétés corporatives, 0,9 % forêtsd’État et 0,9 % appartiennent à des institutions religieuses.

 À l’instar de ce qui s’est passé pour la forêt, on observe le maintien de la propriété collective pour une fraction importante des pâturages et desalpages suisses. Il ressort de la statistique des alpages publiée au début du XX e siècle que seuls 31,2 % des 10 756 alpages appartiennent encore à descorporations d’alpages à caractère public, à des communes, sections decommunes ou institutions étatiques. La propriété privée étant toutefois depetite dimension, la propriété collective est cependant dominante en termesde superficie et de possibilités d’estivage. Elle totalise 62,5 % (432 000 ha)des 689 956 ha d’alpages du pays et 51,1 % des pâquiers convertis enpâquiers normaux correspondant à une unité de gros bétail nourri pendant90 jours 46.

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41. W  ALTER F., 1983, p. 104.42. Ibidem.43. Dictionnaire […] , vol. 5, p. 324.44. HUBER M., 1999, p. 17.45. LEMMENMEIER M., 1983, p. 141 sq .46. STRÜBY  A., 1914, p. 46.

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Les formes anciennes de la propriété collective se sont le plus maintenuesdans les régions élevées où la majeure partie du sol productif consiste enpâturages et en forêts, notamment dans les cantons de Schwyz (81 % desalpages y sont propriété collective au début du XX e siècle), d’Uri (en 1970,encore 90 % des alpages appartiennent aux deux corporations d’Uri etd’Urseren 47), d’Appenzell Rhodes-Intérieures, du Valais ou des Grisonspour lesquels la statistique de 1909 recense 70 % d’alpages communaux,et 18 % d’alpages appartenant à des consortages.

Dans le canton d’Uri, la corporation d’Uri possède encore les alpages, lescommunaux et les forêts des 17 communes politiques en aval des gorges des

Schöllenen, celle d’Urseren les alpages des trois communes de la vallée dumême nom48. Or, c’est dans ce canton que la propriété collective perdure leplus, en dépit de plusieurs initiatives lancées à la fin du  XIX e siècle et quivisaient son partage 49. Et, bien que prévu par la Constitution fédérale de1848, le transfert de la souveraineté politique de la corporation (qui incluaituniquement les possesseurs de la bourgeoisie cantonale) au canton ne s’esteffectué qu’en 1888. Mais les deux corporations restent les plus grandspropriétaires fonciers du canton avec environ 85 % de la superficie du canton.

Dans le canton de Schwyz, au début du  XX e siècle, la plus grande des

corporations du canton était celle de l’Oberallmend. Elle possédait alors13 204 ha appartenant en indivision à 90 familles bourgeoisiales totalisant5000 consorts50. Dans ce canton, le rôle déterminant de l’altitude est évident. Au-dessus de 1200 m, ce sont les alpages des corporations et des communesqui dominent, alors que ceux des particuliers se situent en dessous de ceslimites, là où les conditions naturelles sont en général les plus favorables.

Les cantons précités montrent bien que les différences importantes quiles singularisent quant aux formes de propriété sont imputables en partie à l’altitude, mais que les facteurs sociaux et politiques jouent également un

rôle déterminant, notamment le taux élevé persistant d’appartenance bour-geoisiale encore à la fin du  XIX e siècle et l’intérêt direct qu’a la populationdans la propriété collective du fait de la prépondérance du secteur primaire.D’ailleurs, ces régions se caractérisent parfois encore par d’autres priorités audébut du  XX e siècle. À Davos, le bétail appartenant aux ressortissants de la commune est prioritaire par rapport à celui des non-bourgeois lors de l’esti-vage sur les pâturages de la commune. Et la règle très ancienne qui accorde à celui qui a hiverné son bétail avec du foin « récolté dans la commune » la prio-rité sur celui qui a nourri le sien avec de foin acheté est encore en vigueur 51.

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47. Ibid., p. 97.48. SCHMID, 1909, p. 39.49. Schweizerischer Alpkataster […] Uri , 17ss.50. STRÜBY  A., 1914, p. 203.51. Dictionnaire […] , vol. 5, p. 325.

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En guise de bilan

C’est le constat tout d’abord d’une hétérogénéité remarquable des situa-tions, puisqu’une fraction importante du territoire montagnard et des forêtsreste propriété collective jusqu’à nos jours ; c’est aussi celui d’un débat viru-lent tout au long du  XIX e siècle – mais non entièrement terminé à l’heureactuelle – portant sur la définition des ayants droit avec une double mise encause de l’approche traditionnelle ; et c’est aussi celui d’une confrontationsur l’affectation des revenus des biens communaux qui s’est terminée à l’avantage de la commune municipale, pour autant que les biens collectifsn’aient pas été transformés en biens de corporation privée.

L’absence de typologie unique du processus de privatisation et la grandediversité qui subsiste selon les régions, voire au sein des régions, est impu-table en grande partie à l’absence de compétences de l’autorité centrale.L’on a donc affaire à des solutions cantonales, voire communales, une situa-tion qui reflète les rapports qu’entretiennent les gouvernements cantonaux avec leurs communes municipales et leurs communes bourgeoisiales, l’auto-nomie de ces dernières étant parfois très grande, notamment en matièred’attribution du droit de bourgeoisie corrélé à l’accès aux biens commu-

naux, là où subsiste le dualisme communal.En outre, les débats sur l’accès aux communaux, déjà virulents jusquedans les années 1830, se sont envenimés encore après 1848, parce ques’affrontent les tenants d’une conception restrictive, à savoir que n’ont droitaux jouissances que les détenteurs du droit de bourgeoisie, descendants deslignages ayant contribué autrefois par leurs efforts au maintien et à l’accrois-sement des biens communaux et les tenants d’une conception plus moderneoù l’ensemble des résidants (suisses) d’une commune participent à la jouis-sance des biens collectifs et surtout décident de l’affectation qui doit en

être faite. Lorsqu’il n’y a pas eu fusion des deux entités communales, il y a donc souvent affrontement entre les ressortissants des bourgeoisies et ceux des communes municipales, les ressources que représentent les bienscommunaux étant un enjeu budgétaire important. Après la constitutionde l’État fédéral en 1848, mais surtout après celle de 1874 prônant l’égalitéde tous les citoyens, le Tribunal fédéral et les tribunaux cantonaux ont étéappelés à se prononcer à plusieurs reprises sur le cercle des bénéficiaires etl’affectation des biens communaux à la suite de plusieurs recours 52. LeCode civil de 1912 ne prévoit cependant pas de solution fédérale. Les asso-

ciations de biens communaux ( Allmendgenossenschaften et associations simi-laires) restent soumises au droit cantonal (art. 57) et les cantons ont donc

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52. Cf. entre autres, les débat dans les années 1870 entre la bourgeoisie et la commune municipale deNeuchâtel, également l’avis de droit sur les biens collectifs de Alpnach, dans le canton d’Obwald(W INKLER  J., 1878).

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pu décider à leur gré si les corporations détentrices d’anciens biens bour-geoisiaux étaient soumises au droit public ou au droit privé et étaient ounon des corporations publiques 53. Mais le conflit n’a pas été cantonné auseul problème des ressortissants bourgeoisiaux vs habitants d’une commune,il a porté aussi sur des revendications d’accès au sein des bourgeoisies de la part des hommes célibataires et des migrants. On assiste donc à une indi-vidualisation accrue des droits d’accès, sans que pour autant elle se géné-ralise. Et l’attribution des droits reste du domaine de l’arbitraire, au gré desdécisions des assemblées communales.

En fait, dès le milieu du  XIX e siècle, le débat a été politique aussi, parce

qu’il portait sur les ressources dont pouvait disposer une commune pourfaire face à ses obligations. Or, pour de nombreuses communes municipales,l’essentiel du revenu communal provenait de l’impôt, alors que les biens del’ancienne corporation bourgeoisiale, souvent avec une fortune importante,servaient à financer seulement une partie des obligations communales,souvent l’assistance 54. L’intervention des gouvernements cantonaux conduitle plus souvent à confirmer aux communes bourgeoisiales leurs droits depropriété sur les anciens biens collectifs, mais les oblige désormais à affecterle revenu de ces biens au financement des municipalités.

 ANNE-LISE HEAD-KÖNIG 

116

53. HUBER  A., 1948, p. 13.54. Un exemple de structure duale le montre à l’évidence. Dans le canton de Schaffhouse, en 1898, la 

fortune des communes bourgeoisiales totalise 8,8 millions de francs, contre 10,2 millions aux communes municipales.

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Les terres communes en Belgique

Martina DE MOOR 

Pour celui qui fait des recherches sur la propriété collective en Belgique,la terminologie est un aspect central de l’étude. La Belgique, à la limite del’Europe germanique et romane, est au confluent des langues et desconcepts. Sur ce sujet de la propriété collective, les termes utilisés en fran-çais, anglais et néerlandais ne sont pas concordants, ce qui engendre desconfusions. Ce type de propriété est appelé en français, « les (biens) commu-naux », « la propriété collective », en anglais : « commons », « commonland », « common property » et en néerlandais : « gemene gronden »,« gemeenschappelijke eigendom ».

Deux problèmes se posent. Le mot « communal » ne renvoie pas à la même notion que « commun », « common », « gemene ». Il fait référence à une commune, ce qui est à l’époque contemporaine, une unité adminis-trative. Or il existe en Europe beaucoup de propriétés collectives quin’appartiennent pas à une commune mais à des coopératives, des groupes.« Terres communes » ou « commons » en anglais ou en néerlandais« gemene gronden » est un terme mieux adapté à la comparaison interna-tionale. D’autre part, se pose le problème de la propriété de ces terres, objetsde revendications litigieuses. La distinction ancienne entre le dominiumdirectum, droit à la propriété éminente du sol, et le dominium utile , droit

d’utiliser les ressources du sol, aboutit à deux types de situations légalespour les usages collectifs: soit la possession de la terre et son usage appar-tiennent aux utilisateurs des terres communes, soit le propriétaire (institu-tion ou seigneur) est différent des usagers.

 Je reprendrai ici la terminologie qui a été mise au point par le groupe detravail du Comparative Rural History of the North Sea Area (CORN) sur la 

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gestion des biens communaux en Europe du Nord-Ouest 1. Le terme d’open- field désigne des champs privés cultivés, souvent découpés en longues bandesminces, sans clôture, qui sont soumis à l’assolement triennal: ils sont utili-sés pour le pâturage commun après la récolte de céréales et durant l’année de jachère. Dans la mesure où ce terme d’openfield, champs ouverts, ou common field , peut prêter à confusion car certaines régions, comme le Kent, connais-sent l’openfield mais sans usage collectif, nous préférons parler de commonarable pour ces terres appropriées soumises à certains usages collectifs. Cesystème disparaît dès le  XVIIIe siècle en pays flamand mais il se maintientdans l’Entre-Sambre-et-Meuse, le Condroz, la Hesbaye, la Famenne et

l’Ardenne2

.Les communaux, ou common waste , ou commons , font le plus souventréférence à des terres incultes en jouissance commune. Ils servent la plupartdu temps de pâturage, quelquefois, ils procurent bois mort, bruyères etajoncs, ou tourbe. Les communaux boisés ont en général un statut distinct(appelés en anglais common woodlands et en néerlandais gemene bossen). Cesbois sont concentrés dans le sud de la Belgique et ils donnent lieu à deux grandes catégories de droits d’usage. Ce sont d’une part les prélèvements,qui se répartissent en petits usages comme le ramassage du bois mort et de

la litière, le faucillage (= droit de couper l’herbe pour en nourrir le bétail à l’étable) et puis les grands usages: l’affouage (droit de prélever du bois dechauffage) et le droit de prélever du bois d’œuvre (pour les constructions,l’exercice de certains métiers, la confection de lattes, perches, etc.). La deuxième catégorie comprend le pâturage du bétail, ce qui était aussi appelépacage, champiage (chevaux), panage, paisson (porcs) 3.

Du common arable , terres privées soumises temporairement à des usagescollectifs au common waste , terre utilisée en commun toute l’année, le spectreest très large et on trouve de multiples variations. Parmi elles, la pâture

communale ou common meadow , divisée en parcelles dont l’herbe est récol-tée par chacun, puis ouverte au pâturage commun après cette récolte. Dela même façon, le spectre des modes de gestion des terres communes enBelgique est aussi large, les deux extrêmes étant décrits dans le tableausuivant. Le type 1 ne se trouve guère qu’aux environs de Bruges, dans la  Wallonie (« les masuirs ») 4, alors que le type 2 est largement répandu.

 MARTINA DE MOOR 

120

1. Le résultat de ces recherches est publié dans la série des publication du CORN, n° 8, sous le titreThe Management of common land in North West Europe, ca. 1500-1850 , édité par. M. DE MOOR , W  ARDE P. S. and SHAW -T AYLOR L., Tunhout, Brepols, 2002. Voir la présentation des conclusions dece volume dans le texte de Paul Warde, supra .

2. GODDING P., 1987, p. 203.3. Ibidem, 1987.4. ERRERA P., 1891.

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Tableau 1 : Caractéristiques des deux types de terres communales

Les terres communes belges en chiffres

En essayant de faire le bilan quantitatif des usages collectifs en Belgique,on constate qu’il n’y a presque pas de chiffres concernant la Belgique dansson ensemble, ou même ses régions ou provinces. De plus les critères utili-sés pour collecter les données sont souvent douteux et ne permettent pasune comparaison. Contrairement à la France, la Belgique ne dispose pas dequestionnaires systématiques sur l’ampleur des droits d’usages collectifs 5.Les résultats maigres et fragmentaires des enquêtes peu nombreuses, nepeuvent pas être utilisés pour établir une évolution précise et à long terme.

 À défaut de chiffres spécifiques sur les terres communes et en supposant

qu’elles étaient souvent des terres non-labourées, c’est-à-dire des terresincultes ou des bois, nous pouvons utiliser les chiffres de l’évolution desterres incultes et des bois. Clicheroux a récapitulé, pour la période 1846-1910, l’évolution des superficies et les propriétaires, définissant une caté-gorie « communes et établissements publiques ». Ceci peut nous donner aumoins une impression de la répartition de ce type de biens en Belgique.

Tableau 2 : L’évolution des terres incultes et terres boisées

par groupe de propriétaires, 1770-1910

Source: CLICHEROUX E., 1957, p. 507.

LES TERRES COMMUNES EN BELGIQUE 

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5. Pour la France, voir les références de BLOCH M., 1930 et V IVIER N., 1998.

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Terres incultes

Sur une étendue cadastrée d’un peu moins de 30000 km2 pour la Belgique, les terres incultes en comptent presque 15 % en 1770. Une moitiéde ces incultes sont en 1846, propriété des communes et des établissementspublics, l’autre moitié étant entre les mains de propriétaires privés. L’éten-due des terrains incultes et des bruyères non cultivées qui représente en1846, 11 % de la superficie totale du pays, s’est réduite à 3,6 % en 1910. Enapplication de la loi de 1847 (dont nous traiterons ensuite), une grandepartie des terres passent aux mains des particuliers pour être défrichées.Dans les trois années suivantes, 11576 ha de bruyères communales sontaliénés, partagés ou loués, et surtout vendus 6. De 1846 à 1866, le défri-chement des incultes atteint plus de 3000 ha par an. De 1866 à 1880 iln’est plus que de 1958 ha par an. Mais à partir de 1880, grâce à la généra-lisation de l’emploi des engrais chimiques et à l’extension de la culture del’épicéa, le mouvement reprend son ampleur : de 1880 à 1895 les défriche-ments atteignent 4325 ha par an 7. À ce moment, les aliénations du patri-moine communal deviennent relativement rares et les terrains incultes sontmis en valeur par les communes elles-mêmes, surtout par le boisement.

L’étendue des terrains incultes appartenant aux communes et aux établis-sements publics ne cesse de diminuer, depuis 1846, dans toutes lesprovinces. Un recensement spécial, fait en 1847, établit que 162897 ha appartiennent aux collectivités, soit environ la moitié de l’étendue incultedonnée par le recensement de 1846 8. Notons que ce groupe de proprié-taires comprend aussi bien les communes que les établissements publics,comme l’assistance publique; en revanche il est probable que toutes lespropriétés collectives ne sont pas incluses, en particulier celles précédem-ment décrites dans le type 1. Les mesures prises par le gouvernement,

notamment la loi de 1847, engendrent un transfert de propriété, descommunes vers les particuliers. Au début du  XX e siècle, la majorité des terresnon-cultivées sont aux mains des particuliers, les communes n’en possèdentplus que 35 %.

On trouve des terres incultes communales essentiellement dans lesprovinces de Limbourg et Luxembourg. Elles sont rares dans les provincesde Brabant, de la Flandre Occidentale et Orientale et de Hainaut. À la findu  XVIIIe siècle, elles y sont presque inexistantes. En Flandre Orientale, leurproportion n’est que de 2 à 4 % environ de la superficie totale 9. Il faut

noter néanmoins qu’en Flandre Occidentale et Hainaut, les terres incultes

 MARTINA DE MOOR 

122

6. CLICHEROUX E., 1957, p. 508.7. CLICHEROUX E., 1957, p. 507.8. Ibidem.9. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 48.

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sont pour environ un quart dans les mains des communes, ce qui n’est pasle cas dans les provinces de Brabant et Flandre Orientale.

Tableau 3 : L’évolution des terres incultes et boisées

par province et par groupe de propriétaires, en 1846

 A : superficie totale des terres incultesB : superficie des terres incultes possédées par les communes

B/province: pourcentage des communaux incultes dans la surface totale de la provinceB/A: pourcentage des communaux incultes dans l’ensemble des terres incultes de la provinceC: superficie totale des bois dans la provinceD: superficie des propriétés communales boiséesD/province: pourcentage des communaux boisés dans la surface totale de la provinceD/C: pourcentage des communaux boisés dans l’ensemble des terres boisées de la province

Terres boisées

La diminution de l’étendue boisée entre 1846 et 1866 est le résultatd’aliénations et de nombreux défrichements en vue de la mise en culture. Ainsi les communes sont autorisées durant cette période à déboiser et à mettre en culture 8518 ha. Vers 1870, on assiste à une véritable fièvre dedéboisement. Dans toutes les régions du pays, on convertit le sol forestieren sol agricole pour en retirer un revenu plus élevé. Ces défrichements nedonnent pas toujours les résultats espérés et de nombreux terrains demauvaise qualité sont rapidement abandonnés par l’agriculture. Grâce auboisement de terrains incultes et à la récupération par la forêt d’une partie des

terrains défrichés de 1846 à 1866, la superficie boisée retrouve en 1880 sonniveau de 1846. Ceci provient en majeure partie du boisement des terresdes communes car elles évitent ainsi l’expropriation prévue par la loi. La période suivante montre une augmentation significative de plus de 30000 ha de bois. Puis la crise frappe l’agriculture de 1880 à 1895 et conduit à unabandon de terres agricoles. Les boisements de terrains incultes ou aban-

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donnés par l’agriculture se poursuivent au rythme de plus de 2000 ha paran 10. L’augmentation de la surface boisée appartenant aux communes et aux établissements publics après 1846 a lieu essentiellement dans les provinces deLuxembourg, du Limbourg et Anvers – notamment dans la Campine –, leLiège et le Brabant (tableau 3). En revanche, les bois diminuent dans lesprovinces de Hainaut, de la Flandre Occidentale, de la Flandre Orientale etde la province de Namur. La grande majorité des bois communaux se trou-vent dans le sud du pays où la densité de population est la plus faible.

Il y a un lien explicite entre l’étendue des terres incultes en propriétécollective et la densité de la population (dernière colonne du tableau 3). Les

provinces où se trouvent la plupart des terres incultes en Belgique en 1846,sont aussi celles où la densité de population est la plus basse. Inversement,les provinces aux plus faibles surfaces incultes, tant en superficie totale qu’enpropriété collective, sont les régions les plus peuplées de Belgique avec unedensité d’au moins 200 habitants au km2 11. Le lien est tout aussi évidentavec l’intensité de l’agriculture (voir cartes). Dans le nord-ouest du Pays,notamment les provinces de la Flandre, Occidentale et Orientale, le Brabantet le Hainaut, on ne trouve pas beaucoup des terres incultes, l’agriculture y est très intensive et la densité de population forte. C’est le domaine du

modèle agricole flamand si réputé, notamment dans le nord de la Flandreorientale, qui a été maintes fois décrit par les agronomes du  XVIIIe siècle.

Le statut juridique des terres communes en Belgique

L’origine des communaux a été controversée. La théorie qui les faitdescendre du système germanique où la terre relevait uniquement de l’appro-priation collective, est aujourd’hui désuète. Une autre théorie date leur créa-tion du Moyen Âge. Le domaine mérovingien, unité territoriale dans les

mains d’une seule personne, est constitué de cultures, pâturages, bois etterrains vagues, exploité par les mancipia, hommes sans terre, et les servi casati qui possèdent un casa . En échange de leurs services au seigneur, lesservi auraient reçu les droits d’usage sur les bois et terrains vagues: le commu-nia 12. Cependant, les seigneurs ont réclamé les terres communes du villagedès le Moyen Âge, en application du principe « nulle terre sans seigneur ».Ces terres utilisées en commun par les villageois ont été appelées« vroen(te)gronden », ce qui veut dire littéralement « terres du seigneur ».Vroente est devenu un toponyme répandu pour ce type de terre, surtout

dans le Duché de Brabant 13.

 MARTINA DE MOOR 

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10. CLICHEROUX E., 1956, p. 577; DEJONGH G., 1999, p. 94-95.11. CLICHEROUX E., 1957, p. 507.12. V ERHULST A., 1957, p. 93 ; LINDEMANS P., 1994, p. 308.13. LINDEMANS P., 1994, p. 307.

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Terrains incultes et terrains boisés (en 1834)

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 Aux  XIe et  XIIe siècles, beaucoup de terres incultes sont occupées pourrépondre à l’augmentation de population. Les villageois ont d’abord prisles petits bois proches de leur maison et le seigneur a laissé faire car ses inté-rêts n’étaient pas lésés. Dans la seconde moitié du  XIIe siècle, les seigneursont permis et souvent encouragé des hospites à défricher de grandes partiesdu vroente 14. À partir du XIIIe siècle, poussés par des besoins financiers, lesseigneurs n’hésitent pas à vendre des parcelles de ces terres et de nombreux conflits éclatent entre les seigneurs et les villageois pour les droits d’usage.Les habitants demandent souvent la reconnaissance écrite de leurs droits,même si elle doit se faire moyennant le versement d’un cens annuel au

seigneur, ce qui atteste sa souveraineté. Souvent,  il est difficile de savoir,d’après les expressions utilisées dans les actes, si ces accords sont des trans-ferts de propriété par vente ou donation, ou s’ils sont des transferts de droitsd’usage seulement. Plusieurs éléments poussent à considérer ces actescomme des transferts de droits d’usage. Les accords entre seigneur et ayantsdroit varient cependant. Au lieu de transferts simples de droits d’usage, leseigneur peut aussi louer la terre à la communauté, par un bail à terme(appelé vrointepacht ) 15. Il existe aussi des exemples d’achat réel en pleinepropriété par une communauté (de facto et de jure ). Si ces textes ne sont

pas clairs aux yeux des historiens, ils ne l’étaient pas forcément plus autre-fois, puisque les terres communes ont souvent été objet de litiges. Les actesétaient renouvelés de temps en temps parce que les vieux documents deve-naient illisibles. C’était l’occasion pour les deux parties de réaffirmer leursdroits et devoirs mutuels et d’ajuster certaines clauses de l’accord en fonctiondes variations du contexte. Cette situation d’accords réciproques entreseigneurs et usagers dure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, mais elle est deplus en plus souvent mise en question par l’autorité centrale.

La législation concernant les terres communes en BelgiqueDu milieu du XIe siècle jusqu’à la fin du XIIIe siècle, eurent lieu les grands

défrichements médiévaux, non seulement au détriment des forêts, maisaussi des terres incultes et des marécages. On attribue un grand rôle aux abbayes mais le rôle des propriétaires laïcs et des « petites gens » fut aussitrès important. Vers 1300, l’ère des grands défrichements touche à sa fin. À ce moment, le développement de la population s’arrête et le stimulant quiavait poussé aux défrichements disparaît. Après une période de stabilisa-tion au  XIV e siècle, l’étendue boisée recommence à décroître car les petitsdéfrichements attaquent la périphérie des bois et forêts 16. La diminutiondes massifs forestiers inquiète.

 MARTINA DE MOOR 

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14. V  AN LOOVEREN E., 1983b, p. 12.15. GODDING P., 1987, p. 204.16. CLICHEROUX E., 1956, p. 539-540.

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Dès le règne de Charles-Quint, une quantité d’ordonnances sontrendues contre les déprédations dans les bois et forêts. Leur réitérationmême indique leur peu d’efficacité. Les mesures prises par les autoritéscomportent surtout l’interdiction de mener le bétail à la pâture avant l’expi-ration d’un délai fixé en général à 5 ou à 7 ans après une coupe, afin deprotéger les jeunes arbres; interdiction a ussi de mener paître des bêtesn’appartenant pas à l’usager; les chèvres et les bêtes à laine sont bannies desbois. Il est défendu de couper plus de bois que nécessaire et d’en vendre.

 Après la paix d’Aix-de-la-Chapelle en 1668, commence une nouvellepériode de défrichements qui dure jusqu’à la fin du  XIX e siècle.

Les Pays-Bas Autrichiens (jusqu’en 1795)

 À l’époque de l’impératrice Marie-Thérèse, la physiocratie triomphe enEurope. L’évolution économique des Pays-Bas subit l’influence de cescourants philosophiques dès le milieu du  XVIIIe siècle. Les Pays-Bas méri-dionaux figurent parmi les premiers pays où des mesures concernant lepartage et le défrichement des terres communes ont été prises par les auto-rités autrichiennes 17. Elles sont intervenues en plusieurs étapes, pour tenircompte des conditions régionales. Le gouvernement autrichien ne pouvaitpas imposer ses vues aux états provinciaux, ce qui le contraignait à prendreleurs vœux en considération.

Brabant Dès 1752, les états de Brabant décident que les terres incultes – surtout

celles de la Campine – doivent être transformées en terre arable, en bois ouprairie. Pour encourager les défricheurs, il est prévu des dégrèvementsd’impôts: durant les 12 premières années, l’impôt reste celui qui frappe lesbruyères, puis il est allégé de moitié sur la quotité normale. Les terres défri-chées ne sont soumises à l’impôt normal qu’au bout de 20 ans. C’est le premier« décret général », c’est-à-dire destiné à une province, et il n’est pas surprenantque les états de Brabant prennent cette initiative les premiers, puisquec’est ici que se trouvent les plus grandes étendues de terres incultes du pays 18.

En 1772, Marie-Thérèse enjoint aux communautés du Brabant d’alié-ner, dans un délai de six mois, leurs terrains incultes et de les mettre en valeurdans un délai de deux ans. Pour satisfaire de nombreuses requêtes, elleaccorde des privilèges et exemptions d’impôts à tous ceux qui entreprennent

le défrichement des bruyères en Brabant. Ceci se solde par un échec, dû à la résistance farouche des habitants et à la pauvreté du sol, faute d’engrais 19.

LES TERRES COMMUNES EN BELGIQUE 

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17. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 35.18. W ILLEMS H., 1962, p. 17.19. G ACHARD, 1860-1891, p. 275-278; MOESKOP G., p. 198; GODDING P., 1987, p. 202.

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 Au bout de deux ans, à peu près 2500 ha ont été vendus, dont un tiers auraitdéjà été mis en culture. Dans certaines régions du Duché, l’ordonnance estrestée lettre morte. Sur un total d’environ 26000 ha, seulement 4000 à 4500 ha ont été vendus en 1786, sans être nécessairement défrichés. Entre1772 et la fin de l’Ancien Régime, il n’a pas été défriché plus de 15 % desterres incultes du duché de Braba nt. En plus, ce sont surtout des spécula-teurs qui profitent de cette ordonnance, mis à part quelques communes oùdes habitants réussissent également à acquérir quelques lopins de terres 20.Cette domination des acheteurs capitalistes a aussi pour conséquence la conversion majoritaire de ces terres incultes en bois. On peut considérer

cette ordonnance comme la plus importante du  XVIIIe

siècle, car elle consti-tue la base de toute la législation postérieure concernant les défrichements.

Luxembourg L’ordonnance de 1754 étend aux bois communaux les dispositions d’un

règlement de 1617 et en ajoute de nouvelles qui limitent la coupe d’affouagedans les bois communaux 21. Elle interdit aussi de prendre du bois pour lesclôtures, celles-ci devant dorénavant être faites en pierres, fossés, épines, ouhaies viv es 22. L’initiative de partager les communaux du Luxembourg vient

du gouvernement autrichien, inspiré par la physiocratie et par l’exempledes autres provinces. Elle se heurte ici à une opposition, sans doute la plusforte de tous les Pays-Bas autrichiens. Les habitants du Luxembourg sonthostiles au partage. Les états s’y opposent. Ils incitent à convertir les terresincultes en bois ou à mettre en cul ture et enclore, mais ils veulent que la propriété reste entre les mains des habitants, toutefois la commune peutaliéner en cas de besoin. Les états s’opposent à une ordonnance destinée à la province tout entière, car la situation varie d’un village à l’autre 23. Malgrécette opposition, les autorités autrichiennes décident d’appliquer ces

mesures dans quelques localités, tant et si bien qu’après 1778 on a partagéde 4 000 à 5 000 ha de terres. Les réactions des états du Luxembourg sontpourtant restées aussi négatives. Même à la fin de l’Ancien Régime, en1791-1792, ils doutent encore de l’efficacité de telles interventions. Ilspensent que les pauvres revendent trop souvent les parcelles ainsi obtenueset dilapident ensuite l’argent. Mais c’est avant tout la perte éventuelle decertains pâturages, de même que la réduction du bétail qui est à la base deleur opposition latente. Les délégués du Luxembourg s’opposeront encore,au milieu du XIX e siècle, à toute mesure de défrichement des communaux 24.

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20. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 40-42.21. Pandectes , 1888, p. 806, SOMERS G., 1958-1959, p. 77.22. GODDING P., 1987, p. 202; CLICHEROUX E., 1956, p. 542.23. ENGEL R., 1956, p. 41.24. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 44.

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Hainaut Le décret de 1757, après une enquête menée en 1755 25, ordonne à 

toutes les communautés de la province de Hainaut, de procéder dans lessix mois à la mise en culture des biens communaux, marais, bruyères, parvente ou location 26. À cause des vives réactions des habitants du Hainaut,ce décret est modifié dès le 2 avril 1757, il n’est plus question de vente maisseulement de location: ainsi les deux tiers des communaux ont été louéspour de longues périodes de 36 à 45 ans. Un tiers pouvait rester en prairiecommune. Cette ordonnance est très importante parce que c’est la premièrefois que la propriété collective est remise en cause 27. Les instances gouver-

nementales ne s’intéressent pas tant à l’aspect juridique, qu’à l’augmenta-tion de la production grâce à une agriculture plus individualiste. Vers ledébut des années soixante, on a mis en culture, au moins partiellement,environ 2050 ha des 4900 ha de terres vagues de la province. Puis, cemouvement s’est arrêté à cause de requêtes visant à la conservation des terrescommunes 28. Néanmoins, un autre décret est promulgué en 1762, quiaccorde à ceux qui achètent, défrichent et cultivent des bruyères et autresterres incultes en Hainaut une exemption pendant dix ans de toutes lestailles, charges et impositions sur les terrains défrichés, et une exemption

de dîmes pendant vingt ans 29.Les initiatives des états de Hainaut ne doivent pas étonner. La politiqueagricole s’inspire dès 1755 des doctrines physiocratiques. Entre 1760et 1765, les disciples de Quesnay détiennent la majorité au Conseil Privé duHainaut et ils dominent également au Conseil des Finances en 1771. Lesmembres des états

« espéraient que [les gens sans héritage] pourraient s’établir sur les nouvellesterres, fonder un foyer et augmenter la population si nécessaire à l’État. Lenombre de bras augmenterait, de même que le nombre de têtes de bétail et

conséquemment les impôts et droits de consommation 30 ».

Namur La noblesse et le clergé ont lancé le débat sur les communaux du

Namurois. Même quand ils prétendent qu’ils veulent seulement « amélio-

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25. Sur l’enquête ordonnée par Charles de Lorraine, voir SOMERS G., 1958-1959, p. 34-35; et le Recueildes Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. 7, p. 498-499.

26. V  AN HOUTTE H., 1920, p. 403, V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 15, ARB, Geheime Raad, Oostenrijkse Tijd , n° 1109b; SOMERS G., 1958-1959, p. 35, Recueil des Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens,t. 8, p. 103.

27. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 15; R ECHT P., 1950, p. 114.28. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 36.29. V  AN HOUTTE H., 1920, p. 403. Cons. Des finances, carton n° 1868 – Reg. Du cons. De Hainaut,n° 14, f° 234 – RA Bergen, Ordonnances du prince, t. VI.; SOMERS G., 1958, p. 35, verwijst naarROPBA, t. 9, p. 181.30. DUPONT J., 1947, p. 860, V  AN HOUTTE H., 1920, p. 500; ENGEL R., 1956, p. 35.

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rer la culture des terres, en augmenter la production et concourir à une plusgrande population… et à procurer en conséquence le bien général », ilsveulent surtout favoriser les grands propriétaires fonciers. Le présidentStassart, procureur général, est chargé en 1765 de mettre en œuvre desprojets qui prévoient des baux à long terme. Ils sont sévèrement critiquéspar le Tiers État, plus particulièrement par la corporation des bouchers, quidéfend les intérêts des petits paysans et des journaliers, car ceux-ci risquentde perdre leur garantie de subsistance s’ils ne peuvent plus mettre leur bétailà l’engrais 31. Les protestations ont abouti à l’arrêt momentané des partagesde communaux dans le Namurois pris à l’initiative des états et à l’ordon-

nance de 1773 qui, elle, est en faveur des classes moins fav orisées. C’estdans ce texte que s’expriment le mieux les préoccupations sociales decertains membres des instances gouvernementales des Pays-Bas autrichiens.En 1773, Marie-Thérèse ordonne que les communaux de la province deNamur soient divisés en autant de portions qu’il y a de chefs de familledans chaque communauté. L’attribution de chaque portion est gratuite,mais comporte l’obligation de la cultiver 32. Les terres restant après le partagepeuvent éventuellement continuer à servir de communaux, elles sont enmême temps une réserve pouvant servir aux nouveaux arrivants dans la 

commune. Les lots doivent être mis en culture dans les deux ans, sous peinede faire retour à la communauté. Comme dans le Hainaut et dans leBrabant, on accorde également une exemption totale de toutes charges etdîmes durant trente ans, puis une exemption de moitié pour les annéessuivantes. Cette ordonnance maintient la distinction entre les terrescommunales boisées et non boisées. On suppose que le partage des boiscommunaux serait aussi nocif que celui des terres incultes peut être avan-tageux 33. Ces mesures obtiennent des résultats appréciables, sans toutefoisaboutir au partage intégral des communaux 34. Dans le Condroz, soit envi-

ron un tiers du comté de Namur, à peu près 22 % des communaux sontdistribués 35. Contrairement aux autres provinces, on ne retrouve presquepas de traces de violences et d’émeutes dans le Namurois. Pourtant, la noblesse et le clergé sont moins satisfaits de ce mode de partage des commu-naux qui favorise les pauvres. Profitant des troubles politiques, ils réussissenten 1790 à faire supprimer l’ordonnance de 1773 36.

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31. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 43.32. STROOBANT L., 1913, p. 196, V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 27-28, SOMERS G., 1958-1959, p. 37.33. R ECHT P., 1950, p. 44.34. GODDING P., 1987, p. 202; V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 43.35. R ECHT P., 1950, p. 197-203.36. SOMERS G., 1958-1959, p. 37, V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 44.

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Flandre Même en Flandre, connue pour son agriculture intensive, il reste encore

au milieu du  XVIIIe siècle quelques communaux, aussi bien en FlandreOccidentale qu’en Flandre Orientale. Il restait des travaux de défriche-ments, surtout dans le Franc de Bruges (châtellenie de Bruges) et le Vieux-Bourg (Nord de Gand), deux régions du comté aux terres sablonneuses. À côté de ces grands terrains incultes, on trouve également des traces de terrescommunes dans la partie la plus fertile du sud du comté de Flandre. Parexemple, dans la châtellenie d’Audenarde, encore 12,5 % de la superficieétait commune 37.

Les premiers symptômes d’une intervention du gouvernement centralen Flandre datent de 1772-1773. Tandis que pour presque toutes les autresprovinces les premières initiatives proviennent des instances provinciales, enFlandre une partie des membres des états provinciaux s’opposent aux initia-tives gouvernementales en faveur des défrichements. Ceux-là sont entreprispar des particuliers qui se consacrent surtout aux endiguements et assèche-ments, notamment depuis la reprise conjoncturelle du milieu du  XVIIIe siècle.Comme dans la Campine, les abbayes y jouent un rôle important.

Les membres des états de Flandre sont très divisés face à une ordon-

nance générale pour le comté. Le clergé s’y oppose de crainte d’une suppres-sion totale ou temporaire des dîmes. D’autres craignent une diminutionéventuelle du bétail et du niveau de vie des couches pauvres de la société 38.Néanmoins la quantité de terres communes diminue au cours de la deuxième moitié du  XVIIIe siècle, essentiellement par aliénation et initia-tives individuelles de défrichement. La faible proportion restante à la findu siècle disparaît presque complètement dans la première moitié du XIX e siècle.

La tendance à l’individualisme est manifeste dans les mesures prises par

les autorités des Pays-Bas Autrichiens. À la fin de l’Ancien Régime, desusagers ont pu renforcer leurs droits d’usage, ils arrivent à considérercertains communaux comme leur appartenant, surtout lorsqu’ils ne payentpas de redevance au seigneur, ou qu’ils ne lui doivent qu’un cens symbo-lique. Néanmoins l’insécurité juridique reste et les attaques directes et indi-rectes contre les usages collectifs en général augmentent. Déjà en 1770, la liberté de clôture est totale. En 1781, une ordonnance défend la propriétéprivée contre toute atteinte, elle supprime la vaine pâture pour les moutonset les chèvres. Quant aux vaches et aux chevaux, ils ne peuvent être menésque le long des chemins publics, pendant la journée et sous la surveillancecontinue d’un gardien. En 1783, Joseph II abolit totalement la vaine pâture,

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37. V  ANDENBROCKE C., 1975, p. 45.38. Ibidem, p. 46.

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inspiré par son aversion contre les usages collectifs, liés à un systèmearchaïque d’exploitation au rendement lamentable.

Période française et hollandaise (1795-1815)Pendant cette période, il y a peu d’initiatives importantes concernant

les défrichements des terres communes. Les Hollandais, n’ayant pas encorebeaucoup d’expérience en ce domaine, n’essaient pas de stimuler les défri-chements. Ils ont même annulé l’exemption d’impôts. Les Français ne pren-nent pas beaucoup d’initiatives mais en réorganisant le droit, ils décidentdu futur des biens communaux . L’art. 542 du Code Civil définissant les

communaux comme « ceux à la propriété ou au produit desquels les habi-tants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis » – évoque encorele droit de propriété des habitants, mais l’utilisation du terme « bienscommunaux » indique déjà l’évolution vers l’attribution juridique de cesterres à la commune, en tant que personne morale; le droit de propriétédes habitants est réduit à une jouissance en commun 39. À ce moment, ilreste encore des biens dont la jouissance était réservée à des groupes defamilles, mais les gouvernements du  XIX e siècle les considèrent comme desrestes des temps féodaux, et les attaquent.

La politique de défrichements des régimes autrichiens, français et hollan-dais destinée à augmenter le produit agricole, n’est pas vraiment fructueuse. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, au nord du pays, le Limbourg et la bruyère campinoise dans la province d’Anvers, sont surtout boisés. Lesdéfrichements se font à l’initiative de particuliers bien plus que de la légis-lation. Au sud, dans les provinces de Luxembourg et Namur, les décrets dedéfrichements ont plus de succès. Bien que dans ces provinces on n’ait pasdéfriché beaucoup plus de terres incultes qu’en Limbourg ou Anvers, l’éten-due labourable s’accroît respectivement 11 et 14 %. Au lieu de boisements

comme dans le Nord, on a choisi dans le Sud du pays la mise en culture,soit en terres arables soit en prairies permanentes 40.

Période belge à partir de 1830 

L’économie belge entre dans une phase d’expansion à partir de 1833-1835, les prix des terres grimpent. Dans ce contexte, la propriété collectivequi est considérée comme un vestige du féodalisme, est de nouveau atta-quée. Plusieurs lois encouragent la mise en valeur des terres de la Campine.

Le 25 juin 1847, la « Loi sur le défrichement des terrains incultes », promul-guée dans une période de grave crise économique, peut être considéréeindubitablement comme la plus efficace en son genre. Elle stipule la vente

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39. GODDING P., 1987, p. 204.40. DEJONGH G., 1999, p. 98.

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forcée des terres incultes possédées par les municipalités ou des commu-nautés. En cas d’opposition, l’État a le droit de s’en emparer et de les vendre.Une somme de 500 000 francs belges a été prévue par le gouvernementpour encourager des travaux d’irrigation.

Cette loi fournit à l’État tous les instruments pour obliger à l’aliéna-tion et au défrichement de ces terres. La vente des communaux incultespeut être ordonnée par arrêté royal sur avis favorable de la députationpermanente de la province. L’État est autorisé à exproprier ces biens dans lebut de les irriguer et les défricher, quitte à les mettre ensuite en vente à sonprofit. L’acheteur est obligé de défricher dans un délai déterminé sous peine

d’annulation du marché et de dommages et intérêts. Les habitations etbâtiments à élever sur les nouveaux défrichements sont exonérés de taxespendant quinze ans 41.

En général, les communes ne s’opposent pas à l’exécution de la loi, depeur d’une expropriation 42. En conséquence, le nombre de ventes ordon-nées par le Gouvernement est assez limité. L’attitude des provinces diffèrecependant. Les députés de la Campine se montrent les plus favorables à cette loi. Dans la province d’Anvers (partie nord de l’ancien duché deBrabant), beaucoup de communautés ont vendu 43. Ainsi autour de

Turnhout, les prix des terres grimpent et elles sont achetées par la bour-geoisie urbaine, excepté dans quelques villages où le conseil municipaldécide de vendre en petites parcelles pour avantager la population résidante.

Dans le sud du pays, les habitants sont hostiles à la loi de 1847. Lesdéputés de la province de Luxembourg ont profité des moyens mis à leurdisposition par la loi pour décourager les acheteurs potentiels. En cas departage, les terrains incultes sont divisés en un nombre de lots équivalents à celui des chefs de ménage; ces lots sont attribués par tirage au sort, chaquehabitant est tenu d’en payer le montant à la commune et de procéder au

défrichement de sa part dans un délai de quinze ans. Les habitants obtien-nent donc la pleine propriété, mais à condition de mettre en valeur. En casde location, les preneurs sont tenus de défricher les biens mis à leur dispo-sition; ils ne paient qu’une redevance minime mais la commune restepropriétaire du fonds. Ces mesures ont retardé considérablement la valori-sation de la lande ardennaise, mais elles ont aussi sauvegardé le patrimoinede nombreuses communes qui ont ensuite mis en valeur elles-mêmes leursterrains incultes, en en retirant des revenus importants 44.

Les communes ont ainsi aliéné de grands domaines qui ont été achetéspar des spéculateurs dans la Campine. Même dans les provinces de Namur,

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41. STROOBANT L., 1913, p. 208; ERRERA P., 1891, p. 690-691.42. CLICHEROUX E., 1957, p. 509; V  AN LOOVEREN E., 1983a, p. 121.43. TILBORGHS E., 1988, p. 310-312.44. CLICHEROUX E., 1957, p. 511.

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de Liège et de Luxembourg où la vente des terrains subdivisés en petitesparcelles se fait au profit des habitants, les résultats ne sont pas meilleurs. À cause des prix élevés, les acheteurs ont dû consacrer leurs ressources dispo-nibles au paiement de la terre, et n’ayant plus d’argent à investir dans ledéfrichement, ils ont vendu rapidement à un propriétaire plus aisé 45. Cetteexpérience des communes qui avaient vendu leurs terrains incultes sans enretirer beaucoup d’avantages sert ensuite de leçon, et différentes mesuressont prises à la fin du siècle pour encourager les communes à mettre envaleur leurs terrains incultes. Après 1847, les prix des bruyères augmententtrès vite, ce qui montre l’intérêt qu’on porte au défrichement et les avan-

tages qu’on espère en retirer46

. Après la loi de 1847, l’étendue des terres cultivées augmente de 10,16 % jusqu’en 1880. Les défrichements posent néanmoins des problèmes. Il nesuffit pas de légiférer, il faut aussi que les conditions techniques du défri-chement, telle la fumure en quantité suffisante, soient remplies. Des agentsde défrichement, nommés pour vérifier le respect des clauses de mise enculture des terrains incultes, constatent en 1855 que déjà plus que 53000 ha,soit près du tiers des terrains incultes communaux, ont fait l’objet dedemandes de changement du mode de jouissance, ce qui ne veut pas dire

qu’ils ont déjà été défrichés ou boisés. Il faut noter que ces terres n’avaientqu’une fertilité médiocre, leur contribution au volume de production n’étaitque 2 à 3 %.

Les étendues réellement défrichées ou boisées nous donnent une imageplus exacte de ce qui a été réalisé par la loi de 1847. La figure 4 nousindique qu’un délai de dix ans entre l’acquisition et la mise en culture duterrain communal acheté était normal (1856 : 22131 ha; 1860 : 35859 ha;1880 : 88944 ha). Pendant ce temps, l’étendue des terres incultes appar-tenant aux particuliers ne se réduit que de 20667 ha 47. Parmi les terrains

recensés comme mis en valeur, il y en a aussi qui n’ont subi qu’un simu-lacre de défrichement, en particulier les bruyères louées par bail à long termeaux habitants des communes (voir graphique).

La réussite de la loi de 1847 destinée à privatiser les terres communesalors que la législation antérieure était restée inefficace, peut s’expliquer parplusieurs facteurs. Premièrement, le cadre juridique donné par les Françaisa simplifié la situation: la majorité des communaux sont la propriété descommunes ce qui permet une législation uniforme et plus facile à appli-quer. En plus, les autorités se donnent des instruments d’expropriationeffectifs, des moyens d’étouffer les disputes concernant la propriété descommunaux qui avaient empêché l’application des lois de défrichement au

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45. CLICHEROUX E., 1957, p. 514-515.46. CLICHEROUX E., 1957, p. 509; TILBORGHS E., 1988.47. CLICHEROUX E., 1957, p. 517.

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communes ce qui permet une législation uniforme et plus facile à appliquer.

En plus, les autorités se donnent des instruments d’expropriation effectifs,des moyens d’étouffer les disputes concernant la propriété des communaux qui avaient empêché l’application des lois de défrichement au  XVIIIe siècle.D’autre part, une attention croissante est portée à l’infrastructure; l’emploides amendements et engrais augmente et le gouvernement prend desmesures, comme la création de dépôts de chaux et le développement desmoyens de transport (l’extension du réseau routier depuis 1835, la créationde canaux en Campine…). Entre 1845 et 1910, les routes et des cheminsde fer se multiplient 48. Enfin, on constate que la résistance diminue, bien

que dans quelques régions la population résiste encore. La moindre résis-tance peut s’expliquer par l’évolution des prix des grains et de la viande,ceux des grains connaissant une courbe ascendante de 1760 à 1850. Il estpossible que cela ait stimulé un désir de défrichement. Surtout, le prix dubois étant élevé le reboisement est considéré comme une alternative aux défrichements difficiles, en particulier dans le Luxembourg.

 A B 

Entre les deux phases de grands défrichements du Moyen Âge et de la fin de l’Ancien Régime, les initiatives prises contre les terres communessont restées au niveau individuel et local. Pendant la période 1750-1900,

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48. BLOMME J., 1993, p. 441-444.

Figure 4 : Le devenir des terres défrichées entre 1847 et 1877

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culier la physiocratie, la croissance économique après 1750 et surtout la hausse des prix du terrain et l’accroissement de la population, combinésavec les progrès des techniques agricoles sont à l’origine de cette offensive.Les disparités régionales de diffusion des nouvelles techniques agricoles quirendaient les ressources collectives moins indispensables, ont empêché unelégislation générale. En Flandre et en Hainaut, la pression démographiqueest la plus forte, l’agriculture et l’élevage plus intensifs qu’ailleurs, tandisque l’agriculture du Limbourg, de Namur et du Luxembourg a un caractèrebeaucoup plus extensif. Pendant la période 1750-1850, l’intensification del’agriculture est plus prononcée dans les premières régions, moindre dans

les dernières49

.

 A BRÉVIATIONS

 ARB: Algemeen Rijksarchief Brussel (Archives Nationales à Bruxelles)ROPBA: Recueil des Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens

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Les biens communaux en France

Nadine V IVIER 

En France, la question des communaux a agité les campagnes, le monde

politique et les théoriciens de l’économie durant plus d’un siècle, de 1750à 1870 au moins. Ce terme « communaux » était compris dans un senslarge, comme synonyme d’usages collectifs. Ainsi, chaque fois que les habi-tants étaient sollicités pour débattre de l’avenir de l’un de ces usages, ilsavaient tendance à les envisager globalement, sachant bien que tous étaientmenacés: pâturage sur les terres possédées collectivement, vaine pâture surles terres privées, une fois la récolte enlevée. Les députés eux-mêmes, lors desdiscussions, dérivent parfois. Puisque les sources associent, entremêlent ouconfondent communaux et vaine pâture, les historiens ont aussi eu

tendance à le faire, excepté les historiens du droit. Car en France, le person-nel gouvernemental et les législateurs ont établi dès le XVIIIe siècle une strictedistinction entre propriétés collectives et droits d’usage exercés sur les terresprivées ou domaniales. Nous suivrons donc ici leurs textes pour tenter dedéfinir précisément les communaux en France 1.

Description des communaux 

Un statut complexe

Savoir à qui appartiennent les propriétés collectives devient plus simpleaprès la Révolution, mais se révèle très complexe pour la période d’AncienRégime. Ces terres sont la propriété de la communauté des habitants, le

1. Cet article est fondé sur les recherches qui ont abouti à la publication de synthèse: V IVIER N., 1998.

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plus souvent regroupés en une paroisse. Les difficultés proviennent du faitque les communautés ont très rarement entre leurs mains les titres prou-vant leur propriété. Ainsi naissent de nombreux litiges et d’interminablesprocès entre d’une part les communautés, qui disent que ces terres sont leurpropriété immémoriale, et d’autre part les seigneurs qui affirment que cesterres relèvent de leur propriété éminente et qu’ils ont seulement concédé undroit d’usage aux habitants. Dans le droit féodal, le seigneur possède undroit de propriété éminente sur les terres qu’il concède à ses vassaux. Cela luivaut des prérogatives: le prélèvement d’un cens ou l’envoi d’un troupeausur le communal. Les vassaux, eux, ont la propriété utile, c’est-à-dire le droit

de jouissance.Cette question de l’origine des communaux est très controversée aux  XVIIe- XVIIIe siècles. Deux thèses opposées sont soutenues par les juristes.Pour les jurisconsultes qui ont étudié le droit romain et les coutumesanciennes, les communaux sont la propriété naturelle et originelle des habi-tants 2. Pour les feudistes qui analysent le droit féodal, ces terres sont la propriété des seigneurs qui ont accordé des droits d’usage 3. Cette deuxièmethéorie est celle adoptée par le pouvoir royal, et elle sert de fondement audroit de triage. Le seigneur peut réclamer le triage, c’est-à-dire le tiers des

communaux en pleine propriété, libéré de tout droit d’usage, et les deux tiers restants reviennent alors aux habitants. Ce droit de triage est fondésur le droit féodal tel qu’il existait dans la coutume de Paris et en Bretagne,essentiellement. Les rois veulent étendre cette conception au reste du pays,alors que dans les provinces de l’Est et dans la France méridionale, le droitancien ne reconnaît aucun droit particulier au seigneur. Dans ces régions,les communautés s’estiment pleinement propriétaires des terres collectives.Le statut juridique est donc variable selon les régions et fort complex e.Seigneurs et habitants essaient d’en tirer parti pour se faire reconnaître la 

propriété de ces terres, encouragés par les hommes de loi qui trouvent dansces procès une inépuisable source de revenus. Les actions judiciaires pour sefaire reconnaître la possession de terres non boisées ont beau être fréquentes,elles sont moins nombreuses que celles concernant les bois. Le pâturage enforêt est essentiel et tous les massifs, privés et domaniaux, sont grevés dedroits d’usage et servent quasiment autant au pâturage des habitants queles bois communaux. D’où les confusions, volontaires ou non, et les reven-dications multiples aussi bien des seigneurs sur les bois communaux quedes habitants sur les bois seigneuriaux.

Durant la Révolution, le statut devient plus simple et uniforme: lesdroits féodaux sont abolis le 15 mars 1790, le droit des seigneurs à s’appro-

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2. IMBERT, Enchiridion ou brief recueil du droit escrit, gardé et observé en France , Poitiers, 1559; S ALVAING

Denis de, De l’usage des fiefs et autres droits seigneuriaux , Grenoble, 1668.3. FRÉMINVILLE Edme de la Poix de, 1760 et HENRION DE P ANSEY , 1789, livre 2, chap. 6.

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prier les terres vaines et vagues est supprimé le 13 avril 1791. Le décret du28 août 1792 déclare que « les terres vaines et vagues, landes et garriguesdont les communautés ne pourraient pas justifier avoir été en possession,sont censées leur appartenir ». Ensuite, le code civil de 1804 définit lesbiens communaux comme « ceux à la propriété ou au produit desquels leshabitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis ». L’accent estmis à égalité sur les deux termes « habitants » et « commune », donc sur leshommes et sur l’institution, circonscription administrative de base. La juris-prudence, dès le Premier Empire, fait prévaloir la notion d’une propriétéde la commune, personne morale.

Le statut juridique des communaux semble donc clair, d’autant plusqu’est ordonnée la confection du cadastre. Entre 1807 et 1840 est accomplile relevé de toutes les terres du royaume et la définition légale de leurpropriétaire. Ceci permet des statistiques précises, avec récapitulation natio-nale. La première, présentée ici, date de 1846, et sa fiabilité est assez bonne.

Superficie des communaux en 1846 

Source : AN C 913.

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Cependant, si les litiges se réduisent peu à peu, il reste quelques ambi-guïtés, en particulier au sujet des biens des hameaux, des biens des sectionsde communes et le cas particulier de la Bretagne. Les « communs » bretonsavaient obtenu un traitement particulier dans la loi du 28 août 1792.L’article 10 déclarait que :

« dans les cinq départements qui composent la ci-devant province deBretagne, les terres actuellement vaines et vagues, non arrentées, afféagéesou acensées jusqu’à ce jour, […] appartiendront exclusivement, soit aux communes, soit aux habitants des villages, soit aux ci-devant vassaux quisont actuellement en droit de communer ».

Ici, sous l’Ancien Régime, le seigneur avait la propriété de toutes les terresvaines qui, d’après les évaluations de l’intendant en 1732, couvraient 43 % dela province. Il accordait à ses vassaux le droit de « communer », c’est-à-direque seuls les habitants qui possédaient des terres dans son fief avaient le droitd’envoyer des bêtes au pâturage, droit onéreux et proportionnel aux héri-tages. Le seigneur accordait aussi, à partir des années 1750, le droit de défri-cher et mettre en culture: afféagement ou acensement moyennant le paie-ment d’une rente ou cens 4. La Bretagne ressentait vivement le besoin demettre ces terres en culture, elle y réfléchissait, et c’est ce qui explique le trai-

tement spécial accordé par la loi de 1792, destiné à faciliter le partage. Or ileut des conséquences inverses; déterminer qui, des communes, des habitantsdes villages ou des ci-devant vassaux, a droit à la propriété est complexe et ilfaut recourir à une intervention judiciaire onéreuse; ainsi, les « communs » deBretagne ne sont pas comptabilisés comme propriété des communes et ilsn’apparaissent pas sur la carte de 1846. Il faut attendre la loi du 6 décembre1850 qui simplifie la procédure de définition des ayants droit, pour que lesterres soient progressivement partagées, entre 1850 et 1880 5.

L’autre problème est celui des biens appartenant aux hameaux ou

sections de commune, or celles-ci sont plus nombreuses à partir des années1830, lorsque l’administration royale s’efforce de regrouper les communespour en diminuer le nombre. La loi du 18 juillet 1837 leur reconnaît uneexistence légale. Cette subdivision de la commune a un droit de propriétéen propre, mais elle n’a pas de budget séparé, ce qui pose des problèmes degestion car une section de commune est réticente à alimenter, au-delà desa proportion, le budget municipal avec ses ressources propres 6.

En tenant compte de ces imprécisions, les cartes donnent des rensei-gnements assez fiables sur l’étendue et la nature des propriétés descommunes, et leur répartition sur le territoire. Certes, l’influence du relief et de la nature du sol joue grandement. S’il existe quelques terres cultivées

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4. LEFEUVRE P., 1907.5. LE BRAS J., 1934.6. CRISENOY  J. G. de, 1887 et A UCOC L., 1864.

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dans les plaines de la France septentrionale, l’essentiel est constitué des forêtsdu Nord-Est, des landes et bruyères du Sud-Ouest, et des pâturages et terresde montagne des Pyrénées, Alpes et Jura.

Le droit de jouissance

En France, c’est la communauté des habitants qui gère les biens commu-naux, décidant lors des assemblées de village sous l’Ancien Régime. Puis au XIX e siècle, c’est le conseil municipal qui vote les règlements, sous la tutelledu préfet. Il choisit le mode de gestion (pâturage commun ou mise en loca-tion), recrute et rétribue les bergers. Il doit aussi rétribuer les gardes forestiers,

mais la gestion des forêts communales leur échappe totalement après le votedu code forestier en 1827, puisque celles-ci passent sous la tutelle des Eaux et Forêts. Ainsi, il n’existe pas en France d’institution spécifique destinée à gérer les communaux, comme par exemple les Marken aux Pays-Bas.

 Au  XIX e siècle, le droit d’accès aux ressources du communal est légale-ment le même pour tous les habitants. Malgré ce principe affirmé, le poidsdes traditions subsiste. Sous l’Ancien Régime, le droit coutumier définis-sait les usagers, et dans le cas où ces textes n’en parlaient pas, les assemblées

des habitants en décidaient, d’où des variations d’une paroisse à l’autre. Aussi, la carte présentée ici n’est-elle qu’approximative et indicative desgrandes tendances régionales.

Seules les provinces du nord de la France (Artois, Cambrésis, Flandre,Hainaut, et Picardie) accordaient un droit égal à tous les habitants. Lecommunal est considéré comme la propriété de tous les habitants qui peuventy envoyer leurs bêtes, prendre du bois et de la tourbe, selon les règlements.

Sur une large partie du territoire qui va de la Bretagne et la Normandie jusqu’à l’Auvergne et la Provence, l’usage des communaux est réservé aux 

seuls propriétaires ou à leurs fermiers, en proportion de l’étendue des terrespossédées. En Auvergne, la règle des « pailles et foins » stipule que seul a ledroit de jouissance celui qui réside dans la commune et y récolte des pailleset du foin pour entretenir son bétail en hiver. Il ne peut donc envoyer aupâturage que le nombre de bêtes qu’il a hivernées. Ce système est encoreplus restrictif en Alsace et en Béarn où il faut non seulement être proprié-taire et résident, mais encore avoir le droit de voisinage: le voisin est soitl’héritier de la maison, soit un homme admis dans la communauté aprèsplusieurs années de résidence et moyennant finance.

Sur l’autre moitié du territoire, les droits de jouissance n’étaient pas défi-nis par la coutume, c’était donc l’assemblée des villageois qui en décidait. Ilsemble que le cas le plus fréquent ait été celui d’un droit de jouissanceproportionnel à l’importance des propriétés privées, avec toutefois 2 bêtesautorisées gratuitement pour chaque ménage.

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L’administration, à partir des années 1750-60, essaie de faire admettredes droits égaux pour chaque ménage qui réside dans le village, mais ellese heurte à la résistance des propriétaires, là où ce principe est contraire aux coutumes. Après divers projets contradictoires des assemblées révolution-naires, la loi du 10 juin 1793 impose ce principe d’égalité des droits. Ilinspire toute la réglementation du  XIX e siècle, en particulier pour la distri-bution de l’affouage (bois de chauffage coupé dans les forêts communales).

La législation et ses résultats

La période 1750-1870 correspond à une intense réflexion sur la propriété collective, sa gestion et son existence même. Trois phases succes-sives peuvent être distinguées.

1750-1780, l’administration royaleencourage le partage de jouissance

 Jusqu’au milieu du  XVIIIe siècle, les propriétés collectives intéressent lesriverains qui essaient d’en grignoter des portions, et les juristes qui s’inter-rogent sur leur origine, essaient de régler les litiges les concernant. À partir

des années 1750, la réflexion des physiocrates et celle des agronomes metl’agriculture au centre des préoccupations, puisqu’elle est considérée commela source de toutes richesses. De sa prospérité dépend le développement detoutes les autres industries et donc le bien-être de la population. Il est néces-saire de rendre l’agriculture plus productive et pour cela mettre le plus deterres possible en culture, plantes fourragères et surtout céréales. Les agro-nomes veulent la disparition des communaux car ils sont influencés par lestraités des agronomes anglais. Les descriptions que donne le comte d’Essuileset le vicomte de la Maillardière ne voient que des terres négligées, dans unétat d’abandon et de non production. Il existe donc un consensus: lescommunaux, par leur gestion collective et par leur utilisation pour le pâtu-rage commun, sont nuisibles, ils doivent être mis en culture sinon ils consti-tuent un point de blocage de la modernisation de l’agriculture. Mais selonquelles modalités passer à une exploitation individuelle?

L’administration royale, en particulier autour de Bertin, contrôleur géné-ral des finances de 1759 à 1763, puis ministre chargé de l’agriculture

 jusqu’en 1780, est sensible à ces arguments. Une réflexion est lancée aussi

bien sur l’utilisation des communaux que sur la vaine pâture, elle estappuyée sur les enquêtes réalisées dans chacune des provinces françaises,a uprès des intendants et dans les pays étrangers, notamment l’Angleterreet la Bavière 7. Pour augmenter la production agricole, le gouvernement

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7. AN dossiers H 1488 à 1498. Sur l’enquête concernant la vaine pâture, voir l’étude de BLOCH M., 1930.

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encourage dans les années 1760, la clôture des terres privées, comme ailleursen Europe, et pour mettre en culture les communaux, il adopte une poli-tique originale, préconisant le partage de jouissance. La communauté deshabitants conserverait la propriété des terres qui seraient partagées en lotségaux, un lot pour chaque ménage habitant le village.

Deux raisons ont guidé Bertin vers ce choix. La pr emière est le respect dela continuité. Depuis deux siècles au moins, l’État s’efforce de protéger lescommunaux contre les attaques des seigneurs. Il préfère que les villagesgardent des possessions foncières qui garantissent leur solvabilité et le paie-ment des impôts royaux. Cela est bien sûr associé à un souci politique.

L’administration craint que les communautés qui éprouvent des difficultésfinancières ne tombent à la merci de leur seigneur, or la monarchie tient à endiguer le pouvoir seigneurial. La seconde raison qui pousse Bertin à proté-ger la propriété collective est l’analyse du modèle anglais. Il craint que la clôture des terres et la disparition des pâturages communs ne chassent lesplus pauvres vers les villes. Il préfère fixer la population dans les campagnes,et un lopin de terre cultivée est un bon moyen, c’est pourquoi il choisitl’égalité des lots qui favorise les pauvres, et un partage de jouissance seule-ment afin que les pauvres ne puissent pas vendre.

De 1769 à 1780, des édits autorisent le partage de jouissance, chacunpour une province. Ils sont rendus parallèlement à des édits des clos qui, demars 1767 à mai 1771, autorisent les propriétaires à enclore leurs champspour les soustraire à la vaine pâture. Ce sont 14 édits destinés aux mêmesprovinces, auxquelles s’ajoutent la Franche-Comté, la Champagne et leRoussillon 8.

– Juin 1769, édit pour les Trois-Évêchés: partage en parts égales, héré-ditaires et inaliénables. Tous les seigneurs ont droit au triage. Après cepremier exemple, tous les édits accordent le droit de triage.

– Juin 1771, édit pour les duchés de Lorraine et de Bar mais la Coursouveraine de Nancy refuse l’enregistrement.

– Octobre 1771, édit pour la généralité d’Auch et Pau.– Janvier 1774, édits pour la Bourgogne, le Mâconnais, l’Auxerrois et le

pays de Gex: partage égal entre tous les ménages qui paient une contri-bution; édit pour le Bugey où le partage est égal entre tous les ménages.

– Avril 1774, édit de partage entre les communautés d’Alsace.– Mars 1777, édit pour la Flandre, partage obligatoire, en lots viagers

égaux entre les ménages.– Février 1779, édit pour l’Artois, partage en lots héréditaires, inaliénables.– Mars 1781, édit pour le Cambrésis, partage en lots viagers, égaux entre

les ménages.

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8. Voir V IVIER N., 1999.

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La liste de ces édits et leur contenu montrent les difficultés. L’adminis-tration royale ne peut faire aboutir une législation uniforme. Ses principesd’égalité entre les ménages heurtent la plupart des coutumes locales etconduisent bien des projets à l’échec, dès leur mise à l’étude comme enBretagne et en Auvergne ou bien au moment de l’enregistrement comme enLorraine. Face à la Bourgogne, la mona rchie a assoupli ses principes etaccepté que les communaux soient partagés entre les chefs de ménage quipaient des impôts, donc les pauvres sont exclus. Les tensions sont doncmanifestes.

La monarchie a décidé d’écarter la vente ou le partage au profit des riches,

solution efficace d’un point de vue économique mais incompatible avec lemaintien de la propriété des communes et la volonté de secourir les pauvresen leur fournissant une parcelle de terre. Rien ne prouve que le choix de la monarchie n’était pas viable d’un point de vue économique et social. Mais ilne pouvait pas aboutir parce que le gouvernement a voulu en même tempsrespecter les coutumes qui privilégiaient les propriétaires et les droits féodaux qui accordaient le triage aux seigneurs. Les édits déchaînent des conflits ensuscitant des intérêts contradictoires: ceux des nobles attirés par le triage,ceux des petits paysans attirés par un lopin de terre mais qui supportent de

plus en plus mal ces droits féodaux, tout particulièrement le triage; et lespropriétaires aisés se sentent lésés lorsqu’ils obtiennent une portion ordinairealors qu’ils paient plus d’impôts et sont les principaux utilisateurs du commu-nal. Aussi, la majorité des deux tiers de l’assemblée des habitants est-elle rare-ment en faveur des partages. Il n’y a guère qu’en Flandre que le partage enlots égaux se généralise, sous les efforts conjugués des États et de l’intendantqui l’imposent aux propriétaires aisés fâchés de perdre le pâturage dont ilsbénéficiaient. Il existait une volonté de satisfaire chacun pour aboutir auprogrès de l’agriculture et donc au bien-être général; mais ces mesures ont au

contraire attisé les antagonismes sociaux. Dans le contexte de crise del’Ancien Régime au cours des années 1780, les autorités n’osent plus abordercette question qui engendre des situations explosives 9.

La période révolutionnaire: faire disparaître la propriété collective

En 1789, la question des communaux est relancée. Les paysans récla-ment l’abolition des droits féodaux, dénoncent les usurpations des seigneurs

et essaient de s’emparer des terres qu’ils estiment leurs. De plus, la criseéconomique due aux mauvaises récoltes incite à mettre toutes les terres enculture. L’idée de partage revient sur le devant de la scène. Les députés à l’assemblée nationale constituante semblent accueillir favorablement le prin-

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9. Voir V IVIER N., 1998, en particulier p. 57-63 et 87-91.

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cipe du partage, mais les discussions s’enlisent dès qu’ils abordent les moda-lités. Les plus conservateurs défendent le droit exclusif des propriétaires, ilssont soutenus par la plupart des adeptes de la physiocratie qui privilégientl’efficacité économique: selon eux, seuls ceux qui ont les moyens (le maté-riel et les animaux) pourront obtenir de bons rendements. Au contraire, lesdéputés qui priv ilégient un programme social veulent un partage égal entretous. Le débat est bien dans la lignée de celui engagé depuis les années 1750-1760, tiraillé entre les préoccupations économiques et sociales 10.

 À partir de 1792 interviennent les juristes. Dans leur grand chantier demodernisation du droit, la propriété collective est considérée comme une

monstruosité, elle doit disparaître. Seule la propriété privée et celle de l’Étatpeuvent subsister. Ainsi s’ajoute une nouvelle motivation au démantèle-ment de la propriété collective.

Le 10 août 1792, l’insurrection parisienne engendre une poussée révo-lutionnaire: l’assemblée suspend le roi, décide l’élection d’une Conventionau suffrage universel masculin et se préoccupe des revendications despaysans. Une loi déclare obligatoire le partage des communaux non boisés(14 août) et les droits féodaux sur ces terres sont totalement abolis, les muni-cipalités sont même encouragées à « récupérer les terres dont elles ont été

dépouillées par l’effet de la puissance féodale ». Elles se lancent souvent danscette entreprise de récupération, longue et onéreuse. Les modalités departage sont votées à la faveur d’un nouvel élan révolutionnaire, par la loi du10 juin 1793. Le partage est facultatif, il peut être décidé par l’assembléedes habitants, hommes et femmes, à la majorité d’un tiers seulement desvotants. Les lots, obtenus en pleine propriété, doivent être égaux, un parhabitant de tout âge et des deux sexes. La loi répond à la fois aux souciséconomiques (produire le plus de céréales possible), sociaux (donner uneparcelle aux pauvres) et juridiques (supprimer la propriété communale en

donnant les lots en toute propriété). L’agitation engendrée par cette loi estimportante, tout comme le nombre de procédures entamées par lescommunes pour récupérer les terres qu’elles estiment usurpées, à tort ou à raison. La préparation des partages exigeait un temps long. Comme la loiest suspendue en 1795 à cause de ses dispositions trop compliquées, il n’y a qu’un petit nombre de partages qui ont pu aboutir légalement. Mais ilsemble qu’un grand nombre aient été effectués à l’amiable. En tous cas, la volonté de partage s’est manifestée fortement dans les plaines au nord deParis, dans le Nord-Est (Champagne et Lorraine) ainsi que dans la valléedu Rhône 11.

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10. GERBAUX et SCHMIDT, Procès-verbaux des comités d’agriculture et de commerce de la Constituante, de la Législative et de la Convention, Paris, 1906, 5 volumes.

11. A DO A., 1996, et V IVIER N., 1998, chap. 3 et 4, JONES P. M., 1988.

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cantons forestiers de montagne où le pâturage en forêt était un élémentfondamental de leur système économique, sont peu à peu asphyxiés 15. La misère de ces populations s’exprime de façon poignante et les conduitparfois à la révolte, dès les années 1830 dans les Pyrénées (guerre desDemoiselles 16), puis de façon généralisée lors de la Révolution de 1848 17.La volonté de préservation des forêts se renforce dans les années 1840, sousl’influence d’une nouvelle alarme: les terres en pente se dégradent par ravi-nement, il faut reboiser pour éviter les inondations catastrophiques qui,de 1836 à 1860, se répètent avec fréquence et gravité. L’ouvrage de l’ingé-nieur des Ponts et Chaussées Surell qui, en 1841, prouve que la végétation

est le meilleur moyen de défense à opposer aux torrents, a une grandeaudience. Longuement débattus, les projets aboutissent à la loi du 28 juillet1860 sur le reboisement des terrains de montagne, qu’ils soient propriétéprivée ou communale. Cette loi impose une nouvelle approche de la ques-tion de la restauration des sols, en donnant à l’État un pouvoir coercitif.Lorsque des travaux de reboisement sont déclarés obligatoires sur sonterrain, la commune peut effectuer les travaux elle-même et elle reçoit unesubvention de l’État, ou bien elle peut laisser l’État intervenir et il seremboursera par la cession d’une partie du terrain. L’effet de cette loi est

remarquable puisque le pourcentage des bois dans les communaux passe de37 % en 1859 à 47 % en 1877, avec une augmentation des bois en valeurabsolue de 304968 ha 18.

Le Second Empire a utilisé une procédure analogue pour mettre envaleur les Landes de Gascogne et celles de Sologne qui sont assainies, drai-nées, mises en culture ou boisées. Pour la première fois est introduite la coer-cition envers la commune, et ceci est justifié par la notion d’utilité publique,l’idée que le patrimoine communal doit être mis en valeur pour le bien-êtrede la nation entière, et non pour les besoins des habitants d’un village.

Pour des raisons autant politiques qu’économiques et sociales, la Francea choisi de maintenir les propriétés des communes. Celles-ci couvraientenviron 9 % du territoire français en 1846, tout comme aujourd’hui. Maisceci cache deux types d’évolution très différentes, que nous montre la carte.Dans la moitié occidentale du pays, les communaux étaient considéréscomme des annexes pour les propriétaires privés, qui s’en réservaient l’accès.Les communes ont refusé de louer, elles ont préféré vendre dès que le pâtu-rage collectif n’a plus été indispensable.

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15. AN pétitions adressées par les habitants aux députés, C 2256-2261, révoltes des cantons forestiers,BB 18 1460 et réponses à l’enquête parlementaire de 1848, C 943 à 969.

16. S AHLINS Peter, offre une abondante bibliographie à jour sur ce sujet. Forest R ITES, The War of the Demoiselles , Harvard, 1994.

17. Voir la carte des troubles dans V IVIER N., 1998, p. 222.18. Ministère des Finances, Direction générale des forêts, Compte rendu des travaux de reboisement et de 

regazonnement des montagnes effectués de 1869 à 1874 , Imprimerie nationale, 1876.

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 Au contraire, dans la moitié orientale du pays, les propriétés collectivesétaient souvent louées, soit en lots affermés cultivés individuellement, soitpar des taxes de pâturage. Elles subsistent, de même que les très vastes forêtscommunales. Au total, en 1877, les communes possèdent 2 millionsd’hectares de forêts, et 2,2 millions d’hectares de terres non boisées, dontplus de la moitié sont des prairies de montagne, le reste est loué en petitslots cultivés ou bien d’une stérilité irrémédiable.

Bilan historiographique et conclusion

L’image de la propriété collective a pris une connotation négative vers1750 et elle l’a gardée de façon durable. Les agronomes l’ont décrite sous le jour le plus noir afin de prouver sa nocivité : pâturages négligés, défoncéspar une surexploitation, étendues marécageuses. À cette image de terres malutilisées et à maigre rendement s’ajoute à la fin du  XVIIIe siècle celle de terresnécessaires à la subsistance du pauvre. Ce discours, adopté par le gouver-nement monarchique, repris par les révolutionnaires, devient ainsi le« discours politiquement correct », discours ambigu derrière lequel se réfu-gient des opinions antagonistes. Les défenseurs des pauvres le reprennent

pour préserver effectivement leurs ressources. Les propriétaires qui veulentle maintien du pâturage commun dont ils sont les principaux bénéficiaires,se retranchent aussi derrière cet argument pour éviter tout changement.L’image de terres à faible rendement se renforce par cette association avecl’idée d’une sorte de bienfaisance, de subsistance de misère accordée aupauvre. À la fin du XIX e siècle, deux types de projets confortent encore cetteperception: ceux des agrariens conservateurs qui veulent en faire des jardinsouvriers, ceux des représentants de la démocratie chrétienne, l’abbé Lemireet son bien de famille insaisissable, ou l’abbé Belorgey et ses 700000 parts

de communaux viagères. Les conservateurs, par les ouvrages qu’ils suscitentet diffusent, entérinent la version d’une paysannerie très attachée à ses usagestraditionnels. Il y va de leur propre image, puisqu’ils veulent valoriser leurrôle dans la diffusion du progrès agricole. Le meilleur exemple est celui duconcours ouvert en 1899 par la Société des Agriculteurs de France sur lethème des communaux, étude de leur passé, de leur situation actuelle et deleur devenir. Des cinq mémoires reçus, la Société couronne celui de RogerGraffin qui montre le mieux l’attachement des habitants à leur communal,et qui préconise de prendre en considération le rôle social des communaux,plus que la valeur de la production. Certes cet ouvrage est remarquable-ment clair et sérieusement documenté, mais les autres aussi qui allaient versdes conclusions moins traditionnelles, certains préconisant le partage.

Les socialistes eux-mêmes réhabilitent la propriété communale car ilsrecherchent l’alliance avec la petite paysannerie. Le programme agricole mis

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au point au congrès de Marseille en 1892 par Jules Guesde prévoit (article 3)le maintien ou même l’extension de la propriété des communes. Cet articleest repris intact par la SFIO. Émile Vandervelde défend aussi leur utilitésociale: « Aussi longtemps que les communaux se maintiennent, les pauvresgens des campagnes conservent des intérêts dans la communauté villageoiseet ne connaissent pas le dénuement absolu 19 ». Toutefois, les socialistes nesont pas unanimes sur cette question, et la plupart ont tendance à ne voiraucun aspect positif et à les condamner.

A B

 Au tournant du  XX e siècle éclosent vraiment les recherches historiquessur les communaux, ce sont des thèses de droit et les premières études histo-riques fondées sur les documents d’archives, celles de Henri Sée et PhilippeSagnac 20. Georges Bourgin réunit et publie les Documents pour la prépara-tion de la loi du 10 juin 1793 21. Pendant la première moitié du XX e siècle, lesquelques études qui prennent en considération les communaux posent deux questions: la première est celle de l’origine des propriétés collectives, dans la lignée des travaux anciens des juristes, qui s’intègre bien dans la réflexionsur la féodalité, le pouvoir des seigneurs et leurs droits sur les terres 22.

Le second thème des disputes historiographiques, né plus tardivement, estéconomique, il englobe les communaux dans la réflexion sur la modernisa-tion de l’agriculture. Il comporte deux volets, l’un porte sur l’évolution del’agriculture française comparée à celle de l’Angleterre. Le modèle anglaiss’impose aux historiens qui jugent le retard du système français, et la surviedes communaux est une marque de cet archaïsme. Ces dernières années, ledébat a été rouvert et au lieu de retard français est avancée l’idée d’un mode

de développement différent. L’autre volet économique est lié à l’interpréta-tion de la Révolution française. Celle-ci a voulu redistribuer la terre, réduireles droits collectifs : quelle furent les conceptions des représentants élus ?Quelle fut l’attitude des paysans? Sur ce thème, la production a été consi-dérable. Les œuvres les plus marquantes furent d’abord celles de GeorgesBourgin (1908) et Jean Jaurès (1901-1904) qui tous deux montrentl’ampleur des désirs de partage des paysans pendant la Révolution etconcluent à un faible impact de la loi du 10 juin 1793. Jaurès en donne uneinterprétation théorique d’où il ressort un mouvement paysan voué à l’échec

car rétrograde. Georges Lefèbvre reprend en 1924 dans sa thèse sur les

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19. V  ANDERVELDE E., 1903, p. 33.20. On peut recenser 13 thèses de droit soutenues sur ce sujet de 1898 à 1912. La plupart des études ont

un cadre régional. SÉE H., 1923; S AGNAC P., 1904.21. BOURGIN G., 1908.22. BLOCH M., 1931, SÉE H., 1923.

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Paysans du Nord , ce thème d’une paysannerie rétrograde, attachée à la défensedes droits collectifs. Cette tradition est poursuivie par Albert Soboul jusqu’à ce qu’il découvre la thèse d’Anatoli Ado publiée en russe en 1971 qui proposeune nouvelle interprétation, celle d’une voie paysanne autonome 23.

Nous voyons donc que jusqu’ici, les communaux n’ont guère été étudiéspour eux-mêmes, sauf pour des monographies communales, nombreuses. Ilsont été un élément d’arrière plan dans une réflexion globale, ce qui condui-sait à des positions très tranchées. Depuis quelques années, l’enfermementdans ce domaine économique a été brisé. L’approche est maintenant pluslarge. Elle incite à voir le fonctionnement des communautés rurales. Quelle

furent leurs motivations pour conserver leurs propriétés? Sont ainsi prises encompte les réalités sociales, les enjeux de pouvoir car une municipalité quia des biens et des revenus financiers a plus de poids et d’autonomie face à l’administration centrale. Plus récemment, deux pistes s’ouvrent, l’une surla gestion des forêts, l’autre sur le paysage et l’environnement 24.

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23. Cependant certaines études se dégagent d’une analyse trop théorique. Joseph GOY relève les ambi-guïtés de l’attitude des paysans dans « Transmission successorale et paysannerie pendant la Révolutionfrançais: un grand malentendu », in Études rurales , 1988, p. 45-56.

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Les types de propriétés collectives en Italie 

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La propriété collective en Italie

Gabriella CORONA 

La propriété collective, forme arriérée ou durable?Cela a-t-il un sens de considérer l’usage collectif des ressources natu-

relles, de la terre en particulier, comme un obstacle au plein essor des forcesdu marché ou comme un frein au processus d’affirmation du droit depropriété, ainsi que nous l’ont enseigné un grand nombre de chercheurs?Cette tradition, née dans les œuvres des réformateurs du XVIIIe siècle, affer-mie par le courant économique et juridique du  XIX e siècle avant des’épanouir dans l’historiographie marxiste 1, a enfermé la problématique descommunaux dans celle du passage du féodalisme au capitalisme. La luttepour l’individualisme agraire était interprétée comme une confrontationdialectique entre les forces du progrès, expression d’une conception moderneet individualiste de la propriété agraire en mesure de garantir une plusgrande productivité, et les forces de la conservation liées à un usage arriéréet improductif de la terre. Les études les plus récentes semblent se détacherde cette position.

La propriété commune a suscité une nouvelle vitalité de la recherche,dans un contexte de débat international sur l’environnement, la gestion et

l’administration du territoire. D’autre part, les propriétés collectives semblentavoir résisté à l’avalanche des lois visant à leur suppression au cours du

1. Traduction de Caroline Peyron. Sur l’évolution de ce débat, voir CORONA Gabriella, 1997, p. 43-63. En ce qui concerne l’historiographie marxiste de l’histoire de l’agriculture, je me limite à rappe-ler SERENI Emilio, 1968; V ILLANI Pasquale, 1972; GIORGETTI Giorgio, 1974.

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 XIX e siècle, grâce aux diverses formes de réglementation pré-modernesconcernant l’exploitation et l’organisation du territoire. Les propriétés collec-tives ont continué à exister quand le marché est apparu, avec ses mécanismesbasés sur l’intérêt individuel, sur le caractère impersonnel des rapportséconomiques et sur les relations extra-locales 2. Bien qu’elles ne soient plussoutenues par les valeurs traditionnelles, elles ont maintenu sur une grandepartie du territoire italien une certaine vitalité grâce à la fonction de tutelleenvironnementale qu’elles représentent encore aujourd’hui 3.

En Italie, les questions qui orientent de nos jours l’analyse historiquesur ce sujet, sont nombreuses. De quelle façon la structure communautaire

a-t-elle garanti un contrôle et évité le gaspillage des ressources? Commentcette fonction s’est-elle transformée au cours de la période contemporaine?Quelles sont les raisons historiques de la survivance des propriétés collec-tives? Des formes communautaires homogènes ont-elles existé dans notrepéninsule ou bien existe-t-il des variations spatiales?

Les propriétés collectives en Italie du Nord et du Centre

 À la fin du XVIIIe et au début du  XIX e siècle, il existait en Italie du Centre

et du Nord, différents types de communaux, tous appelés beni comunali .Certains étaient la pleine propriété de la commune qui se chargeait de leuradministration. D’autres, plus nombreux, étaient gérés collectivement pardes groupements de famille, des paroisses, des réseaux de voisins, des asso-ciations de citoyens.

Les principaux types de structures communautaires sont localisés sur la carte. On peut distinguer d’abord les cas, nombreux, où la communautéétait constituée d’un réseau de « voisins » (vicinie ) liés à un quartier, à un lieusacré ou à une paroisse. Dans ce dernier cas, les représentants de la paroisse

devaient aussi participer à l’assemblée et la communauté s’identifiait doncavec « les hommes de la paroisse 4 ». Les vicinie (communauté constituéede voisins) particulièrement concentrées sur la chaîne alpine centrale etorientale, les comunaglie  situées en Ligurie et les communanze dans les

 Apennins des Marches et de l’Ombrie, se fondaient sur la réunion del’ensemble ou d’une partie des habitants d’une commune. Seuls les chefsde famille, de maisonnée ou de feu avaient droit au partage des revenus

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2. Malgré la forte ambiguïté et la faiblesse de l’analyse, ce concept semble toutefois évoquer des problé-matiques importantes au niveau scientifique et culturel. Cf. B AGNASCO Arnaldo, 1993.

3. Des cas de ce genre ne manquent pas en Italie. En Ombrie, par exemple, un dixième du territoirerégional est encore géré par diverses formes de propriétés collectives et de propriétés communales.Cf. Ente sviluppo agricolo in Umbria , 1983. Il y a encore peu de temps, dans les Marches, l’extensionterritoriale des propriétés collectives était conséquente. Cf. à ce sujet: Camera di commercio industria artigianato e agricoltura , 1970

4. C’était, par exemple, le cas des comunaglie de Murta, près de Gênes. Cf. CROCE Gian Franco, 1992,en particulier p. 783-784.

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provenant d’un bien commun et pouvaient faire partie de l’assemblée 5 quiprenait les décisions sur la gestion.

Dans d’autres cas, les communautés étaient composées d’héritiers,descendants d’une souche unique; elles administraient un territoire déter-miné dont elles se proclamaient co-héritières. Il en va ainsi des Regole, asso-ciations familiales de co-héritiers, qui étaient concentrées surtout dans leCadore 6. Dans les Società degli originari , présentes en Lombardie et enVénétie, seuls ceux qui appartenaient aux familles des originaires, c’est-à-dire aux familles les plus notables, riches et anciennes, pouvaient bénéficierdu partage des ressources 7. Dans les Partecipanze situées dans la plaine aux 

alentours de Bologne, au sud du Pô, la possibilité de recevoir des lots deterrains était liée soit à la citoyenneté, soit à la famille d’origine et parfois aux deux. Ceci signifie qu’il était nécessaire de résider sans discontinuité sur leterritoire de la communauté, d’être chef de feu et de descendre d’une famillede Partecipanti 8.

Enfin, dans une dernière catégorie, le droit à l’exploitation et à la posses-sion du bien commun revenait à une communauté définie sur la base d’uneactivité productrice. Dans les Società della Malga , qui existaient dans presquetoutes les communes de la partie centrale des Alpes 9, se rassemblaient tous

les propriétaires de bétail. Il en était de même dans les Università agrarie du Latium. Seuls les propriétaires d’au moins deux bœufs de labourpouvaient jouir du territoire de l’Università . Le terrain était divisé en troisparties: l’une destinée au pâturage, l’autre à la jachère et la dernière aux semailles 10.

Étendue et transformations

Connaître exactement la superficie des beni comunali est impossible car jusqu’au milieu du XIX e siècle, la jurisprudence a ignoré les propriétés collec-tives des communautés. Même lorsqu’il existait des statuts écrits anciens,ils ne définissaient pas les limites car celles-ci étaient censées être connuesdes usagers. On recensait donc globalement les terres soumises à des droitsd’usage (encore appelés usages civiques). Les droits de pâturage étaient très

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5. Dans le cas des vicinie, il s’agit de l’assemblée des terrazzani .6. P ACE Silvio, 1975, p. 22-23 et 93-94.7. P ACE S., 1975, p. 95-96. Thème de conflits et de longues luttes intestines, l’appartenance au corps

des originaires fut également l’objet d’interventions de la part des gouvernements. Dans la provincede Brescia, le Sénat intervint le 7 septembre 1764 et ordonna l’inscription dans le nouveau livre desVicinie de toutes les familles originaires ainsi que de celles qui résidaient depuis 50 ans en payantles impôts et les contributions. Mais ces conflits ne se limitaient pas à la lutte pour l’admission desétrangers dans l’assemblée des originaires. Il y avait également des conflits entre voisins et entre vieux et récents originaires pour la division du patrimoine de la commune.

8. Cf. A RIOTI Elisabetta, 1992, en particulier p. 714. et TORRESANI Stefano, 1998, p. 181.9. En particulier dans les provinces de Bergame, Brescia, Como et Sondrio.

10. CENCELLI PERTI Alberto, 1890, p. 27.

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importants dans les zones de montagne: les animaux y montaient en été à partir des plaines de Vénétie, Toscane, Latium et de la province de Turin.Nous savons d’après les données du début du  XX e siècle, que les droitsd’usage existaient dans 235 communes des provinces de Brescia, Bergame,Como et Sondrio sur une étendue totale d’environ 75000 hectares, dans7 communes de la province de Vérone, dans 220 communes dans lesprovinces de Novara et de Turin dans le Piémont, et dans 50 communesen Ligurie concentrées surtout dans les provinces de Savona et de Gênes.En Toscane, ces droits étaient exercés seulement dans la province côtièrede Massa 11. En ce qui concerne les Marches et l’Ombrie, les données sont

moins approximatives. Les biens des 360 communaux présents dans cesrégions, regroupés en 37 communes s’élevaient à 22359 hectares 12. Dansles ex-provinces pontificales (Émilie, Latium, Marches et Ombrie) avant la loi de 1888, un territoire de 595293 hectares était soumis aux droitsd’usages. En Sardaigne, tout au moins jusqu’en 1874, 186294 hectaresétaient considérés comme des biens soumis au droit d’ademprivio et attri-bués aux terrains communaux 13.

Les beni comunali ont subi d’importantes transformations aux XVIIIe et XIX e siècles, liées à la pénétration d’une économie de marché et au désir

d’appropriation privée: on assistait à diverses formes d’usurpation,d’annexions de parcelles par de grosses exploitations, d'intégrations de lotsde terres des partecipanze dans des contrats de métayage aux alentours deBologne 14.

Des activités de type industriel destinées à des circuits commerciaux locaux se développaient aussi sur ces communaux: ramassage du bois desVicinie de la Vénétie à des fins d’exploitation manufacturière 15, récolte desroseaux dans le Lac de Bientina en Toscane pour la production de claies à vers à soie et d’osier pour les fiasques et les chaises 16. Dans les bois de

Ramasco, on exploitait le bois destiné aux fours à chaux de Sestri Ponente enLigurie, et la communauté touchait les revenus de la production du vitriolet du sulfate de magnésium liée à une exploitation privée du cuivre 17.

Même lorsqu’il y avait privatisation de la terre, ceci ne signifiait pasforcément disparition de la propriété collective. Ainsi, dans le cas de la communanza de Serralta dans la province de Macerata, les terrains commu-

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11. R  AFFAGLIO G., 1915, p. 131-133.12. CENCELLI-PERTI A., 1890, p. 30. Les comunanze étaient réparties de la sorte entre les provinces:

 Ancona 67, Ascoli 76, Macerata 71, Pesaro 46. Parmi elles, 3 possédaient plus de 1 000 hectares,23 en possédaient de 1000 à 250 ha, 43 de 250 à 50 ha, 83 comunanze de 50 à 5 ha et 199 possé-daient moins de 5 hectares.

13. CENCELLI-PERTI A., p. 67 et 132.14. A RIOTI E., 1992, en particulier p. 723-724.15. CENCELLI-PERTI A., 1890, p. 39.16. Z AGLI Andrea, 1992, p. 809-810.17. CROCE Gian Franco, 1992, en particulier p. 784-785.

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naux où les habitants de la commune exerçaient leurs droits d’usage avaientété privatisés au début du  XIX e siècle et acquis par un propriétaire. Cedernier avait revendu le domaine à l’association qui s’était constituée en1864. Ou plus complexe encore, on aboutissait à une superposition desdroits. Diverses formes de propriété pouvaient coexister, comme à Alviano,dans la province de Perugia où se pratiquait le jus plantandi . À la fin du XIX e siècle la situation se présentait ainsi:

« Nous avons un propriétaire du sol, un ou plusieurs propriétaires desarbres plantés sur ce dernier et un dernier propriétaire qui perçoit un pour-centage des produits aussi bien du sol que des arbres 18 ».

La référence à des valeurs communes, la présence de mécanismes derégulation fondés sur la réciprocité et la confiance, sur les liens de sang et surl’identité paysanne ne transforment cependant pas ces communautés enlieux idylliques exempts de conflits 19. De récentes études d’histoire socialemontrent que ces propriétés, au-delà de leur intérêt économique ou envi-ronnemental, étaient aussi un enjeu politique. Les oligarchies cherchaient à les « posséder » pour accéder aux charges politiques locales : elles étaientainsi un enjeu de richesse et de réussite sociale 20. Malgré de tels conflitssociaux, ces formes de propriétés ont aussi protégé le territoire de la commu-nauté d’un processus de destruction et de dévastation.

Les règles d’utilisation

Le plus souvent, il n’existait pas de statut écrit de ces terres. Ces textessont apparus tard, parfois seulement au  XIX e siècle 21. Le droit coutumierqui détaillait les règles d’exploitation avait pour but le maintien d’un équi-libre entre population et ressources, même si les limitations strictes envers lesétrangers visaient aussi à la consolidation des intérêts oligarchiques de la 

communauté. Défense des ressources et protection de l’environnementallaient de pair. Certains spécialistes du Moyen Âge, tel Sandro Teberini,voient d’ailleurs dans cette double nécessité l’origine de la propriété collec-tive 22. Ainsi, la consommation de bois était proportionnée à la production,le pâturage des bêtes était limité dans le temps et l’espace, et la nature des

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18. CENCELLI-PERTI A., 1890, p. 24-25 et 29.19. Pour une réflexion sur l’attitude des individus au sein du groupe qui gère les ressources collectives,

voir FORD R UNGE C., 1981 et les articles du recueil Proceedings of the conference on common property resource management , National Academy Press, Washington DC, 1986.

20. L’historiographie sur ce sujet est en grande partie de caractère micro-historique. Rappelons iciC AFFIERO Marina, 1983; A GO Renata, 1986; GRENDI Edoardo, 1986; F AROLFI Bernardino, 1987;R  AGGIO Osvaldo, 1992; C AFFIERO Marina, 1992; Massimo V  ALLERAI Massimo, 1992.

21. Ce fut le cas du statut des Università des douze familles originaires de Chiaserna, écrit en 1870, etde celui de la coopérative des familles originaires de la terre de Sant’Abbondio (province de Pesaro).CENCELLI PERTI A., 1890.

22. TIBERINI Sandro, 1990.

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bêtes autorisées était strictement définie 23. Les techniques de pêche aussiétaient spécifiées pour que ne soit pas porté atteinte à la ressource 24. L’accèssouvent n’était pas gratuit, il fallait payer un impôt proportionnel à la quan-tité et à la qualité du bois obtenu, ou au nombre de bêtes envoyées à la pâture ( fida et pensionatico).

L’organisation du travail et de l’espace se justifiait par les avantagesprocurés à la communauté. En Sardaigne, le territoire, s’il avait été possédéindividuellement, n’aurait pu pourvoir à tous les besoins. La structurecommunautaire modela le paysage de façon toute particulière et on peutencore aujourd’hui en voir les traces. Dans de grandes zones de cette région,

le territoire était organisé en cercles concentriques autour du centre habité.Le premier cercle s’étendait autour des habitations et était formé par despropriétés agricoles privées bien délimitées ou closes; il était destiné à descultures intensives. Ensuite s’étendait le pré nommé pardu ou minda , réservépour le pâturage des animaux domestiques. Le troisième cercle réservé aux semailles des céréales était appelé aidazzoni . Une fois la récolte faite, il étaitlaissé en jachère, livré au pâturage ( peberili ) et l’aidazzoni était établi autrepart ; un an ou plusieurs années passaient avant qu’on ne le sème à nouveau.Le pardu et l’aidazzoni , qui ensemble formaient les ademprivi, les terres

collectives, étaient la propriété du village et leur exploitation en était décriteavec force détails. Sur les zones couvertes de bois, de forêts, de pâturessauvages et improductives, on faisait pâturer le bétail et les semailles y étaientinterdites, à l’exception de concessions particulières 25.

Le principe de redistribution des richesses inspirait les modalités departage des revenus. Les produits se partageaient chaque année entre lesfamilles dans certaines comunanze . Dans les società della malga , le lait étaitpartagé entre les membres de la communauté proportionnellement aunombre d’animaux qu’ils possédaient. En ce qui concerne les biens, les terres

cultivables étaient partagées en lots redistribués régulièrement, soit à courtterme de 5 ou 9 ans, soit à long terme de 99 ans. En Ligurie, chaque usageravait droit à 1 272 mètres carrés moyennant le paiement d’un impôt. La répartition était réalisée par l’organe représentatif de la communauté selonles besoins de la famille: dans le cas des comunanze , par exemple, si unefamille possédait un terrain non proportionné à ses besoins, l’assemblée desreprésentants pouvait obliger cette dernière à ne plus en jouir 26.

Les propriétés collectives, loin d’apparaître comme des pratiques irra-tionnelles et arriérées s’inspiraient d’une rationalité différente, « autre »

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23. Sur ce sujet, la bibliographie est très étendue. Je me limite à citer les textes suivants: CENCELLI

PERTI  A., 1890, p. 23 ; CURIS Giovanni, 1917; P ALOMBO Manfredi, 1910-1916; TRIFONE

Romualdo, 1909 et 1963.24. Les traineaux de pêche étaient interdits, Z AGLI A., 1992.25. GHIANI Antonio, 1954, p. 14-15.26. Pour tout ce paragraphe, voir CENCELLI PERTI A., 1890, p. 22-23 et 45.

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oserais-je dire, que celle des sociétés industrielles et capitalistes fondées surle triomphe d’un droit de propriété exclusif et individuel.

« La propriété collective, écrit Paolo Grossi, n’est pas seulement un ins-trument juridique ou économique; c’est quelque chose en plus, car elle a besoin de puiser dans un monde de valeurs, de s’enraciner dans une cer-taine façon de percevoir, de concevoir, de vivre la vie associative 27 ».

Se dessine donc une civilisation de la communauté par opposition à celle del’homme isolé, de la solidarité opposée à l’individualisme. Elle remplit unefonction de protection des ressources naturelles et d’égalisation sociale parla redistribution des revenus communs à laquelle sont très sensibles les

auteurs de la fin du  XIX e siècle et du début du XX e siècle. Selon eux, là où lespropriétés collectives n’avaient pas été privatisées, il n’y avait pas de grandesdisparités sociales, tous tiraient des biens collectifs ce dont ils avaient besoinpour compléter les ressources tirées de leurs propres biens : « peu étaientriches, très aisés, presque personne n’était misérable ». Là où se renforçait leprocessus de privatisation des communaux, s’accroissaient le nombre despauvres et le taux des morts dues à la tuberculose et à la pellagre 28.

La propriété collective et le Mezzogiorno italien

Si l’on peut dire que l’Italie du Centre et du Nord connaissait unepropriété collective inspirée par une idée démocratique de la communauté,l’Italie méridionale se caractérisait depuis longtemps par une hiérarchiesociale rigide, et par le régime de la grande propriété, le latifundium quipersista jusqu’à la fin des années 1950. Il s’agit d’un système fondé sur l’asso-ciation entre agriculture extensive à base de céréales et pâturage transhu-mant. Cette agriculture présupposait un lien très étroit entre la montagne etla plaine; les troupeaux étaient conduits des montagnes vers les plaines pour

le pâturage hivernal et inversement en été. C’était un système qui concernaitun peu toutes les plaines dépeuplées et infestées de paludisme de l’Italieméridionale : des larges plaines du Volturo et du Garigliano à celles du Sele,depuis les Tavoliere jusqu’aux marécages de Sioponto près de Manfredonia,de la bande côtière ionienne jusqu’à la Terre d’Otrante, du Marquisat deCrotone à la plaine de Santa Eufemia et à celle de Gioia Tauro. Ce systèmene demandait que des investissements très réduits 29.

La propriété communale remplissait en définitive quatre fonctions:1. elle garantissait l’économie de subsistance grâce aux droits d’usage ;

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27. GROSSI Paolo, 1993, p. 7 et 23-28.28. R  AFFAGLIO G., 1915, p. 306. Il utilise aussi, p. 112, les écrits de Giambattista Grassi di Schilpario,

 Alcune notizie sulla Valle di Scalve , Bergamo, 1899, p. 33.29. BEVILACQUA Piero, 1984, p. 36 sq .

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2. son existence permettait d’associer et d’intégrer les autres revenusprovenant de propriétés agricoles ou des prestations de travail saison-nier (semences et récoltes) dans les latifundia ;

3. elle fournissait des ressources financières à la commune par la ventedes herbes et par les impôts locaux sur le pâturage et l’usage des bois. Ainsi, la commune parvenait souvent à s’autofinancer et équilibrer sesbudgets;

4. elle approvisionnait le marché en produits (surtout le bois et le char-bon) échangés avec les communes voisines 30.

Légalement, l’organisation du territoire reposait sur la distinction entreallodio et demanio, allodio biens possédés en pleine propriété privée et dema-nio qui ne pouvaient être vendus et sur lesquels pesaient des servitudes dedroits d’usage. Il existait aux  XVIIIe et XIX e siècles quatre catégories de dema-nio. Les formes les plus anciennes étaient le demanio regio qui dépendaitdirectement du souverain 31 et le demanio universale ou comunale qui dépen-dait de l’universitá (devenue la commune quand le système administratif français s’affirma 32). Le demanio feudale et le demanio ecclesiastico dérivaientde la concession par le souverain de portions du demanio regio à des proprié-

taires de fiefs laïcs ou à des ecclésiastiques. Ces quatre types de demaniosont des possessions et non de pleines propriétés, ils ne peuvent être venduset la population y exerce des droits d’usage.

La commune possédait des biens patrimoniaux qu’elle pouvait gérer etvendre à sa guise, et le demanio comunale inaliénable, sur lequel elle accor-dait les droits d’usage, soit gratuitement, soit moyennant un impôt ( fida ),soit par contrat de location. À la différence des propriétés collectives del’Italie du Nord, le demanio comunale ne présupposait pas la communautémais l’individu. Celui qui y avait droit était le citoyen, que l’on définissait

au  XIX e siècle comme celui qui était né dans ce lieu, qui y résidait depuisplusieurs générations, qui avait rempli ses devoirs et payé les impôts à la commune.

Nous savons d’après des témoignages de la première moitié du XIX e siècle,que la plus grande partie des communaux se trouvait alors le long des pentesdes Apennins, dans les Abruzzes, les Samnites, la Campanie et la Lucanie. Ils

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30. CORONA Gabriella, 1995.31. Dans l’Italie méridionale, les deux grands domaines royaux étaient situés dans le Tavoliere des

Pouilles et dans les Sila en Calabre. Ils furent libérés des droits d’usage respectivement par les lois du25 février 1865 et du 25 mai 1876. Sur les conséquences de ces mesures Cf. S AVOIA  Girolamo,1880. Sur l’histoire des ces terres voir DI CICCO Pasquale, 1964; B ARLETTA Pasquale, 1865 et ZURLO

Giuseppe, 1862.32. Alors que la commune instituée sur le modèle français est définie par des limites territoriales, la 

commune d’Ancien Régime avait son origine dans une communitas , aux XIe- XIIe siècles, c’est-à-direune communauté de citoyens.

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étaient concentrés dans les collines et les montagnes et donc au-dessus de500 mètres d’altitude. À la fin du XVIIIe siècle, les demani comunali de l’Italieméridionale se répartissaient ainsi: sur un total de 658 mille hectares, 63 %se trouvaient en montagne, 25 % en collines et 12 % en plaine. En Sicile surenviron 60 mille hectares, 55 % se trouvaient en montagne, 35 % encollines et 10 % en plaine33.

Encore au début du  XIX e siècle, les frontières étaient incertaines entreles biens communaux (les demani regi ) et les biens patrimoniaux à partentière, les demani feudali et les demani universali , les propriétés privées etles terres communales louées ou concédées par un contrat d’emphytéose.

Tout ceci était bien plus flou que la littérature historico-juridique du  XVIIe

au XIX e siècle ne le disait. Et c’est à cause de ces incertitudes que s’est déve-loppé depuis l’ère moderne le conflit social autour de ces terres communes.Conflit de longue durée qui eut un poids décisif dans les politiques d’inter-vention des États pré-unitaires et de l’État italien après 1860. Certainescommunautés s’opposaient aux propriétaires terriens et aux latifundistesafin de maintenir l’exercice de leurs droits d’usage. D’autres, au contraire,poussaient vers l’individualisme agraire ou agissaient contre des usurpationset des violations du droit. Parmi les propriétaires, il y en avait qui voulaient

la formation de propriétés privées, légalement ou illégalement, et d’autresqui aspiraient à conserver des formes d’économie communautaire. La logique de défense du territoire engendrait aussi des conflits souvent violentsentre communautés voisines, chacune défendant ses frontières 34. End’autres termes, ce n’était pas l’appartenance à une classe ou à un milieuqui déterminait les prises de position dans ce conflit. Si l’historiographiemarxiste a souligné le rôle de la lutte de classes, des études plus récentes ontrévélé le caractère de lutte entre groupes ou factions, origine de la lutte poli-tique moderne 35.

Le processus d’usurpation s’amplifiait, surtout à cause du rôle donnéaux administrations communales par la législation française et celle desBourbons. Contrôlant fortement la distribution des terrains aux paysans,nombre d’entre elles en abusèrent pour agrandir les patrimoines des admi-nistrateurs et des familles les plus puissantes. Cette action de l’État et desadministrations communales dans les divisions des domaines, est un pointessentiel pour comprendre les caractéristiques de longue durée duMezzogiorno contemporain et le débat historiographique: les effets d’undroit constamment et impunément violé par les administrations commu-nales et le problème de la délégitimation des groupes dirigeants locaux à l’intérieur de la société rurale.

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33. Atti della Commissione Reale, 1902, en particulier p. 167 et 70-71.34. CORONA G., 1995.35. Voir entre autres LUPO Salvatore, 1988, p. 13-50 et GRIBAUDI Gabriella, 1990.

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Le déclin de la propriété commune

C’est par le décret royal n° 751 du 22 mai 1924 sur La Réforme des usages civiques dans le Royaume , et la loi du 16 juin 1927 n° 1766 que furentdéfinitivement abolies au niveau national, bien qu’avec d’importantesexceptions, toutes les formes d’usage collectif de la terre. La loi de 1927est l’aboutissement d’une dynamique institutionnelle qui a débuté dans lesdernières décennies du  XVIIIe siècle.

La plupart des juristes considéraient alors les propriétés collectivescomme des anomalies. Elles représentaient une perturbation non seulementde l’ordre juridique et économique, car elles soustrayaient de vastes terri-toires au commerce, ainsi qu’à l’ordre moral et à la tranquillité publique 36.Mais au-delà de ces principes, ils ne s’entendirent pas sur une législationhomogène. Au cours de cette période, deux logiques ont inspiré les poli-tiques d’intervention, et alterné en Italie: l’une qui luttait pour une abolitiondéfinitive de toute forme d’usage collectif et l’autre, au contraire, qui enten-dait indemniser ceux qui perdaient leurs droits communaux.

La première logique a guidé de nombreuses interventions. Elle a inspiréles mesures adoptées en Toscane (1776, 1777, 1778) et en Lombardie

entre 1770 et 1775 qui ordonnaient le partage des pâturages communaux entre les usagers. Elles autorisaient l’abolition des usages de pâturage etd’affouage dans les bois et le maquis, sur les terres privées, et sur les demani communali qui devaient être partagés entre les citoyens les plus pauvres. Enrevanche, la deuxième logique prévalait dans l’édit de 1792 du royaume deNaples qui prévoyait la division des terres des demani feudali et communali entre les citoyens de la commune. Il en allait de même pour la loi de 1799adoptée en Piémont-Sardaigne, les mesures de l’État Pontifical de 1802 etde 1805 qui accordaient une juste indemnisation des usagers et qui avaient

été adoptées après celles de 1765 et 1789, qui prévoyaient l’abolition desdroits de pâturage et d’affouage.Dans le royaume de Naples, après l’abolition de la féodalité, les lois du

2 août et 1er septembre 1806, ordonnaient que les territoires féodaux detoute nature, ainsi que les demani comunali , soient partagés en pleinepropriété. Une partie était assignée au seigneur et l’autre partie à la commune qui devait aussitôt partager entre les citoyens. Pour cela, il fallaitétablir la liste des droits de chacun, afin de donner une part proportion-nelle. Toutefois, ceux qui ne possédaient rien devaient être favorisés.

Les ventes aux enchères publiques furent très importantes, d’abord àla fin du  XVIIIe siècle et au début du  XIX e, dans le Royaume d’Italie(République Cisalpine et Piémont), dans la République Romaine (régions

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36. GROSSI P., 1993, p. 10.

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centrales), en Toscane et dans le Royaume de Naples où furent vendussurtout des biens ecclésiastiques et des terrains communaux. Puis aprèsl’Unité de l’Italie en 1866 et 1867, furent promulguées d’autres lois, à la suite desquelles furent mises sur le marché de nombreuses terres apparte-nant à l’Église et aux demani comunali .

 Après l’Unité et les lois qui abolissaient les usages avec indemnisation,des mesures furent prises dans les provinces. En Sardaigne, en 1865, furentabolis les droits d’ademprivio et les terres furent données aux communes.En Toscane après une longue série de mesures libérant les terres privées desdroits d’usage, (1833, 1840, 1845, 1860, 1862), les lois du 15 août 1867

abolirent les droits collectifs dans l’ex-principauté de Piombino et les terresfurent divisées en lots et attribuées aux anciens ayants droit. En Vénétie,les lois de 1881, 1882 et 1885 abolirent le pâturage et l’affouage, pratiquésdans les provinces de Vicenza, Belluno et Udine, contre une indemnisationaux usagers les plus pauvres. Ceci concernait une superficie totale de 7080hectares, parmi lesquels 3293 dans les provinces de Vincenza, Udine,Trevise et Venise ainsi que 3786 dans la province de Turin 37.

Le  XIX e siècle est donc le siècle où domine la volonté d’éliminer, de« liquider » les biens communaux sous toutes leurs formes ou manifesta-

tions. Malgré tout, coexiste la volonté de les reconnaître, ne pas les abolir enfonction des nécessités sociales et économiques. Dès 1808 en Italie méri-dionale (décret du 3 décembre), l’application de la loi de 1806 fut restreinte,seuls les communaux cultivables pouvaient être partagés, les bois et terres demontagne devant rester collectifs. Le décret du 3 juillet 1861 exigeait que lespartages envisagés ne portent pas atteinte aux besoins de la population enpâturage et bois. Dans l’Italie unifiée, la loi du 1er novembre 1875 abolissaitles droits d’usage dans les forêts domaniales, contre indemnisation pour lesusagers, mais elle nuançait en reconnaissant le principe du maintien des

droits collectifs lorsqu’ils se révélaient indispensables 38. Cela fut réaffirmédans la législation forestière du 20 juin 1877.

Le véritable retournement de tendance eut lieu avec les lois de 1888 et de1891 dans l’ancien État Pontifical. Il y était affirmé la nécessité de mainte-nir les droits d’usage quand les terres, à cause de l’altitude ou de la nature dessols, ne pouvaient pas être améliorées. Ces lois permirent, en ce cas, de céderaux usagers tout ou partie du territoire contre le paiement d’une redevanceannuelle39. Puis une loi de 1894 prévoyait que les biens issus de cette cessiondevaient être gérés par les anciens ayants droit. Les propriétés collectives qui

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37. Voir LUPO S., 1988, p. 97 à 115 et R  AFFAGLIO G., 1915, p. 119.38. R  AFFAGLIO G., 1915, p. 116. Cette loi a été précédée par une loi du 20 juin 1871 dans laquelle

certaines forêts domaniales avaient été déclarées inaliénables.39. Ibid ., p. 120-123. Les mêmes principes furent confirmés par une loi de l’année 1902 relative à la 

terre et au château de Tatti dans la province de Massa et de Carrare.

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avaient été abolies furent donc en quelque sorte reconstituées avec unepersonnalité juridique. Il en fut également ainsi dans les Università agrarie existantes. La conception juridique des propriétés collectives entrait dansune nouvelle phase. Dans les années 1880-1890, la tradition juridiqueitalienne traversait une crise profonde due à sa confrontation avec le modèlefrançais qui reposait sur le droit privé. Un certain nombre de dirigeantsitaliens engageaient une réflexion sur la gestion du territoire. D’importantesenquêtes ministérielles furent alors réalisées dans lesquelles ressortaient la richesse et la vitalité des formes d’appropriation collective en Italie. PaoloGrossi décrit cette nouvelle approche de la propriété collective :

« Parallèlement à son image liée aux vieilleries moyen-âgeuses, terniepar le servage et le féodalisme, une autre image apparaissait dans sa réalitépropre, étrangère à la tradition du droit romain et qui se proposait commeune alternative 40 ».

 Au cours des débats qui eurent lieu à ce moment, on décida d’exclure de la privatisation les terres dont le meilleur usage était en forêts et pâturages,mais on rejeta la proposition du maintien de droits collectifs sur les terrescultivables 41.

C’est à partir de la redécouverte de ces débats de la fin du  XIX e siècle,

avec la publication en 1977 du livre de Paolo Grossi, Un altro modo di posse-dere , que naissent des études historiques et juridiques qui elles aussi envi-sagent la question sous un jour nouveau 42. Elles ne voient plus la suppres-sion des communaux comme le succès des forces sociales et politiquesprogressistes et modernisatrices. Au contraire, elles interprètent ce proces-sus comme une intervention qui a détruit un système de valeurs destiné à protéger le territoire et ses ressources, pour construire un autre systèmediamétralement opposé. Ceci est renforcé par l’attention actuelle portéeaux problèmes sociaux et environnementaux. Les régions montagneuses etforestières connaissent un état d’urgence aggravé au cours de la deuxièmemoitié du  XX e siècle, à cause de la fin de l’agriculture de montagne et dedramatiques phénomènes d’érosions et ravinement. On a donc commencéà considérer les propriétés communes comme une forme de gestion capabled’harmoniser économie et écologie 43.

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40. GROSSI P., 1997, p. 195.41. TRIFONE Romualdo, 1924, p. 26 et 30.42. La bibliographie qui traite de ce sujet est très vaste. Je rappelle ici les volumes suivants: D E M ARTIN

Gian Candindo, 1990; C ARLETTI Franco, 1993; NERVI Pietro, 1998 et 1999.43. C ARLETTI Franco, 1990, p. 297-299.

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A B

Le décret de 1924 et la loi de 1927 ont créé des formes de tutelle socialeet environnementale sur ces terres. Ils ont aussi prévu une réglementationparticulière pour les bois et les pâtures en accord avec le décret royal n° 3267de 1923 et n° 1126 de 1926. Le patrimoine boisé des communautés et desassociations agraires est soumis à l’autorité forestière, il devient un bienpublic et il est soumis à des règles strictes pour son exploitation et les possi-bilités d’aliénation 44. Il est décidé l’institution de sociétés qui gèrent lesdomaines collectifs d’università agrarie , de communanze, partecipanze etsocietà di antichi originari . Elles peuvent recruter du personnel technique et

de garde pour la gestion des bois et des pâtures, elles peuvent également à cette fin former des coopératives.

La législation forestière de 1923 a été bien plus sensible envers lespropriétés communes que ne l’a été la loi de 1927. Sensibilité confirmée etrenforcée par la loi sur la montagne approuvée en 1952, laquelle, à l’article 43, établit que les communautés familiales qui vivent sur les terri-toires montagneux en exerçant des activités agro-silvo-pastorales peuventcontinuer à administrer leurs biens en conformité a vec les statuts et lescoutumes des lieux. La loi forestière n° 1102 de l’année 1971 détermine, à la suite de la loi régionale, les limites, les conditions et les contrôles enpermettant la concession temporaire des usages autres que forestiers 45.

Les conséquences sur le plan social et économique du processus de trans-formation des biens communaux en Italie, entre la fin du XVIIIe siècle et la loide 1927, furent, selon certains auteurs, le renforcement de la petite propriétépaysanne. Giuseppe Medici parle de « très nombreux cas dans lesquels lepartage a fait naître des entreprises rurales florissantes 46 ». Dans leMezzogiorno, en particulier, il s’agissait surtout de terres destinées à la culture

des arbres – vignes, agrumes, oliviers, amandiers – situées dans la province deSalerne, dans les Abruzzes, dans les Murge des Pouilles, dans la région deCapitanata dans la province de Catanzaro et de Cosenza dans la provincede Syracuse 47. Dans l’Italie du Centre et du Nord, les ventes ont renforcéla petite propriété, dans tout l’arc des Alpes et des Apennins, dans les collineset la plaine du Pô. De même en Vénétie, dans la province de Rovigo, deNovarra, de Vercelli et de Biella ainsi qu’en Ligurie et, pour l’Italie centrale,dans les Marches et autour de Rome et de Grosseto 48.

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44. Cf. NERVI Pietro, 1993, p. 176-205.45. T AMPONI Michele, 1990, en particulier p. 162-162 et 166.46. MEDICI Giuseppe, 1948, p. 72-73.47. Cf. BEVILACQUA  P., 1986, p. 389-414 ; LUPO S., 1990, en particulier p. 119 sq ; R ICCHIONI

Vincenzo, 1953.48. Sur les résultats de cette division des domaines en parcelles en Italie, voir également M ASSULLO

Gino, 1990, p. 5-23.

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Malgré ces résultats, la quantité des biens communaux libérés des droitsd’usage par la loi de 1927, était plutôt modeste. Au 31 décembre 1927, lesdroits d’usages avaient été liquidés sur 711259 hectares. Seule une petitepartie, soit 19084 ha, fut partagée entre les ayants droit pour être mise enculture. Les terres sur lesquelles pesaient les droits d’usage demeuraientimportantes. Au lendemain de la  deuxième guerre mondiale, presque undixième des terres relevait encore de la propriété collective. Dans la régionalpine, sur 2607 communes, 1364 possédaient des terrains grevés de droitsd’usage et sur ces derniers 803 823 hectares étaient destinés aux bois et aux pâtures et 5761 à la culture. Dans le Mezzogiorno, sur 1591 communes,

728 possédaient des terrains grevés de droits d’usage, et sur ces derniers271570 hectares étaient destinés aux pâtures et aux bois et 11802 à la culture 49.

GLOSSAIRE

 Ademprivi : expression qui dérive du catalan « empriu » et qui indique le caractère

collectif des terres. Allodio : du latin alodium qui signifie possession exclusive.Beni comunali (Biens communaux) : sont ainsi appelés à la fois les biens dont une

commune a la pleine propriété, ceux dont une commune n’a pas la pleinepropriété et ne peuvent pas être vendus, et les biens d’une communauté.

Comunaglie : terme dialectal qui équivaut à communauté.Comunanze : regroupement de personnes liées par des intérêts communs.Demanio ecclesiastico: possession du latifondiste ecclésiastique, grevée de droits

d’usage.Demanio feudale : possession du latifondiste, grevée de droits d’usage.Demanio regio : possession du Souverain, grevée de droits d’usage.Demanio universale o comunale : possession non exclusive du groupe de personnes

qui constitue l’Università ou la commune.Demanio : du français ancien domaine. En opposition à allodio indique une

propriété du fonds et une jouissance limitée par des droits d’usage.Diritti d’uso : droits de faire usage d’une ressource.Erbatico (droit de fauche): impôt à payer et qui donne le droit de faucher l’herbe des

bois et des pâtures.Fida: impôt payé en échange du droit de faire usage d’une ressource.Pardu e aidazzoni : expressions dialectales qui indiquent les composants des ademprivi.

Partecipanze: L’expression se réfère à l’appartenance à une communauté, associationde pâturage alpin.

Pensionatico: expression qui se réfère à un impôt à payer pour le pâturage du bétail.Preselle : lots qui composent un terrain, parcelles.

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49. MEDICI Giuseppe, 1948 et 1949, en particulier p. 308.

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Regole : assemblée de cohéritiers qui administrent un territoire.Società degli originari : association des familles les plus anciennes.Società della Malga: associations de pâturage alpin.Terrazzani : personnes qui ont la même terre, qui vivent dans le même village.Tratturi: sentiers empruntés pour le déplacement des troupeaux depuis les Apennins

 jusqu’aux plaines des Pouilles.Università agrarie : associations agraires.Usi civici (usages civiques): droit de faire usage des ressources qui appartiennent

depuis toujours aux gens du royaume.Vagantico : expression qui se réfère à la possibilité de se déplacer librement pour

exercer certains droits d’usages.Vicinie : cette expression indique l’existence de voisins (vicini ) qui se réunissent en

une communauté.

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Biens et usages communaux au Portugal(1750-1950)

Margarida SOBRAL NETO

Depuis le Moyen Âge jusqu’à la fin du  XIX e siècle, avec des permanencesau XX e siècle, le système agraire portugais a comporté des terres communesainsi que d’autres ressources naturelles d’utilisation communautaire, perma-nente ou à temps partiel (les usages collectifs sur les terres des particuliers:le droit de glanage, la vaine pâture), ainsi que des formes mixtes de propriété,à la fois privée et collective (arbres fruitiers privés sur des terres communales– oliviers et châtaigniers, chênes-lièges et chênes verts).

Les terres d’utilisation collective étaient désignées par les mots manin-hos , baldios et les expressions terras de logradouro comum (terres de jouissance

commune) ou baldios de logradouro comum. Maninhos désignait les terresincultes communes et, dans certains textes, celles intégrées dans les seigneu-ries. Baldio était le mot le plus courant pour signifier des terres de jouissancecollective. Il faut cependant prendre garde à l’usage qu’on en fait dans lescas concrets: baldios désignait non seulement les terres de la communauté,mais aussi les terres de la commune, bens do concelho. L’expression pastos comuns , qui s’appliquait, en principe, aux pâturages soumis à la compascuité,désignait quelquefois les communaux.

Les principaux usages des communaux étaient les pâturages de moutons,porcs et bovins; la récolte de divers produits : bois de chauffage, matériaux de construction (bois, pierre, argile) ; branches et feuilles pour la litière desanimaux et pour l’engrais; les fruits sauvages (châtaignes, glands de chênespour engraisser le bétail (en Alentejo); la production de miel et de cire oudu charbon). Il existait aussi des communaux cultivés.

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Extension des biens communaux 

 Au cours des XVIIIe et  XIX e siècles, l’État portugais a demandé plusieursfois aux municipalités d’établir un cadastre des biens communaux, mais envain. Le premier cadastre des baldios a été réalisé par un organisme créé parle pouvoir central, La Junte de Colonisation Interne, en 1938. À cette date,les baldios occupaient 4,6 % de la surface du territoire portugais 1. Commenous pouvons le voir sur la carte, les régions où les communaux avaient la plus grande extension étaient Alto Minho, Trás-os-Montes et Beira. Lespourcentages les plus élevés étaient atteints dans les districts de Viana deCastelo (26,84 %), Vila Real (25,25 %), Viseu (14,66 %) et Coimbra (8,66 %). Les plus vastes baldios étaient dans les régions les plus élevées,peu peuplées et d’accès difficile, des zones où l’on pratiquait une économieagro-pastorale.

L’année 1938 marque la fin du processus de privatisation et de désa-mortissement des communaux qui s’est intensifié pendant les  XVIIIe et

 XIX e siècles. Cependant, la carte met en évidence des contrastes structurelsentre le Nord, où il y a beaucoup de communaux et le Sud peu pourvu.Contraste aussi entre la grande propriété (Sud) et la petite (Nord), entre

agriculture et élevage de subsistance (Nord) et agriculture et élevage spécu-latif (Sud). Différence aussi entre littoral et intérieur. Dans la zone litto-rale, la pression démographique et l’ambition des maisons seigneuriales sontresponsables de la disparition d’une grande partie des biens communaux aux  XVIIIe et  XIX e siècles. Seuls ont survécu les communaux des zonessableuses du littoral. En revanche, l’intérieur montagneux, moins peuplé, a préservé de vastes communaux.

Bilan des connaissances et des débats historiographiques

au Portugal Au Portugal, le débat sur les communaux a commencé dans la deuxième

moitié du  XVIIIe siècle. Ce débat a été soulevé par des juristes et par desintellectuels, dans un contexte où intervenaient les facteurs suivants:accroissement de la demande de terres, motivé par l’essor démographiqueet par la hausse des prix agricoles; fort mouvement de contestation anti-seigneuriale; effort de modernisation de l’agriculture portugaise, trèsinfluencé par la pensée physiocratique et agronomique européenne.

La loi du 22 décembre de 1766, publiée à la suite de la dénonciation desusurpations de terres en jouissance collective faites par les maisons seigneu-riales de la région de Coimbra, a déclenché le débat sur la nature juridiquedes terres, surtout celle des terres incultes intégrées dans les seigneuries. Dans

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1. Reconhecimento dos baldios do continente , Lisboa, 1939, vol. I, p. 53-54.

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ce texte, le roi ne considérait comme preuve de possession des terres vainesni « la raison de seigneurie », ni « la possession immémoriale », et il exigeaitdes seigneurs un « titre particulier 2 ». Ceux-ci, voyant leurs domaines mena-cés, ont réuni promptement les documents qu’ils considéraient commepropres à légitimer leur patrimoine. En même temps, les juristes se sont misà l’œuvre. Ceux qui se plaçaient du côté des seigneurs présentaient la posses-sion immémoriale comme une preuve; ceux qui défendaient la position desmunicipalités et du peuple ne considéraient comme preuve que les dona-tions royales ou les chartes de peuplement. Ce débat sur la nature juridiquedes terres en jouissance commune est devenu une discussion complexe sur la 

légitimité ou l’illégitimité des domaines et des droits des seigneuries, et il a duré jusqu’au  XIX e siècle 3. Certains intellectuels intervenants, qui défen-daient l’individualisme agraire, proposaient des mesures pour lever lesobstacles au développement de l’agriculture, parmi lesquels la culture desbaldios . Ces auteurs envisageaient déjà l’avenir, ils ne se retournaient vers lepassé que pour légitimer leur idée de mise en culture des terres incultes, eninvoquant la législation royale qui avait lancé le défrichement de terres ou la plantation des arbres; c’est le cas d’une loi de 1375, la loi des « sesmarias »,qui déterminait l’expropriation des incultes.

Les servitudes collectives ont été, cependant, l’objet d’une étude deDomingos Nunes de Oliveira intitulé « Discours juridique et politique oùl’on montre l’origine des pâturages que dans ce royaume on appellecommuns, les différences des publics, et les droits par lesquels ils devraientêtre réglés, sans offenser ceux de la propriété privée, au bénéfice de l’agri-culture en général, et en particulier de la comarque de Castelo Branco etd’autres encore où il y a de semblables pâturages 4 ». Les usages commu-nautaires dans la Beira Baixa, qui empêchaient la clôture des champs, ontdonné lieu à d’autres études, comme celle du grand propriétaire Vaz

Giraldes Preto, publiée en 1862 5, qui considère les arguments avancés pourleur maintien (par les grands éleveurs) ou leur extinction (par les grandspropriétaires).

Finalement le code civil de 1867 a autorisé la clôture des champs. Lesvastes surfaces incultes (en 1875, on les estimait à la moitié de la surfacetotale du pays), dont une grande partie formée pa r des baldios , constituaientl’un des problèmes de l’agriculture portugaise. En 1887, Oliveira Martinsdans le Projet de Développement Rural présentait le défrichement des incultescomme une des nécessités les plus urgentes pour le pays. La même année,l’historien Alberto Sampaio témoignait des transformations en cours dans

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2. NETO M., 1984.3. NETO M., 1997.4. Lisboa, 1788.5. Archivo Rural , vol. V, p. 177-185.

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 Au même moment, le géographe Orlando Ribeiro attestait l’existenced’usages communautaires au nord du Portugal, et de plusieurs formes de viecommunautaire dans les montagnes et les zones de l’intérieur, au sud dufleuve Douro 10.

 Au Portugal, jusqu’aux années soixante, ce sont surtout des ethnologues,des anthropologues et des érudits locaux qui se sont voués à l’étude desbiens et usages communaux. À partir de ce moment, les historiens s’y sontintéressés. En 1963, Armando de Castro présentait une brève synthèse surl’évolution historique des baldios . Cet historien considérait l’étude descommunaux comme très importante, parce qu’elle permettrait de

comprendre « le processus de transformation de l’économie médiévaleféodale en une économie capitaliste moderne 11 ». Albert Silbert consacraitson étude au statut juridique, aux formes d’utilisation et à la significationsociale des terres et usages communautaires au sud du pays. Cet historiena aussi publié les pétitions adressées par le peuple aux Cortès Libérales(1822), documents riches en informations sur les formes d’utilisation etd’administration des biens communaux et surtout les plaintes du peuplecontre les usurpations et autres formes abusives de privatisation de terrescommunales pratiquées par les seigneurs 12.

L’étude des biens communaux s’est développée surtout après la révolu-tion du 25 avril 1974, et dans le contexte de recherches en histoire écono-mique, sociale et institutionnelle. Un des sujets de prédilection des cher-cheurs était la compréhension du retard économique portugais.L’importance des zones incultes était invoquée par des politiques et desintellectuels du XIX e siècle comme la cause du retard de l’agriculture. Dansce contexte, les historiens ont été conduits à l’étude des biens et usagescommunaux. Les recherches ont été faites à l’échelle du pays, en utilisantcomme sources les débats et les documents émanant du pouvoir central.

Miriam Halpern Pereira interprétait la permanence de la propriété et desusages collectifs comme des « vestiges du collectivisme agraire qui avaientcoexisté dans le féodalisme » et l’individualisme agraire comme l’expressiondu passage de la propriété féodale vers la propriété capitaliste 13.

Un autre domaine de recherche des historiens, après le 25 avril, a portésur les mouvements populaires, les soulèvements paysans. Ce champ s’estrévélé très riche pour la connaissance des formes d’utilisation des bienscommunaux, ainsi que de l’attitude des populations face à ces biens 14. C’estce chemin, celui de la conflictualité et de la violence dans le monde rural,

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10. R IBEIRO O., 1940.11. C ASTRO A., 1963, vol. I, p. 277-282.12. SILBERT A., 1978 et 1985.13. PEREIRA M., 1971.14. TENGARRINHA  J., 1994.

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qui m’a conduite à l’étude du problème des biens communaux 15. Lesrecherches ont abordé aussi les formes d’organisation du pouvoir local 16.Ces études ont montré les structures d’encadrement de la paysannerie etdes communautés rurales, la seigneurie et la municipalité, et elles nousrenseignent sur les formes de gestion des baldios , sur le mouvement deprivatisation des communaux, par la concession des baux emphytéotiques,et sur les conflits entre les seigneurs et les conseils municipaux pour la propriété des biens communaux.

 Après le 25 avril 1974, des motivations de nature idéologique ontréveillé l’intérêt pour les formes d’organisation communautaire. Une ques-

tion très controversée a été celle de la propriété des biens communaux. Eneffet, pendant que les municipalités et les juntes de paroisse revendiquaientl’administration de ces biens, d’autres défendaient leur gestion en margedes organismes administratifs de l’État. Dans ce contexte, se sont créés 600Conseils Directifs des baldios , des organismes qui se trouvaient plus aptes à défendre les intérêts des populations, en préservant la fonction anciennedes biens communaux. Cette problématique a aussi été à l’origine de la publication d’études de synthèse où sont tracées les grandes lignes del’évolution historique des biens communaux 17.

En conclusion, l’historiographie portugaise apporte les connaissancessur les biens et usages communaux, surtout dans les livres et articles géné-raux d’histoire économique, sociale, institutionnelle et politique. Toutefois,les études récentes qui ont comme objet spécifique les biens communaux,sont en nombre réduit 18. Il faut réaliser des monographies locales pourconnaître les usages des communaux dans les diverses régions du pays. Eneffet, comme Albert Silbert l’a écrit, le Portugal, pris dans son ensemble,est un complexe de structures agraires.

« Qu’il soit à la fois atlantique et méditerranéen, voici une vérité évi-dente qui prend, à la lumière des recherches récentes, un sens très nouveau.La juxtaposition des “agras” du Minho, des villages collectivistes de Trás-os-Montes, des openfields méditerranéens à quatre soles, devrait lui valoirune place de choix dans les études agraires, historiques et géographiques 19 ».

Malgré le manque d’études systématiques englobant tout le pays, l’histo-riographie portugaise nous fournit déjà beaucoup d’informations sur la fonction, les formes d’utilisation et de gestion, le mouvement de privatisa-tion et de désamortissement des communaux.

 MARGARIDA SOBRAL NETO 

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15. NETO M., 1981, 1990, et 1997.16. C APELA V., 1991; NETO M., 1997.17. R ODRIGUES M., 1987.18. NETO M., 1981; CRAVIDÃO F., 1985; C AVACO C., 1999.19. SILBERT A., 1978, Vol. III, p. 1126.

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 Jouissance, gestion et propriété des communaux 

Le droit de jouissanceSelon la législation générale, le droit de jouissance des biens commu-

naux appartenait à la communauté des habitants et il était lié à la résidence.Les communautés voisines pouvaient aussi avoir le droit de parcours. Despersonnes étrangères à la communauté utilisaient les baldios moyennant lepayement de taxes (montado), ou des rentes. Jusqu’au  XIX e siècle, dansquelques régions, les coupes de l’herbe des communaux ou des soles privéesen jachère étaient vendues ou affermés par les municipalités aux éleveurs

locaux et transhumants.

Gestion des biens communautaires

Elle est confiée aux officiers de la municipalité ou bien, à partir de 1836,à ceux de la paroisse, cadre plus proche de celui de la communauté desayants droit au communal. Le peuple parfois était consulté en assemblées decommunauté 20. L’intervention populaire dans la gestion des communaux variait selon la dimension, le statut du territoire de la communauté (village

ou bourg) et la composition sociale des conseils municipaux: dans lesvillages, les dirigeants étaient de petits et de moyens laboureurs; dans lesbourgs et les villes, ils appartenaient à l’aristocratie et à la bourgeoisie.

« Dans ce royaume, et en particulier dans ce district [Castelo Branco],dans les circonscriptions des centres administratifs, c’est-à-dire des cités etdes bourgs qui servent de capitales, il y a un certain nombre de villages etde hameaux dont l’administration n’est pas indépendante et qui sont gou-vernés en toute chose par les règlements de ces centres. D’autres par contre,quoique pour le reste ils soient soumis à la juridiction des capitales, ontleur territoire et leur administration distincts, s’occupent de leurs proprié-

tés communales et de leurs revenus… L’assemblée des habitants décide dela réglementation économique, alors que dans les cités et les bourgs impor-tants, seuls les municipalités et les dirigeants le font, étant donné qu’il estimpossible de réunir le peuple 21 ».

Les municipalités élaboraient les règlements ( posturas ) d’utilisation decommunaux, et d’exercice des droits communautaires. Les transgressionsétaient punies par des amendes, l’une des sources de recettes les plus impor-tantes des municipalités.

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20. Le territoire portugais était organisé en 816 unités administratives, appelées « concelhos », munici-palités. En 1836, il est réorganisé en 351 municipalités. Les paroisses, circonscriptions ecclésias-tiques, deviennent aussi des circonscriptions administratives à partir de 1836, régies par une junte deparoisse. Une municipalité peut intégrer plusieurs paroisses.

21. OLIVEIRA D., Discurso jurídico…, 1788, p. 106, cité par SILBERT A., 1978, vol. I, p. 274-275.

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Le droit de propriété, le cadre juridique

Les titres originaux, les donations royales,les chartes de peuplement 

Pendant le Moyen Âge, les rois ont fait concession des terres incultes à des seigneurs par des chartes de donation, et aux habitants des villages etdes bourgs par des chartes de peuplement, forais 22. Les forais , réformés parManuel Ier (1510-1514) définissaient les droits de propriété et de jouis-sance des terres incultes (le mot utilisé est maninhos ). Dans les cas où lesmaninhos étaient attribués aux seigneuries, le texte du foral déclarait que la 

mise en culture impliquait la consultation du peuple, ou de la municipalité,afin de préserver la jouissance commune. À l’époque moderne, le régimede jouissance, d’administration et de propriété des communaux a été définipar les codes législa tifs nommés Ordenações . Le titre XLIII (§ 9,10 et 11)du Livre IV des Ordenações Filipinas , code publié en 1603, présenteplusieurs catégories de maninhos , mot utilisé pour désigner les terres incultesde jouissance collective:

– Maninhos gardés en propriété royale.– Maninhos des hameaux et des villes, appartenant à leurs résidents, terres

concédées par les forais aux habitants qui venaient s’installer.– Maninhos de particuliers: membres de la Noblesse et du Clergé régu-

lier et séculier.

Le même code définissait le régime d’utilisation et d’aliénation desmaninhos . Il les destinait prioritairement à une utilisation collective pourle pâturage, et le bois de chauffage et d’œuvre et il n’autorisait leur mise enculture, après consultation des conseillers municipaux, que pour produire

du pain, du vin, de l’huile ou d’autres fruits. Les terres cultivées n’étaientsoumises qu’au payement d’un « impôt général de la terre ». Pour empê-cher des appropriations abusives, on ordonnait aux seigneurs de ne pass’attribuer les terres ayant le statut de maninhas , mais seulement celles dontils étaient titulaires. Nous pouvons dire que le code de Philippe II de 1603opposait déjà à la maxime « nulle terre sans seigneur », la maxime « nulseigneur sans titre ».

Pour préserver les besoins vitaux des communautés, on réaffirmait queles maninhos étaient utilisés comme pâturage à la jouissance des hameaux,

ne pouvant être mis en culture que lorsque celle-là devenait plus avanta-geuse. Les dispositions du code de 1603 ont été acceptées et défendues parbeaucoup d’intellectuels et de juristes pendant l’Ancien Régime.

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22. « Diplôme concédé à un territoire par le roi ou par un seigneur laïc, contenant des normes qui régissentles relations entre les habitants et l’autorité qui a attribué le foral », COSTA M., 1971, vol. II, p. 279

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La distinction entre terres des seigneurs (maninhos),

biens de la municipalité (bens do concelho)et biens de la communauté (baldios)

« Le domaine éminent des baldios appartient à sa Majesté qui a donnéà la municipalité l’administration, et au peuple l’usage et la jouissance »(José António de Sá, 1790 23). Une distinction entre maninhos , baldios etbens do concelho surgit aussi dans Villa Nova Portugal, auteur d’un mémoiresur les baldios , publié en 1790.

– Maninhos : « ceux qui ont été réservés au seigneur ; il peut les concéderen emphytéose ou percevoir des rentes sur les pâturages, comme sur desbiens privés » ;– biens de la municipalité : « ceux que la loi générale et les forais ontréservés à la municipalité et qu’elle peut aliéner comme des biens parti-culiers » ;– baldios : « ces terres devenues possession commune des habitants de la municipalité, et qui étaient désignées auparavant comme des terres de jouissance du peuple ». Approuvant le statut juridique des baldios , Villa Nova Portugal propo-

sait le partage entre tous les ayants droit, s’opposant aux baux emphytéo-tiques concédés par les municipalités, étant donné qu’ils supposaient quele domaine éminent et utile appartenait à l’entité qui concédait les baux 24.

La thèse selon laquelle la propriété des baldios appartenait au peuple etl’administration aux municipalités, apparaît dans les premiers textes libé-raux, la loi de 22 de Juin de 1822, dénommée loi des forais :

« Les baldios et maninhos sont la vraie propriété du peuple, sans qu’ilsoit besoin de prouver la réserve ou la donation expresse de ces terres. Leuradministration appartient aux municipalités, selon les dispositions de la loi, le peuple ayant le bénéfice de leur usage et des droits qui leur sontconcédés par possession ancienne de ces biens de jouissance ».

Ce texte vise les donataires.Un décret de 1832 affirme:

« Personne n’est propriétaire de la propriété commune ; l’union deshabitants est propriétaire; tous ont le pouvoir et le droit d’en jouir 25 ».

Les baldios sont au peuple

Les baldios sont au peuple, « os baldios são do povo », ce slogan beau-coup diffusé après la révolution d’avril de 1974, exprime une idée enracinée

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23. SOUSA F., 1974.24. PORTUGAL T., « Memória sobre a cultura dos terrenos baldios que há no termo da vila de Ourém »,

 Memórias …, 1991, Vol. II, p. 295-306.25. Collecção de Decretos e Regulamentos …; Lisboa, 1836, p. 62.

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dans la population portugaise qui est perceptible sur le long terme. Cetteidée a mobilisé les communautés contre les usurpations et les gestions irré-gulières de baldios par des seigneurs et des officiers des municipalités.

En conclusion, nous pouvons dire que l’idée selon laquelle la propriétédes communaux appartenait aux communautés qui en jouissaient estanciennement enracinée au Portugal. L’attribution de l’administration aux municipalités figure aussi dans maints textes législatifs. Cela était acceptépourvu que les officiers de la municipalité puissent défendre les intérêts dela communauté. La contestation la plus fréquente dans nos sources est celleconcernant la gestion abusive des seigneurs. Dans ces circonstances, les

conseillers municipaux intervenaient pour défendre les intérêts du peuple.Seigneurs et municipalités ont, cependant, été responsables de l’inégalité de jouissance des communaux en faveur des notables, auteurs d’usurpations.

Les appropriations abusives des communaux par les seigneurset par les municipalités

Nonobstant les dispositions du code de 1603, les seigneurs adoptaient leprincipe « nulle terre sans seigneur ». Jusqu’après la Révolution Libérale de1820, ils ont revendiqué le domaine éminent des communaux intégrés dansle territoire de leur juridiction, imposant des taxes de jouissance et concé-dant en emphytéose les terres à défricher. Ce fait a provoqué de fréquentsconflits avec les municipalités.

Celles-ci étaient aussi titulaires de biens communaux qui avaient le statut juridique de biens propres, bens do concelho. La gestion simultanée de biensà jouissance collective ayant des statuts juridiques différents a provoqué uneconfusion entre les biens propres de l’institution municipale et ceux de la communauté. Cette confusion était favorable aux officiers des municipa-

lités, qui pouvaient lever des taxes sur l’utilisation des biens propres. Ilsavaient aussi plus de liberté pour aliéner ou imposer des rentes. Les financesde l’État tiraient elles aussi profit de cette confusion parce que la Couronneavait le droit de recevoir le tiers (Terça ) du revenu des municipalités. Un

 juriste portugais parle de « confusion intentionnelle dans le langage législatif entre la propriété communale et la propriété corporative », à partir de la seconde moitié du  XVIIIe siècle 26.

Dans une loi datée du 23 juillet 1766, le roi dénonçait les appropriationsabusives de baldios pratiquées par les conseillers municipaux, qui concédaient

des lots contre de petites rentes à leurs amis et parents. Cette attitude étaitconsidérée comme contraire au progrès de l’agriculture, de la subsistance dupeuple, des finances municipales et de l’État. Afin d’interdire les irrégulari-tés dans la gestion des biens communaux, le roi change le régime d’aliéna-

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26. C AETANO M., 1969, vol. II, p. 960.

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tion. La décision de vendre, qui jusqu’ici relevait de la compétence exclu-sive des municipalités, doit à partir de 1766, être adressée au Desembargo doPaço, tribunal supérieur qui décide après consultation des officiers royaux,des municipalités et du peuple. Les conseillers municipaux ne peuvent plusprofiter des biens communaux. Pour connaître et contrôler ces terres, le roiordonne aux municipalités la réalisation des cadastres des baldios .

Dans la région du centre du pays, cette loi a été utilisée par les conseilsmunicipaux et par les communautés pour dénoncer les appropriationsabusives des communaux par les seigneurs. En réponse à ces dénonciations,le roi a ordonné aux seigneurs, le 22 décembre 1766, la restitution des biens

usurpés et il a exigé la présentation des titres qui prouvaient la propriété desmaninhos . Ce décret a été utilisé comme un instrument de contestation desdroits et pouvoirs des seigneurs, provoquant beaucoup de litiges entreconseils municipaux et seigneuries.

L’offensive contre « les baldios »

L’expansion démographique et le défrichement de terres

 Au Portugal, le mouvement d’appropriation des communaux a accom-

pagné le mouvement d’expansion démographique, associé au défrichementde terres et à la pratique d’une culture plus intensive.

 Aux XVIIe et  XVIIIe siècles, l’introduction et l’expansion de la culture dumaïs et de la pomme de terre ont provoqué le défrichement de terresincultes dans les régions de Beira littorale et entre Douro et Minho. Cemouvement a supprimé des terres en jouissance commune des commu-nautés, et les pâturages des troupeaux locaux et transhumants de Serra da Estrela et Montemuro. Les seigneurs, qui ont augmenté les loyers, ontprofité de l’expansion des espaces cultivés en concédant des maninhos ,communaux intégrés dans les seigneuries, en baux emphytéotiques. L’appro-priation des terres communales a nui à quelques paysans qui ont essayé deles récupérer en détruisant les clôtures. En même temps, des municipalitéset des groupes de paysans ont sollicité des seigneurs la concession en emphy-téose de communaux afin de préserver la jouissance collective.

La conjoncture économique de la fin du  XVIIIe siècle et début du  XIX e

(mauvaises années agricoles, hausse de prix, difficultés financières de l’Étatet des seigneurs) a accéléré le procès de suppression des communaux. Pour

 Albert Silbert « la régression des communaux est l’événement marquant del’évolution agricole, à la fin du  XVIIIe siècle ». Dans les régions littorales, la pression démographique a augmenté dans les décennies suivantes, provo-quant une utilisation plus intensive du sol et la suppression des biens etusages collectifs, excepté dans les zones sableuses de la Beira littorale entreFigueira da Foz et Porto. Dans la région de Minho, l’assolement obligatoire

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avec vaine pâture s’est confiné aux terres non arrosées appelées « agras »,utilisées pour engraisser les bovins. Faute de pâturages, l’élevage d’ovins a presque disparu du Minho et des régions du littoral. En Estremadura, dansla seconde moitié du  XIX e siècle, les baldios ont été transformés en vignes etolivettes. Partout surgit un mouvement de défrichement de terres incultes 27.

Les intellectuels physiocrates contre les communaux les baldios sont nuisibles à l’agriculture

En 1779 est créée l’Académie Royale des Sciences. Ses membres, inspi-rés par la littérature des agronomes français et anglais (Duhamel de

Monceau, Rosier, Young) et par le modèle de l’agriculture anglaise, choi-sissent pour thème de réflexion les inconvénients de la propriété et desusages communautaires 28. De telles considérations surgissent dans lesanalyses économiques générales et dans les textes intitulés de façon expres-sive « Mémoire sur les openfields, ses préjudices envers l’agriculture et sur lesdifférentes méthodes de clôtures » (Sebastião Mendo Trigoso) ; « Mémoiresur la nécessité de mettre en culture les baldios en Trás-os-Montes » (José

 António de Sá) ; « Projet d’une compagnie pour la mise en culture desbaldios , ce qui palliera le manque de pain au Portugal » (José Veríssimo Alvares da Silva) ; « Mémoire sur la culture des prés artificiels, leur utilitéet la méthode de les faire, moyen essentiel pour rendre nos baldios fertiles »(José Veríssimo Álvares da Silva).

Tous les physiocrates portugais considéraient l’existence des baldios comme un obstacle au progrès agricole et, plaidaient pour les mettre enculture, afin d’augmenter la production et la productivité agricoles etd’améliorer la qualité des pâturages. Beaucoup associaient les notions decollectif et d’improductif, et considéraient l’individualisme agraire comme

le moyen le plus efficace pour développer l’agriculture. « La culture estconforme au droit de propriété » (Villa Nova Portugal) ; « la propriété estle grand mobile pour améliorer la terre » (José Verissimo Álvares da Silva),« rien n’est plus contraire à la bonne culture du terrain que le manque depropriété » (Rodrigo de Sousa Coutinho), ce sont des expressions quisynthétisent la défense de la propriété privée. Dans ce contexte, la majoritésoutenait le partage des communaux. Villa Nova Portugal proposait la répar-tition des baldios aptes à la culture entre tous les habitants de la commu-nauté, il y voyait le moyen de fixer les familles et de créer des conditions de

survivance pour des journaliers et des artisans. De même, Rodrigo de Sousa Coutinho proposait la répartition des baldios entre les familles pauvres et

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27. PEREIRA M., 1971, p. 58-77.28. Memorias Economicas da Academia , 2e ed., Lisboa, 1991, 5 vols.

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travailleuses de l’Alentejo pour augmenter la population et, en conséquence,le nombre de bras pour cultiver les grandes propriétés 29.

 António Henriques da Silveira, dans un mémoire sur l’Alentejo, étaitaussi favorable au partage, mais il défendait le pâturage en commun pour lebétail 30. Le juriste Manoel Sousa de Lobão partageait cette opinion en1810 31. À son tour, José Inácio da Costa propose « une méthode de mise enculture des baldios de Trás-os-Montes sans contraindre le peuple », préser-vant la culture en commun. Cette méthode consistait à diviser les commu-naux en trois soles, entourées d’arbres. Une sole serait cultivée et le produitpartagé entre les habitants ou versé dans une caisse commune pour payer les

impôts. Les autres soles resteraient en jachère.« Les deux parties qui restent en repos produiront de très bons prés,car comme la troisième est cultivée tous les trois ans, l’herbe grandira excel-lemment; ce qui donnera aux laboureurs le bonheur de pouvoir élever dubétail 32 ».

En adoptant la culture individuelle ou collective des baldios , ces auteursdéfendaient un partage égalitaire entre toutes les unités familiales. JoséVeríssimo Álvares da Silva proposait un partage plus sélectif, avec la créa-tion de propriétés de taille moyenne, entourées d’arbres et cultivées par des

agriculteurs ayant une formation théorique et pratique 33.Tous les physiocrates se font l’écho des réactions négatives du peupleenvers la suppression des communaux. Ils interprètent cet attachementcomme un indice de l’ignorance et de la rusticité des gens accusés deméconnaître leurs intérêts ainsi que les intérêts généraux de l’agriculture.D’autres invoquent, cependant, des motivations plus réelles de méconten-tement. José Inácio da Costa dénonce des irrégularités dans le partage descommunaux en Trás-os-Montes, ce qui a provoqué la destruction desclôtures et des fruits par ceux « qui en jouissaient en commun de temps

immémorial ». À son tour, António Henriques da Silveira dénonce l’iniquitédans la division des baldios  en Alentejo : « on partage et les meilleurséchoient toujours aux plus riches et les inférieurs aux pauvres 34 ».

Les académiciens ont proposé d’encourager la mise en culture desbaldios et celle de prés artificiels par la concession de privilèges ou l’exemp-tion d’impôts 35.

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29. COUTINHO R., 1993, t. III, p. 198-199.30. Memorias …, 1991, vol. I, p. 66.

31. LOBÃO M., 1855.32. « Memoria agronómica relativa ao concelho de Chaves », Memorias…, 1991, vol. I, p. 261-288.33. « Projecto de uma Companhia para reduzir os baldios a cultura, que tem Portugal [1798] », Memorias 

Economicas Inéditas (1780-1808), 1987, p. 253-269.34. « Racional discurso sobre a agricultura e a população da província de Alentejo », Memorias…, 1991,

vol. I, p. 43-98.35. MOREIRA  G., « O espírito da economia política naturalizado em Portugal e principalmente em

Leiria », Memorias Economicas Inéditas 1780-1808 , p. 337-414.

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L’offensive de l’État 

En syntonie avec les physiocrates, l’État encourage la privatisation desbaldios . En 1801, le roi ordonne aux municipalités de Trás-os-Montes lepartage des communaux et selon le décret de 1804 décide que lorsque la majorité des habitants réclame des baux emphytéotiques de baldios , la répar-tition des terres et les redevances seront établies par des arbitres, des enchèresn’étant pas nécessaires. Le 11 avril 1815 est publié un autre décret dans la même intention. Il exempte d’impôts (dîmes et autres) les baldios défrichés.Ceux qui souhaitaient mettre des terres en culture ont bien accueilli ceslois, mais les seigneurs n’acceptaient pas l’exemption des dîmes et autres

rentes 36. La loi de 1815 a provoqué de nouveau un débat sur le conceptde baldio, et le 16 octobre 1820, il a été décidé que seules les terres quin’avaient pas été mises en culture depuis cent ans relevaient de cette loi.

 À partir de 1820, l’année de la Révolution Libérale, sont réunies lesconditions politiques et idéologiques qui permettent l’affirmation d’uneconception juridique de la propriété absolue et individuelle. « La propriétéest un droit sacré et inviolable; tout Portugais peut disposer à sa volontéde tous ses biens » (art. 6 de la Constitution de 1822). Dans ce contexte,sont promulguées des lois pour la suppression des droits des seigneurs etpour la désamortisation des biens des ordres religieux. En même temps,s’intensifie le mouvement contre les biens et usages communaux. Si les intel-lectuels libéraux veulent leur suppression, les hommes politiques saventcombien cette mesure serait impopula ire. C’est pourquoi ils retardent lesactions législatives pendant quelques décennies. Néanmoins, les conseilsmunicipaux continuent à concéder des baux emphytéotiques de baldios 37.

La réorganisation administrative opérée dans la première moitié du XIX e siècle a supprimé 455 municipalités et créé une autre unité adminis-

trative de base : la junte de paroisse. Dans ce contexte, la loi du 26 juillet1850 met les biens communaux sous la tutelle des municipalités ou desparoisses. Leur définition est identique:

« Les biens communaux des paroisses sont des biens, des pâtures et desfruits de jouissance commune et exclusive des habitants de la paroisse enleur possession depuis trente années ou plus ». « Les biens communaux desmunicipalités sont des biens, des pâtures et des fruits de jouissance com-mune et exclusive des habitants de la municipalité en leur possessiondepuis trente années ou plus ».

En réponse aux dénonciations d’usurpation de baldios , cette loi ordonneaussi le retour à la jouissance commune des biens usurpés.

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36. NETO M., 1997, p. 359-361.37. BRANDÃO F., R OWLAND R., 1980, p. 173-210.

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 À partir de la seconde moitié du XIX e siècle, l’État portugais devient deplus en plus centralisateur et contrôle efficacement le pays. Il conçoit unprogramme de modernisation et de développement économique nommé« Régénération ». Dans ce contexte, s’intensifie le désamortissement desbiens de l’Église et des confréries religieuses, des hôpitaux et des institu-tions d’enseignement, des municipalités et des paroisses. Le code civil de1867 autorise la clôture des champs et décrète l’abolition de la vaine pâture,de la compascuité. Dans ce contexte, le 28 août 1869, est publiée la loi dudésamortissement des biens communaux des paroisses et des municipali-tés, « dont la jouissance commune n’est pas indispensable ». La loi prévoit

comme modalités de désamortissement la vente ou emphytéose aux enchères et le partage entre les habitants, sans enchères.La loi de 1869 n’a pas conduit au désamortissement désiré par le pouvoir

central qui voyait dans l’aliénation de communaux la solution pour accroîtrela production des céréales et résoudre les difficultés financières des munici-palités. Dans ce contexte, Oliveira Martins présente en 1887 un Projet de Loi de Développement Rural . Cet intellectuel et homme politique propose lepartage et la colonisation des baldios . À la suite de ce projet, le décret du20 décembre 1893 ordonne la réalisation du cadastre des baldios et leur alié-

nation afin d’installer des colonies agricoles de 2 à 4 hectares. Les modalitésd’aliénation permises sont la vente, l’emphytéose et la location d’une duréesupérieure à 20 années. Mais, une fois de plus, la législation n’a pas été efficace.

Dans le cadre de la crise des années 1920-1935, les communaux sontvus comme une solution aux problèmes économiques et sociaux. Les décretssuccessifs (1918, 1920, 1921, 1924, 1925, 1932) demandent le partage etla mise en culture des baldios . En même temps, ils ordonnent la réalisationdu cadastre des biens communaux.

 Achevant le processus de centralisation déjà entamé, le gouvernement

autoritaire de Salazar prend en main la suppression des baldios . Devantl’incapacité des administrations locales, le décret nº 27.207 du 16 novembre1936 crée un organisme destiné à la réalisation du cadastre et à l’étude despotentialités agricoles ou forestières des biens communaux, la Junte deColonisation Interne. Finalement, le cadastre est réalisé 38.

En 1938, les baldios occupaient 407543 hectares, soit 4,6 % de la surface du territoire portugais: 332369 hectares ont été convertis en forêtet 74534 hectares mis en culture. Les communautés se sont opposées auboisement, mais l’État autoritaire a réussi. La perte de ces supports de l’agri-culture et de l’élevage de subsistance a conduit au départ de beaucoup defamilles vers les villes ou l’étranger, et finalement à la désertification dequelques communautés de montagne. L’écrivain Aquilino Ribeiro a immor-

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38. Reconhecimento dos baldios do continente , 1939, 3 vols.

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talisé cette opposition du peuple dans le roman « Quando os lobos uivam »(Quand les loups hurlent).

Quelques communautés ont réussi à préserver les terres et les espacesde jouissance commune 39. Après le 25 avril 1974, a surgi un mouvementqui a lutté contre l’administration des communaux par les conseils muni-cipaux et juntes de paroisses. Dans ce contexte a été publié en 1976 undécret qui reconnaît la gestion des baldios aux communautés rurales, et ontété créés 600 Conseils Directifs de Baldios constitués par les représentantsdes ayants droit aux communaux.

Efficacité de la législationNous n’avons pas d’études pour tout le pays qui permettent de mesureravec précision l’efficacité de la législation sur les biens communaux. La bibliographie existante donne à penser que l’intervention royale pour la suppression des biens communaux n’a pas été, en général, bien acceptée.Un premier indicateur de l’inefficacité est l’impossibilité de réaliser uncadastre, puisque le premier n’est exécuté qu’en 1938 par un organisme del’État autoritaire.

Les municipalités ont toujours défendu leur autonomie et leur compé-

tence exclusive en matière d’administration de biens communaux, se proté-geant contre ce que l’on considérait comme une intervention gênante dupouvoir central. Malgré la loi de 1766, quelques municipalités ont main-tenu leur autonomie en matière d’aliénation de biens communaux, en réali-sant des baux emphytéotiques en dehors de la surveillance du pouvoircentral. L’application de la législation sur le désamortissement s’est heur-tée aux résistances du pouvoir local, municipalités et paroisses, aussi bienqu’à celle des populations 40. Cette résistance trouve sa source dans desmotivations de nature politique ainsi que de nature économique et sociale.

 Au Portugal, la fonction traditionnelle des biens et usages communaux s’estmaintenue dans quelques régions jusqu’au XX e siècle.

L’application de la législation a été conditionnée aussi par des problèmesde nature juridique. La loi de 1766, qui avait comme objectif d’empêcherdes abus de gestion pratiqués par les municipalités, a été utilisée dans la région de Coimbra comme instrument contre l’appropriation abusive descommunaux par les seigneurs. Puis la loi de 1815 s’est heurtée à l’oppositiondes seigneurs qui n’ont pas accepté l’exemption de droits. La législation surles baldios , publiée après la réorganisation administrative du pays (1836), a aussi soulevé des questions de propriété entre les paroisses et des communesvoisines 41.

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39. M ARTINS L., 1995, vol. II, p. 444-458.40. NETO M., 1981; C AVACO C., 1999.41. FEIJÓ R., 1992, p. 118-133; PEREIRA M., 1971, p. 67.

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Le grand effort législatif pour mettre en culture les communaux incultesse développe entre 1870 et 1940, période durant laquelle la population a doublé (de 3830 000 habitants en 1864, à 7185 000 en 1940). La publi-cation des lois coïncide aussi avec les périodes de grandes difficultés finan-cières de l’État et des municipalités. À la longue, l’effort a été efficace. Eneffet, de 1875 à 1951-1956, plus de 60 % de terres incultes ont été trans-formées en forêt ou en terres cultivées. Maintes communautés ont décidé deprivatiser les communaux pour empêcher l’intervention de l’État.

Il faut remarquer que toute la législation sur les biens communaux mani-festait la volonté de sauvegarder les terres nécessaires à la jouissance des

communautés.

Conclusion

Bénéficiaires des biens et usages communautaires

Les bénéficiaires des biens et usages communautaires ont été les commu-nautés rurales, surtout les communautés de montagne, pour qui la propriétécollective et la gestion communautaire des ressources a été une condition desurvie économique et de cohésion sociale.

Les habitants d’une communauté ne jouissaient pas d’un égal accès aux ressources des communaux. Nous n’avons pas noté l’exclusion des pauvres.Leurs besoins étaient limités, en comparaison de ceux des paysans aisés,riches laboureurs et éleveurs. Les règlements de l’utilisation pouvaient aussiles écarter, comme ceux qui interdisaient l’accès des pâturages aux caprins ouceux qui réservaient les prairies humides aux bovins des laboureurs ou ceux qui divisaient les bois selon les nécessités d’engrais des exploitations agri-coles. Les pauvres jouissaient surtout des usages communautaires commele droit de glanage et grappillage.

On doit relever que, dans les régions de Beira Baixa et Alentejo, la vainepâture et les communaux ont permis la constitution d’une classe de paysanssans terre, mais possédant une charrue et une paire de bœufs.

La gestion des communaux était faite par les propriétaires, qui siégeaientdans les conseils municipaux ou les conseils des communautés. Ils ont distri-bué les ressources, proportionnellement à la dimension des exploitationsagricoles et au nombre de bêtes. Cette gestion n’a pas toujours été régu-lière. Les textes législatifs, les intellectuels et le peuple ont dénoncé l’inéga-

lité des répartitions de terres, les concessions abusives aux riches ou les usur-pations des baldios . Les conseillers étaient complices étant donné que cesbiens étaient une source de revenus pour le budget municipal et, parfois,pour eux-mêmes et leur clientèle. La multiplicité d’intérêts liés aux usagescommunaux, surtout en Alentejo et Beira Baixa, a provoqué beaucoup deconflits entre propriétaires de terres et gros éleveurs sans terre.

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Partout dans le pays, et en particulier dans les plaines céréalières du Sud(Beira Baixa et Alentejo), l’intérêt de gros éleveurs de brebis et de grandscultivateurs se superposait à celui des petits. La vente des herbages aux enchères favorisait les gros éleveurs locaux ou transhumants. À propos deces usages communautaires, Albert Silbert écrit : « inutile d’insister à nouveausur l’ambiguïté sociale de l’openfield, expression tantôt d’une communautépaysanne véritable, tantôt d’une aristocratie de riches éleveurs ». Les béné-ficiaires des biens et usages communautaires ont été partout les petitspaysans, les paysans aisés mais aussi les gros propriétaires et éleveurs. La privatisation des communaux a favorisé de façon différente les divers groupes

sociaux. Parfois, le partage a transformé les utilisateurs les plus pauvres en depetits propriétaires, mais beaucoup d’entre eux, endettés, n’ont conservéleur petit lopin que peu de temps. La privatisation a surtout profité aux élites des municipalités, en particulier lors des ventes ou emphytéoses aux enchères. À cause de la multiplicité des intérêts en jeu, elle a engendré unesituation conflictuelle dans les campagnes et devant les tribunaux.

L’Histoire des « baldios » :une histoire de solidarités et de conflits

Nous pouvons dire que l’histoire des biens communaux au Portugal estparfois une histoire de solidarités entre les différents groupes sociaux, maisaussi, une histoire de résistances, de tensions sociales et de luttes.

Des tensions et des luttes au sein des communautés: luttes entre riches etpauvres, entre petits et gros éleveurs, luttes contre les accapareurs de commu-naux; luttes aussi entre les municipalités et les seigneurs. L’utilisation descommunaux a aussi provoqué des tensions entre les communautés voisines.Ces luttes relevaient souvent d’une volonté de défense de leur territoire, car

elles provenaient de controverses dans la délimitation des finages. Elles furenttrès fréquentes après la réorganisation administrative du pay s en 1836. Jusqu’à la fin du  XX e siècle, les communautés des régions de montagne

et des régions sableuses du littoral se sont efforcées avec succès de préserverles terres et les usages communautaires. Les premières ont défendu surtoutle pâturage des troupeaux; les secondes ont recherché le fumier pourengraisser les terres sableuses. La défense des biens communaux a renforcéla cohésion sociale et l’identité communautaire. À Rio de Onor (Trás-os-Montes), la communauté a réussi au  XX e siècle à soustraire l’administration

des communaux aux juntes de paroisse, utilisant plusieurs stratégies, commele registre individuel des terres restées en jouissance commune, administrépar le conseil des habitants ou encore une donation des communaux faitepar la junte de paroisse à la communauté 42. En revanche, la disparition

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42. BRITO J., 1995.

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des communaux en Alentejo au  XIX e siècle est favorisée par « l’absence decommunautés paysannes suffisamment nombreuses et homogènes pours’imposer ou se défendre avec succès » (Albert Silbert).

La résistance à la privatisation des communaux s’explique par desfacteurs de nature économique et sociale, mais aussi politique. On peutconclure relativement au Portugal ce que Nadine Vivier a affirmé au sujetde la France.

« La question des communaux dépasse très largement les aspects éco-nomiques et sociaux. Elle est aussi une question d’équilibre des pouvoirsentre l’État et les municipalités, et une question d’identité de la commu-nauté rurale 43 ».

En effet, au Portugal, pendant l’Ancien Régime, les communautés ontdéfendu les communaux, surtout contre les seigneurs qui voulaient lesspolier. En revanche, aux XIX e et XX e siècles, la défense des communaux estun aspect de l’enjeu de l’affirmation du pouvoir municipal et de l’identitédes communautés face au pouvoir central.

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Carte  de localisation

1. Asturias

2.  Cantabria

3. País Vasco

4.  Navarra

5. La  Rioja

6.  Murcia

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Propriété collective et « désamortissement »en Espagne (1750-1900)

María Teresa PÉREZ PICAZO

Traiter de propriété collective en ce qui concerne l’Espagne moderne etcontemporaine exige un travail initial de clarification conceptuelle. L’expres-sion s’applique en effet à un ensemble de biens de statuts divers dont la définition et l’importance relative varient énormément d’une région à l’autreet l’on risque en l’utilisant d’évoquer des réalités de nature différente sinonopposée. L’apparente clarté des textes juridiques ne résiste guère à l’épreuvede la documentation rédigée à l’époque.

Deux phénomènes expliquent ce fait. Tout d’abord la constitution dupatrimoine collectif comme résultat d’un long processus historique. Puis lesefforts du mouvement des Lumières au  XVIIIe siècle et des libéraux au  XIX e

pour en systématiser et en simplifier les différentes modalités en vued’atteindre un objectif concret: le triomphe de la propriété privée en tantque forme suprême de propriété agraire. Par la suite le thème a été l’enjeu dedébats à la fois sur le plan politique, en fonction des options idéologiques etdes intérêts socio-économiques, et dans le monde scientifique, entre juristes,historiens, économistes, anthropologues et, pour finir, écologistes.

Les terres d’appropriation collective : des statuts diversRappelons d’entrée de jeu, les conditions particulières créées dans la 

Péninsule ibérique par l’invasion islamique du VIIIe siècle et par le mouve-ment de reconquête et de repeuplement du territoire, de direction nord-sud, qui ne s’achève qu’au  XV e siècle. En raison de son rôle essentiel dans

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l’effort de guerre, la Couronne s’est vue reconnaître le domaine éminentdes terres « libérées », pour la plupart abandonnées par leurs anciens posses-seurs. Seule l’extrémité septentrionale du territoire, qui n’a pas subi l’occu-pation musulmane, ou s’en est rapidement affranchie, échappe au schéma d’ensemble: le point de départ de l’occupation du sol et de la définition dustatut des terres y est donc très différent.

En fonction des progrès de la reconquête, la Couronne attribue desterres à des colons qui fondent de nouvelles agglomérations dans les terri-toires récupérés. Parmi ces concessions, effectuées dans le cadre juridiquedes chartes de peuplement et des fueros (codes municipaux), figuraient égale-

ment des terres d’usage collectif, principalement destinées au pâturage, surlesquelles ne s’exerçait pas un droit de propriété, mais seulement de jouis-sance. Plutôt qu’au municipe en tant qu’entité juridique, leur attributioncorrespondait à l’ensemble des habitants de la circonscription, c’est-à-dire au« commun » (común de vecinos ), d’où la désignation de communs oucommunaux (comunes o comunales ). Et l’accès y était gratuit quoique nonégalitaire. Dans d’autres cas, mais à une époque ultérieure, les communaux trouvent leur origine dans une cession royale, à des seigneurs et à des insti-tutions ecclésiastiques, de terres que leurs bénéficiaires transférèrent, à leur

tour, aux paysans contre un cens récognitif (rentes constituées).Bien évidemment toutes les terres ne firent pas l’objet de répartitions:celles qui restèrent provisoirement vacantes reçurent le nom de realengos (terres royales) et/ou de baldíos , c’est-à-dire incultes, et constituèrent prin-cipalement des pâturages dont le bénéficiaire le plus important fut la Mesta,l’association d’éleveurs de moutons transhumants. Le qualificatif de realen-

 gas reparaît chaque fois que le monarque entend réaffirmer ses droits surune portion du sol relevant du Patrimoine royal mais dont la titularité tendà s’effacer. Les problèmes devaient surgir plus tard, lorsqu’en certaines

régions l’on vint à désigner comme baldíos des espaces d’exploitation collec-tive convertis en pâturages et/ou non défrichés. Avec le temps, et à mesureque croissait la population, se développe un processus d’appropriationprogressive des baldíos aussi bien par les habitants, à titre individuel, quepar les concejos (instances municipales), mais sans autre justification que la nécessité. De fait, au cours des  XVIe et XVIIe siècles, l’extension de la surfacecultivée et/ou des pâturages se réalisa aux dépens du patrimoine public,parfois sous la forme d’occupations illégales, comme on l’a indiqué, maisaussi à la suite de ventes aux municipes par la Couronne désireuse derésoudre ses problèmes financiers 1. Inutile de préciser que la disponibilitéde ces biens était supérieure dans les territoires reconquis tardivement, c’est-à-dire dans les régions méridionales.

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1. V  ASSBERG D. E., 1991.

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Il reste à mentionner une dernière catégorie de terres : les propios (bienspatrimoniaux). Il s’agit de terres initialement incluses parmi les commu-naux et dont le produit servait à couvrir les dépenses des municipalités. À la différence des communaux proprement dits, leur usage était onéreux etfaisait l’objet d’affermage en faveur d’un ou plusieurs habitants. Mais la distinction entre les deux catégories n’était pas claire et leurs limitespouvaient varier. Des terres traditionnellement utilisées par la collectivitéétaient annexées aux  propios et le passage d’un régime d’exploitation à l’autre pouvait être temporaire. En outre, selon les types d’usage il n’étaitpas rare que différentes modalités coexistent sur un même espace, ainsi la 

dépaissance gratuite pour le bétail des habitants et la vente ou l’affermageau profit de la municipalité du bois d’œuvre, du bois de chauffage ou desfruits sylvestres.

L’évolution historique tendit à réduire les usages collectifs à la suite de la conversion des comunes en propios . Chaque fois qu’elles le jugeaient néces-saire, les municipalités eurent recours à l’affermage, à la vente ou à l’hypo-thèque des biens communaux en invoquant une situation d’urgence. L’usur-pation n’apparaissait qu’a posteriori . D’après le Diccionario de Hacienda (Dictionnaire des Finances Publiques) de Canga Argüelles en 1792, le capi-

tal des rentes constituées qui pesaient sur les 12526 localités disposant debiens propres atteignait 264 millions de réaux, ce qui représentait unecharge de 5200 000 réaux d’intérêts annuels 2. Du  XVIe au  XVIIIe siècle les propios empiétèrent progressivement sur les comunes , avec l’aval des oligar-chies de propriétaires et de grands éleveurs, bien représentés dans lesinstances municipales.

Quant aux caractères physiques des trois types de biens décrits, préci-sons que le monte (formations arborées ou arbustives) en constituait, avec lesaires de pâturages, la partie la plus importante. Les chiffres donnés par la 

Clasificación General de los Montes P úblicos (publiée en 1859) ne permet pasde doute à cet égard: en 1850, à la veille du désamortissement civil, les Montes Públicos (une expression forgée par les libéraux et qui manque d’exac-titude) s’étendaient sur 114670 km2, soit 23 % du territoire national.Rappelons qu’en Espagne tout relief occupé par une végétation spontanéeplus ou moins développée est considéré comme monte , un concept qui necoïncide pas intégralement avec celui de saltus (pâturage boisé) : d’où la divi-sion classique entre monte alto et monte bajo. Il s’agit d’espaces naturels qui jouaient un rôle essentiel dans la reproduction des économies ruralespuisqu’elles les pourvoyaient en pâturages, bois d’œuvre et de chauffageainsi qu’en réserve de terres cultivables. En plaine, le monte permettait unecomplémentarité de l’élevage et de l’agriculture et constituait de la sorte une

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2. Terme Propios y Arbitrios , p. 397.

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pièce fondamentale du système aujourd’hui dénommé agro-sylvo-pastoral,caractérisé par un usage rotatif du sol, des champs ouverts et une autosuf-fisance paysanne en certains types de produits: d’où la remarquable capacitéd’adaptation du système. Il convient toutefois de tenir compte du fait que,pour des raisons à la fois morphologiques et climatiques, l’extension etl’importance du monte dans l’économie paysanne tendaient à décroître dunord au sud.

L’extension de la propriété collective à la fin de l’Ancien RégimeDes différences régionales

Comme nous l’avons signalé en introduction, il est impossible de four-nir des chiffres à l’échelle nationale: nous additionnerions des éléments hété-rogènes. Aussi dans les pages qui suivent allons-nous tenter de distinguerdes ensembles supra-régionaux présentant une importance sensiblementéquivalente du patrimoine collectif et les proportions similaires entre lestrois types de biens qui ont été définis. Du nord au sud ce sont la géographieet le déroulement du processus de reconquête qui constituent les facteursdécisifs de différenciation tandis que de l’est à l’ouest, ce sont les particula-

rités institutionnelles des deux royaumes d’Aragon et de Castille qui achè-vent de se consolider au bas Moyen Âge.

Les grands ensembles territoriaux: une vision méridienne

Les territoires septentrionaux (chaînes pyrénéenne et cantabrique, Galice,ainsi que les secteurs adjacents de Vieille-Castille et du Léon) forment unensemble caractérisé dans le cadre national par une proportion supérieure debiens communaux et inférieure de propios . Les premiers concernaient enmoyenne 75 % de l’espace à la fin de l’Ancien Régime, tandis que les terresd’appropriation privée, consistant généralement en petites parcelles, restaienttrès minoritaires. Quant aux propios , ils ne comptaient qu’une assise foncièreréduite: les municipalités pourvoyaient à leurs besoins par la perception detaxes en espèces qui grevaient habituellement l’usage des ressources muni-cipales par les « étrangers » : droits de pâturage ou de passage, taxes sur lestransactions ou exploitation de certains engins ou établissements (moulins,pressoirs à huile, auberges, tavernes). Une particularité à relever: l’absence derealengo et/ou de baldíos au XVIIIe siècle, comme il était à prévoir s’agissant

d’un territoire densément peuplé et à peine touché par le phénomène de la reconquête.L’énorme extension du monte constitue un second caractère distinctif 

de cette zone qui correspond à l’Espagne humide: les formations boiséesoccupent la totalité des communaux et se situent à la base de l’économiepaysanne. Dans l’immense majorité des cas leur propriété et leur gestion

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relèvent collectivement des habitants des différents villages et hameaux sansl’intervention des instances municipales, sauf dans le cas des noyaux depeuplement d’une certaine importance. En Galice, une province qui peutservir d’exemple, on trouvait à la fois des montes concejiles (municipaux) quicorrespondent à notre description et des montes de vara (vara : gaule)d’appropriation individuelle mais où le droit de dépaissance restait indivisentre les habitants. Ces formes de gestion ainsi que les proportions respec-tives des trois types de biens s’expliquent de même par un mode d’habitatdispersé et par le peu d’importance des municipes dont les paroisses assu-ment ici le rôle de structure élémentaire.

Si nous poursuivons en direction du sud, l’ensemble régional suivantest celui que forment le Léon, la Vieille-Castille et la Navarre où les prin-cipales caractéristiques énumérées dans le cas précédent s’effacent peu à peu, sauf dans les massifs montagneux: les communaux y conservent leurimportance et, dans leur composition, le monte . Mais cette zone doit sonoriginalité à l’existence de très nombreux petits municipes dont dépendaittraditionnellement l’organisation des communautés paysannes. L’exercicede leurs multiples attributions s’appuyait sur la base solide que constituaientles  propios et les comunes et sur le rôle de ceux-ci dans le processus de

production et reproduction. À noter qu’à la fin de l’Ancien Régime, lesdeux catégories tendent à se confondre sous la dénomination de bienes de los  pueblos  (biens des villages) ou concejiles  et qu’apparaît très étendue la pratique de diviser l’espace qui leur correspond en lots (suertes ) répartiset/ou mis aux enchères entre les habitants. Selon le Cadastre de la Ensenada (1755), la surface que les lots occupaient, oscillait entre 25 et 35 % desterritoires municipaux. Certains noyaux urbains se situent en dessous deces chiffres, tel Valladolid (15 %), et quelque secteurs au-dessus comme la Tierra de Campos (40 %). Le recours aux taxes en espèces pour compléter

les ressources municipales représentait une pratique assez répandue, ce quiconfère à ces régions un caractère de transition en ce qui concerne la compo-sition des propios . Il reste à signaler l’importance réduite des baldíos , difficileà apprécier cependant en raison des fréquents partages de lots de terre.

Entre le Tage et le Guadiana s’étend un troisième ensemble constituépar les régions actuelles d’Estrémadure et Nouvelle-Castille-Manche. Entenant compte des différences entre plaines et massifs, comme dans les casprécédents (dans la Sierra de Gata par exemple les terres communales attei-gnent 80 % du territoire), les principaux caractères des biens fonds d’appro-priation collective se présentent de la façon suivante:

– Croissance relative du patrimoine collectif à mesure que l’on progressevers le sud. Dans l’ancienne province de Tolède, il ne concernait encoreque 23,6 % de la surface totale, une proportion qui rappelle la situationdes municipes de la Vieille-Castille, alors qu’en Extrémadure celle-ci pouvait

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atteindre 50 %. Dans la composition des biens, le monte perd peu à peude son importance au profit de la dehesa (défens), un terme d’origine médié-vale qui désigne la prohibition d’introduire du bétail dans un espace déli-mité dont l’exploitation est exclusivement réservée à un individu, à unecollectivité ou à une institution déterminée. Au  XVIIIe siècle la dehesa seprésente sous deux formes: ou bien une aire parfaitement définie, monta-gneuse ou non (cas de l’Estrémadure ou du Campo de Montiel), déclarée de pasto puro (uniquement de dépaissance) ou de  pasto y labor  (pâture etlabour), ou bien la partie d’un territoire municipal consacrée à la culturede céréales dont les chaumes et les friches sont ouverts au bétail dans le

cadre d’un système de vaine pâture (cas d’Albacète et de nombreux autresmunicipes de la Manche).– Augmentation de la part des propios . Ce fait est à mettre en rapport

avec un certain effacement de la communauté paysanne et avec le rôlefondamental que jouent dans l’économie agraire des municipes beaucoupplus importants que dans la région voisine, tant par l’étendue des circons-criptions que par le poids démographique de leurs chefs-lieux. Une tellesituation confère un pouvoir exorbitant aux membres des instances muni-cipales, grands propriétaires et/ou éleveurs dans la plupart des cas, et

explique la formation d’oligarchies locales et l’usurpation, sous leur égide,des terres communes ou de realengo. En raison d’une prédominance desdehesas de monte dans le patrimoine des municipes, les ressources de ceux-ci dépendaient en grande partie de leur affermage à la Mesta ou à deséleveurs autochtones disposés à payer, au  XVIIIe siècle, des sommes trèsélevées pour la disposition de pâturages.

– Maintien d’un volant considérable de terres dans la catégorie desbaldíos -realengos . D’où des luttes d’intensité croissante pour s’assurer leurpossession à mesure qu’augmentait la densité du peuplement. Et en certains

cas, ces conflits durent jusqu’aux premières décennies du  XX e siècle.

Reste l’Andalousie dont le secteur occidental, la vallée du Guadalquivir,offre une version extrême des caractères qui viennent d’être décrits.L’Andalousie a été jusqu’au  XIX e siècle une zone de repeuplement en raisond’une disproportion permanente entre son niveau démographique et l’éten-due des terres disponibles. Dans un contexte caractérisé au point de vuesocio-économique par la prépondérance écrasante de la grande propriéténoble (les

latifundios ) et au point de vue institutionnel par l’hégémonie des

agrovilles et les grandes municipes, le processus de transformation descomunes en propios au cours des  XVIe et XVIIe siècles s’explique aisément. Lesusurpations des puissants, soit sous la forme d’initiatives individuelles, soitpar décision des municipalités, constituent le principal facteur de déclen-chement du phénomène et l’une des origines des latifundios andalous.

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chements réalisés au Pays valencien, de même que dans la Couronne deCastille, sont soumis à une autorisation du Patrimoine royal en tant quetitulaire du domaine éminent. Et le contrôle du processus de mise enculture, accélérée dans la seconde moitié du  XVIIIe siècle, s’exerce à travers la concession d’establecimientos (emphytéoses), ce qui donne lieu à une forteconflictualité.

Le processus de liquidation du patrimoine collectif :les principales étapes

1750-1850 – Régression à la fin de l’Ancien Régimeet au début de la Révolution libérale

La recherche a bien mis en évidence un processus d’aliénation desbaldíos , propios et comunes , antérieur à la période libérale. Dans la secondemoitié du  XVIIIe siècle, le phénomène a été favorisé par l’hostilité déclarée del’idéologie des Lumières aux usages collectifs et à la propriété communale,tous deux considérés comme des obstacles à la croissance économique. La mauvaise gestion des biens de propios attribuée aux oligarchies municipaleset les conséquences néfastes des servitudes qui limitaient le droit depropriété constituaient des lieux communs que le libéralisme émergent, en1808, allait faire siens et inclure dans la formulation de sa doctrine.

Dans une perspective séculaire, le recul de la propriété collective s’effec-tue en trois étapes nettement différenciées:

– La seconde moitié du  XVIIIe siècle, pendant laquelle l’intervention dela Monarchie éclairée contribua à la liquidation de la propriété collectivede façon à la fois directe et indirecte. Directement au moyen de partagessuccessifs de baldíos entre les paysans (1767, 1768, 1770, 1790 et 1793), des

opérations de caractère à la fois social (pourvoir de terres ceux qui enmanquaient) et économique (mettre en valeur des terres incultes pouraugmenter la production 4). Et indirectement, par une augmentation de la pression fiscale sur les finances municipales, c’est-à-dire sur les revenus des

 propios . La charge que ceux-ci devaient supporter passe ainsi de 2 % aumilieu du XVIIIe siècle à 10 % en 1793 et à 20 % en 1818. En outre l’impli-cation périodique dans des entreprises militaires et les besoins de liquidi-tés qu’elle engendre placèrent les Finances royales au bord de la faillite(comme dans les autres Monarchies européennes) et les poussèrent à exiger

des municipalités, à plusieurs reprises, des contributions extraordinaires(1780-1783, 1792-1793, 1800, 1813). La croissance du prélèvement fiscal,dans une conjoncture adverse, obligea les institutions locales à vendre unepartie plus ou moins substantielle de leurs patrimoines respectifs. Les répar-

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4. S ÁNCHEZ S ALAZAR F., 1988.

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titions de baldíos affectèrent surtout les municipes situés dans la moitié suddu pays où ils s’étaient mieux conservés, mais les vicissitudes politiques lesaffectèrent tous et portèrent un coup fatal à la propriété collective.

– La guerre d’Indépendance qui oblige les municipalités à contribueraux dépenses militaires, en argent et en nature, entre 1808 et 1814. Cesexactions, inégalement réparties sur le territoire en fonction du déroule-ment des opérations, eurent d’importantes répercussions sur les financeslocales et le patrimoine communal en raison des aliénations de biensauxquelles les municipes durent souvent procéder pour faire face à desexigences presque toujours excessives 5. Selon un bilan récent du désamor-

tissement en Espagne6

, les partages des gouvernements éclairés et les ventesréalisées par les municipalités entre 1780 et 1814 livrèrent 5,3 millionsd’hectares à 800000 bénéficiaires.

– La première moitié du  XIX e siècle ou plus exactement la périodecomprise entre les Cortès de Cadix (1812) et le décret de désamortissementde 1855. La poursuite des aliénations au cours de cette période a conduit à désigner cette phase comme celle du « désamortissement oublié 7 » oumême du « désamortissement avant le désamortissement 8 ». À partir desCortès de Cadix, en effet, les libéraux mirent à l’ordre du jour la nécessité

de liquider la propriété « imparfaite » : le décret du 4 janvier 1813 autorisa la vente de « toutes les terres de baldíos ou de realengo, de propios y arbi-trios , plantés ou non, aussi bien dans la péninsule et les îles adjacentes quedans les provinces d’outremer ». Bien que cette disposition n’ait pu êtreappliquée en raison du retour à l’absolutisme, elle possède un caractèresymbolique en ce sens qu’elle ouvre un nouveau cycle législatif au coursduquel allaient être promulguées pas moins de 38 dispositions, souventcontradictoires, par le soin des gouvernements successifs, libéraux ou abso-lutistes 9. Ces contradictions ne font que manifester la multiplicité des inté-

rêts socio-économiques qui s’opposent sur la question. Il n’empêche qu’à partir de 1808 et surtout de 1834, l’aliénation du patrimoine collectif quelles qu’en soient les modalités (ventes ou partages), contribue de façondécisive à transformer la terre en marchandise, tandis que par l’établisse-ment de nouveaux impôts et d’ultimes ventes de baldíos destinés à comblerl’endettement chronique de ses finances, la Monarchie favorisait le proces-sus. Conséquence: entre 1828 et 1855 les revenus globaux des municipa-lités disposant de propios chutèrent de 41064 100 réaux à 36267099 10.

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5. S ÁNCHEZ S ALAZAR F., 1990, TORRE J. de la, 1991, C ABRAL CHAMORRO A., 1995.6. R UEDA G., 1997.7. JIMÉNEZ BLANCO J. I., 1996.8. TORRE J. de la et L ANA BERASAIN M., 2001.9. 1818, 1819, 1820, 1822 (deux), 1823, 1824, 1829, 1834, 1835 (deux), 1836, 1837, 1840, 1841,

1842, 1843, 1844 (deux), 1845 (trois), 1847 (deux), 1849, 1851 (trois) et 1852 (trois).10. Anuario Estadístico de España , 1859.

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Dans quelle mesure cette évolution affecta-elle l’exploitation forestière?La Monarchie bourbonienne était déjà intervenue dans la gestion du

monte au milieu du  XVIIIe siècle (lois du 31 janvier et du 7 décembre 1748) dansle but de protéger et d’étendre la couverture arborée et de préserver ainsil’offre d’un matériau stratégique, le bois destiné à la construction navale.De fait, certains secteurs de montagne furent placés sous la direction desDépartements Maritimes en dépit de l’opposition des habitants que lesadministrateurs éclairés accusaient d’une gestion négligente qui autorisait la surexploitation et la destruction des ressources forestières. Remarquons à cette occasion que dès cette époque, les paysans commencent à être consi-

dérés comme un danger pour la conservation des bois, et l’intervention del’État comme une nécessité.Plus tard, au  XIX e, les gouvernements successifs lancèrent diverses

actions visant d’abord à affaiblir puis à éliminer la prédominance munici-pale et collective dans la gestion du saltus . Une mesure décisive fut prise à ce sujet en 1833 avec la promulgation des Ordenanzas Generales de Montes (réglementation forestière) et la création d’un nouvel organisme, la Dirección General de Montes , qui se voyait théoriquement confier la tutelledes espaces boisés « dépourvus de propriétaire connu », mais qui, dans la 

pratique, s’attacha à rogner les attributions des municipalités. Une décen-nie plus tard, en 1845, le pouvoir d’administrer les montes nationaux et desuperviser la gestion des municipes fut transféré aux gouverneurs civils(équivalents des préfets). Il restait un problème d’importance: le manquede moyens économiques de l’État, qui opposa un sérieux obstacle à l’appli-cation de ces dispositions. Ainsi les Comisarios de Montes , là où il en exis-tait, durent se limiter au contrôle des espaces susceptibles d’exploitationforestière.

1855-1900 – Le désamortissement et les conséquencesde la législation abolitionniste

Le 1er mai 1855 fut promulguée, à l’initiative du ministre PascualMadoz, la loi qui constitue la pièce maîtresse de la réforme agraire libérale.L’article 1º déclare aliénables « les propios et comunes des municipes » etl’article 2 spécifie que seuls sont exclus de cette disposition « les montes et lesbois dont le gouvernement ne juge pas la vente opportune » et « les terresactuellement d’usage collectif », quoique dans ce dernier cas, la charge de la preuve revienne aux municipalités et aux Diputaciones provinciales quidoivent démontrer que telles terres réunissent bien les caractéristiquesrequises. Un long processus historique de réduction de la propriété collec-tive s’achevait ainsi comme il avait commencé, c’est-à-dire sous l’impulsionde l’État.

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de grandeur approximatif. En outre, on doit tenir compte de l’impact diffé-rentiel du processus. À ce sujet deux modèles se dégagent: celui del’Espagne septentrionale – qu’illustre le cas de la Galice – et celui du midi.Dans le nord, à l’exception du bassin de l’Èbre et des provinces deValladolid, d’Avila et de Madrid, les privatisations furent limitées ; au sud,sauf dans l’Andalousie orientale, à Albacète et à Valence, tout autre fut la portée du processus.

En ce qui concerne la gestion et l’usage du monte , l’évolution ultérieurereflète le rapport de forces entre l’État et la paysannerie. Les gouvernementspromulguent des lois successives qui se caractérisent par leur diversité, voire

leurs contradictions, et par leur caractère peu réaliste: abondance demesures, pauvreté des résultats. La plus importante fut la loi dite Ley de  Montes (1867) avec laquelle l’État s’assure la tutelle des montes municipaux,de loin les plus étendus, et le contrôle sur le mode de gestion de l’ensemble.La mission de tutelle fut confiée à un Servicio Forestal (Service de Forêts),dépendant du ministère du Développement chargé d’élaborer des plansvisant à définir ce que devaient produire les montes publics, et qui pouvaitdiriger leur exploitation. Le premier objectif était laissé à la discrétion desingénieurs et chefs de districts et le second dépendait de l’issue des enchères.

L’un et l’autre supposaient une meilleure protection du patrimoine fores-tier. D’où une nouvelle législation pénale que la Garde Civile fut chargée defaire respecter à partir du 1876. S’il fallait caractériser la politique forestièrede cette période, on pourrait dire qu’elle visa à redéfinir les droits depropriété en privatisant une partie considérable de la surface boisée et à constituer un système d’administration de plus en plus centralisé, qui géraità la fois le monte privé et le public.

Les responsables de l’application de ces directives furent les Ingenieros civiles de Montes (ingénieurs civils des forêts), un corps créé par le décret

royal du 30 avril 1836, mais qui ne commença à fonctionner réellementqu’en 1846. L’activité de ces nouveaux fonctionnaires a été l’objet de polé-miques et l’est encore: alors que, pour les uns, les ingénieurs des forêts nefurent rien moins que les précurseurs du mouvement écologiste actuel, pourd’autres il s’agit d’un groupe doté d’une bonne formation scientifique, maisfortement élitiste et davantage préoccupé par les arbres que par les paysans.La réalité se situe sans doute à mi-chemin. Au crédit du corps, il faut indé-niablement inscrire les progrès effectués dans la connaissance scientifiquedes forêts, basés sur le développement de la dasonomie (science des forêts),le travail de divulgation réalisé par nombre de ses membres et la défensedes positions conservatrices face au désamortissement sauvage que récla-mait le ministère de Finances, en opposition sur ce point avec le ministèredu Développement. À son débit, une absence quasiment complète de soucissociaux et le mépris des usages collectifs, dénoncés dès le départ comme

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une plaie pour le monte , et un ensemble de pratiques qui perpétuent lesprivilèges des riches et entretiennent en même temps l’apathie des humbles.

 Ainsi les communautés se retrouvèrent-elles seules dans la bataille pour la conservation de leur patrimoine.

L’attitude des ingénieurs ne pouvait qu’accentuer la réaction face aux lois de privatisation du second acteur social concerné, la paysannerie. À court terme, la perte des opportunités qu’offrait la propriété et les usagescommunautaires, causa à la population rurale plus de problèmes qu’ellen’en résolut. La « lutte contre l’arbre » qui se déchaîna en maints secteurs dela péninsule fut la réponse de cette population aux innovations libérales.

L’État avait d’abord ordonné aux paysans de vendre les terres communes; illes privait ensuite du contrôle sur ce qui avait pu échapper à la vente. Dansces conditions, on ne sera pas surpris de constater des manifestationsd’opposition jusque bien avant dans le  XX e siècle sous diverses formes:protestations, incendies, augmentation des délits forestiers (vol de bois oud’alfa), résistance passive au paiement des impôts. Conformément à ce quia été précisé, cette conflictualité se maintient dans certaines limites là oùla privatisation avait été moins sensible, alors qu’elle éclata dans les régionsles plus affectées: les zones de dehesas de l’Extremadura et de la Manche et

les reliefs du sud et du sud-est 16.Ce qui rendit plus redoutable la résistance paysanne, ce fut le manque demoyens pour mener à bien la politique officielle. L’État, qui n’épargna passes efforts dans le domaine législatif, « oublia » de mettre à la dispositionde ses agents les ressources nécessaires à l’accomplissement de leur tâche.En France en 1875, par exemple, chaque ingénieur (ils étaient 361) avaitsous son contrôle 4254 hectares de forêt, et chaque garde forestier, 827 ha.En Espagne ces chiffres s’élevaient respectivement à 43844 (pour 113 ingé-nieurs) et à 8500 17. Inutile de dire que dans ces conditions la délimitation

et l’inventaire des surfaces boisées ainsi que l’adoption d’une réglementa-tion forestière progressaient très lentement et que la vigilance restait précaireavec les conséquences que l’on devine.

Bilan des connaissances actuellesUn débat historiographique

Comme on a pu le constater, le thème de la propriété collective est inti-mement lié à l’évolution historique de l’Espagne. Cependant, jusqu’aux deux dernières décennies, les rares études disponibles se limitaient à décrire,presque toujours à l’échelle municipale, le processus de vente inauguré par

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16. COBO R OMERO  J. et altri , 1992; MORENO FERNÁNDEZ  J.-R., 1994 ; GEHR, 1999 ; S ABIO

 A LCUTÉN A., 1996; HERVÉS S AYER H. et altri , 1997.17. MORENO FERNÁNDEZ J.-R., op. cit., p. 122.

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le passage sous la tutelle de l’État et des municipes générèrent dans la plusgrande partie de l’espace rural une forte opposition qui est souvent passéeinaperçue en raison de la diversité de ses manifestations 23. Cette opposi-tion fut aggravée du fait que l’administration forestière se révéla incapable decomprendre non seulement la logique paysanne au service de la reproduc-tion des ressources naturelles mais aussi les besoins réels d’une économieagraire basée sur l’interférence des activités agropastorales et de la sylvicul-ture, deux mondes séparés au sein d’une agriculture de type capitaliste. La « haine de l’arbre » chez les paysans, en admettant que ce lieu commun aitune réalité, est une réponse au rejet des formes traditionnelles d’utilisation

des montes . Il s’agit d’un problème important pour un pays qui détient lerecord européen d’incendies forestiers intentionnels.– Introduction de perspectives environnementales. Une direction de

recherche novatrice qui s’est répandue entre les économistes grâce aux travaux de J. Martínez Alier, F. Aguilera Klink et J.-M. Naredo, et enhistoire agraire par M. González de Molina en collaboration avec le socio-logue E. Sevilla. Les publications de la dernière génération d’historiens rura-listes que nous avons citées ont favorablement accueilli cette innovation etl’ont intégrée à leur analyse, avec un résultat très satisfaisant pour la 

recherche concernant deux thèmes : l’impact écologique de la privatisationdu monte et l’explication de la conflictualité rurale au  XIX e siècle. Les étudesles plus récentes réduisent la « culpabilité écologique » des sociétés ancienneset soulignent au contraire les dommages induits par une logique écono-mique orientée vers la maximalisation de la production forestière et parl’abandon de l’autorégulation municipale et du consensus communautaireautour de la conservation des ressources; ils écartent ainsi l’application dansce domaine de la théorie économique de Hardin sur la « tragédie descommunaux ».

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23. A RAQUE JIMÉNEZ E., 1997; A RTIAGA R EGO A. et altri , 1991; COBO R OMERO F., HERVÉS S AYER H.,MORENO FERNÁNDEZ J.-R., op. cit. ; S ABIO A LCUTÉN A., 1996 ; S ALA  P., 1997 et B ALBOA  X. etFERNÁNDEZ PRIETO L., 1996.

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Deuxième partie 

la propriété collectiveen Amérique latine

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Présentation

Marie-Danielle DEMÉLAS

Le statut et l’histoire des terres collectives en Amérique espagnole

présentent bien des ressemblances avec celles de la péninsule ibérique. Lesmêmes principes juridiques y étaient appliqués par une bureaucratie sortiedes mêmes moules, destinée aux mêmes carrières, qui, après avoir tenu pournaturelle la propriété commune des collectivités rurales, fut pareillementgagnée aux idées libérales et ne vit plus de salut qu’en la propriété privée. Enoutre, le point de départ était comparable des deux côtés de l’Atlantique, carl’expérience acquise lors du long processus de la Reconquista des chrétienscontre les Maures, qui donna à la Couronne la propriété éminente des terresprises aux musulmans, servit à mettre en place, très rapidement cette fois,

l’exploitation des terres conquises en Amérique. En principe, toutes avaientdonc pour seigneur le roi d’Espagne, mais – droit de conquête oblige – lesconquistadors obtinrent en pleine propriété de vastes étendues fertiles etdes encomiendas 1 qui s’étendaient à plusieurs villages, voire à tout un groupeethnique, tandis que la plupart des anciens seigneurs, curacas et caciques,furent dépouillés de leurs domaines et de leur autorité. Aux villagesd’Espagnols récemment fondés furent attribuées des terres communes (ager et saltus ), comme en Europe. Restait à statuer des communautés indiennesqui représentaient la majeure partie de la population et qui étaient desti-

nées à fournir, pour plusieurs siècles, l’essentiel des ressources de la Couronne, avec les revenus des mines.

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1. Encomienda : un conquistador disposait de la main-d’œuvre de villages indiens en échange de la protection qu’il leur accordait ; il s’engageait également à les évangéliser.

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C’est en ce point que se différencie l’histoire des terres collectivesd’Espagne et d’Amérique. Le Nouveau Monde fut dès lors divisé en deux « républiques 2 », celle des Espagnols et celle des Indiens, au prétexte d’évan-géliser les derniers en les préservant des exactions des premiers. Fut ainsimise en place la fiction juridique de deux mondes séparés, les nécessités del’un restant subordonnées à la satisfaction des besoins de l’autre. Mais trèstôt, des Espagnols et des métis à la recherche de terres vinrent se mêler aux Indiens, tandis que certains de ces derniers s’établissaient dans les villes.Claire et tranchée sur le papier des cédules royales, la tenure réelle de la terre fut très vite embrouillée par des intérêts contradictoires. En outre,

cette division entre deux univers, indien et espagnol, imposait de ne teniraucun compte d’une population inclassable, impensée, celle des métis dontl’importance ne cessa pourtant de grandir à partir de la reprise démogra-phique de la seconde moitié du  XVIIe siècle.

 À la fin du  XVIe siècle, des terres communales existaient donc dans lesdeux républiques, mais celles des Indiens servaient de fondement au fonc-tionnement même du nouvel ordre puisque l’usufruit des terrains qui leurétaient concédés dépendait du versement du tribut auquel étaient soumistous les hommes du commun, entre 18 et 50 ans. En sus du tribut, les

membres des communautés devaient rendre la plupart des services publicsque l’État espagnol était dans l’incapacité d’assurer – l’entretien des cheminset les postes, le fourrage et les montures de l’armée, le service personnel desfonctionnaires et des prêtres, etc. Enfin, bien que cette obligation ne sefondât pas sur la terre, rappelons que, dans les Andes, une grande part de la main-d’œuvre des mines d’argent du Potosí provenait des communautésde ces villages indiens, contraints un an sur sept au service de la mita .

 Aussi, du  XVIe au  XVIIIe siècle, tout l’art de gouverner la terre dans leszones de fort peuplement indigène dépendit de compromis difficiles entre

les pressions exercées par les Espagnols et les métis qui aspiraient à s’empa-rer des terres communales, et la nécessité de préserver celles-ci afin deconserver à l’État sa source de revenus la plus abondante et la plus stable.Lorsque les élites espagnoles, gagnées au credo moderne, décidèrent demettre fin à ces statuts anciens au profit de la propriété privée, les plus aver-tis d’entre elles ne manquèrent pas de rappeler qu’on allait toucher à unéquilibre fondamental. En 1798, un intendant célèbre du Haut-Pérou,Francisco de Viedma, entretenait une correspondance sur ce sujet avec leministre espagnol plus fameux encore, Garpar de Jovellanos, qui projetaitune loi agraire pour la péninsule:

 MARIE-DANIELLE DEMELAS 

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2. Dans la langue classique espagnole, república désigne la communauté parfaite, c’est-à-dire une sociétérationnelle pourvue de lois, de chefs et de moyens de subsistance. Ce qui n’implique d’aucune façonun régime républicain.

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« Les Indiens représentent l’un des ordres les plus utiles et nécessaires à l’État en ces contrées, de telle sorte que, sans eux, il n’existe pas de répu-

blique […]. Le tribut qu’ils versent représente la plus forte contributionaux revenus de la Couronne: la comparaison avec ceux que paient lesEspagnols et les autres castes est éclairante. Dans cette province deCochabamba [l’une des plus peuplées et des plus riches du Haut-Pérou], letribut représente chaque année 88226 pesos 2,5 reaux tandis que les reve-nus de l’alcábala [taxe sur les transactions commerciales], le seul impôtauquel soient soumis ceux qui ne sont pas Indiens, dépassent rarement30000 pesos 3 ».

Si l’intendant souhaitait moderniser les campagnes de sa circonscription

en préservant des ressources communes, ses successeurs, à l’époque répu-blicaine, furent moins circonspects.C’est ce moment de l’histoire des terres collectives qui sert de point de

départ aux études qui constituent la seconde partie de cet ouvrage. Vers1800, il existait, certes, bien d’autres terres indivises en Amérique espagnole:celles des grands lignages, les majorats, auxquels des travaux importants ontété consacrés en Espagne 4 ; celles de l’Église, propriétés considérables quifurent à l’origine de désamortissements quelquefois violents, générateurs deguerres civiles, comme au Mexique 5 ; celles des confréries religieuses dont on

connaît par ailleurs l’importance et, parfois, la richesse 6 ; enfin celles desvilles et des villages, dont les études urbaines ont parfois traité indirecte-ment en s’intéressant à des vagues de lotissements. Certaines des cinq étudesprésentées ici rappellent l’existence de toutes ces formes de propriété collec-tive et évoquent quelques aspects de leur disparition progressive. Toutefois,l’essentiel de ces travaux porte sur les attaques subies par les terres commu-nales indiennes, leur affaiblissement et leurs résistances, sachant qu’elles nereprésentaient pas seulement une composante essentielle du monde rural,mais le fondement d’une certaine conception de l’État en Amérique.

Les projets de société qui prévalurent lors de l’indépendance, dans lesannées 1820-1830, envisageaient un univers de petits propriétaires citoyens,sur le modèle des constitutions de Rousseau ou, plus prosaïquement, enregardant du côté des État-Unis d’Amérique du Nord. Projets souvent

PRESENTATION 

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3. « Los indios componen una de las órdenes más util, más necesaria, y más precisa del estado en estos domi-nios, en tal modo que sin ellos no hay república que pueda subsistir […]. Los tributos que contribuyen es el ramo de mayor importancia que tiene la Real hacienda: comparece con lo que pagan los españoles y demás castas, y se vera la grande diferencia. En esta provincia de Cochabamba asciende en cada año a 88226 pesos 2,5 reales y el ramo de alcabalas, pocos son los que pasan de treinta mil pesos, unica satisfac-ción de los que no son de casta tributaria ». Ynstrucción que forma el gobernador yntendente de la provin-cia de Cochabamba Don Francisco de Viedma […]. Archivo General de Indias, Charcas, 436.

4. CLAVERO Bartolomé, Mayorazgo : propiedad feudal en España, 1369-1836 , Madrid, 1974.5. MENEGUS Margarita et CERUTTI Mario (éd.), La desamortización civil en México y en España (1750-

1920), Senado de la República, Universidad Autónoma de Nuevo León-Universidad Nacional Autónoma de México, México, 2001.

6. DEHOUVE Danièle, Quand les banquiers étaient des saints , Paris, CNRS, 1991.

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utopiques ou trompeurs, dont il fallut payer le prix. Les États tels que leMexique qui disposaient de ressources capables de se substituer rapidementet efficacement au tribut parvinrent à leurs fins, mais à la condition de netenir aucun compte du coût social de la disparition des communautés, del’accroissement d’une paysannerie sans terre soumise à un nouveau servagedans le cadre des haciendas qui se constituèrent aux dépens des commu-nautés, et du coût politique que représenta leurs résistances, les révoltes etles troubles de toutes sortes qui affectèrent les campagnes pendant plusieursdécennies. Là où l’État se révéla incapable de trouver d’autres ressourcessûres, la situation devint extrêmement confuse. Ce fut notamment le cas

de l’Équateur et du Pérou dans la première moitié du  XIX e

siècle. Un seulhomme d’État, le maréchal Santa Cruz qui dirigea la Bolivie entre 1828et 1839, eut l’audace ou le cynisme de revenir en arrière, en re-castifiant la société: tout usufruitier de terres communales, c’est-à-dire appartenant à l’État, se trouvait du même coup recensé comme Indien et soumis au tribut.Bon an, mal an, le fisc put compter sur des revenus qui permirent au paysde liquider ses dettes et d’entreprendre une politique extérieure ambitieuse. Ailleurs, des différences croissantes s’établirent entre les zones indiennes,instables et violentes où l’autorité de l’État s’effaçait au profit de potentats

locaux, et les zones de grandes plantations destinées au marché internatio-nal ou celles de colonisation récente où se développaient, sur des exploita-tions souvent familiales, des cultures telles que le café en Colombie, auVenezuela et en Amérique centrale. Le centre de gravité de ces pays se dépla-çait vers les côtes, les grandes villes et les provinces riches en produitsd’exportation, tandis que les provinces indiennes, marginalisées, étaientabandonnées à des rapports de force incontrôlables et brutaux.

L’étude proposée par Rosa María Martínez de Codes retrace ainsi lesétapes d’une politique libérale au Mexique qui touche à tous les biens des

corporations civiles, et dont les grandes lignes sont en place bien avant la très longue présidence de Porfirio Díaz à laquelle on attribue souv ent la responsabilité du désamortissement. Celui-ci, projeté avant même l’indé-pendance du Mexique, connut sa plus claire expression à travers les lois deRéforme de 1856, dont les principes et la plupart des dispositions furentensuite approuvées et mises en place par tous les régimes qui succédèrentaux libéraux, y compris le Second Empire de Maximilien.

 Au Guatemala, ancienne terre maya, les terres collectives indiennes

furent l’objet d’une politique d’appropriation privée en même temps que lesgouvernements successifs cherchaient à détruire l’identité des communau-tés qui en avaient l’usufruit. Hans-Jürgen Prien rappelle ainsi que la légis-lation concernant la libération de ces biens de mainmorte s’est souventaccompagnée de mesures qui visaient à la « ladinisation » (on dirait « métis-sage » dans d’autres pays) des Indiens afin de les assimiler à la nation.

 MARIE-DANIELLE DEMELAS 

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Le cas particulier des resguardos, les terres des communautés indiennesd’une zone frontalière entre la Colombie et le Venezuela, permet à Edda Samudio d’évoquer la mise en échec des mesures qui visaient à garantir aux communautés les bases de leur survie. Elle montre la précocité de leur dispa-rition à partir de l’application des dispositions légales mises en place dès1836. Affaiblie depuis longtemps par l’établissement sur ses terres d’étran-gers à la communauté, celle-ci ne put résister au partage des communaux,préalable à leur accaparement par un plus gros propriétaire.

Le cas péruvien, étudié par Jean Piel, apparaît exemplaire de la volontéde l’État indépendant de favoriser la constitution de grandes propriétés

privées, aux dépens des communautés certes, mais aussi aux frais du Trésorqui permit le transfert du rachat des cens au domaine public. Un mêmeprocessus était à l’œuvre, qui faisait peser sur le plus grand nombre le coûtde la création d’un marché de la terre.

Enfin, l’exemple bolivien, plus circonscrit dans le temps que les autresétudes, aborde la question des conséquences du désamortissement sur la vie politique d’un pays qui représenta longtemps un modèle d’instabilité 7.

Dans le cadre d’une première synthèse, ces travaux n’ont pu dresser unbilan complet d’une aussi vaste question. Il manque notamment à cet

ouvrage une étude sur les communautés équatoriennes, et sur l’ensembledes communautés colombiennes. En outre, même si le sujet choisi et lepoint de vue adopté nous imposaient de traiter principalement des zonesde fort peuplement indigène, des aperçus sur les communautés argentinesou chiliennes auraient été bienvenus. Enfin, le cas atypique du Paraguay,mériterait d’être traité.

Certains aspects bien connus des spécialistes n’ont été abordés que defaçon rapide. Pour un lecteur habitué au monde rural européen, rappelonsseulement que la notion de communauté outre-Atlantique s’accompagnait

aussi de revendications identitaires, de cultes particuliers, d’une inscriptiondans un lignage. En outre, les Indiens étaient plus mobiles que les paysan-neries d’Europe.

Une mobilité qui s’exprimait dans le cadre de l’année agraire, certainscultivant quand d’autres se rendaient sur les pâquis d’altitude, parfois bienéloignés de la communauté, tandis que d’autres encore auxquels revenaitla charge de commercialiser les excédents de la communauté (il fallait bienpayer le tribut…) se déplaçaient également au loin. Mobilité plus durabledes colonies des communautés en direction d’autres zones géographiques,dans l’optique d’une complémentarité des ressources. Ces solutions decontinuité dans la propriété collective, qui permettaient à une commu-

PRESENTATION 

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7. L AVAUD Jean-Pierre, L’instabilité politique en Amérique latine. Le cas de la Bolivie , Paris, IHEAL-L’Harmattan, 1991.

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 Avant l’indépendance

1766-1767 – La Couronne espagnole prend une série de mesures qui impo-sent la répartition des terres labourables des propios.1795 – Une cédule royale du 21 août 1795 établit un impôt de 15 % sur les

fondations de biens de mainmorte.1812 – Par le décret CCVII du 9 novembre 1812, les cortès de Cadix,

ordonnent la répartition de la moitié des terres collectives en propriétésprivées (mesure jugée par les représentants favorable aux Indiens).

1813 – Par le décret du 4 janvier 1813, les cortès décidaient de la privatisa-tion de toutes les terres.

Mexique

1856 – En vertu de la loi du 25 juin 1856 (dite loi Lerdo, du nom de sonauteur, le ministre Lerdo de Tejada), tous les biens immobiliers des corpo-rations civiles et religieuses devaient être désamortis et vendus à leursfermiers et locataires en adjudication. Mesure complétée par l’art. 27 dela constitution du 5 février 1857.

1861 – Loi du 5 février 1861, qui impose la nationalisation des biens duclergé régulier et séculier.

Guatemala 

1825 – Première loi agraire promulguée par l’assemblée constituante.1829 – Nouvelle loi agraire favorisant la transformation des communaux 

en propriétés privées.1836 – Promulgation de la loi qui impose la transformation de tous les ejidos 

en propriétés privées.1839 – Dissolution des ordres religieux, et nationalisation de leurs propriétés.1863 – Nouvelle loi agraire encourageant le partage des terres communales.1877 – Mesures qui mettent fin au cens emphytéotique, et qui accorde à leurs

locataires la propriété des terres affermées à des communautés indigènes.

 Venezuela 

1810 – Décret du 24 septembre 1810, qui accorde l’égalité des droits aux indigènes et leur répartit les resguardos en propriété individuelle pleineet entière, sur la base du nombre de familles.

1811 – La Constitution fédérale de la première République impose la répar-

tition des terres collectives entre les familles usufruitières.1820 – Loi fondamentale du 11 octobre 1821, qui permet le partage desresguardos entre les familles indigènes usufruitières.

1828 – Décret bolivarien du 15 octobre qui renouvelle les incitations aupartage des resguardos .

1836 – Loi du 2 avril 1836, relative aux resguardos .

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Les propriétés collectives au Mexique

Rosa María M ARTÍ NEZ DE CODES

L’importance qu’ont acquise dans la plupart des pays européens les trans-

formations agraires de la fin du XVIIIe

siècle est bien connue. De fait, lespremiers changements significatifs qui se produisent dans le régime hispa-nique de la propriété survinrent dans un contexte de crise de l’AncienRégime, à travers une série de mesures légales favorables à l’abolition desseigneuries, à l’aliénation des biens de mainmorte et à la disparition desmajorats. Ce phénomène ne fut pas circonscrit à l’Espagne, et beaucoupde pays européens et de provinces américaines furent affectés par des légis-lations favorables à la mobilité des biens, des capitaux et de la main-d’œuvre,qui étaient destinées à mettre fin au corporativisme et aux privilèges géné-

rés par l’Ancien Régime.Dans le cadre de la monarchie espagnole, la libération des biens de main-morte 1 a été interprétée comme la manifestation d’une volonté étatique quiaffecta l’Église, les majorats et les municipes. La distinction entre ces troisaspects d’un même phénomène n’a pas suscité jusqu’à présent toute l’atten-tion que mérite le cas de l’Amérique latine. En revanche, les nombreusesétudes réalisées depuis les années 1970 sur les différentes phases et aspects du

1. Nom donné à toute institution ou corporation auxquelles il était interdit d’aliéner le bien foncier quiconstituait leur dotation permanente. Ces « mainmortes » affectaient l’Église, la noblesse et ses majo-rats, les corporations municipales, les ordres militaires ainsi que la Couronne. À la fin du  XVIIIe siècle,cette dernière élargit la démomination de « mainmorte » à un ensemble d’établissements et de fonda-tions pieuses, en conséquence d’un impôt de 15 % établi par la cédule royale du 21 août 1795 sur lesnouvelles fondations de toutes sortes visant à créer ou accroître des majorats, ou à établir des fonda-tions pieuses et tout autre forme de mainmorte. Novísima recopilación de las Leyes de España (1805),Ley 18, T. R. Libro I, Madrid, BOE, 1992, 6V.

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désamortissement en Espagne permettent aujourd’hui de tenter un bilan 2 etune révision critique de la question 3.

L’objectif de cette étude est double. Il s’agira de présenter la structure desbiens appartenant aux corporations municipales, notamment des biens muni-cipaux, dans le cadre d’un vaste processus de transformation du régime juri-dique de la terre qui dura plus d’un siècle durant lequel furent édictées lesnormes de protection et/ou de privatisation de ces biens fonciers. Un telprocessus, qui n’offre pas d’unité d’ensemble à première vue et qu’il convientde replacer dans le cadre des différentes étapes d’un contexte normatif plusample, permet d’établir certaines comparaisons avec les études menées sur la 

propriété collective en Europe et en Amérique latine publiées dans ce volume.Voici cinq ans, en se référant à l’extension des biens municipaux de la péninsule à la fin du  XVIIIe siècle, l’historien espagnol Germán Ruedaaffirmait:

« On ne connaît pas avec précision quelle était l’étendue des biensmunicipaux vers 1766. En outre, les informations que nous en avons sontconfuses. Cependant, elles nous permettent d’avancer qu’ils couvraientprobablement une superficie de plus de 20 millions d’ha 4 ».

Dans le cas de la République mexicaine, les recherches ne sont pas assez

avancées pour que nous nous risquions à un calcul approximatif de l’exten-sion des propriétés collectives durant l’époque du Porfiriat 5 (1876-1910).D’autre part, l’usage imprécis de la terminologie employée à décrire lesterres communales dans les textes législatifs comme dans les autres sourcesmexicaines durant la période de la Réforme (1856-1861) entraîne unegrande confusion au moment d’établir de possibles comparaisons avec lespositions favorables ou hostiles aux communautés adoptées par les régimeslibéraux en Europe.

C’est pourquoi il est nécessaire d’exposer quelques-unes des caractéris-tiques de la structure communale des corporations municipales héritées dela période coloniale qui se sont maintenues jusqu’à la fin du  XIX e siècle. La Recopilación de Leyes de Indias , cadre juridique qui permit d’organiser lerégime foncier durant plus de trois siècles en Amérique espagnole, opta pour le système des biens communaux formés de pâtures, de labours ou debois, propriétés du municipe destinées à l’usufruit commun des vecinos 6,

ROSA MARÍA MARTÍNEZ DE CODES 

230

2. R UEDA HERNANZ Germán, 1997.3. M ARTÍNEZ DE CODES Rosa María, 1998, p. 201-215.4. R UEDA HERNANZ G., op. cit ., p. 14.5. Du nom du président Porfirio Diáz.6. Vecino (qui signifie voisin) désigne l’habitant d’un village ou d’une cité bénéficiant des privilèges

accordés aux membres de la commune. Dans l’univers politique hispanique, dont les représentationsse fondent sur la « petite patrie », la vecindad représente la base de la citoyenneté (NDT). A BAD Y  

Q UEIPO Manuel, 1986.

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et les biens propres ( propios ) dont les municipalités obtenaient une rentedestinée à leurs dépenses 7.

Parallèlement, la Couronne reconnut la légitimité de la propriété indi-gène à travers des lois qui mirent en place le régime de l’encomienda : ledroit de l’encomendero se limitait à disposer des services personnels des indi-gènes mais non de leur terre et, afin d’échapper au risque d’assimilation del’encomienda au régime seigneurial, il était stipulé que, lorsqu’un encomen-dero décédait sans héritier direct, sa terre revenait non pas à son successeurmais au village dont étaient originaires les Indiens de son encomienda . Outrecela, le souci de protection propre à la législation des Indes en vint très vite

à confirmer la libre disposition de leurs biens fonciers par les Indiens, et à empêcher la vente forcée de leurs terres à bas prix. Au Mexique, les relations entre la population espagnole et les cultiva-

teurs indiens furent riches de conflits dès le  XVIe siècle, au point de repré-senter, selon Silvio Zavala, « l’un des affrontements sociaux les plus drama-tiques de l’époque coloniale 8 ». Les Espagnols pouvaient accepter etreconnaître la propriété indigène lorsqu’il s’agissait de cultures ou de pâtures,mais il leur était difficile d’admettre que les terrains de chasse utilisés tradi-tionnellement par les tribus nomades pussent se convertir en domaine léga-

lement reconnu. Aussi, à la fin de la période coloniale, la pratique limitera la reconnaissance des biens de communautés indigènes aux lieux dont la population sédentaire pratiquait un type de mise en valeur comparable à celle connue des populations hispaniques.

Les villages se composaient en théorie d’un fonds légal , espace occupé parles habitants et leurs maisons; des ejidos , terres collectives réservées au pâtu-rage, à des activités récréatives et divers usages publics; de terrains de reparti-miento, parcelles individuelles accordées en usufruit aux familles du village; des propios , terres affermées ou non, destinées à couvrir les dépenses communes;

enfin, des montes y aguas qui fournissaient le bois et l’eau, et s’employaientaussi en cas de besoin afin d’accroître les surfaces cultivées et les jachères.

Les corporations municipalessous l’administration des Bourbons (1775-1810)

Déchiffrer la politique de désamortissement des dirigeants de la République mexicaine à l’égard des biens des corporations municipalesimplique de connaître au préalable les idées et les nouveautés législativesrelatives aux biens de mainmorte sanctionnées par Charles III et Charles IV durant leur règne 9. Dans la péninsule, l’idée de libérer les biens de main-

LES PROPRIETES COLLECTIVES AU MEXIQUE 

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7. M ARILUZ URQUIJO José M., 1978.8. Z AVALA S. et MIRANDA  J., 1973, p. 43-206.9. DE LA HERA  Alberto, 1999, p. 77-96.

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tration bourbonienne avait transféré aux provinces américaines le systèmedes intendances qui avait été implanté en métropole dès 1711 afin de déve-lopper l’économie, d’augmenter les rentrées fiscales et de surveiller la gestiondes fonds publics ainsi que des propios et arbitrios par les municipalités 16.

En Nouvelle-Espagne, l’Ordonnance des intendants d’armée et de province de 1768 organisa pour la première fois l’administration conjointe des biensde communauté des villages indiens et des propios et arbitrios des villes etcités d’Espagnols 17. En dépit de ce que la mesure soumettait les commu-nautés indiennes à un contrôle plus étroit, cette organisation administrativeleur donna plus de consistance car elle mettait en évidence le fait que ces

fonds représentaient la base matérielle et l’essentiel des ressources desvillages indigènes. Dépenses à usage interne et externe, frais du culte reli-gieux, écoles, secours en cas de désastre, rémunération des autorités etcontributions dues au fisc, tout cela provenait des caisses de communautéalimentées par les subsides que payaient chaque année les Indiens soumis autribut, et par les revenus des rentes foncières et les intérêts de prêts consen-tis par ces caisses 18.

Les autorités espagnoles, conscientes du rôle exercé par les communau-tés dans l’ordre général de la société et de l’économie coloniales, soutinrent

donc leur revendication de terre et favorisèrent le recouvrement de leursrentes et des intérêts des prêts qu’elles avaient accordés. Paradoxalement, età la différence de ce qui se passait dans la péninsule où les Cortès de Cadix,en vertu d’un décret du 4 janvier 1813 19, ordonnèrent la vente et la répar-tition des baldíos , realengos et arbitrios à l’exception des ejidos nécessaires à la subsistance des villages, en Nouvelle-Espagne, les terres des communau-tés indiennes furent déclarées inaliénables et confirmées comme patrimoinescollectifs des villages.

Cependant, les conflits entre la population indigène organisée en parcia-

lidades dans les quartiers des villes importantes du centre du Mexique et lesmunicipalités d’Espagnols qui réclamaient les terres et les ressources que lesIndiens défendaient comme des biens de communauté représentèrent unsouci permanent pour l’administration bourbonienne 20. Après l’indépen-dance, le problème resurgit quand les communautés indiennes, qui étaientpropriétaires et qui avaient bénéficié jusqu’en 1821 de la protection légaled’un système juridique qui préservait le régime communautaire, durents’affronter à une conception politique individualiste d’inspiration libéralequi imposa une tout autre vision: l’administration des Indiens par eux-

LES PROPRIETES COLLECTIVES AU MEXIQUE 

233

16. MIRANDA  José, 1978. FONSECA Fabián et URRUTIA Carlos, 1978, p. 253-257 et 299-313.17. Real Ordenanza…, 1984.18. LIRA  Andrés, 1982, p. 11-14.19. TOMÁS Y V  ALIENTE Francisco, 1989, p. 54-62.20. GUTTER Charles R., 1986, p. 81-103.

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des adjudications et/ou des ventes 25. En essayant de concilier les intérêts etde faire taire les réclamations des villages, le régime centraliste qui s’établit auMexique entre 1835 et 1846 restaura l’administration des parcialidades d’Indiens, leur permettant de recouvrer leurs rentes et de réclamer leursterres. On prétendait ainsi pallier les effets négatifs que les nouveaux impôtsexerçaient sur les communautés paysannes. L’impôt de 3 pour mille sur lespropriétés rurales provoqua une forte résistance dans les villages et suscita dans de nombreuses provinces – le Yucatán, Guanajuato, Queretaro et SanLuís Potosí – des soulèvements de la population indigène qui se transfor-mèrent en un mal endémique des années 1840 et 1850 26.

Le système fédéral rétabli en 1846 et qui resta en vigueur jusqu’en 1853tenta de s’affronter aux problèmes posés par les Indiens à travers le systèmede revendication des terrains de communauté, sous le contrôle d’un corpsde sous-intendants et des curés de chaque juridiction. Le projet inspiré deséléments traditionnels de la période coloniale permettait aux villagesdépouillés de récupérer leurs terres 27. Mais le retour au pouvoir d’AntonioLópez de Santa Anna, les soulèvements qui se produisirent en divers pointsdu pays, les urgences du fisc et les interventions des corps privilégiés – leclergé et l’armée – firent échouer le plan de réforme de l’administration

municipale. Au milieu du  XIX e siècle, la propriété communale indigène était consi-dérée, aussi bien par les conservateurs que par les libéraux, comme unobstacle à l’intégration des indigènes à la nation et un frein pour l’économie.Les uns et les autres remettaient en question le fait, pour les villages, d’êtreconstitués en communautés et de posséder un patrimoine autre que les

 propios des municipalités. Peu avant sa mort, en 1853, Lucas Alamán lui-même, principal porte-parole de la faction conservatrice, corrigea sa positioninitiale en faveur des communautés indigènes:

« Lorsque l’on a incorporé les Indiens à la masse de la nation sur la based’une parfaite égalité, on les a cependant maintenus séparés par une anoma-lie étrange, afin de conserver leurs terres en propriété collective, préservantde ce fait une ségrégation qu’il importe tant d’abolir 28 ».

Cette déclaration concorde avec celles d’autres figures significatives del’époque, propriétaires fonciers, députés et hommes politiques libéraux quin’approuvaient pas les mesures qui maintenaient intactes les communautésindiennes 29.

LES PROPRIETES COLLECTIVES AU MEXIQUE 

235

25. LIRA  Andrés, 1983.26. R  AMOS J. L., CHÁVEZ J., ECOBAR  A., CHERIDAN C., TRANQUILINO R. et R OJAS Rabiela coord.,

1987.27. DUBLAN Manuel et LOZANO José María, 1876-1912, nº 4304 et nº 3401.28. A LAMÁN Lucas, 1942, p. 433.29. H ALE Charles A., 1968.

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En fait, la loi qui en altéra irrévocablement la structure, dans le cadred’un vaste programme de désamortissement civil et ecclésiastique, fut accep-tée comme une mesure positive, ce dont témoigne l’absence de débat surl’existence des corporations municipales lors de l’élaboration de la fameuseloi Lerdo, et postérieurement, lors de la définition de l’article 27 de la constitution de 1857 30.

Les corporations dans le cadre de la Réforme (1856-1861)

En vertu de la loi du 25 juin 1856, tous les biens immobiliers des corpo-rations civiles et religieuses devaient être désamortis et vendus à leursfermiers et locataires en adjudication. Cette disposition, connue comme la loi Lerdo, du nom du ministre de l’économie et des finances, Miguel Lerdode Tejada, sur le désamortissement des biens fonciers appartenant aux corpo-rations civiles ou ecclésiastiques de la République, marque le début d’une sériede transformations importantes dans le domaine rural 31. Dans le futur, cetexte législatif représenta une avancée fondamentale car, même s’il futsuspendu parfois et s’accompagna de mesures complémentaires, il définitle cadre qui permettait l’accès à la propriété de larges secteurs sociaux.

Dans l’historiographie américaniste, le binôme mexicain Réforme-priva-tisation a été étudié fondamentalement en relation avec les biens ecclésias-tiques 32 alors que les travaux portant sur les propriétés communales sontmoins nombreux et plus sectoriels. Cela est dû notamment au fait que l’onne possède pas de séries statistiques qui permettraient de mesurer l’impor-tance de l’expropriation et de la vente des biens de communautés, maiscette carence s’explique aussi par la guerre civile dans laquelle fut plongé lepays entre 1858 et 1860, et le chaos administratif et fiscal de la République

 jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Porfirio Díaz (1876-1910). Ainsi le rapport

du ministère de l’Économie pour l’année 1871 révèle que vingt-cinq ansaprès la promulgation de la loi Lerdo, on n’avait toujours pas procédé à l’adjudication des biens collectifs dans beaucoup de districts 33.

Cependant, afin de dresser un cadre de référence permettant d’établirdes comparaisons avec d’autres cas, nous tenterons de préciser quelle fut la 

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30. Z ARCO Francisco, 1956, p. 423-430.31. Les trente-cinq articles du décret du 25 juin 1856 sont seulement précédés du préambule :

« Ministère d’État et de l’Économie et du Crédit public. Son Excellence le président de la Républiquem’a adressé le décret suivant: Ignacio Comonfort, président de la République mexicaine, à tous seshabitants: Considérant que l’un des plus grands obstacles à la prospérité et l’essor de la nation résidedans l’absence de liberté de circulation d’une grande partie des propriétés foncières, base fonda-mentale de la richesse publique, et en usage des facultés que m’accorde le plan proclamé à Ayutla etréformé à Acapulco, je décrète les mesures suivantes. » in DUBLAN M. y LOZANO J. M., op. cit .,nº 4715.

32. Consulter sur le sujet (liste non exhaustive): B AZANT J., 1971; K NOWLTON R. J., 1985; C ALLCOTT

 W. H., 1965; R EYES HEROLES J., 1961 ; R  AMÍREZ A PARICIO M., 1816.33. Memoria de Hacienda , 1871, p. 630-633.

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situation des communautés indigènes après cette période. En premier lieu,il convient de clarifier les intentions de la loi du 25 juin 1857 sur la propriété corporative et, en particulier, sur les terres de villages indiens. Cesprécisions faciliteront la compréhension des problèmes que la loi ne parvintpas à résoudre et des difficultés d’application auxquelles se heurta le légis-lateur. Plusieurs articles de la loi concernaient directement les terres desvillages indiens. L’article premier ordonnait que « toutes les propriétésfoncières qui ont aujourd’hui pour propriétaires des corporations civiles ouecclésiastiques » fussent adjugées à leurs occupants pour une somme équi-valant au produit de la rente annuelle que l’on évaluait à 6 % de la valeur du

fonds34

. Les terres collectives concernées par cette mesure consistaient prin-cipalement dans les terres affermées, c’est-à-dire les propios des villages.L’article deux disposait que l’on procéderait de même à l’égard des

propriétés collectives soumises à un cens emphytéotique, comprenant ainsiles terres de repartimiento possédées par les habitants du village. Enfin,l’article cinq stipulait que toutes les terres qui n’étaient pas affermées –comme celles de montes y agua – seraient vendues aux enchères publiquesen présence des autorités locales.

Quels furent les biens qui échappèrent à ces mesures? L’article huit de la 

loi Lerdo, se référant explicitement aux propriétés des municipalités, exclutde la vente « les bâtiments, les ejidos et les autres terrains destinés exclusi-vement au service public des habitants 35 ». Il reste difficile de préciser cequ’entendait le législateur par « les autres terrains destinés exclusivement auservice public ». À quelle catégorie de terres faisait-il allusion? Il faut attendreles décrets d’application de la loi Lerdo (loi du 30 juillet 1856) pour préci-ser que l’exception faite pour les ejidos et les terres réservées au service publicrestaient strictement limitées à ce qu’on nommait l’ejido et le fonds légal 36.Les autres formes de propriété des villages – proprios , terres de repartimiento,

montes y aguas – étaient finalement destinées au désamortissement selondiverses formules dont nous traiterons dans la suite de cet article.

Le débat sur l’attitude protectrice ou agressive des libéraux de la Réformeà l’égard des terres des communautés indigènes laisse peu de doutes aprèsl’analyse des dispositions réglementaires promulguées postérieurement à la loi Lerdo. La garantie que l’article huit offrait aux communautés fut limitéeun an plus tard par l’art. 27 de la constitution du 5 février 1857 qui exclutles ejidos et les terrains réservés au service public des possibilités d’acquisi-tion par des villages indiens, rendant ainsi possible aux gouvernements quisuccédèrent à celui de Comonfort de les considérer comme des terressusceptibles d’aliénation.

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34. M ARTÍNEZ DE CODES R. M., 2000, p. 482-509.35. CUE C ÁNOVAS Agustín, 1960, p. 59-61.36. Loi du 25 juin 1856, in P AYNO M., p. 36-53.

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Un second aspect important de la loi de désamortissement mexicaineconsiste dans les dispositions prises afin de privatiser les biens des corpo-rations et les difficultés opposées au législateur par leur application du faitmême des défauts de la loi. Le système d’adjudication proposé par la loiLerdo représentait une innovation par rapport aux enchères publiques prati-quées par la France révolutionnaire, l’administration des Bourbons enEspagne et quelques-unes des républiques latino-américaines. Si l’oncompare les dispositions de la loi mexicaine à celles qui furent prises enEurope et en Amérique, on constate qu’il existait peu de processus aussifavorables au transfert des biens collectifs à des individus 37.

 Aux anciens fermiers de biens appartenant à des hôpitaux, des confréries,des couvents, des paroisses et des cathédrales, comme à ceux des biens demunicipalité et d’usufruit collectif, la loi offrait durant trois mois la possi-bilité de se décider à acquérir les biens qu’ils louaient jusqu’alors (art. 9).Les futurs propriétaires n’avaient à payer que 6 % par an de la valeur de la propriété à la corporation concernée, c’est-à-dire qu’il n’était pas nécessairede régler d’un coup la valeur totale de la maison ou du terrain acquis(art. 1er).

L’esprit de la loi résidait dans le droit à l’adjudication dont étaient béné-

ficiaires locataires et fermiers. C’est seulement dans le cas où ceux-ci renon-ceraient à leur droit qu’un tiers pourrait se porter acquéreur, bénéficiantalors d’une réduction d’un huitième du prix (art. 11). Les biens fonciersqui n’auraient pas été affermés seraient vendus aux enchères publiques auplus offrant (art. 5). L’État, malgré la grave crise financière qu’il connaissait,percevrait seulement la taxe d’alcábala , soit un impôt de 5 % de droits demutation. Tous les acheteurs de biens collectifs étaient astreints à cet impôt(art. 32 et 33).

L’objectif prioritaire de la loi ne fait pas de doute: il s’agissait de diviser

les propriétés rurales. De fait, la loi permettait de fractionner les proprié-tés et de les adjuger à plusieurs propriétaires (art. 22) en spécifiant, en outre,que les hypothèques sur ces fonds seraient réparties proportionnellemententre les acquéreurs, bien qu’on n’insistât pas pour procéder à la divisionavant l’adjudication, ou pour que la propriété fût répartie entre un certainnombre d’acheteurs.

L’intention de la loi n’était pas de priver l’Église ni les communautés deleurs biens, mais de changer le caractère d’une partie de ceux-ci. Il s’agissaitde corriger la forme de la propriété, en obligeant les corporations munici-pales et ecclésiastiques à convertir leurs biens fonciers en capital, générale-ment sous forme d’hypothèques.

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37. SCHMIDT Peer, 1993, p. 41-43.

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Techniquement, les normes adoptées entraînèrent de nombreux problèmes et des confusions lors de leur application. Notamment les excep-tions reconnues par l’art. 8 de la loi Lerdo suscitèrent plusieurs résolutionsspéciales, mais la plupart des controverses et des polémiques provinrentdes résistances au paiement de l’alcábala , au point que le gouvernementdut décréter que les acquéreurs qui n’auraient pas satisfait à cette impositionperdraient leur propriété 38. Paradoxalement, la loi Lerdo n’avait pas prévules effets négatifs exercés sur l’acheteur individuel par le fait de l’imposersur le capital et non sur le revenu. Il fallut supprimer cette mesure pourtous les acquéreurs de terres d’une valeur inférieure à 200 pesos (résolu-

tion des 9 octobre et 7 novembre 185639

).Le propos réel de la loi était de favoriser la population la plus dému-nie, et son intention originelle de diviser la terre n’aurait pas abouti si lescultivateurs pauvres, et notamment les Indiens, n’avaient pas été en mesurede profiter de l’occasion qui leur était offerte. Tout semble indiquer que lelégislateur était disposé à faire des concessions financières facilitant l’accèsà la terre aux mains des indigènes, mais qu’il ne tolérait pas que l’on portâtatteinte au principe de la propriété privée.

 Aussi, lorsque le gouvernement se rendit compte que l’adjudication des

terres collectives affermées à leurs locataires éveillait une grande résistance ausein des villages et des communautés indiennes du fait que le taux des loyers,très bas, imposait des prix de vente inférieurs à la valeur réelle des proprié-tés, il rédigea des instructions et dicta des résolutions destinées à faire respec-ter le droit des locataires même lorsque les terrains appartenaient à descommunautés.

En décembre 1856, en réponse à une question du gouverneur deMichoacán qui avait demandé l’exemption totale des villages indiens del’application de la loi Lerdo, Lerdo lui-même répondit :

« On ne peut prendre une pareille décision, qui suspendrait les effets decette loi et toucherait aux intérêts et aux droits qu’elle a créés. Il est hors dequestion de tolérer la survivance des communautés indigènes, et l’on doit,au contraire, s’efforcer de partager les biens dont elles ont été propriétaires.C’est l’un des préceptes fondamentaux de cette loi 40 ».

En ce qui concerne l’application de la loi aux propriétés des corpora-tions civiles qui n’étaient pas affermées, on observe deux tendances. Dansun premier temps, on favorisa les mesures qui permettaient aux villages dediviser ces terres entre les vecinos au lieu de les vendre aux enchères, maisavec le temps une seconde tendance apparut qui imposa une division forcéede ces terres.

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38. P AYNO M., op. cit ., p. 69-70 et vol. 2, p. 369-372.39. L ABASTIDA L. G. (éd.), 1893, p. 13-14.40. Id ., p. 28-29.

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tions sur la matière dans les territoires dominés par le gouvernement etl’armée libérale 44.

 À la fin de la guerre des Trois Ans, en 1861, la loi de nationalisation desbiens du clergé régulier et séculier fournit une solution au problème de la grande propriété ecclésiastique en permettant au gouvernement civil degérer et d’administrer dans le futur les biens du clergé. En revanche, le désa-mortissement des biens civils continua en vertu des préceptes de la loiLerdo 45. Benito Juárez exempta de taxe les propriétés estimées à moins de200 pesos, mais il fut inflexible à l’égard de toute demande des villages quis’opposaient à la division et à la vente de leurs terres de repartimiento 46.

Les corporations au cours de la période 1861-1876

On ne possède pas de données suffisantes sur les opérations de privati-sation des terres communales qui permettent d’esquisser une image duprocessus après les lois de Réforme; cependant, il existe de nombreusesrequêtes des villages auprès des autorités fédérales, les Indiens réclamant dene pas procéder à la vente des terrains baldíos proches de leurs villages afinde conserver à ces derniers une assise foncière suffisant à leurs besoins 47.

Lors de l’instauration du second Empire (1864-1867), Maximilien deHabsbourg, sous la pression des secteurs libéraux, accepta de réviser la ques-tion de la propriété, arguant que c’était justice de garantir les propriétésacquises en vertu des normes légales, et qu’il était nécessaire de corriger lesabus et les torts causés aux intérêts individuels. En conséquence, l’Empereurdéclara que, conformément à la loi du 25 juin 1856, les corporations civilesne pourraient posséder de biens fonciers collectifs et, quelques mois plustard, par un décret du 27 janvier 1856, il ordonna la révision de toutes lesopérations réalisées à la suite des lois de désamortissement et de nationali-

sation 48.L’adhésion du second Empire à la politique de Lerdo se manifesta clai-rement dans la Loi des terrains communaux et de repartimiento, du 26 juin1866, dans laquelle on insiste sur la division nécessaire des terrains commu-naux et de repartimiento entre les indigènes et les vecinos  des villagesauxquelles appartenaient ces terres. Une clause d’exception protégeait dupartage obligé les terrains destinés exclusivement au service public, lesmontes y aguas réservés à l’usage direct des vecinos des villages.

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44. Disposición de 5 de septiembre de 1859, ordenando que se conservase como estaban las cofradías de indí- genas . Cité par CUE C ÁNOVAS A., op. cit., p. 61-62.

45. Loi du 5 février 1861, in L ABASTIDA L. G., op. cit., p. 153.46. DUBLAN M. y LOZANO J. M., op. cit., IX, p. 546-547.47. M AZA Francisco de la, 1893, p. 708 sq .48. CUE C ÁNOVAS A., op. cit ., p. 77-79.

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Trois mois plus tard, par la loi du 16 septembre 1866, l’Empereur réta-blit le fonds légal des communautés en s’inspirant du modèle espagnol dedotation de terres 49. Bien que cette loi ne parvînt pas à s’appliquer étantdonné la situation critique de l’Empire au moment de sa promulgation,elle révéla la faiblesse de la population indigène face à un processus irré-versible d’adjudication qui bénéficia, à moyen terme, aux propriétairesfonciers et à ceux qui s’étaient efforcé de détruire les propriétés indivises.

Les gouvernements postérieurs de Juárez et de Sebastián Lerdo de Tejada persistèrent à vouloir convertir les Indiens en propriétaires individuels, maisdevant la résistance des villages, ils autorisèrent certains États à fixer à quatre

lieues carrées la superficie légale des ejidos laissés à chaque village50

. Toutefois,même dans le cas où les ejidos étaient préservés, ils n’étaient destinés qu’auservice public.

 Au bout du compte, ce fut sous le régime de Porfirio Díaz que s’acheva le processus d’individualisation de la propriété. Au cours de cette période,on promulgua de nombreuses dispositions relatives aux ejidos et aux terresde repartimiento des villages indiens. À la fin de 1889, le secrétariat à l’Économie préconisait l’intervention des autorités publiques et des respon-sables de l’administration fiscale afin de procéder au partage des ejidos .

Simultanément, la survivance en indivision des terrains de repartimientoprovenant de très anciennes concessions décida le législateur à imposer aux gouverneurs des États le principe de l’article 27 de la constitution qui inter-disait à toute corporation d’acquérir en propriété ou d’administrer elle-même des biens fonciers. En conséquence, une circulaire du 12 mai 1890énonça:

« Il faut procéder à la répartition équitable de ceux-ci [les ejidos et lesterrains de repartimiento] entre les vecinos des villages indiens auxquels ilsappartiennent ou bien les mettre en vente et consacrer ces revenus aux 

caisses municipales ou à quelque dépense d’intérêt général 51 ».En complément de ces mesures, on autorisa les gouverneurs des États etles municipalités à procéder au partage ou à la vente des terres concernées.

Réflexions finales

En se fondant sur la loi générale de désamortissement du 25 juin 1856et sur l’article 27 de la constitution de 1857, les gouvernements qui succé-dèrent à ceux d’Ignacio Comonfort et de Benito Juárez menèrent à sonterme la liquidation de la propriété communale indigène. Ainsi se clôt, à la fin du XIX e siècle, un cycle de propriété communale des corporations civiles

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49. Ibid .50. L ABASTIDA L. G., op. cit , p. 42.51. CUE C ÁNOVAS A., op. cit ., p. 85-90.

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qui, en aucun cas, ne peut être mis au compte de la politique développéepar le régime porfiriste 52.

Durant la première moitié du  XIX e siècle jusqu’aux lois de Réforme, onconsidérait encore les Indiens comme les propriétaires légitimes des terrescollectives affermées, mais le triomphe de la république libérale au Mexiquefit disparaître une forme de propriété fondée sur la législation espagnole.L’Indien se vit alors élevé au rang de citoyen doté de capacité juridique etcontraint de participer au jeu d’une dynamique fondée sur les critères indi-vidualistes du  XIX e siècle et la pensée libérale. Les rares études publiées surl’évolution des biens collectifs indigènes 53 permettent d’observer comment

les États bénéficièrent d’une autonomie suffisante pour réguler le proces-sus de privatisation, grâce à la mise en pratique des lois de colonisation et deterrains baldíos . Pour leur part, les communautés indigènes, en fonctiondes circonstances et des conjonctures locales, acceptèrent ou refusèrent, avecplus ou moins de succès, les lois qui établissaient l’appropriation privée desterrains communaux qui leur appartenaient.

Parmi les plus grandes difficultés qu’elles eurent à affronter figure la survivance de l’usage traditionnel des tenures conjointement au développe-ment des nouvelles formes de propriété. Les Indiens adoptèrent alors des

éléments du discours libéral pour imposer leurs projets et se protéger de la convoitise des officiers et des municipalités qui cherchaient à les dépouiller.Dans bien des cas, ils firent usage des lois de répartition pour échapper à des tentatives d’accaparement et dans d’autres, ils résistèrent en usant destratégies légales afin de suspendre l’application des lois 54.

Le partage des terres communales indigènes met en évidence, dans lecas du Mexique, la grande variété des réalités rurales et la diversité des procé-dés utilisés par les gouvernements et les communautés pour s’adapter ausystème de propriété moderne. Ce furent cette richesse et cette variété qui,

parmi d’autres facteurs, créèrent des obstacles à la répartition des terres dedifférents statuts appartenant aux corporations civiles, mise en œuvre par la fameuse Loi générale de désamortissement ou loi Lerdo. Le cadre juridiquefixé par le législateur afin de rendre possible un transfert massif des biensfonciers qui, jusque dans la décennie de 1850, étaient restés sous le contrôledes corporations, fut incohérent dans le cadre spatio-temporel dans lequelles normes furent appliquées. Raison pour laquelle le processus de trans-formation de la propriété dans les États du Mexique fut mené à bien suivantdes rythmes différents et des résultats mitigés, et entraîna des conséquencesinégales pour les corporations affectées.

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52. La très longue administration du général Porfirio Díaz (1876-1910) à laquelle mit fin la révolution(NDT).

53. DUCEY M. T., 1999, p. 13-18.54. DEMÉLAS M.-D., 1999, op. cit ., p. 129-155.

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Les terres de communautés au Guatemalaau XIX e siècle

Hans-Jürgen PRIEN

 À la fin de l’époque coloniale, les formes de la propriété autant que cellesde l’accès à la terre devinrent de plus en plus conflictuelles. Dans ce contexte,on oublie fréquemment que les orientations en faveur du libéralisme écono-mique figuraient déjà dans la constitution de Cadix, promulguée en 1812.Il y était pourtant énoncé que les propriétés de la Couronne ainsi que lesterres communales passeraient au régime de la propriété privée. En mêmetemps que les députés adoptaient ces propositions et d’autres qui relevaientd’une même inspiration libérale, ils décrétaient l’égalité des Indiens et desEuropéens, une disposition théorique qui ne pouvait guère avoir d’effet dans

le contexte américain 1. Issu de ces antécédents, le problème central del’histoire du Guatemala au  XIX e siècle peut s’interpréter comme celui desefforts réalisés par les libéraux pour créer un marché de la terre et un Étatfondé sur leur hégémonie politique et militaire, voire culturelle 2.

Si l’on met l’accent sur la question des biens et des terres de mainmorte,le problème des terres des communautés indiennes présentait deux aspects:l’un culturel, l’autre économique. Si le libéralisme de la seconde moitié du XIX e siècle prétendait fonder l’exclusion des Indiens de la nation dans lecadre d’une dichotomie barbarie-civilisation, il semblait logique dedépouiller ceux-ci de leurs terres communales afin de les contraindre à seconvertir en petits propriétaires, « la propriété communale constituant l’un

1. R OJAS LIMA Flavio, 1992, p. 212.2. GRANGIN Greg, 1997, p. 213.

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des principaux freins au progrès 3 ». Autrement dit, devenus petits proprié-taires, les Indiens échapperaient à la barbarie.

Les prémisses du libéralisme

 Au Guatemala, les libéraux de la première génération s’étaient emparésdu pouvoir au sein de la fédération centraméricaine après une guerre civile(1826-1829). Sous l’influence des idées européennes, ils se proposèrentd’imposer le progrès au pays.

Le gouverneur Mariano Gálvez, élu chef de l’État en 1831, jugea néces-saire d’effectuer une rupture d’avec le passé colonial afin de transformer leGuatemala en un État éclairé 4. Ce projet impliquait la suppression des privi-lèges de certains groupes, au premier rang desquels le clergé. Pour cetteraison, le gouvernement procéda au désamortissement des gigantesquespropriétés foncières de l’Église catholique et des ordres religieux au cours desannées 1825-1838 5. Sous le gouvernement de Gálvez, les terres de l’Églisefurent distribuées aux agriculteurs qui en firent la demande afin de promou-voir une production capitaliste, conformément aux idées de l’époque 6.

En 1825, l’assemblée contituante avait promulgué la première loi

agraire, sur un total de 18 qui furent édictées jusqu’en 1866. Conséquencede cette première décision, un autre problème apparut lorsque l’on transféra les terres collectives à des propriétaires privés. La possibilité de leur acqui-sition par les membres des classes démunies fut automatiquement écartée.

 Ainsi fut préservée une hiérarchie sociale fondée sur la propriété de la terre 7.Il se produisit également des abus:

« en s’appuyant sur l’héritage de la constitution de Cadix, sur le décret fédé-ral de 1825 et sur les idées des courants libéraux […], de nombreux parti-culiers commencèrent à dénoncer comme terres disponibles (baldías ) lesanciens communaux des Indiens 8 ».

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3. C ASAUS A RZÚ Marta, 1999, p. 787, 790.4. MICELI Keith L., 1974, p. 72.5. Lorsque le général libéral Francisco Morazán, qui s’était soulevé au Honduras, parvint à s’emparer

de la ville de Guatemala, le 29 avril 1839, il imposa José Francisco Barrundia pour chef d’État, lui-même se réservant les fonctions de président de la Fédération. Inspiré par les idées du libéralismeéconomique du « laissez faire, laissez passer », il se heurta au pouvoir de l’Église catholique. Le 28 juinde la même année, il dissout tous les ordres religieux, et nationalisa toutes leurs propriétés. L’entréedans les ordres fut interdite, les dîmes abolies, la publication des bulles pontificales interdites, et lecongrès décida que les églises appartenant aux ordres religieux deviendraient le siège de paroisses aux mains du clergé séculier. En outre, l’archevêque Cassaus y Torres fut exilé en même temps que 176

religieux « pour avoir refusé de signer la déclaration d’indépendance ». BENDAÑA R., 1985, p. 245-254.6. BENDAÑA R., 1985, p. 250. Dans la même intention, Gálvez encouragea plusieurs réformes de l’éduca-tion et du système fiscal, il diversifia l’agriculture, fonda le premier atelier de typographie et lespremières industries, implanta un nouveau code civil et confia au chanoine Juan José Aycinena la rédaction d’une Loi de garanties qui représente un modèle dans le domaine des droits de l’homme.

7. Escuela facultativa de Ciencias Económicas de Occidente y Comité interamericano de desarrrolloagrícola, 1971, p. 86 sq . Un autre auteur se montre moins critique: N AYLOR Robert A., 1967, p. 628.

8. R OJAS LIMA F., 1992, p. 212.

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Les menaces pesant sur les propriétés collectives s’inscrivaient dans uncontexte rural nouveau dans lequel les cultures traditionnelles commen-çaient de disparaître. Si l’exportation de la cochenille, qui avait représentéavec le pastel le principal produit d’exportation depuis la période colo-niale 20, augmenta encore au cours de la première moitié du  XIX e siècle,« cet accroissement fut cependant de courte durée car peu après 1850 la cochenille commença à souffrir de la forte concurrence des colorantschimiques 21 ». Bien que la production de cochenille fût exclusivemententre les mains des indigènes, ce furent les ladinos qui, en tant qu’intermé-diaires et commerçants, en avaient tiré le plus de profit.

Dans le même temps, la culture du café se développait. Elle offrait desprofits substantiels et, dès 1863, le secteur le plus agressif et dynamique dela classe dirigeante fut convaincu de ce que le développement du Guatemala,à travers l’augmentation de la production de café, exigerait l’expropriationde la propriété communale, sacrifiant ainsi les intérêts de la majorité de la population en faveur d’une minorité active et ambitieuse. Ainsi, à partir desannées 1860, l’exportation de café bouleversa la situation des campagnes.Les villages indigènes qui affermaient des terres aux métis pour produire ducafé les perdaient à jamais car ces ladinos ne payaient presque jamais leur

fermage en prétendant qu’ils disposaient, eux aussi, d’un droit d’usufruitdes terres communales. Dans d’autres villages, les ladinos s’emparaient deleur administration et réservaient une grande partie des ejidos pour eux oules vendaient à leur profit 22.

Sous la présidence de Carrera (1844-1848, et 1849-1865), il se produi-sit un rapprochement entre les créoles de l’oligarchie blanche et les métis jusqu’alors exclus, ces derniers pouvant dès lors accéder à une promotiondans le domaine économique et dans l’armée.

Libéralisme tardif et positivisme (1871-1944)

La paix, l’éducation et la prospérité matérielle représentèrent la devisedes libéraux de la République du café. Et, en vertu des principes libéraux,on considéra la propriété privée comme la condition indispensable du

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20. S ANFORD A. Mosk, p. 163.21. Id ., p. 69 sq , en référence à la lettre du corregidor de Retahueu, Nazaro de Toledo, au ministre de

l’Intérieur, du 21 mars 1863. AGCA, foliador n° 28593.22. MCCREERY D., p. 161, 164 sq . Cambranes (p. 90) observe: « Après l’indépendance, beaucoup de

ladinos s’étaient établis sur des terres de communautés et, comme le notait un corregidor en 1866,ils n’avaient jamais été inquiétés depuis par les autorités conservatrices ». Piedra-Santa affirme égale-ment (Introducción, p. 36): « Le café suscita une forte demande de terres, beaucop d’entre elles étantoccupées sans avoir été payées ». Gutmundson (op. cit., p. 46) observe simplement: « Les fermiers etles métayers, presque toujours métis, devaient payer les fermages et s’engageaient à produire descultures commerciales ».

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progrès 23. Avec la victoire militaire des libéraux en 1871, prit fin l’èreconservatrice et cléricale qui avait duré depuis 1839.

« Les conservateurs croyaient que l’on pouvait accroître la productionagricole sans que fût nécessaire une appropriation privée de la terre, opinionque ne partageaient évidemment pas des hommes comme Justo RufinoBarrios ou l’agronome Wolfram 24 ».

Le modèle idéologique des libéraux venait de France et le modèle poli-tique de Mexico. Les libéraux souhaitaient un État plus fort et moderne.

« C’était l’époque où l’État s’efforçait d’ouvrir des voies de communi-cation vers la côte, et l’on croyait que le chemin de fer apporterait la félicité

au pays. De la même façon, on était persuadé que l’immigration de paysansétrangers entraînerait automatiquement la prospérité, c’est pourquoi l’onautorisa la concession gratuite de terres aux immigrants et des voies decommunication aux entrepreneurs 25 ».

 À partir de 1845, on put noter un encouragement en faveur de la culturede café tant de la part de la Société économique que de celle du gouverne-ment, politique qui atteignit son apogée dans les années 1860 26. Les effortspour augmenter la production de café continuèrent sous la présidence deRufino Barrios qui était également producteur de café, et il encouragea 

systématiquement l’exportation de café, de bananes et la culture du coton,le développement des infrastructures et l’immigration européenne.

Pour remplir ce programme, il fallait de nouvelles terres. Celles descommunautés indiennes apparurent comme des réserves tout indiquéespour la culture de café. Cependant, en procédant à la confiscation des terrescommunales, Barrios agit avec plus de prudence que dans le cas des biensecclésiastiques, car il voulait éviter une rébellion comparable à celle desannées 1830. La majorité des indigènes ne fut pas touchée par cette mesure,car elle vivait dans des zones d’altitude trop élevée pour cette culture. De

même l’on procéda à l’indemnisation des villages qui avaient perdu des terresen zone fertile et tempérée en leur attribuant de nouveaux terrains sur lehaut-plateau. En outre, le gouvernement organisa rapidement l’affermagede terres communales à des particuliers pour la culture de produits d’expor-tation, comme cela avait été déjà le cas pour la production de cochenille 27.

Pour résumer, on peut affirmer que Rufino Barrios, entre 1873 et 1885,rendit possible, à travers la législation qu’il imposa, une accumulationprimitive de capital permettant que les terres, le travail et les revenus des

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23. TORRES R IVAS Edelberto, 1984, p. 139-173.24. GUDMUNSON, op. cit., p. 53, se réfère à l’œuvre de l’agronome allemand Louis Wolfram, 1887.25. PIEDRA -S ANTA  A., op. cit ., p. 38.26. MOSK Sanford A., Economía, op. cit ., p. 164 sq. Selon cet auteur, la propagande en faveur du café

commença en 1845 avec le publication d’une brochure de Manuel Aguilar.27. C ALVERT, 1985, p. 66 souligne également l’importance de la culture du coton, qui ne se développa 

cependant qu’après la seconde guerre mondiale.

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Mayas devinssent accessibles aux besoins de la nouvelle économie du caféet aux convoitises d’une bureaucratie en expansion 28.

En 1877, le gouvernement radicalisa les mesures de redistribution desterres. Le président Barrios continua de subvertir les règles de la propriétécommunale en renouvelant le processus de privatisation. On mit fin aucens emphytéotique, et l’on incita les familles qui avaient loué des terrescommunales et en avaient payé le loyer aux autorités municipales indigènes,à réclamer à l’État des titres de propriété privée 29. Cela équivalait pourl’État à confisquer les terres des communautés indiennes. En outre, ondéclara terres vacantes tous les terrains sur lesquels on ne cultivait ni café, ni

canne à sucre, ni cacao, ni fourrage. Ces terres furent divisées et vendues.Leurs acheteurs étaient tenus de payer des impôts à l’État, mais ceux-ciétaient réduits quand les terres étaient consacrées à des cultures d’exporta-tion, et notamment à la production de café. Le gouvernement commença de la sorte un vaste processus de redistribution de terres aux dépens desindigènes et favorable au secteur exportateur formé de riches métis etd’investisseurs étrangers 30. Comme on peut l’imaginer, les partisans dunouveau régime figuraient parmi les premiers servis 31.

 Ainsi le régime établi depuis 1871 mit fin à la paix relative dans laquelle

avait vécu jusqu’alors la paysannerie, d’une part parce que la nouvelle légis-lation qui exigeait l’enregistrement des titres de propriété permit à beau-coup d’usurper des terres de communautés, d’autre part parce que la demande de main-d’œuvre suscitée par la culture de café et sa cueilletteprovoqua une pénurie de travailleurs à laquelle on remédia en réintrodui-sant les formes coloniales de travail forcé 32. Celles-ci furent égalementemployées pour l’entretien des routes 33. Bien que l’utilisation du travailforcé n’eût jamais cessé au Guatemala et se fût prolongée depuis l’époquepré-hispanique, elle s’intensifia pendant la période libérale, en contradiction

flagrante avec « la philosophie libérale et ses postulats de la liberté de l’indi-vidu, du libre contrat, de la valeur du travail, de la libre concurrence, dela réduction de l’État, etc. 34 ».

Cambranes remarque qu’à la fin du  XIX e siècle, les projets défendus parles colons étrangers et leurs alliés nationaux ressemblaient fort à ceux descolonisateurs espagnols qui, en leur temps, avaient utilisé de même l’appro-

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28. K URTRNBACH S., Guatemala , p. 36.29. K URTENBACH S., p. 27 et 43. K  ALLER , p. 240, commente que les élites, au nom de la fiction de

l’État-nation moderne exercent leur violence contre la « culture primitive » des indigènes dans lebut de les « désindianiser » comme l’écrit Bonfil Batalla.

30. C ASAUS A RZÚ M., p. 795.31. N AYLOR R. A., p. 629.32. K URTENBACH S., p. 37.33. FUENTES MOHR  A., 1968, p. 198. PIEDRA -S ANTA  A., p. 33, 37 et 38.34. Id ., p. 198.

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priation de terres à leur profit et employé des mesures coercitives pour obte-nir de la main-d’œuvre indienne des services gratuits. En réaction, la paysannerie s’opposa avec violence à l’expansion des plantations de café surses terres expropriées, et ce n’est qu’en renforçant le système de militarisa-tion de la main-d’œuvre des grandes propriétés et en créant des milicesprivées que les libéraux pa rvinrent à juguler ces résistances 35. La violencedes rapports sociaux qui a marqué les campagnes guatémaltèques jusqu’à la fin du  XX e siècle était inscrite dans cette politique.

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Les resguardos au Venezuela Le cas particulier de la province andine de Mérida 

Edda O. S AMUDIO A.

Les premières décennies qui suivirent la conquête espagnole furentmarquées par l’hégémonie sans rivale des conquistadors qui, favorisés parla distance qui les séparait de la métropole et limitait le contrôle exercépar les autorités métropolitaines, défendaient les intérêts particuliers del’entreprise privée dont ils étaient les protagonistes. Ces circonstances déter-minèrent les formes de la domination imposée par les colons européensqui fondaient leur richesse sur l’exploitation de la main-d’œuvre indigène.Elles furent à l’origine des polémiques bien connues, alimentées par lesP. Montesinos et Bartolomé de las Casas, qui eurent pour conséquence la 

promulgation de lois destinées à améliorer le traitement dispensé aux indi-gènes 1.

Cependant, la réalité, bien différente de ces réformes, fut celle de la tristeexpérience de la coexistence entre Indiens et Espagnols qui conduisit, dansla seconde moitié du  XVIe siècle, au développement d’une politique quiencourageait la séparation des Européens et indigènes afin de protéger cesderniers des abus dont ils étaient victimes. C’est ainsi que fut institutionna-lisé le resguardo, nom donné aux terres communales et employé en Nouvelle-Grenade pour désigner les propios des villages indiens. À travers cette insti-tution, les Indiens furent cantonnés à des espaces circonscrits et l’on parvintainsi à les isoler du reste de la société coloniale, en même temps qu’on

1. Consulter notamment: M ARTÍNEZ R EYES Gabriel, 1984, p. 457-469. Une étude particulièrementsuggestive, celle de FRIEDE Juan, 1949, p. 286-304.

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prétendit mettre fin aux relations funestes établies entre les encomenderos 2 etles populations qui leur étaient confiées. On protégeait de la sorte les Indiensen leur attribuant des terres qui garantissaient leur subsistance.

La mise en place des resguardos

 Ainsi, les villages indiens furent dotés de biens de communautés 3 quise révélèrent, dans certains cas, aussi riches, voire davantage, que les propios des établissements espagnols. La Couronne se soucia très tôt de ce que lesIndiens missent en valeur ces terrains – labours et cultures, ramassage dubois, élevage, etc. – au bénéfice de leurs communautés. Sous le règne dePhilippe II, ces biens acquirent un caractère légal et furent reconnus à tousles villages indigènes. De cette façon, les biens de communautés compre-naient les terres attribuées à chaque établissement indigène, ainsi que lesproduits des cultures et de l’élevage et tous les bénéfices résultant du travaildes Indiens effectué sous forme collective.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, avec l’établissement du tribut, futcréée l’obligation pour les Indiens de contribuer à l’alimentation d’un fondsde réserve collectif. C’est ainsi que les bénéfices des biens de communauté,

administrés avec soin, alimentèrent des caisses de communauté (cajas de Comunidad y de Censos ). Au Mexique, celles-ci remplirent des fonctions decrédit, générant d’importants profits 4. Au Venezuela, elles permirent l’utili-sation de fonds pour soutenir les procès contre des propriétaires fonciersusurpateurs de terres communes. Cependant, dans la province de Mérida,ces caisses ne connurent pas de grand développement, et, dans certains cas,elles furent même victimes de certaines irrégularités.

Il revint au premier président de l’ Audience  de Santa Fé (l’actuelleBogotá), Andrés Venero de Leyva, de procéder à la mise en place et à l’orga-

nisation des resguardos de la Nouvelle-Grenade, dont fit partie Mérida  jusqu’à son annexion à la Capitainerie générale du Venezuela, en 1777 5.Ce magistrat établit l’institution des visites d’inspection (revisitas ) grâceauxquelles on parvint à connaître les conditions réelles dans lesquellesvivaient les Indiens et ce qu’il en était de leurs terres. L’information ainsicollectée dans différentes provinces permit de rendre aux villages les terresqui leur avaient été volées, de même que l’on procéda à l’extension de leurs

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2. Encomendero: un conquistador disposant de la main-d’œuvre de villages Indiens en échange de la protection qu’il leur accordait; il s’engageait également à les évangéliser.

3. Il s’agissait de biens de natures différentes, parmi les plus importants figuraient le tribut et les terresde communauté. L’une des études les plus pertinentes sur le sujet est celle de López Sarrelangue(DELFINA E., 1966, p. 131-148).

4. Elles consolidèrent ainsi un véritable pouvoir économique. Consulter sur ce sujet l’étude de A RCILA 

F ARÍAS Eduardo, 1955, p. 37-38, et 1968, p. 19-32.5. Voir LIÉVANO A GUIERRE Indalecio, 1974, p. 155-156 et 168-170.

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mesure où les Indiens se trouvaient obligés de travailler hors de leurs terres,dans les propriétés des citadins fortunés, en sus des travaux obligatoiresqu’ils étaient tenus d’effectuer à la ville chacun leur tour 9.

Le respect des cédules royales et la mise en pratique des Ordonnances justifièrent l’envoi d’auditeurs de l’Audience 10 et d’autres fonctionnairesde la Couronne dans différentes provinces de la Nouvelle-Grenade afind’enquêter sur les terres que possédaient les Indiens, de leur qualité et deleurs productions. Ils devaient de même vérifier que les propriétairesremplissaient les conditions requises de résidence et de mise en valeur effec-tive de ces terres 11, et connaître de la légalité de la possession des terres en

accord avec la législation en vigueur aux Indes occidentales. À l’occasion de ces inspections, ils devaient vérifier la validité des titresde propriété et accomplir les formalités nécessaires pour les enregistrer, cequi entraîna d’importantes conséquences sociales et économiques. La légis-lation sur les terres usurpées aux dépens des indigènes signifia davantagequ’un accroissement des ressources fiscales et la possibilité de doter de terresles communautés indiennes et la population dépossédée, récemment instal-lée dans les centres urbains ; en effet, la reconnaissance des droits des indi-gènes sur les terres dont on les avait dépouillés permit un accroissement

notable de la propriété individuelle de la terre.

Les resguardos au Venezuela 

Dans le cas de Mérida, on peut considérer que les premières créations deresguardos furent précoces; et elles le furent d’autant plus si l’on considèreque la ville faisait partie des territoires périphériques de la Nouvelle-Grenade. Avant de connaître leur plus grande extension au début de la dernière décennie du  XVIe siècle, des resguardos avaient déjà été attribués à 

des communautés indigènes. Cette inititative revint à Juan Gómez Garzón,en tant que juge ( Juez Medidor de tierras ), en 1594. En outre, de même quedans les autres provinces, le processus d’affectation de resguardos s’étenditbien au-delà de la première moitié du XVIIIe siècle, à mesure que l’on procé-dait à de nouvelles réductions de la population indigène et que des villagesindiens s’établissaient de façon définitive (fig. 1).

 À partir de la constitution des resguardos , la structure du peuplementfut définie par sa résidence et ses terres collectives. L’assignation des resguar-dos , en 1594, fit partie de la nouvelle répartition de terres (composición)

ordonnée par le président de l’Audience, Antonio González. Cette situa-

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9. Ce système d’organisation du travail dans la province de Mérida a été étudié par S AMUDIO A.Edda O., 1988, p. 174-211, ainsi que 1993, p. 43-51.

10. Il s’agit à la fois de magistrats et de gestionnaires, les audiences cumulant de nombreuses fonc-tions, entre autres d’administration et de justice (NDT).

11. OTS C APDEQUÍ  José María, 1967, p. 230.

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 LES  RESGUARDOS AU VENEZUELA..

 Figure  1 : Pueblos dotados de Resguardos  en la Mérida  andina

tion confor tai t l'organisation des espaces habi tés par les villages, étan t donné

que le juge les dotait  d'une  lieue carrée de terre à partir du centre de la place

ou de la porte de l'église, principalement destinée à des cultures de subsis

tance  1 2 . Cependant, cette mesure ne garantissait pas que chaque village

bénéficiât  de terre, et moins encore que ces communaux fussent placés sur

les  meilleurs terrains.Avec  l'établissement de ces zones de cultures, la Couronne atteignait,

en principe,  l 'objectif    de  fixer  la population indigène  dans  des endroits

précis  afin de la contrôler et de veiller à ce qu'elle remplît ses obligations

fiscales  1 3 . Or, garantir le recouvrement du tribut exigeait du même coup un

contrôle de la main-d'oeuvre destiné à éviter l'exploitation des Indiens et

à  assurer leur subsistance  l 4 . Cela entraîna tout un processus de rassemble

ment et de déplacement des communautés indigènes afin de les incorporer

12. Ce sujet a été l'objet d'une étude sous presse. Un extrait in  S A M U D I O A. Edda O.,  1993, p.  5-90.13.  T O V A R  P I N Z Ó N  Hermes,  1989, p.  28.14. Un spécialiste de l'histoire sociale colombienne rappelle que les principaux objectifs de cette insti

tution étaient 1) « de fixer la population indigène afin  de rationaliser et de contrôler sa force detravail et la préserver de l'extinction ; 2) établir une réglementation concernant les terres vacanteset les terres de  realengo, afin d'organiser dans le futur leur vente ou leur adjudication  ».  FALS  BORDA

Orlando,  1975, p. 69.

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à la trame des relations économiques, politiques et religieuses tissée par lesEspagnols sur le territoire. L’abandon progressif des terres qui avaient étéoccupées par les Indiens conduisit aussi à définir et à déterminer les terreslibres ou susceptibles de le devenir.

Dans la province du Venezuela, des terres de cultures collectives furentdéfinies en vertu de la cédule royale du 12 décembre 1691, qui énonçait lesordonnances destinées aux Indiens de cette province, appliquées par la suiteà la Nouvelle-Andalousie. La lieue carrée de terre attribuée à chaque village à partir du centre de la place était clairement mentionnée dans les instructionsdu gouverneur Francisco de Berroterán pour l’administration des Indiens

du Venezuela, dispositions qui furent approuvées par une cédule royalede 1695 15. Dans ce cadre, la lieue carrée représenterait 3105,5 hectares.Le resguardo fit ainsi partie du régime de propriété de la terre dès une

date précoce, et, à travers cette institution, une propriété collective communefut garantie aux Indiens, à leur bénéfice exclusif 16. Cependant, ils ne dispo-saient que de l’usufruit de ces terres, la Couronne s’en réservant la propriétééminente. On les empêchait ainsi de commercialiser ces terres, considéréescomme un moyen d’existence fondamental pour les communautés.

L’intérêt pour l’étude de ces terres communales au Venezuela est relati-

vement récent et, la plupart du temps, les juristes et les historiens n’ontconsacré d’efforts qu’à traiter de l’aspect juridique de cette institution. Parmices travaux, se détachent ceux de María Antonieta Rodríguez Guarda (1982,p. 101), qui portent sur la législation républicaine à l’égard des terres deresguardo. De même ceux d’Alberto Valdés (1971) qui étudie le problèmedepuis la colonie jusqu’à nos jours dans un ouvrage intitulé « Essai d’analyseintégrale du processus d’accaparement des terres vacantes, appartenant tradi-tionnellement aux Indigènes, dans l’Amazonie vénézuélienne ».

Une étude à la perspective différente, celle d’Emanuele Amodio (1991,

p. 267-308), analyse la défense des terres communales par les Indiens dansla région Nord-Est durant la première moitié du XIX e siècle. Un autre travail,inédit, de Cristina Merejech (1984), porte plus particulièrement sur la propriété des resguardos dans une période et une zone circonscrites. Danscertains essais de microhistoire sont abordés, de façon indirecte, certainsaspects du resguardo ; c’est le cas des travaux de Lucas Guillermo CastilloLara (1973), dans son Histoire de La Grita (tome I), et d’Inés Cecilia FerreroKellerhoff (1991), à propos de la zone de Capacho.

D’autres travaux abordent le sujet dans le cadre d’un travail plus vaste,comme ceux d’Eduardo Arcila Farías (1966 et 1973) et de Federico BritoFigueroa (1978). De même, il existe une source importante de nature juri-

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15. D A PRATO-P ARELLI Antoinette, 1986, p. 427-461.16. GONZÁLEZ Carlos Alberto, 1984, p. 9-43.

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dique formée par la recopilación del Fuero Indígena Venezolano 17 et les Matériaux pour l’étude de la question agraire au Venezuela .

En ce qui concerne Mérida, le département d’histoire de la faculté deshumanités et des sciences de l’éducation de l’Université des Andes abritedepuis 1979 un séminaire d’histoire régionale qui a été à l’origine de thèseset de mémoires de licence sur le resguardo, certains de caractère synthétiqueet d’autres consacrés à des cas particuliers. Tous ont été réalisés avec rigueur,en se fondant sur l’analyse des sources documentaires, et vérifiés par desenquêtes de terrain. En outre, bien qu’elles se réfèrent seulement à la docu-mentation que fournit une inspection des auditeurs de l’audience dans les

villages indiens de Mérida au XVIIe

siècle, il convient de citer les recherchesde Nelly Velásquez consacrées au resguardo de Mérida 18.Enfin, les sources portant sur les terres de communautés indiennes sont

abondantes, beaucoup d’entre elles ont été publiées et analysées. Le travailqui suit correspond donc à l’analyse de cette information et à la synthèse deces travaux.

Le resguardo dans la législation des Indes occidentales

Pour la Couronne, il ne fut pas facile de concilier la préservation etl’évangélisation de la population indigène avec les nécessités du fisc 19 et lesintérêts des conquistadors et des premiers habitants espagnols qui fondaientleurs exigences sur le droit de conquête 20. Dans l’abondante législation desIndes consacrée à la population autochtone, on peut percevoir d’impor-tantes contradictions, qui résultèrent du désir de la Couronne de concilierexigences matérielles et spirituelles. En règle générale, les premières préva-lurent sur les secondes.

L’étroite relation entretenue par les Indiens avec leur terre, fondée sur

son exploitation et son usage collectif, reçut l’appui de la législation desIndes qui conférait à ses propriétaires un droit collectif sur un territoiredélimité, selon des critères fondés sur les principes de la propriété de droitromain 21. La propriété des terres communales, de la même façon que la propriété individuelle, devait se traduire par un titre, document qui consti-tuait l’origine et le fondement légal du droit exercé par la communauté surce bien foncier. Sur la base de ces principes, on attribua des terres à descommunautés indigènes par donation, repartimiento, achat ou composi-

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17. A RMELLADA Fray Cesáreo, 1977.18. V ELÁSQUEZ Nelly, 1987, et 1991, p. 7-18.19. SIMPSON Lesley Byrd, p. 15.20. DURÁN A LCÁNTARA Carlos, 1989, p. 133-155.21. HERNÁNDEZ R ODRÍGUEZ Guillermo, 1978, p. 301.

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tion 22. De la sorte, en même temps qu’on attribuait des terres aux villages,on faisait bénéficier ceux-ci d’une reconnaissance légale 23.

La Couronne fut préoccupée de ce que les indigènes conservèrent desterres et c’est ainsi qu’elle donna pour consigne d’en attribuer à tous ceux qui n’en avaient pas 24. De même, elle légiféra très tôt sur le respect dû à ces propriétés; c’est le cas des ordonnances de Saragosse en 1518, qui préci-saient que les Indiens ne devaient pas être dépouillés des terres dont ilsavaient bénéficié traditionnellement, et qu’elles devaient être réservées à leur culture 25. En outre, il était précisé que toute vente et attribution deterres devait s’effectuer dans l’intérêt des Indiens 26. Mais, très vite, ces

communaux furent soumis à la pression de propriétaires qui, non seule-ment parvinrent à accroître leurs fonds aux dépens des resguardos , mais aussidétruisirent leurs récoltes et obligèrent les membres des communautés à travailler sur leurs haciendas .

En 1550, il fut établi que les exploitations d’élevage devraient être situéesloin des villages et des terrains cultivés par les Indiens, pour éviter les dégâtsoccasionnés par le bétail dans les champs de maïs 27, aliment de base desindigènes. Mais dans la mesure où de grands troupeaux se développaient 28,les préjudices causés aux communautés s’accrurent; la législation revint à 

plusieurs reprises sur le sujet, jusqu’au  XVIIIe siècle 29.Dans la législation des Indes, l’idée de la propriété commune des terress’exprima dès les premières décennies de la conquête. Une première mentionapparut le 14 mai 1546, dans un texte qui traitait des terres appartenant à des Indiens d’encomienda . Pour cela, on ordonna que les encomenderos nepourraient hériter des Indiens sans descendance dont les biens devraientrevenir au village 30. En même temps que se constituaient des villagesindiens, la nécessité de les doter de terres s’imposa, comme le précise en1546 une décision de Charles Quint décidant que les Indiens devaient être

rassemblés dans des « réductions » et ne plus vivre dispersés dans les sierras ,loin des bénéfices matériels et spirituels de la civilisation.

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22. On désigne sous le terme « composition de terres » une pratique qui visait à légaliser l’occupationde fait d’un terrain moyennant le paiement d’un dédommagement au fisc (NDT).

23. DURÁN A LCÁNTARA Carlos, op. cit., p. 152.24. OTS C APDEQUÍ  J. M., 1941, p. 143.25. Recopilación de Leyes de Los Reynos de Las Indias , Libro IV, Tít . XII, Ley  XVI.26. A RCILA F ARÍAS Eduardo, 1966, p. 87-89, 135-138.27. Recopilación, Libro IV, Tít . IX, Ley  XII.28. En 1596, il fallut de nouveau rappeler que les auditeurs et les inspecteurs devaient veiller à empê-

cher les dégâts occasionnés par le bétail des propriétés espagnoles dans les cultures indigènes.Recopilación, Libro II, Tít . XXXI, Ley  XIII.

29. Une autre disposition royale de 1618 interdisait l’établissement d’élevage à proximité des villagesindiens. Recopilación, Libro VI, Tít . III, Ley  XX, et Tít . XVI, Ley  XLIII. Cité par G ARCÍA G ALLO

Concepción, 1979, p. 161.30. Recopilación, Libro VI, Tít . I, Ley  XXX.

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Le 18 janvier 1552, la Couronne chargea les inspecteurs de veiller à toutprix à ce que les Indiens possèdent des terres de communauté et qu’ils y plantent des arbres 31. Une décennie plus tard, le 19 février 1560, unecédule royale de Philippe II disposait que les villages indiens conserveraientleurs terres sans le moindre changement par rapport à la situation anté-rieure à la conquête 32.

 Afin d’établir de nouvelles sources de revenus pour le fisc et d’organi-ser la mise en valeur des terres sur un aussi vaste territoire, Philippe II émitquatre cédules royales, le 1er novembre 1591 33, qui établissaient le prin-cipe de la « composition de terres 34 ». Ces dispositions s’accompagnaient de

la dévolution des terres de la Couronne abusivement occupées, et mettaienten vigueur les dispositions du 20 novembre 1578 et des 11 janvier 35 et8 mars 1589 36. Ainsi, ce qui avait représenté initialement un instrument

 juridique d’exception devint une forme fréquente et commune, permet-tant un accès légal à la terre à partir d’une occupation de fait. Les disposi-tions du Pardo de 1591 déterminaient que les villages d’Espagnols severraient attribuer la quantité de terres nécessaires pour leur établissement,leurs ejidos et leurs propios , en même temps qu’on insistait, sans autre préci-sion, sur la nécessité de confirmer les Indiens en la possession de leurs terres

en évoquant la possibilité de leur en donner d’autres, s’il était besoin 37.Cette disposition fut complétée par une autre datant de 1598, par laquellela Couronne stipulait que si les terres assignées aux Indiens ne suffisaientpas à leurs besoins, il faudrait en prendre aux Espagnols, moyennantcompensation 38. Cependant, ces mesures ne parvinrent pas à arrêter leprocessus de dépossession des communautés.

Ce dispositif légal, qui confortait la légitimité de la propriété indigène,répondait à un projet de protection en même temps que d’accroissement

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31. Recopilación, Libro II, Tít . XXXI, Ley IX.32. En 1573, il fut établi que les villages indiens devaient disposer d’eau, de terres de culture, de montes 

et d’ejidos . Ces derniers devaient occuper une superficie d’une lieue carrée, étant précisé que lesIndiens devaient y faire paître leurs troupeaux, séparés de ceux des Espagnols. En 1578, une autrecédule revenait sur les mêmes recommandations. En 1582, chaque Indien du Pérou et de la Nouvelle-Espagne fut obligé de cultiver dix brasses de terres au bénéfice de sa communauté.Recopilación, Libro VI, Tít . III, Ley IX. Ainsi que Libro III, Tít . II, Ley LXIII. Et Libro VI, Tít . III,Ley VIII. Libro IV, Tít . XII, Ley  XIV.

33. Recopilación, Libro VI, Tít . XII, Ley  XIV.34. Parmi les études traitant du sujet, SOLANO Francisco de, 1984, p. 44-45 et 1970; FRIEDE Juan,

p. 53. CHEVALIER Francois, 1982, p. 326-338 et J ARA  Alvaro, 1961, p. 1-10.35. Une autre disposition du 11 janvier 1589, dirigée aux vice-rois et présidents des audiences, invali-

dait les attributions de terres auxquelles avaient procédé les municipalités et imposait leur acquisitionpar le moyen des « compositions ». À partir de cette date, « la composition légalisait l’occupationde fait de terres usurpées qui revenaient à la Couronne pour être ensuite de nouveau distribuées ou,moyennant finances, restaient aux mains des usurpateurs ». FRIEDE Juan, op. cit., p. 53.

36. OTS C APDEQUÍ  José María, 1946, p. 68 ; LIÉVANO A GUIRRE Indalecio, p. 211.37. Recopilación, Libro IV, Tít . XII, Ley IV.38. Recopilación, Libro VI, Tít . III, Ley  XIV.

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signifia l’abandon de la législation protectrice des Indiens. José BernardoGálvez y Gallardo, marquis de la Sonora, l’un des hommes les plus influentsde la monarchie espagnole, se chargea de définir les nouvelles orientations.Il attribuait le manque de capitaux aux limites imposées par les disposi-tions favorables aux indigènes 47, aussi proposait-il d’accroître la prospéritédes grands propriétaires dont la Couronne tirerait ses revenus les plus sûrsgrâce à une politique fiscale réorganisée.

Cette conception eut des conséquences immédiates sur les communau-tés. Toutefois, il subsistait encore un nombre significatif de resguardos lorsque le Venezuela accéda à l’indépendance. Ainsi, la Constitution fédé-

rale de 1811 disposait que les resguardos furent répartis entre les famillesqui en étaient les légitimes propriétaires, et les Cortès de Cadix, par le décretCCVII du 9 novembre 1812, ordonna :

« Si les terres de communauté sont abondantes au regard de la popu-lation à laquelle elles appartiennent, il sera juste de les répartir pour moitiéen propriété individuelle, la charge de ce partage revenant aux Députationsprovinciales qui désigneront la portion de terre qui revient à chaque indi-vidu, en fonction des circonstances particulières à chacun et à chaquevillage 48 ».

Le décret XLII du 13 mars 1811 excluait les castas [métis de Noirs] de cesrépartitions de terres et, finalement, le décret CCXIV du 4 janvier 1813concluait que « les Cortès devraient décider de ce qui conviendrait le mieux à chaque territoire ».

Le resguardo dans la législation républicaine

Les idéaux qui inspirèrent l’organisation politique républicaine furentnourris de concepts généraux sur les droits de l’individu et sur son impor-

tance comme membre de la société. L’individualisme économique fondésur les capacités et l’aptitude des mieux dotés à conduire la société sur la voie du bien-être et du développement se refléta très tôt dans les premièreslois républicaines. Elles s’intéressèrent à la population indigène dont onpensait alors, suivant Montesquieu et Rousseau, qu’elle avait été prospère etlibre jusqu’à ce qu’elle fût réduite en esclavage au bénéfice d’un grouped’exploiteurs 49.

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47. LIÉVANO A GUIRRE Indalecio, p. 418. Il faut souligner l’importance exercée par des théoricienséconomiques tels que Campillo et Cosio, puis Jovellanos, Ward et Campomanes sur les projetséconomiques des Bourbons. GONZÁLEZ Margarita, 1983, p. 129-186. Une vision de l’Espagne à cette époque dans S ARRAIL Jean, 1957 ; A NES Gonzalo, 1976 et pour une histoire générale de la période, l’œuvre de V ICENS V IVES J., 1974.

48. « Decreto de las Cortes Generales y Extraordinarias de España, del 9 de noviembre de 1812 sobreabolición de las mitas y otras medidas a favor de los Indios ». Materiales…, 1964. p. 98.

49. R IVERA SIERRA  Jairo, 1985, p. 803-856.

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 À ces clichés répond le décret du 24 septembre 1810, qui accordel’égalité des droits aux indigènes et leur répartit les resguardos en propriétéindividuelle pleine et entière, sur la base du nombre de familles. Cettemesure est limitée par l’interdiction de vendre ou de donner ces terres pourune durée de vingt ans, délai nécessaire pour apprendre à défendre et mettreen valeur ces terrains. Ensuite, la  constitution fédérale du 21 décembre 1811mit en place tous les principes qui définirent la problématique indigènepour le reste du XIX e siècle. Elle établit l’égalité « révolutionnaire » des Indienset des autres citoyens et elle supprima le tribut en même temps que toutesles mesures qui traitaient les Indiens comme des mineurs et les contrai-

gnaient à des services gratuits. En ce qui concerne les terres de communauté,la constitution sonnait le glas d’une institution longue de plusieurs siècles enautorisant les Indiens à diviser « sous la forme de propriété privée les terresen usufruit, entre les pères de familles de chaque village, selon les termes etles règlements établis par les gouvernements provinciaux 50 ».

Cette réglementation aux visées paternalistes se traduisait par un mélangedisparate de mesures en matière d’éducation, de salaire et d’organisation dela population indigène et des territoires qu’elle occupait, mélange qui devintune constante de la profuse législation du XIX e siècle, voire de celle du  XX e.

Il est évident que les objectifs de ces mesures visaient à la suppression de la propriété collective afin d’incorporer celle-ci au marché de la terre, et à l’assi-milation définitive des Indiens aux valeurs de la société de cette époque.

Par le décret de Rosario Cúcuta du 20 mai 1820, destiné à protéger lesindigènes du Cundinamarca (l’actuelle Colombie), Bolívar décida que l’onrestituerait les terres de resguardos usurpées et qu’on les répartirait entre lesfamilles indigènes.

Mais ces premières lois républicaines ne mirent pas fin aux attaques quesubissaient continuellement les terres indiennes, et ne parvinrent pas davan-

tage à améliorer l’état misérable de ces villages. Aussi, le 12 février 1821,Simon Bolívar ratifia le décret du 20 mai, avec quelques modifications, enprécisant au gouverneur de Tunja que « non seulement il existe des abuscommuns à tous les corregimientos de cette province, mais encore les Indiens,loin de voir leur sort s’améliorer et d’avoir acquis leurs terres, et avec celles-ci le moyen de faire vivre leur famille, ont été dépouillés et réduits le plussouvent à des terrains stériles et de moindre superficie que ceux dont ils

 jouissaient auparavant 51 ». C’est pourquoi il ordonna de restituer toutesles terres correspondant aux resguardos , et de répartir la totalité des fondsaptes aux cultures, sans y inclure les parcelles destinées à la création d’écoles,ou au paiement du tribut, comme l’avait établi le décret précédent. Il ne

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50. Fuero Indígena Venezolano, 1977, p. 17-18.51. Id ., p. 29-30.

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formulait qu’une seule réserve, celle d’affermer les terres qui seraient excé-dentaires une fois le partage effectué.

Sur l’autel de la justice, de la raison et de la politique, on promulgua la Loi fondamentale du 11 octobre 1821, qui déclarait que la populationindigène, opprimée par le gouvernement espagnol, recouvrerait tous sesdroits, au même titre que les autres citoyens 52. En vertu de cette décision,les resguardos seraient partagés entre les familles indigènes, tâche qui incom-bait aux dirigeants politiques 53.

En 1828, les dispositions légales n’avaient pas affecté les resguardos , carles terres restaient à partager, ce qui justifia le décret du 15 octobre de la 

même année par lequel Bolívar incluait trois articles consacrés à ceproblème 54. Huit ans plus tard, le 2 avril 1836, le Sénat et la Chambre desreprésentants du Venezuela réunis en Congrès, promulguèrent la premièreloi relative aux resguardos . Comme le rappelle la loi de 1836 (art. 3) quicherchait à faire appliquer celle d’octobre 1821, cette mesure ne connutpas davantage d’application que les précédentes. Elle prévoyait pourtantque les députations provinciales devaient résoudre au mieux et le plus rapi-dement la répartition des resguardos entre les indigènes. L’application de ceslois visait à modifier profondément la vie des Indiens en contribuant à 

l’affaiblissement des liens communautaires 55.Deux ans plus tard, une nouvelle loi, celle du 7 avril 1838, abrogeait lesdispositions de la loi de 1836 au prétexte que celle-ci n’avait pas rempli lesobjectifs du législateur 56. La loi de 1838 introduisit de nouveaux élémentsen ce qui concerne le partage des resguardos ; elle autorisait désormais lesIndiens à effectuer eux-mêmes la division de leurs terres, prérogative quiincombait précédemment aux députations provinciales.

Le 21 janvier 1852, une décision de l’exécutif recommandait aux gouverneurs d’enquêter sur les terres vacantes, dont l’adjudication au plus

offrant avait pour but d’augmenter le patrimoine des particuliers en mêmetemps que d’augmenter les rentrées fiscales. La même résolution décrit lestroubles importants qui se produisaient alors dans les resguardos à l’occa-sion de l’inventaire et du bornage de ces terres réputées vacantes.

Durant la décennie 1880, on procéda au perfectionnement des dispo-sitions légales qui mettraient en pratique l’élimination définitive de la propriété communale. Ainsi, le 2 juin 1882, Guzmán Blanco promulga la loi sur la « Réduction et civilisation des indigènes et sur les resguardos », parlaquelle on exprimait l’obligation de diviser les terres communales, mesure

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52. Id ., p. 34-35.53. Ibid. Voir également Cuerpo de Leyes…, 1961.54. Fuero Indígena Venezolano, T. II, p. 62.55. CUNILL GRAU Pedro, 1987, p. 1047.56. L’ Acuerdo de la Corte Suprema du 22 de septiembre de 1847 insiste sur ce point (in Materiales para 

el Estudio de la Custión Agraria en Venezuela , p. 307).

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qui avait été envisagée dès les premières années de la vie républicaine, par la constitution de 1811 et la loi de 1821 57. Deux ans plus tard, le 16 juin1884, une nouvelle loi non seulement reconnaissait comme communautésindigènes les peuplements des provinces amazoniennes, du haut Orinoqueet de la Guajira 58, mais accordait aussi ce statut à toutes celles qui possé-daient un acte authentique démontrant qu’elles avaient été l’objet d’unefondation missionnaire. De même, pour celles qui ne disposaient pas de cedocument, il était possible d’obtenir une reconnaissance. Les effets de la loiétendaient la condition d’indigène aux descendants légitimes ou naturelsdes habitants de ces territoires, en ligne directe ou collatérale. L’article 5 de

la loi de 1884 établissait une série de normes concernant la division desresguardos .Un an plus tard, le 25 mai 1885, on promulguait la loi qui consacrait

l’extinction du resguardo en ajoutant aux dispositions précédentes desmesures expéditives. Ainsi, les terrains réservés à l’accroissement de la popu-lation furent réduits, et les 25 ha spécifiés par la loi de 1882 furent réduitsà 15. Une nouvelle série de dispositions était prévue qui devait entrer envigueur dès que le processus de division des resguardos commençait, à la suite de la demande des intéressés et après publication officielle dans la 

presse 59.Un grand nombre de communautés indiennes se fondèrent sur cetteloi pour entamer le partage de leurs terres. Cependant, quatre ans plus tard,quelques requêtes réclamaient la prolongation du délai prescrit par la loide 1885, et reçurent l’approbation du président Andueza Palacios, quidécida que « les communautés indigènes continueraient à disposer de leursterres jusqu’à ce que l’exécutif soit en mesure de procéder à l’inventaire, aubornage et à la division de celles-ci 60 ». La rigidité des dispositions de la loi de 1885 suscita de tels problèmes que la haute cour fédérale décida,

avec bon sens, de suspendre les dispositions qui privaient les Indiens dubénéfice de leurs terres si l’on n’avait pas procédé au partage de celles-cidans un délai de deux ans. Une loi de 1904 reconnaissait la propriété desindigènes sur leurs resguardos et établissait la forme selon laquelle ils pour-raient acquérir un titre définitif de propriété 61. Le coup de grâce fut donnépar la loi sur les terres vacantes et les ejidos du 19 août 1936. À cette date,

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57. La loi faisait référence à l’antériorité des lois de 1821, de 1836, de 1838 et de 1841. Ibid ., p. 176-178.58. Il s’agissait de groupes ethniques établis dans la selva du bassin de l’Orénoque et dans les terres de

Goajiras qui n’étaient évidemment pas intégrés à la vie « civilisée ».59. En dépit de ce que l’art. 4 de la loi de 1885 disposait que l’on devait procéder impérativement au

partage des resguardos dans un délai de deux ans, les derniers articles de la loi précisaient que les jugements de partage en cours seraient menés jusqu’à leur terme, ce qui pouvait durer bien desannées.

60. A RMELLADA Fray Cesáreo, Fuero Indígena Venezolano, p. 214.61. Loi sur les resguardos , Caracas, 8 avril 1904.

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les anciennes missions des terres amazoniennes avaient déjà procédé aupartage de leurs resguardos .

La décadence des resguardos dans la province de Mérida 

Le manque de précision des limites des terres de communautésindiennes donna lieu à des conflits permanents avec les propriétés voisinesqui refusaient intentionnellement de les reconnaître dans le but, souventatteint, d’accroître leurs fonds ou d’augmenter leur production. Ces conflitss’aggravèrent au fur et à mesure que s’accélérait le processus d’expansion etde consolidation de la propriété privée de la terre. Pour certaines commu-nautés, les usurpations de terres furent à l’origine d’interminables procèsqu’elles durent intenter à des intrus. Dans certains cas, les Indiens se retrou-vèrent péons d’haciendas fondées à partir de leurs propres resguardos .

Les modifications de l’organisation sociale des communautés indiennes,évidentes au  XVIIIe siècle, s’accentuèrent au  XIX e, et furent à l’origine dedifférences significatives qui trouvèrent un écho dans la transformation desstructures spatiales des resguardos . Celles-ci perdirent progressivement leurcohésion sous la pression d’agents extérieurs introduits sur leurs terres qui

entraînèrent l’affaiblissement progressif de leurs richesses, la modificationde leurs activités traditionnelles, l’apparition de nouvelles fonctions et, pourconséquence, l’installation de nouveaux éléments culturels.

L’intensification du processus de métissage représente l’un des traits lesplus intéressants du dernier siècle de la domination hispanique, période defort accroissement démographique au Venezuela. En liaison avec les villagesd’origine indigène, des noyaux de métissage s’étaient formés, accentuantleur hétérogénéité ethnique. Dans le cas des villages indiens de Mérida, demême que dans les autres villages comparables de la zone andine, les

registres paroissiaux révèlent la présence d’Indiens forasteros (venus d’ailleurs)et des représentants d’ethnies différentes. Dans les registres paroissiaux deMucuchíes, comme dans celui de Morro et Tabay, parmi d’autres, on notemême des mariages, baptêmes et enterrements de Blancs pour l’année 1816,et à Santiago de Lagunillas ou à Timotes, comme dans d’autres lieux, oncompte aussi des mulâtres 62. Dans ces villages, fondés par des missions reli-gieuses à des fins d’évangélisation, la perte progressive de l’identité indi-gène est patente, de même que la présence permanente dans ces villages decatégories que la législation coloniale en avait exclues. C’est ce que montre

bien la composition ethnique de San Antonio de Chiguará, de PuebloLlano, de El Morro et de Pueblo Nuevo, en 1817 et 1824, villages situésdans des zones différentes de la province de Mérida.

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62. S AMUDIO A. Edda O., 1996, p. 15-42.

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Évidemment, une population étrangère, indienne et non-indienne,s’était établie dans ces bourgs et occupait les terres de resguardos , parce qu’elleles avait louées, ou parce qu’elle en avait obtenu l’autorisation des proprié-taires. Ces pratiques furent à l’origine de confusions quant aux usufruitiersdes resguardos qui avaient conservé leur condition communale car les pres-criptions de Bolívar n’ava ient pas été respectées. Les plus hautes autoritésprovinciales précisèrent que les Indiens se confondaient avec cette popula-tion plus récente dont ils se méfiaient étant donné sa propension à utiliserla loi à son profit et son habileté à accroître ses biens à leurs dépens en multi-pliant les procès pour des conflits de bornage, d’eau et de pâtures 63.

Les problèmes que devait susciter la présence d’usufruitiers et de déten-teurs non-indigènes de droits sur des terres collectives exercèrent une fortepression sur le partage des resguardos . En 1832, le gouverneur Juan de DiosPicón soulignait la situation confuse de ces terrains et proposait, pour enfinir avec les conflits, que l’on procéda au partage en vertu d’une loi quipréciserait les règles de cette division qu’il estimait fondamentale pourl’amélioration de l’agriculture et l’établissement de la concorde entre lescitoyens. Il demandait de même au Congrès d’autoriser les députationsprovinciales à établir les modalités du partage individuel en fonction des

particularités locales, lorsque l’application d’une loi générale ne serait paspossible. Il est intéressant de noter à ce propos que, quatre ans plus tard,la loi de 1836 mettait un frein au partage des resguardos .

En 1845, le gouverneur Picón, dans son Mémoire adressé à la députa-tion provinciale, évoquait de nouveau la situation difficile créée par l’acca-parement illégal de resguardos . Il précisait que beaucoup d’indigènes se rési-gnaient à ces ventes clandestines à cause de leur pauvreté extrême, et qued’autres, « à cause de leurs coutumes, engagent et aliènent les droits qu’ilspossèdent en tant qu’usufruitiers, pratiques qui sont germes de procès et de

confusions entre ceux qui ont vendu des parcelles, ceux qui les ont prises, etceux qui se sont abstenus de faire valoir leurs droits ». Juan de Dios Picónétait partisan décidé de la division des resguardos et préconisait des méthodescoercitives pour y parvenir, car il considérait comme une avancée fonda-mentale de faire fructifier ces terres. Il insistait sur ce dernier aspect etcondamnait « les cultures de ceux qui sont réduits à une parcelle trop réduitetandis que d’autres terrains restent incultes et sans profit ». En outre, ilrappelait la résistance des indigènes au partage et à la mise en valeur de leursterres, attitude qu’il attribuait au désir de « les maintenir stériles et impro-ductives parce qu’ils manquent de capital et parce qu’ils répugnent à leslouer aux autres habitants ». Tandis que ce comportement obéissait à desnormes ancestrales, ceux qui n’étaient pas Indiens, avides d’exploiter ces

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63. Memorias Provinciales, 1845 , 1973, p. 271.

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terres à des fins commerciales, augmentaient d’intérêt pour les resguardos ,et dépouillaient les communautés au prétexte qu’il s’agissait de terresvacantes, ou accroissaient leurs activités aux dépens des terres indigènes 64.Il est important de rappeler qu’un décret avait accordé aux provinces deMérida et de Trujillo cinq cents fanegadas de terres destinées à ouvrir deschemins en direction du lac de Maracaïbo 65. L’activité de ceux qui préten-daient mettre en valeur des terres vacantes justifia en grande partie la Résolution de 1852 qui se fondait sur les plaintes et les conflits générés parle bornage, l’expertise et le partage des resguardos 66.

Dans la seconde moitié du  XIX e siècle, la perte des liens communau-

taires s’accentua sous l’influence de l’arrivée de nouveaux habitants. Ils obte-naient l’usufruit des terres indigènes en même temps que s’accroissaient lemélange ethnique et le déplacement de populations indiennes vers d’autreszones, notamment celles où se développait la culture du café, combinée à celle de la canne à sucre et du cacao. L’activité sucrière qui se développaitdans les altitudes moyennes exerça une forte attraction sur les villages indi-gènes. Cette population qui se mêla souvent aux migrants, colons des terresrécemment mises en culture, formait la masse des péons d’haciendas et assu-rait le travail des exploitations de moindre superficie destinées aux cultures

de subsistance 67. Cela ne signifie pas que le blé, les pois, et les autrescultures alimentaires des terres froides, perdaient de l’importance car ceszones parvenaient à conserver la main-d’œuvre qui leur était nécessaire.

Le processus d’extinction des resguardos

Le processus de répartition et de morcellement des terres communalescommença à Mérida à partir des années 1830, dans la zone de San Antoniode Tabay, capitale de l’actuelle municipalité de Santos Marquina, dont le

terroir se situait entre 1750 m et 3200 m d’altitude. San Antonio de Tabay appliqua la loi du 2 avril 1836, tout comme la municipalité de Santiago dela Mesa, dont les resguardos se situaient entre 700 m et 2120 m. Ce derniervillage subit moins de pressions ou fut plus réticent à liquider ses proprié-tés communales car ce processus d’appropriation n’était toujours pas achevéà la fin du  XIX e siècle.

En règle générale, le processus de liquidation des communaux commen-çait par la demande de répartition du resguardo dont se chargeait l’un desmembres de la communauté ou un fonctionnaire. Ensuite, on procédait au

bornage, on réglait les litiges et l’on procédait à l’annonce de l’opération en

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64. Materiales para el Estudio de la Cuestión Agraria en Venezuela (1829-1860), p. 461-472.65. Décrets du 18 avril 1840 et du 19 mai 1841, Id ., p. 243-244, 307-308 et 464-466.66. Caracas, 21 janvier 1852. Id ., p. 461.67. CUNILL G., 1987, p. 1072 et 1984.

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Les frais du partage furent proportionnels aux droits accordés. Dansquelques cas, les villageois furent dans l’incapacité de les payer étant donnéleur pauvreté; aussi l’on décida de réserver quelques parcelles destinées à être vendues pour régler ces frais.

La plupart des resguardos de la province de Mérida ne comptaient pasles 3105,5 ha correspondant à l’assignation primitive. Beaucoup d’entreeux n’atteignaient même pas la moitié de cette superficie. Un autre fait trou-blant: le processus de partage suscita souvent un nombre de transactionssupérieur au nombre de bénéficiaires recensés car des vecinos parvinrent à sefaire reconnaître la propriété de la plupart de ces terres, tandis que ceux qui

les leur vendirent vinrent grossir les rangs des sans-terre. Parmi les ache-teurs figuraient des commerçants et des fonctionnaires qui, par le biais demariages, de compérages ou d’autres liens d’alliance, parvinrent à dissoudreprogressivement le dualisme ethnique pour donner naissance à une popu-lation métisse dans les Andes vénézuéliennes.

De ce qui précède, on peut déduire qu’il existait à l’intérieur de cesvillages une stratification sociale telle qu’un groupe de « puissants », maîtresde la terre, formaient une élite villageoise. Ce phénomène révèle non seule-ment que les structures du gouvernement traditionnel des communautés,

dominées par un cacique, avaient perdu de leur vigueur, mais aussi l’aban-don de formes d’organisation sociale fondée sur les liens communautaires.Le fait que les assignations de terres s’effectuèrent par famille réduisit

encore l’importance de celles qui comptaient peu de membres, la parcellequi revint à chacun se réduisant à un lopin minuscule. Ce fut l’origine desminifundia caractéristiques des terroirs de la sierra de Mérida qui a repré-senté depuis un obstacle à son développement agraire.

C’est ainsi que la législation qui avait pour but de répartir les terres entreles individus et de créer un libre marché de la terre joua un rôle déterminant

dans le processus de décomposition en cours. Elle favorisa les pressions pourprocéder au partage et au morcellement, et donna ainsi un fondement légalà une réalité sociale qui s’affirmait aux dépens des espaces communaux. Lesmanœuvres et les stratagèmes destinés à transformer les terres collectives enpropriétés individuelles s’en trouvèrent légitimés.

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principes du libéralisme et, plus grave, font obstacle à la généralisation alorstenue pour nécessaire du capitalisme agricole dans le cadre d’un marchénational plus que jamais ouvert à l’économie mondiale. Les uns s’en déso-lent 2. D’autres y voient les fondements historiques d’une agitation agraireselon eux justifiée et prometteuse d’un avenir différent 3.

Pourtant ce n’est pas faute que depuis son Indépendance acquise unepremière fois en 1821 par les armées libératrices de l’Argentin San Martin,une deuxième fois en 1824 par les armées du Vénézuélien Bolivar, tout n’aitété tenté au Pérou, chaque fois que la conjoncture économico-politiqueétait favorable, pour promouvoir par voie législative, exécutive et judiciaire

les mesures qui auraient dû permettre le triomphe hégémonique de la propriété privée moderne dans la régulation des rapports socio-politiques dela jeune république.

Une première fois, de 1821 à 1826, dans le cours même des luttesarmées pour l’Indépendance, pour des raisons d’urgence politique et finan-cière, les nouvelles autorités révolutionnaires séquestrent les biens des parti-sans de l’Ancien Régime colonial (à hauteur d’un million de  pesos , ce quireprésente 14 % de la dette intérieure cumulée en 1827); elles stipulentl’extinction arithmétique par moitié des majorats aristocratiques à chaque

succession testamentaire (surtout après 1829); confisquent les biens descouvents et des congrégations religieuses de moins de huit membres (à partirde 1826); répartissent, lotissent ou revendent les terres réputées excéden-taires des communaux villageois (sans restrictions de 1824 à 1826).

Une deuxième fois, de 1845 à 1866, alors que l’État péruvien détientle quasi monopole mondial d’exportation des guanos et salpêtres, cet avan-tage le rend enfin provisoirement solvable et lui permet, en 1854, d’abolirl’esclavage contre l’indemnisation des propriétaires, et de supprimer pour la deuxième fois la fiscalité tributaire personnalisée qui pesait sur les seuls

Indiens depuis 1826. En 1864, l’État parvient à garantir sur ses fondspropres à hauteur de 94 % du capital le rachat du domaine direct des grandsdomaines fonciers d’origine coloniale par les exploitants réels du domaineutile – ce qui permet à ces derniers de se libérer des cens emphytéotiques ouperpétuels qui compromettaient jusqu’alors la rentabilité de leurs initiativesmodernisatrices.

Une troisième fois entre 1894 et 1918, la haute conjoncture mondiale etl’afflux des emprunts extérieurs permettent la reprise exportatrice au Pérou,donc le déblocage jurisprudentiel des lois et décrets antérieurs favorables à l’appropriation définitivement privée (le plus souvent, néo-latifundiste etoligarchique) des nombreux biens fonciers encore possédés selon des moda-

 JEAN PIEL

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2. IRIGOYEN Pedro de, 1922; Liga de Hacendados de Arequipa, 1924.3. TUDELA Y V  ARELA , 1902; V  ALCARCEL L., 1927; M ARIATEGUI José Carlos, 1928; H AYA DE LA TORRE

Victor Raoul, 1935; V  ALCARCEL Daniel, 1946; PIEL Jean, 1982.

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lités d’Ancien Régime soit communautaires (le plus souvent, indigènes) soitde mainmorte (anciens majorats; terres de couvents ou de confréries reli-gieuses; ejidos de corporations municipales ou professionnelles).

 À s’en tenir à la seule histoire de son droit et de ses lois, le Pérou répu-blicain semble donc avoir tenu vers 1920 les promesses formulées un siècleplus tôt par ses Libertadores. Depuis 1821 (avec San Martin) et 1826 (avecBolivar), les Règlements de Commerce inscrivent le pays dans la zone delibre-échange. Au plan juridique, les diverses castes coloniales qui formaientau départ la population ont été libérées de la personnalisation des lois corpo-ratives d’Ancien Régime qui empêchaient de les fondre en un seul peuple-

nation: les Créoles depuis l’Indépendance qui fut leur œuvre; les sangs-mêlés depuis l’abolition de la Contribution des Castes en 1840; les esclavesnoirs depuis leur libération en 1854. Quant aux anciens tributaires indi-gènes, plusieurs fois « libérés » du tribut (de 1821 à 1826 ; de 1854 à 1856 ;après 1896) ils y sont de nouveau astreints sous des dénominationsnouvelles (contribution des indigènes de 1826 à 1854; contribution personnelle de 1856 à 1896 ; faenas, repúblicas ou conscripción vial tout au long de la période et très au-delà de 1920). La société péruvienne reste régie jusquetard dans le XX e siècle par des valeurs et des normes corporativistes et person-

nalisées d’Ancien Régime.En effet au Pérou, comme dans d’autres républiques latino-américainesrestées à majorité indienne, la tâche historique du libéralisme n’est pas seule-ment de liquider l’Ancien Régime comme en Europe au  XIX e siècle, maisde liquider un Ancien Régime colonial, fondé ici depuis le  XVIe siècle surl’apartheid qui sépare la République des Espagnols (et leurs descendants)de la République des Indiens. Héritier de cette situation fondatrice, l’Étatsurendetté issu de l’Indépendance ne peut pas renoncer à la tributationdirecte qui pèse traditionnellement avant tout sur la majorité rurale et

indienne de la population 4.D’où le paradoxe d’une république péruvienne qui se veut libérale mais

rétablit dès 1826 la responsabilité collective des communautés indiennesdevant la contribution indigène levée selon les normes du recensement tribu-taire colonial de 1786. En contrepartie, la tolérance de facto à des fins admi-nistratives et fiscales des régimes communaux indigènes pourtant en prin-cipe supprimés par les décrets fondateurs des Libertadores et totalementignorés par le Code Civil édicté en 1852.

Conséquence historique durable : contre toute attente et à la différencede la Colombie et du Chili où le fond de la population se désindianise large-ment au long du  XIX e siècle par métissage socioculturel et/ou biologique,

LES FORMES DE PROPRIETE COLLECTIVE AU PEROU…

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4. Et représente encore 84 % des revenus directs de l’État central en 1854; 70 à 80 % des recettes desdépartements « indiens » d’Ancash, Apurimac et Cuzco en 1866.

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le Pérou se réindianise très officiellement de 1795 à 1876 5. Et malgré leurinexistence légale et juridique depuis un siècle, 950 à 1600 communautésrurales indigènes 6 révèlent aux observateurs qu’elles ont préservé leursrégimes collectifs de propriété de la terre au moment où la nouvelleConstitution de 1920, pour la première fois depuis l’Indépendance, leurrestitue un statut juridique officiel dans la  nation. Comment ont-elles entretemps préservé leur structure agraire collective, garantie de leurs caractéris-tiques ethno-sociales communautaires? À quelles agressions ont-elles dûrésister ? Telle est la question.

 Attaques et reculs de la propriété collective au Péroude 1750 à 1920

Il convient de rappeler à quelles formes de propriété collective héritéesde la période coloniale la jeune république péruvienne a dû s’attaquer à partir de 1821 au nom de la conception libérale de la propriété privée abso-lue. Comme dans toute société d’Ancien Régime, le Pérou connaissait cetinextricable emboîtement de droits de possession et d’usage sur les biens,les terres et les rentes, qui non seulement séparait la propriété éminente (le

domaine direct) de l’exploitation réelle (le domaine utile) mais qui rendaitconfuses les limites de l’appropriation privée. Celle-ci existait dès les originesdu système colonial: solares urbains répartis entre fondateurs des villes colo-niales, grâces et compositions de terres agricoles transformées en haciendas enfaveur des descendants des premiers conquistadores et encomenderos . Lorsquese généralise après 1560-1570 la politique de reconcentration villageoisedes Indiens survivants de la Conquista , un droit de possession strictementprivatif des chefs de famille tributaires apparaît sur certaines parcelles del’ejido collectif d’une lieue carrée attribuée à chaque reducción indígena par

les lois des Indes en contrepartie de leurs obligations fiscales (tribut, corvées,déportations de travail obligatoire ou mita 7).

Cependant, hors ces compositions et grâces de terres privatives consen-ties de plus en plus fréquemment par la Couronne d’Espagne de la fin du XVIe au début du XIX e siècle, l’autre forme d’attribution de la propriété est la possession collective accordée par la Couronne à des corporations oucommunautés de responsabilité collective et, en principe, perpétuelle – cequi tend à les transformer en biens de mainmorte:

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5. Selon K UBLER Georges (1952), la population réputée indienne et tributaire passe de 55 à 65 % de la population entre ces deux dates.

6. 947 selon Bustamente Cisneros en 1919; 1562 selon Abelardo Solis en 1928.7. M ATIENZO Juan de, 1567: « Le visiteur, lors de sa visite d’un repartimiento, doit délimiter et attribuer 

les terres, d’abord aux caciques et principaux… ensuite au commun… et enfin à chaque Indien à raisonde plusieurs topos (unité de surface agraire incaïque) dont il sache et comprenne qu’ils sont à lui et que  personne n’a le pouvoir de lui prendre ».

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– dotation des terres dites « du soleil  » (des temples et des clergésincaïques) à des communautés religieuses catholiques (églises, couvents,confréries) en mainmorte;

– confiscation par droit de conquête des terres dites « de l’Inca » par la Couronne qui en dispose en réserve domaniale (realenga ) ou les distri-bue et les vend à son gré selon les besoins du Trésor;

– attribution d’ejidos agricoles aux communautés urbaines hispano-créoles (cabildos ) ou rurales indiennes (reducciones ) qui les utilisentcollectivement pour leur propre usage ou les louent (le plus souvent,à cens emphytéotique ou perpétuel) mais en gardent la propriété

éminente à perpétuité;– attribution des systèmes hydrauliques d’irrigation par gravité d’origineincaïque ou pré-incaïque à des communautés (comunidades de regantes )où se côtoient les descendants indigènes de leurs fondateurs d’il y a 300 ou 2000 ans et les représentants des haciendas voisines.

 À quoi viennent se superposer après le XVIe siècle les droits de commu-nautés plus tardives qui détournent à leur profit divers droits d’usage ou depossession aux dépens des précédentes:

– terres de confréries religieuses ou de la Caja de Censos de Indios consti-tuées au service des saints catholiques ou pour garantir le paiementdu tribut aux dépens des réserves ejidales des réductions indigènes;

– terres de fraternités religieuses (cofradías ) ou de corporations urbainescréoles et métisses (de muletiers, de charbonniers, etc.) qui en exploi-tent les ressources aux dépens de la propriété éminente des cabildos urbains;

– propriétés de communautés familiales extensives aristocratiques créolesconstituées en patrimoine indivis et perpétuel (mayorazgo) aux dépens

du régime commun de la propriété laïque privée;– et, bien sûr, les innombrables cens perpétuels constitués sur la rente

foncière en faveur de fondations pieuses (misas, obras pías, capel-lanías …) par des propriétaires laïcs désireux d’assurer ainsi leur salutdans l’autre monde ou de servir une dette perpétuelle correspondantaux crédits consentis par une Église coloniale qui est le principal orga-nisme financier et le premier propriétaire foncier du Pérou à la veille deson Indépendance.

Par séquestre des biens de ses ennemis politiques, par confiscation desbiens des couvents et des congrégations religieuses en voie d’extinction, parréversion des ejidos des anciens cabildos coloniaux aux nouvelles municipa-lités républicaines, par extinction arithmétique par moitié des anciens majo-rats à chaque succession, brutalement de 1821 à 1826, par étapes ensuite, la 

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république péruvienne ne cesse de faire avancer le transfert de la propriétécollective d’Ancien Régime à la propriété privée moderne. Certes, le proces-sus n’est pas achevé lors des deux réformes agraires de 1962 et 1968, mais dumoins est-il assez avancé pour exiger en réaction deux réformes agraires.

Plus difficile et plus heurté (car il exige pour se réaliser une conjoncturefiscale et financière favorable qui ne se produit qu’entre 1860 et 1870 puisde 1896 à 1920), le dégagement des contraintes communautaires qui pèsentsur la rentabilité de l’exploitation de la propriété. Pour affranchir le domaineutile des ponctions rentières et passives du domaine direct, il faut du tempsavant que la loi de 1864 sur la redención de censos produise ses effets et, en

1920, le processus n’est pas achevé, même dans le secteur agricole qui a bénéficié d’investissements capitalistes substantiels. Il n’en reste pas moinsque, transformées de rentières parasitaires de la propriété en rentières de la dette publique intérieure d’un État qui a pris à sa charge le versement desintérêts des anciens cens perpétuels, les institutions communautaires créolesd’Ancien Régime n’ont plus de raisons vitales de s’opposer à terme à la géné-ralisation de la propriété privée. Mieux, ceux d’entre leurs membres qui ontsu devenir actionnaires des nouvelles sociétés agricoles par actions en y apportant leur hacienda déshypothéquée en capital, ont toutes les raisons

de souhaiter les progrès d’un capitalisme agricole mis au service de leurhégémonie sur le reste de la société.

Tout autre est la situation des formes de propriété collective qui depuistrois siècles garantissaient l’existence d’une caste tributaire indigène dans leVice-Royaume avant 1821, dans la République après 1826. En bonnelogique libérale, deux voies juridiques alternatives et/ou complémentairess’offrent pour appliquer le décret suprême fondateur de Bolivar du 28 avril1824 qui stipulait la répartition des terres indiennes afin de promouvoir la propriété privée et la mobilisation de l’exploitation agricole; ou le partage

des communaux entre les membres des communautés, la promotion de la petite propriété individuelle avec, pour conséquence à terme, l’assimilationprévisible des Indiens dans le corps d’une citoyenneté propriétaire (une« voie paysanne » à la nationalité et au capitalisme, en quelque sorte) ou, parexpropriation des terres communales réputées « excédentaires » après cesrépartitions, le transfert de portions entières des communaux ou desparcelles désormais individualisées et aliénables aux acheteurs privés solvables(créoles, métis ou indiens enrichis – donc devenus socio-culturellementmétis). Le libéralisme républicain innove donc en 1824 en décrétant l’aboli-tion en droit des communautés, ce qui intensifie les transferts de la propriétécollective indigène à la propriété privée. Mais le principe (et la pratique) deces transferts n’est pas une innovation car le processus avait déjà commencédès la période coloniale, particulièrement au XVIIIe siècle quand l’intensifi-cation mercantiliste de l’économie avait, comme jamais depuis le XVIe siècle,

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ment quand les anciens tributaires indiens, devenus fiscalement inutilesaprès l’abolition de la contribution personnelle en 1896, sont dépouillés collec-tivement et en bloc de leurs communaux ou, un à un, de leurs parcellespréalablement réparties en application du décret de 1824. Désormais privésde ressources autonomes, il ne leur reste plus qu’à devenir les nouveaux serfs( peones, colonos, yanas, huacchas ) des néo-latifundistes qui les ont expropriésdepuis l’Indépendance.

Dans cette lutte séculaire entre le pot de fer néo-latifundiste et le potde terre communautaire indien jouent, bien sûr, les rapports de forceséconomiques entre un capitalisme pastoral exportateur en expansion et les

faiblesses intrinsèques d’une paysannerie restée à un niveau de force produc-tive datant du  XVIe siècle, mais aussi les rapports socioculturels inégaux entreune élite créole en voie de conversion à la modernité et une masse indigènevolontairement minorée dans la nation, c’est-à-dire interdite de scolarisa-tion, de droit de vote et de représentation associative légale, au moins

 jusqu’en 1930, par l’État créole. Celui-ci est donc un acteur essentiel de cestransferts de la propriété collective indigène à la propriété privée créole oumétisse. Financièrement, cela lui coûte cher, mais cela ne suffit pas encoreà venir à bout des résistances paysannes. Il lui faut donc créer en 1888 un

Registro de la Propiedad inmueble qui garantit les prêts hypothécaires consen-tis par le secteur financier au secteur agricole et surtout rend irréversibles,dès lors qu’elles y sont officiellement enregistrées, les expropriat ionscommises aux dépens de la propriété collective indigène. Par ses lois de1871, 1893 et 1907 sur les títulos supletorios de tierras qui permettent aux exploitants locataires de terres agricoles ou pastorales communales d’enacquérir la propriété absolue sous réserve d’en jouir sans contestation depuis40 ans (ce qui est le cas le plus fréquent en régime de location emphytéo-tique), l’État ouvre la v oie d’une vague sans précédent d’expropriation des

latifundistes après 1890.Le  XIX e siècle s’achève donc au Pérou avec l’émergence hétérogène et

restreinte, mais brutale et légale, d’un véritable marché de la terre favorableau néo-latifundisme, favorable aux secteurs spéculatifs mais évidemmentcatastrophique pour beaucoup de communautés indigènes et leurs formesde propriété collective. Et pourtant celles-ci amputées, menacées, sur la défensive, résistent devant les tribunaux quand elles le peuvent, et quandelles ne le peuvent plus entrent en rébellion ouverte lors des crises agraireslocales ou régionales, particulièrement en 1867, en 1886-1894, en 1900-1930 et, ensuite, sans interruption de 1960 à 1996, sous des prétextes syndi-caux ou politiques divers.

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 Amaru de 1780 à 1783) 6 haciendas ont accaparé de 1824 à 1890 près de 84 % des terres de cettecommunauté indienne. Cf. PIEL Jean, 1983.

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La principale force de résistance de la propriété collective:

les communautés indigènes de 1750 à 1920Pour expliquer cela, il est évidemment essentiel, mais insuffisant, d’invo-

quer l’inertie historique des structures d’Ancien Régime héritées par la répu-blique indépendante. Il s’agit d’une inertie réelle même dans le secteur de la propriété créole mais pas au point d’y empêcher l’émergence d’un véritablecapitalisme agricole dès 1860. De même, on ne peut se limiter à interpré-ter le phénomène comme le symptôme des limites d’expansion de la notionlibérale de la propriété dans une situation de capitalisme périphérique et

dépendant – ce qui est le cas du Pérou au  XIX e

siècle. Il faut admettre aussique les acteurs péruviens ont joué en cela un rôle essentiel: l’élite dirigeantecréole, qui a longtemps reculé devant les conséquences sociales radicales desa propre idéologie libérale; la paysannerie andine – cet acteur collectif silongtemps ignoré par l’histoire officielle – qui a su utiliser ses héritagescommunautaires pour résister aux conséquences du libéralisme officiel, oupour s’y adapter quand toute résistance frontale devenait impossible. Encorefallait-il que l’application des lois d’inspiration libérale laissât un champ jurisprudentiel où ces hésitations des élites et ces résistances de ceux d’en

bas eussent leur place. C’est justement le cas après 1826 quand, passées lestentatives de réformes libérales radicales promues par les libertadores , seproduit au Pérou un véritable retour vers la personnalisation des lois visantà recréer, hors société civile et créole et sur des critères raciaux, une castetributaire, indienne, enfermée, à nouveau, dans ses statuts collectifs etcommunautaires d’Ancien Régime colonial.

En effet, l’ancien tribut restauré dès 1826 sous le nom de Contributiondes indigènes  (mais sans ressusciter pour autant sa garantie mutualistequ’était la Caja de censos de Indios abolie en 1825), on ne pouvait logique-

ment en rétablir l’assiette que sur la base de la responsabilité collectivedevant l’impôt direct. Il ne suffisait donc pas d’exclure la caste indienne dela citoyenneté commune, il fallait à nouveau la fractionner et la parquerdans ses républiques villageoises. Par pragmatisme, le fisc, l’administrationet les tribunaux suspendent donc l’application des premières intentionslibérales et, selon leur honnêteté ou leurs intérêts égoïstes, les autoritéslocales, au nom d’une conception très traditionnelle du buen gobierno local,naviguent entre l’inexistence en droit et la restauration de fait des commu-nautés indigènes (prolongeant en cela un scrupule du propre Bolivar quiavait spécifié en 1824 que son décret sur les répartitions de terres devraits’appliquer en tenant compte « des circonstances locales de chaque province »).Non seulement on exclut du droit de vote la majorité indienne de la nation(en 1823 et 1826, parce qu’elle est illettrée; en 1853 parce qu’elle n’est paspropriétaire individuelle; en 1867 parce qu’elle ne peut même pas payer

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l’impôt) mais on va même de 1851 à 1856, jusqu’à prétendre imposer unpasseport spécial aux Indiens qui seraient sortis de leur communauté.Quant au droit du travail contractuel et libre, les lois l’ignorent jusqu’en1913, date à laquelle un salaire minimum est enfin fixé à 40 centimes par jour dans les Andes indigènes (c’est-à-dire de 60 % inférieur à celui duprolétaire agricole de la côte pacifique, de 75 % inférieur à celui des frontspionniers de la jungle amazonienne).

Quant au régime communal fondé sur ces bases, il faut en assurer la permanence malgré son inexistence constitutionnelle, les dépouillementsde terres réputées excédentaires, les abus trop prévisibles des autorités en

matière de travaux et de corvées obligatoires. Dès 1825, on freine donc lesconséquences du décret bolivarien de 1824 en suspendant pour une géné-ration la clause d’aliénabilité des parcelles individuelles indigènes surgiesdes répartitions (le temps que la république scolarise ses paysans et les rendeaptes à négocier leurs rapports à l’individualisme agraire 10). Puis, insensi-blement, on infléchit le droit agraire indigène selon des références d’AncienRégime: des communautés indiennes du Cuzco se voient répartir des terrescommunales en 1858 puis 1876 parce qu’elles en sont «  possesseurs dudomaine util e ». En 1849, la communauté de Huarochiri, en conflit avec la 

municipalité métisse de Chaclacayo, se voit confirmée dans la propriété deses communaux au nom de sa « possession immémoriale ». Sur le terrain, en1908 près de Puno, la communauté d’Isibilla se voit même confirmée dansla possession de ses communaux selon un rituel digne du Moyen Âge espa-gnol 11. Rien n’illustre mieux ces flottements des autorités locales dansl’interprétation d’un droit libéral contrecarré par des réalités sociologiqueset fiscales restées de facto coloniales que l’échange de correspondance dupréfet du Cuzco et du Ministre de l’Intérieur en 1858 à propos du régimefiscal des Indiens du département. Considérant que la Contribution des

Indigènes a été abolie (en 1854) sans être encore remplacée par son équi-valent, la Contribution personnelle créée en 1866, et que depuis que leursterres communales (amputées de leurs terres « excédentaires ») leur ont étéconfirmées lors des répartitions bolivariennes de terres, sans que pour autantelles en aient abandonné l’usage collectif, le préfet s’interroge: les indigènesde ces communautés n’étant ni propriétaires individuels de leurs parcelles,ni désormais tributaires, et toujours pas alphabétisés, est-il justifié de lesconsidérer comme de véritables propriétaires tels que définis par les décrets

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10. « Que toute la propriété absolue déclarée aux dénommés indiens dans l’article 2 du décret cité (celui de Bolivar du 08/04/1824) s’entende avec la limitation de ne pas pouvoir l’aliéner avant l’année 1850  »in Décret Suprême du 07/07/1825, article 9.

11. «… Et en vertu des lois favorables aux indigènes, leur a été donnée possession réelle, matérielle et effective desdits terrains, celle-ci ayant été vérifiée sans opposition ni contradiction de personne. En vertu de quoi on leur fit exécuter tous les actes de véritable possession, tels qu’arracher herbes, lancer des pierres, etc . » AMTAI – exp. 9.994,32f, 30 janvier 1908.

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organiques des premiers Libertadores ? La réponse du Ministre est en appa-rence sans appel: les indigènes sont propriétaires non parce que proprié-taires privés ou contribuables collectivement responsables devant l’impôt,mais parce que la république les a décrétés héritiers historiques du domaine utile après répartition de leurs terres et ce quelle que soit la façon (collec-tive, individualisée ou donnée en location) dont elles ont décidé d’exercerl’exploitation de ce domaine utile. Quand resurgissent des affaires semblablesen 1876 au Cuzco, en 1893 à Lucanas, la philosophie officielle sembledésormais fixée: le principe de la propriété indigène éminente, répartitionrépublicaine faite, doit rester indépendant de la forme d’exercice de cette

propriété qui ne relève que de la décision de chaque communauté. Seul lepouvoir judiciaire est éventuellement habilité à la remettre en cause si ellevenait à contredire l’intérêt général, c’est-à-dire les besoins en terres et enmain-d’œuvre d’un capitalisme agraire en expansion soutenu par la réservede lois libérales de la république.

Grâce à ces mesures suspensives ou conservatoires, il subsiste donc bientout au long du XIX e siècle au Pérou un espace, jurisprudentiel sinon juri-dique, à l’intérieur duquel les communautés maintenues pour des raisonsfiscales peuvent négocier la défense de leur régime agraire et politique interne

quand les circonstances locales leur sont favorables. C’est-à-dire quand, faceà l’État et aux autorités locales, leur utilité socio-démographique et néo-tributaire l’emporte sur leur prétendue inutilité en matière de prog rès desforces productives. Beaucoup d’entre elles, avant ou après l’Indépendance,s’en privent si peu que leur paysannerie communautaire indigène y gagnedans le discours idéologique créole une réputation de classe sociale « retorseet procédurière », toujours prête à chicaner en justice pour la défense collec-tive de ses terres communales. Avant 1750 comme après 1900, elles invo-quent alors leurs titres coloniau x (composiciones de tierras ou témoignages

officiels de prestations fiscales collectives) fondés sur un droit colonial (Leyes de Indias ) voire sur un droit coutumier pré-colonial (incaïque ou ethniqueencore plus ancien, « immémorial »). Et pour celles d’entre elles qui ont sufaire précocement le choix politique de l’Indépendance et de la République,elles peuvent revendiquer des titres républicains (répartitions ou dotations deterres bolivariennes) reconfirmés ensuite par diverses décisions de justice.Certaines, conseillées par des hommes de loi qui leur sont favorables, pous-sent même l’astuce jusqu’à subvertir le droit individualiste officiel au profitde leur régime collectif interne en recollectivisant des terres rachetées à titre

individuel par certains de leurs représentants (caciques ou chefs de parentèlesinfluentes) ou, plus habiles encore, en se portant acquéreuses de leursanciennes terres ejidales déclarées « en excédent » lors de leur répartitionstipulée par le décret de 1824 de Bolivar 12.

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12. Par exemple à Choquechacca (Chucuito) en 1845.

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Il est vrai qu’à l’inverse, particulièrement avec la généralisation après1893 de la procédure dite des títulos supletorios de propiedad , c’est le droitindividualiste qui subvertit le droit collectif indigène et coutumier. Deux procédures sont alors possibles. Ou bien l’acquéreur achète ses parcelles auminifundiste indigène supposé propriétaire absolu de son lopin au méprisdes solidarités communales, et cela casse immédiatement, fût-ce à traversun seul cas, le régime de propriété collective qui avait assuré la survie de la communauté depuis le  XVIe siècle. Ou bien le locataire emphytéotique d’uneportion importante des communaux indigènes en transforme la propriétéutile (l’exploitation) en propriété absolue aux dépens de la possession

éminente de toute la communauté. Et ces conflits dépendent beaucoup,non seulement des voies de fait et des rapports de force locaux, mais égale-ment du degré de solidarité ou de désagrégation interne des communau-tés indigènes confrontées à leurs compétiteurs non communautaires (créoleset métis) ou décommunautarisés (caciques ou paysans indigènes ayant optépour l’individualisme agraire). Bien qu’il en soit l’enjeu principal, ceci n’estpas seulement un problème de droit agraire à propos du régime collectif ou individuel de la propriété, c’est également le problème du régime socio-politique – voire ethnoculturel – des communautés réputées indigènes face

à leurs mécanismes internes de reproduction collective à l’identique.

Le rôle essentiel de l’acteur communal indigèneface à sa propre possession collective

Revenons au cas déjà évoqué de la communauté de Muquiyauyo qui est,à cet égard, exemplaire (cf. tableau supra p. 287). Nous y avons vu les progrèsde l’individualisme agraire se manifester dans le cadre communal avantmême l’Indépendance du Pérou et le village se transformer d’ancienne

réduction indigène coloniale (dont le régime agraire est très majoritaire-ment collectif avant 1742) en communauté indigène républicaine (dont lerégime agraire reste partiellement collectif mais devient majoritairementindividualiste dès 1819) pour devenir finalement celui d’une quelconquecommunauté paysanne d’Europe ou d’Amérique. Elle lotit ses dernierscommunaux en 1904 et, en 1908, elle renonce à ses habits indigènes etconstruit ses maisons à l’hispanique, avec charpentes et tuiles romaines.Située dans la haute vallée du Mantaro en arrière de Lima, la capitale, et duCallao, son port d’exportation – donc très tôt intégrée dans les circuitsminiers et commerciaux, muletiers puis ferroviaires, qui annexent les Andescentrales péruviennes à l’économie nationale et internationale – Muquiyauyooffre l’exemple de la façon dont certaines communautés savent, dès avantl’Indépendance libérale, négocier le rapport de leur régime agraire avecl’évolution mercantiliste et individualiste de la société globale.

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Encore faut-il noter que même en ce cas, et jusqu’en 1904, Muquiyauyosauvegarde son régime communal en préservant le statut collectif de sesconfréries religieuses. Certes celles-ci, ici comme ailleurs depuis 1865, ontété placées sous la tutelle de la Sociedad de Beneficiencia départementale de Junin qui a préservé leur propriété éminente et collective de terres – dumoins jusqu’à la loi de 1913 qui déclare ces terres aliénables sur simple déci-sion administrative. Pour marginaux que soient souvent ces terrains – parexemple dans le département d’Ancash – elles suffisent toutefois, quandtoutes les autres terres communales ont été aliénées ou accaparées par la propriété privée, à justifier le maintien d’un gouvernement communal indi-

gène chargé d’en gérer l’usage en rapport avec les autorités municipales,départementales ou les adjudicataires locataires. Rien d’étonnant dans cesconditions si tout au long du  XIX e siècle les communautés indigènessoucieuses de conserver leur système de gouvernement communal veillent

 jalousement à conserver leurs confréries même en absence de clergé, voire à créer de nouvelles confréries car elles permettent de justifier, face aux muni-cipalités métisses, l’existence de charges et d’autorités indigènes dites « cargos de iglesia ».

De cela, on trouve particulièrement témoignage dans les vallées andines

proches de la capitale. À San Agustin Huayopampa, dans la vallée deChancay, varayocs (alcaldes indigènes) et municipalité (alcaldes métis) sauventle régime collectif des terres d’ayllus (communautés familiales extensivesd’origine pré-incaïque) en les dédiant en 1856 au service des confréries reli-gieuses qui existaient ici depuis le  XVIIe siècle. Quand en 1902, sous la pres-sion des autorités départementales, ces terres sont menacées de parcellisa-tion suite à l’interdiction des corvées collectives au service de l’Église, lesmêmes dirigeants contournent la difficulté en créant de toutes pièces unenouvelle confrérie, celles des « Adorateurs de l’Enfant Jésus 13 ». Dans la même

vallée, à Santa Lucia de Pacaros, les varayocs  indigènes sont désormaisdoublés par la municipalité métisse en 1868. Astucieusement, ils réussis-sent à dissocier les charges religieuses (cargos de la iglesia ), qui leur permet-tent de gérer les terres collectives des confréries, des charges administrativeslégales (cargos de la humanidad ) aux mains de la municipalité qui cherche à promouvoir le partage des communaux. Elle y parvient en deux temps : en1908, en supprimant les cargos de la iglesia; en 1910 en répartissant les terresde confréries 14. À San Lorenzo de Quinti, dans la vallée de Huarochiri,l’individualisme agraire n’a cessé de progresser lors des répartitions indivi-duelles de terres communales opérées en 1793, 1850, 1860 et 1919 15. En1919 pourtant, dans un dernier sursaut, parmi les dernières parcelles dispo-

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13. FUENZALIDA V OLLMAR ; V  ALIENTE C ATTER ; V ILLARAN S ALAZAR , 1967.14. GÖLTE, DEGREGORI, G ALVEZ, URRUTIA , 1967.15. COTLER  Julio, 1959.

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nibles, certaines sont encore distribuées en usufruit perpétuel et héréditaire.Le régime de propriété de ces terres n’est donc plus strictement collectif,mais il échappe au strict régime commun de la propriété privée grâce à la sauvegarde des charges religieuses.

Cependant, la privatisation gagne à la longue, soutenue de l’extérieurpar les lois organiques libérales réactivées par les valeurs et intérêts indivi-dualistes et marchands, mais aussi de l’intérieur par les contradictions d’unrégime qui, pour être réputé communal et collectif, n’en est pas moinsprofondément inégalitaire. En effet, sous la fiction légale de la responsabilitécollective communautaire devant l’impôt personnalisé rétabli en 1826 selon

les normes du recensement fiscal de 1786, ce qui transparaît c’est le pouvoircommunal des chefs des parentèles extensives les plus influentes (celui desoriginarios , tributaires à part entière) qui dominent une hiérarchie de dépen-dants moins aisés, gendres ou étrangers naturalisés (agregados y forasteros contierras ) qui n’ont les moyens de payer qu’une moitié ou un quart de tribut. Au-dessous de tous ceux-là, la masse des agregados y forasteros sin tierras , troppauvres pour payer l’impôt, (véritable prolétariat ou sous-prolétariat commu-nautaire), ne survit qu’en louant ses services aux précédents ou comme peones des haciendas du voisinage. Comme en Europe avant le partage de

ses communaux, c’est pour ceux-ci que l’accès aux ressources offertes parles biens communaux à leur maigre patrimoine – deux ou trois moutons,lamas ou chèvres, parfois une vache – est tout simplement une question desurvie biologique. Ils ont tout à perdre du peu qu’ils ont en cas de parcelli-sation ou d’expropriation privée des ressources collectives.

Bien différente est la situation des communautaires indigènes les plusaisés, surtout ceux appartenant à des communautés qui, commeMuquiyauyo ou Coishco, se sont le plus précocement adaptées à l’expansiondu marché depuis le  XVIIIe siècle. Artisans actifs de ce qu’on pourrait appe-

ler le « développement communautaire inégal », ils ont intérêt à défendre la propriété collective communale tant que son usage inégalitaire leur estéconomiquement et politiquement favorable, et à y renoncer dès lors que la conjoncture économique et légale leur offre de meilleures perspectives dansle cadre de l’individualisme agraire. Descendante selon les cas de curacas incaïques, de caciques coloniaux ou de collaborateurs indigènes efficacesdes autorités républicaines, cette élite communale indienne n’est pas l’acteurle moins intéressé à la liquidation de la propriété collective traditionnelle.Comme l’élite créole cinquante ou cent ans plus tôt, elle se convertit à sontour à la propriété privée, réussit à entraîner les autres communautaires avecdes promesses de progrès individuels et communaux et repousse les commu-nautaires les plus pauvres dans l’exclusion ou l’émigration forcée. Deux casnous aideront à comprendre cette relation inégale à l’appropriation privéedes ressources collectives d’une communauté andine au moment où celle-

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ci cesse d’être une communauté indigène pour devenir une simple commu-nauté agraire, coutumière, encore solidarisée par des relations de voisinage,mais déjà profondément inégalitaire et mercantilisée.

Quand San Lorenzo de Quinti liquide son régime communal agraireentre 1900 et 1920, 7 familles (2,33 % de la population villageoise) y concentrent, dans le cadre du régime encore réputé « collectif » mais à titredéjà définitivement individuel, la quasi-totalité des meilleures terres irri-guées. Mais 68 autres familles (22,66 % de la population) sont dépourvuesde toute terre individuelle et ne disposent que des pâturages communaux pour y faire paître un à trois moutons ou chèvres 16. Un peu plus tardif,

mais plus instructif encore: le cas de San Agustin Huayopampa. Quand cevillage abandonne sa propriété collective en 1935, sur les 119 familles quecompte alors cette communauté encore réputée « indigène », 2 familles(1,6 %) possèdent des parcelles de plus de 5 ha mais 61 familles ont moinsde 1 ha, ce qui est insuffisant pour survivre, même si elles accèdent encoreaux ressources des pâturages communaux (mais 26 à 51 % d’entre ellesn’ont pas même une vache ou un mouton à y faire paître).

Le conflit propriété collective – propriété individuelle

au Pérou de 1750 à 1920

On le voit bien: la résistance de beaucoup de communautés indigènesaux dangers externes qui les menacent au  XIX e siècle ne doit pas faire oublierque la législation bolivarienne sur la répartition des terres communales a favorisé non seulement l’expropriation des communaux réputés excéden-taires au profit du néo-latifundisme mais aussi, à l’intérieur  du cadrecommunal sauvegardé à des fins fiscales, l’appropriation inégale soit desterres divisées en parcelles et individualisées, soit des fruits de la terre

lorsqu’elle restait sous régime collectif. Dans cette subversion réciproquequi oppose de 1750 à 1920 la propriété collective coutumière à la propriétéindividualiste de droit écrit, c’est bien en définitive cette dernière qui necesse de gagner du terrain. Avec sa conséquence inévitable, dissimulée sousle masque de la solidarité communautaire indigène: la prolétarisation de la majorité la plus pauvre de la population rurale. Ainsi de la communautédes Q’eros (près du Cuzco), chère aux folkloristes indigénistes des années1930-1950, dépouillée de ses terres communales par les 6 haciendas quil’assiègent depuis le  XVIIe siècle, dont les habitants survivent comme réserve

servile de ces haciendas 17. Ainsi des communautés de Salcahua, Pucayac etRocchac (département de Junin) qui fournissent 277 de leurs familles(hommes, femmes et enfants) comme peones des six haciendas qui les ont

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16. COTLER  J., 1959.17. AMTAI – exp. 243-f 56 et 1946. K UCZYNSKI GODARD M. H.

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dépouillées par étapes de la majeure partie de leurs terres du  XVIIe siècle à 1908 18. Ainsi de la communauté de Vicos qui, dépouillée lors des compo-sitions et répartitions de terres de 1611, 1826 et 1882 au profit des hacien-das de l’Hôpital et de la société de Bienfaisance du département d’Ancash,leur fournit une réserve quasi gratuite de 300 peones 19.

Prisonniers de leur vision créole, juridiste et moraliste, mais fort peutournée vers les acquis cognitifs apportés plus tard par les sciences sociales(en particulier, par une certaine anthropologie sociale nord-américainecritique), la plupart des analystes péruviens contemporains de cette histoiren’ont pas su ou pas voulu – au moins jusque vers 1940 – voir ce dernier

aspect des choses. Libéraux conséquents, indigénistes, populistes (voire« marxistes »), ils sont restés hypnotisés par la question de la survivance del’institution communautaire, de ses caractères ethniques et de ses consé-quences politiques – non sans raison en effet! Mais, sauf quelques-uns 20, la plupart se sont peu interrogés sur les conditions matérielles de reproduc-tion historique des phénomènes de droit et de culture dont ils prétendaientrendre compte. Toutefois, dans ces limites, les meilleurs nous ont apportédes éléments d’explication précieux à propos des reculs et des résistancesde la propriété collective au Pérou entre 1750 et 1920. Nous pourrions les

résumer ainsi :1) Malgré la brutalité de la première législation libérale et des agressionsnéo-latifundistes commises à l’encontre des formes de propriété collective del’Ancien Régime colonial, la communauté indig ène a été l’outil social qui,malgré son inexistence constitutionnelle de 1824 à 1920 et les défaitessuccessives qu’elle a subies, a le mieux su préserver la propriété collectivecoutumière au Pérou jusqu’au début du  XX e siècle.

« Durant la période républicaine, la communauté a été une institutionqui a rempli et continue de remplir une fonction de protection, de garantie

et de recours de la race indigène… face aux spoliations du gamonal (notablelocal exploiteur d’Indien) et du cacique et aux abus des autorités. La communauté a été et reste une forme de résistance et de défense, un rempartque la vie a créé et qui accomplit une haute fonction de conservation 21 ».

2) Elle a eu d’autant plus de mérite que son inexistence constitution-nelle au  XIX e siècle l’excluait par avance de la protection du droit devantles tribunaux, et de la protection du crédit devant les banques et le marché.

« Ce qu’il est convenu d’appeler « communautés indigènes » ne consti-tuent pas des personnes civiles. Elles ne peuvent par conséquent ester en

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18. C ASTRO POZZO H., 1946; POBLETE TRONCOSO M., 1938; PIEL J., 1983.19. C ASTILLO V IERA Gilmer, 1965 et DOUGHTY Paul, 1968.20. Notes 1 à 3, et DELGADO Julio, 1930; POBLETE TRONCOSO M., 1938.21. Lettre à l’auteur de Juan Bautista de Lavalle du 15 août 1918 citée in BUSTAMENTE CISNEROS Carlos,

1919.

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 justice. En effet, elles ne sont ni des organismes officiels, ni des établisse-ments publics d’instructions ou de bienfaisance, ni des communautés reli-

gieuses, ni des associations commerciales ou industrielles, seules entitésreconnues par notre législation 22 ».

Et ce statut de non-droit à la fois institutionnel et agraire (leur propriétécollective n’étant officiellement qu’une exploitation de facto, non un statut

 juridique reconnu), a une conséquence économique redoutable: leur exclu-sion des mécanismes de reproduction élargie du capital et de son corol-laire, la modernité contractuelle:

« Il est impossible de savoir qui fait partie en réalité d’une communauté

d’indigènes et il est par conséquent impossible de passer des contrats sûrsavec elles. C’est pour cela qu’aucune des banques hypothécaires du Pérou neconsent actuellement des prêts engagés sur les terres de communautés 23 ».

3) Et elle n’a pu le faire que parce que sous la tutelle des Juntes et dessociétés de Bienfaisance départementales créoles qui y trouvaient leur inté-rêt fiscal, elles ont pu sauvegarder leur régime politique interne de « répu-bliques d’indiens » telles que définies trois ou quatre siècles plus tôt par lesLeyes de Indias espagnoles, en particulier en matière d’allocation collective deleur main-d’œuvre et de leurs terres:

« La permanence même des distributions périodiques de terres par actevolontaire des membres de la communauté doit être considérée devant ledroit commun comme une manière de jouir de leur propriété et d’exercerlibrement le droit que la loi reconnaît à chacun d’eux sur le terrain dont ilest actuellement possesseur 24 ».

A B

Toutefois tout ceci n’a été possible que parce que les autorités officiellesy ont trouvé un intérêt administratif et fiscal ; les néo-latifundistes ontpréservé aux marges de leurs haciendas insuffisamment modernisées desréserves de terres et de main-d’œuvre captives et très bon marché ; à l’inté-rieur même des communautés, une élite indigène inégalitaire maintenaitson pouvoir local en sauvegardant le régime collectif, sinon de toutes lesterres communales du moins de celles d’entre elles dont l’exploitation collec-tive autorisait à la fois la reproduction biologique d’un prolétariat exploi-table ou négociable et une accumulation économique inégale à partir d’une

exploitation inégale des ressources collectives. En ce sens, en effet, leproblème de la résistance de la propriété collective au Pérou de 1750 à 1920

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22. V ILLARAN M. V., 1907.23. BUSTAMENTE CISNEROS C., 1919.24. V ILLARAN M. V., 1907.

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est moins un problème juridique qu’un problème de choix de modèle desociété piégée entre libéralisme et néo-colonialisme interne, comme l’avaitbien vu un observateur de 1915:

« Les communautés indigènes (et leur régime collectif de propriété ) répon-dent à un état social et ne peuvent être supprimées par décret. C’est pourcela qu’elles continuent d’exister malgré les lois abolitionnistes 25 ».

BIBLIOGRAPHIE

Sources primaires citées

 AMTAI: Archivo del Ministerio de Trabajo y Asuntos Indígenas (qui a fonctionnésous ce titre de 1922, date de sa création sous la présidence d’Augusto B. Leguia,à 1969, date de sa transformation sous la présidence du général Velasco)

RPI: Registro de la Propriedad Immueble (créé par la loi de 1888) dans chaque capi-

tale départementale.Et diverses archives locales : municipales, paroissiales, communales ou communau-taires, judiciaires de première ou seconde instance.

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 Attaques et résistancesLes communautés indiennes en Bolivie au XIX e siècle

Marie-Danielle DEMÉLAS

En Bolivie comme dans l’ensemble de l’Amérique espagnole, il existaitdiverses formes de propriété collective, mais cette étude se limitera à suivrel’évolution des terres de communautés indiennes depuis l’indépendance.Il est vrai qu’elles représentaient, au début du  XIX e siècle, la plus grandepartie des surfaces exploitées dans les zones les plus peuplées du haut-plateau et des vallées, de même que leurs membres fournissaient, par letribut auquel ils étaient soumis, la majeure partie des ressources fiscales.

On dispose toutefois de peu d’informations synthétiques et précises surla propriété communale dans les Andes. Si l’on cherche à en reconstituer

l’origine, il reste encore beaucoup à faire pour sa voir quelles étaient lesmodalités de dominium (si ce mot peut avoir un sens dans ce contexte) etd’usage de la terre avant la conquête espagnole. En dépit de nombreux travaux menés sur les communautés indiennes, on ne perçoit pas plus clai-rement le processus complexe qui transforma les ayllus 1 en collectivités

 jouissant de biens de mainmorte dans le cadre colonial puis républicain.On connaît bien, en revanche, les changements introduits dans la secondemoitié du  XVIe siècle qui établirent un cadre juridique et administratif imposé par l’Espagne, mais réinterprété par des groupes ethniques autoch-

tones qui ne perdirent jamais une certaine capacité de négociation à leurprofit. Si la règle du jeu fut imposée d’outre-mer, ce furent les sociétésandines qui eurent à l’appliquer, et à l’interpréter.

1. On désigne par le terme ayllu un lignage élargi se réclamant de mêmes ancêtres et de mêmes cultes,formant partie d’une communauté indigène.

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Un modèle d’affrontement entre les haciendas

et les communautésDans les années qui suivirent l’indépendance, lorsque commença de

s’affirmer la volonté de libérer les biens de mainmorte, la propriétééminente de l’État sur les terres collectives restait aussi bien établie que leurusage immémorial par les membres des communautés en échange nonseulement du tribut, mais aussi de services que la faiblesse et la pauvretéde l’État républicain ne lui permettaient pas d’assurer.

Le processus de libération des biens de mainmorte en Bolivie, repré-

sentait alors un exemple particulièrement significatif parmi les autres tenta-tives andines. En effet, à la différence de l’Équateur et du Pérou, la terren’offrait en Bolivie aucune perspective pour l’exportation, et il n’y existaitpas d’économie de plantation destinée au marché mondial. Quand ils neservaient pas seulement à satisfaire les nécessités d’une autosuffisance (cequi représentait encore la plus grande partie de leur fonction au  XIX e siècle),les biens fonciers alimentaient des centres urbains et des campementsminiers dont les habitants se comptaient en milliers ou dizaine de milliers,pas davantage. Ils servaient, enfin, à affirmer un rang et permettaient un

mode de vie seigneurial. Soumise à de telles limites, la propriété agrairedépendait de conditions avant tout locales.En outre, dans le Haut-Pérou (ancienne dénomination de la Bolivie),

les propriétés ecclésiastiques et nobiliaires avaient été peu nombreuses2. Lesbiens des couvents furent expropriés en 1826 par le maréchal Sucre sansrencontrer d’opposition. Le transfert de propriété auquel donna lieu sondécret semble avoir été de peu d’importance, sans comparaison possible avecles conséquences de l’expulsion des jésuites, en 1767; et malgré quelquescraintes exprimées par des observateurs britanniques, cette première aboli-

tion de mainmorte ne suscita pas de protestation notable 3. Quant au petitnombre de majorats, dont beaucoup appartenaient à des aristocrates roya-listes résidant à la cour vice-royale de Lima, il semble qu’ils furent confis-qués en représailles et considérés comme propriété de l’État.

Dans les premières années de la jeune République Bolívar, bien qu’ilsubsiste beaucoup d’incertitudes sur les transferts de propriété qui résultè-rent alors des changements politiques (confiscations aux dépens des roya-listes et récompenses des patriotes…), on peut considérer qu’il ne restaitplus que deux types d’acteurs en présences, outre l’État – les propriétaires

d’haciendas et les communautés indiennes. L’enjeu de leur confrontationétait la survie des communautés ou leur absorption par les haciendas et la transformation des membres de communauté en péons. Sur cette base,

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2. K LEIN Herbert S., 1993.3. Craintes exprimées par le consul C. M. Ricketts, in PENTLAND J. B., 1975, p. 13.

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s’opposaient deux modèles proposés à la jeune république: ou l’on projetaitde consolider une société originale dans laquelle coexisteraient des hacien-das privées et des communautés encore puissantes, ou, en détruisant lesstructures collectives, on formerait une société seigneuriale, comparable à celle de certaines régions de l’Europe orientale en cette époque de « secondservage ».

La question était aussi politique qu’économique et sociale: la républiquedevait-elle maintenir ce pacte qui liait depuis trois siècles l’État aux commu-nautés ou bien, afin de mettre en pratique les principes sur lesquels sefondait la modernité politique, faudrait-il viser à une atomisation sociale de

laquelle émergeraient seulement quelques individus éclairés formant uneclasse politique peu nombreuse 4 ? Les effets pervers de ce dernier choix aboutiraient à la servitude des anciens membres de communautés transfor-més en colonos , péons d’hacienda soumis aux services gratuits et au servagepour dettes.

Les projets bolivariens ne procédèrent pas à une interprétation aussicritique de leurs propres objectifs, et peut-être ne furent-ils même pasconscients de ces conséquences prévisibles. Les Indiens, dont la participa-tion très active au processus d’indépendance dans le Haut-Pérou ne fut pas

prise en compte, furent traités comme une population marginalisée qu’ilfallait intégrer à la nation en lui accordant des lots de terre en propriétéindividuelle. Celle-ci était considérée comme la base la plus stable de la citoyenneté, l’état de propriétaire était jugé comme le plus favorable à l’exer-cice des droits civiques et le corps politique était conçu comme un ensembled’associés administrant le pays comme ils géraient leur propre fonds 5.Toutefois, la persistance et l’importance des biens de mainmorte rendaientimpossible la mise en œuvre de ce programme à la fois politique et agraire.C’est ainsi que le décret signé par Bolívar à Trujillo (Pérou) le 8 avril 1824

décida d’un premier désamortissement; toutes les terres de communautésdevaient être partagées entre les Indiens « afin que nul ne reste sans terrainpropre » (art. 4) 6.

 Ainsi, la république fut fondée sur la volonté de démembrer les commu-nautés et ne plus reconnaître que la propriété individuelle, en transformantles Indiens en paysans. Cette ambition forma la base de toutes les loisagraires du  XIX e siècle 7, dont les auteurs se distinguaient seulement par lesort, plus ou moins favorable, qu’ils réservaient aux membres des commu-

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4. PLATT Tristan, 1982.5. Colección Documental de la Independecia del Perú, 1977, p. 536.6. « A fin de que ninguno se quede sin terreno propio. » Décrets de Bolívar (8 avril 1824 à Trujillo, et

4 juillet 1825, au Cuzco).7. Les plus importantes sont les décrets de Bolívar de 1824 et 1825, la loi d’Andrés Santa Cruz du

28 septembre 1831, celles des présidents Achá (1863), Melgarejo (1866-1867), Moralès (1871), Frías(1874), et Daza (1878), ainsi que la loi du 1er octobre 1880, œuvre de la Convention.

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nautés: tantôt ils projetaient la division des terres en petits lots attribuésaux Indiens, tantôt ils décidaient que l’ensemble des terres de communau-tés reviendrait à l’État qui les vendrait aux enchères 8. Si quelques critiquesfurent émises contre la disparition des terres collectives qui détruirait sanscontrepartie la base des sociétés andines, elles restèrent sans effet.

Cependant, après l’échec de la présidence du maréchal Sucre en 1828, la Bolivie abandonna le modèle social bolivarien, et le maréchal Santa Cruzqui lui succéda pour dix ans entreprit de fonder l’État sur la seule basedémographique et fiscale sûre, celle que formaient les communautésindiennes. Ses décrets de 1831 redéfinissaient l’identité socio-ethnique des

Boliviens : tout usufruitier de terres appartenant à l’État fut enregistrécomme Indien et soumis au tribut. Les rares études menées sur cette périodeenregistrent ainsi un accroissement subit du pourcentage (déjà élevé) de la population indigène, augmentation qui dépendait bien davantage descritères fiscaux la définissant que d’un croît démographique 9. Au mêmemoment, on note dans l’air du temps des aspirations à une espèce de casti-fication de la société bolivienne comme solution à l’instabilité suscitée parl’indépendance 10.

Bilan de recherches récentes

 Au cours des deux dernières décennies, la façon dont les communautésindigènes en Bolivie ont survécu aux processus de désamortissement a suscité beaucoup d’intérêt et donné lieu à de nombreux travaux dont ilnous faut rendre compte. Jusqu’à présent, aucune synthèse ne s’est risquéeà traiter de l’ensemble de cette question, à l’exception du travail d’ErwinP. Grieshaber 11, peut-être prématuré, mais des recherches importantes ontété menées que l’on peut ordonner selon des critères régionaux. Quatre

zones ont été étudiées: celle qui a donné lieu au plus grand nombre d’étudescorrespond à la partie du haut-plateau comprise dans le département deLa Paz 12 ; viennent ensuite les bassins du département de Cochabamba 13,et de celui de Chuquisaca 14, auxquels on pourrait ajouter les travaux menés

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8. Comme les projets de 1863 (A CHÁ  José María de, 1863), de 1874 (Comisión de hacienda , 1874)ou de 1878 (A COSTA Claudio, 1878). Ce dernier projet était le plus défavorables aux membres descommunautés contraints à servir comme péons des haciendas .

9. Comme le démontre PIEL Jean, 1982, p. 179-206.10. LEMA  Ana María (coord.), 1994.11. Qui a le mérite d’être l’une des premières sur ce thème et de traiter de l’ensemble du processus pour

le  XIX e siècle, mais avec le risque de considérer la question à une échelle trop éloignée du niveaulocal, de se fonder sur des sources offcielles discutables et sur des hypothèses qui ne tiennent pascompte des affontements entre haciendas et communautés.

12. Travaux de CONDARCO MORALES Ramiro, R IVERA CUSICANQUI Silvia, K LEIN Herbert S., A LBÓ

 Xavier, C ALDERÓN JEMIO Raúl Javier, DEMÉLAS Marie-Danielle.13. Travaux de L ARSON Brooke, R ODRÍGUEZ OSTRIA Gustavo et J ACKSON Robert.14. Travaux de L ANGER Eric D.

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sur la région de Potosí par T. Platt, consacrés au groupe ethnique desMachas, au nord du département.

 Je tenterai de rendre compte des résultats de ces recherches, en souli-gnant la difficulté d’aboutir à des conclusions générales: les critères signifi-catifs choisis par chacun et l’usage de sources de différentes natures nepermettent pas de comparaison terme à terme. Les uns ont privilégié lesrapports préfectoraux, les autres les registres notariaux, ou ont eu accès à des fonds privés; certains ont suivi les conclusions d’inspecteurs (revisita-dores ), les autres se sont intéressés aux conflits suscités par les transferts depropriété. L’impossibilité dans laquelle on se trouve de pouvoir considérer

toutes ces études comme les morceaux d’un même puzzle provient duniveau d’analyse imposé par les sources. Quel est le plus significatif? Celuide la communauté, de la province, du département, ou du pays tout entier?Quand le chercheur, qui a consulté la correspondance des autorités provin-ciales se plaignant de troubles permanents causés par les ventes de terrescommunales, découvre que le ministre de l’Intérieur atteste devant la Chambre que l’ordre public reste inaltérable, il a quelques raisons d’êtreperplexe 15.

D’autre part, la conception même du droit de propriété devient source

de difficulté. Ainsi, durant la dictature de Melgarejo, les ventes de terresde communautés et celles de terres vacantes ont été enregistrées sous unemême rubrique au prétexte qu’il s’agissait dans tous les cas de terres appar-tenant à l’État. Enfin, l’absence d’un cadastre à cette époque obligerait leshistoriens à une reconstitution minutieuse des propriétés, province parprovince, qui n’a toujours pas été tentée et qui dépasse les forces d’un seulindividu 16.

Convergences…

Tous les auteurs confirment que la propriété communale s’est mainte-nue avec une vigueur exceptionnelle sur le haut-plateau bolivien jusqu’à la seconde moitié du  XIX e siècle. Comme le résume Herbert Klein, on peutdire qu’avant la guerre du Pacifique (1879-1883) et l’expansion minièrede la fin du siècle, la moitié des terres et les trois quarts de la main-d’œuvreagricole du département de La Paz dépendent de communautés 17.

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15. Le niveau d’analyse le plus pertinent n’est pas forcément le plus proche. De nombreux acteurs locaux ont intérêt à altérer la vérité soit pour la dramatiser (le propriétaire d’hacienda qui souhaite se placersous la protection de l’armée) soit pour dissimuler la gravité de la crise (le sous-préfet qui ne contrôleplus la situation).

16. Après 1899, la victoire du parti libéral permit la réalisation d’un cadastre; en 1904 fut achevé celuide la province de La Paz ; en 1905, celui des provinces de Sicasica, Pacajes, Larecaja et Inquisivi(Informe del prefecto de La Paz , 1905).

17. K LEIN H. S., 1993, p. 51.

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Convergences également des chercheurs sur les raisons de cette perma-nence: d’une part, la force des communautés, aptes à réagir très rapide-ment à n’importe quelle attaque, d’autre part la faiblesse de l’État républi-cain. Sans moyens pour assurer les recensements, les inspections (revisitas )et réaliser le cadastre préalable à toute réforme, il fut également incapable desubvenir à ses nécessités sans les revenus importants et réguliers tirés dutribut, jusqu’à ce que la reprise de la production minière, à partir des années1870, l’alimente en taxes douanières.

L’accord entre les historiens s’établit également à propos de la chronolo-gie du processus de désamortissement. Il commence réellement avec la dicta-

ture de Melgarejo et ses décrets de 1866 et de 1868 qui autorisent la ventedes terres de communautés et des terres vacantes au profit de l’État. Bienque ce général soit présenté souvent comme l’archétype du soudard, lesmesures prises par Melgarejo s’inscrivent dans le droit fil de la pensée libéralede son époque. Comme l’écrivait l’un de ses contemporains, « Melgarejone fit rien d’autre que suivre le courant des idées dominantes 18 ».

Cependant, cette première vague de ventes massives reste mystérieuse. La source la plus sûre constituée par les archives du département de La Pazpour les années 1866-1870 a disparu, de même que le rapport du ministre

devant la chambre des députés qui traçait le bilan de ces ventes, à Oruro, en1870. Un économiste contemporain de l’opération, José María Santivañez,qui eut accès à ce document, indique qu’il se serait produit 356 ventes deterres communa les entre le 2 mars et le 31 décembre 1860, et que 650000membres de communautés auraient été dépouillés. Mais ce dernier chiffreparaît invraisemblable, la Bolivie comptant alors moins de deux millionsd’habitants. Le même auteur fournit quelques informations sur les massacresqui se seraient produits dans la province d’Omasuyos, en conséquence de la résistance des communautés : le 28 juin 1869, à San Pedro, au bord du lac

Titicaca, 600 Indiens auraient été tués, et quelques centaines auraient égale-ment trouvé la mort à Guaicho, entre le 2 et le 5 janvier 1870 19. Le 7 août1870, le ministre de la Guerre signale, dans son rapport annuel, que la répression aurait causé la mort de 400 Indiens à Ancoraimes. Un autrerapport du ministre de l’Intérieur reconnaît enfin 82 ventes de terres« vacantes » dans le département de Chuquisaca, entre 1866 et 1870, la plus grande partie situées dans la province de Yamparaez 20.

Malgré le succès de ce premier désamortissement, les adversairesnombreux qu’a suscité cette politique tentent un rapprochement avec lesdirigeants des communautés indiennes pour renverser Melgarejo. Ils annon-

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18. « Melgarejo no hizo más que seguir la corriente de las ideas dominantes », B ARRAGÁN Y E YZAGUIRRE

 José María, 1871, p. 3.19. S ANTIVAÑEZ José María, 1871, p. 41 sqq .20. L ANGER E., 1991, p. 69.

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cent, en décembre de 1870, qu’en cas de victoire contre le dictateur, lescommunautés rentreraient en possession de leurs terres. Dès lors, celles-ciadoptent une double stratégie: au service de l’opposition créole 21, ellespassent à l’attaque des forces gouvernementales, mais afin de s’assurer del’avenir, elles occupent aussitôt leurs terres sans attendre la conclusion del’offensive. Le tyran vaincu, la nouvelle assemblée doit reconnaître l’état defait; les terres reviennent aux communautés non par la grâce de l’État maisen vertu d’un rapport de force imposé par les communautés du haut-plateau. Comme l’écrit E. Langer :

« Il semble que la Convention de 1871 ait subi la pression des Indiens

du haut-plateau mobilisés lorsqu’elle décréta que toutes les terres decommunauté vendues aux enchères sous le régime de Melgarejo devraientêtre rendues aux Indiens. Tandis que cette loi entrait en vigueur dans lenord du pays (où la loi ne faisait que légitimer une situation de fait),ailleurs, comme dans le département de Chuquisaca, les acheteurs de terrescommunales parvinrent à conserver leurs acquisitions au travers de mani-pulations légales 22 ».

L’épisode démontrait que le désamortissement avait largement contri-bué à la chute du régime, et les communautés indiennes du département leplus peuplé du pays s’étaient affirmées comme une force importante dans le jeu politique national.

Durant les années 1870, la situation semble avoir été celle d’un statuquo précaire. Si les communautés du haut-plateau avaient récupéré leursterres et leur autonomie, bon nombre de celles des vallées et des bassins lesava ient perdues faute de pugnacité; certaines des premières poussèrent plusavant leur mouvement et passèrent à l’offensive contre des haciendas voisinesou contre d’autres communautés avec lesquelles elles entretenaient desconflits séculaires. Pendant ce temps, la classe politique au pouvoir, après

s’être débarrassée de Melgarejo, poursuivait les mêmes objectifs que lui et,en dépit des promesses faites à ses alliés indiens, elle complétait, avec leslois de désamortissement de 1874, l’édifice juridique destiné à venir à boutdes propriétés collectives 23.

Le coup fatal leur fut porté en 1880. Cette année-là, la Conventionréunie après un nouveau coup d’État destiné à chasser du pouvoir un autregénéral, Hilarión Daza, usa du prétexte de chercher des ressources desti-nées à poursuivre la guerre contre le Chili pour édicter les lois décisives du1er octobre 1880.

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21. On nomme créole dans les Andes tout individu né en Amérique descendant d’Espagnols.22. « Parece que en la Convención de 1871 se consintió el poder avasallador de los indios movilizados del 

 Altiplano cuando decretaron que todas las tierras de la comunidad subastadas durante el régimen de  Melgarejo tenían que ser devueltas a los indios. Mientras esta ley era indiscutiblemente seguida en el norte (donde la ley legitimizaba una situación de facto), en Chuquisaca por lo menos, compradores de tierras de ayllus, a menudo mantuvieron sus tierras a través de manipulaciones legales . » L ANGER E., 1991, p. 69-70.

23. Surtout le décret du 29 décembre 1874 qui supprimait l’existence de terres communales (art. 59).

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Celles-ci imposaient le partage de toutes les terres collectives aprèsqu’une revisita [inspection] les eut mesurées, estimées et eut délivré un titrede propriété à chaque membre de communauté. La remise de ce titre étaitpayante et fut à l’origine d’un endettement soudain des anciens membres decommunautés. Ces étapes franchies, le rachat des terres, lopin par lopin,par des propriétaires d’haciendas devenait possible. Au cas où une commu-nauté s’opposerait au partage, il suffisait qu’un seul de ses membres réclamâtson dû pour qu’on procédât à la vente aux enchères de toutes ses terres.

 Au cours des quatre ou cinq années qui suivirent, les ventes de commu-nautés se multiplièrent. Elles diminuèrent après 1885-1886, pour prendre

une vigueur nouvelle dans les premières années du  XX e

siècle. Dans lesannées 1920, on pouvait conclure que la majeure partie des terres decommunautés avaient été vendues, bien qu’il en subsistât encore quelques-unes qui tinrent bon jusqu’à la réforme agraire de 1953, l’une des plus radi-cales qu’ait connu l’Amérique latine. E. Grieshaber précise qu’entre 1880et 1920, 12158 parcelles de terres communales furent vendues, correspon-dant à 7616 actes de vente; 40 % eurent lieu entre 1880 et 1886, et 38 %entre 1905 et 1915 24. Le même auteur souligne que « les deux momentsde plus fortes ventes correspondirent à des changements politiques ». Le

premier, à l’issue de la guerre du Pacifique, permit la venue au pouvoir desconservateurs, le second suivit la guerre civile de 1899 qui donna la prési-dence au parti libéral. À chaque mutation, les vainqueurs s’empressèrentd’asseoir leur nouvelle fortune sur de la terre.

Toutes les études soulignent le fait que les ventes n’ont jamais corres-pondu à la valeur des terrains estimée par les revisitas préalables à la déli-vrance de titres de propriété individuelle. À chaque vente, les Indiens avaientvendu leur fonds à bas prix, parfois même à prix très bas. Le transfert depropriété s’était effectué à force de pressions, d’abus et de violences que

confirmèrent les rapports des autorités qui réclamèrent souvent l’interven-tion de la force publique pour achever la revisita et procéder aux ventes.

Dans le département de Chuquisaca, E. Langer attribue à trois facteurs la rapidité avec laquelle on procéda à ces ventes: des conflits entre héritiers, carl’introduction de la propriété privée générait immanquablement des conflitsau sein de la famille; des dettes contractées à l’égard de commerçants et depropriétaires de la province ou du canton; et des dettes envers le fisc, notam-ment celles qu’avaient générées la nouvelle contribution cadastrale destinéeà privatiser les terres. Cette dernière situation est révélatrice de la pénuriemonétaire dans laquelle vivaient les communautés 25. Le même auteursouligne aussi comme conséquence inattendue de ce processus de désamor-

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24. GRIESHABER Erwin P., 1991, p. 114 y 126.25. L ANGER E., 1991, p. 73-74.

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tissement la disparition du rôle des caciques, qui étaient naguère chargés durecouvrement du tribut, et qui perdaient de fait toute responsabilité.

Les communautés vendues correspondaient à toutes les catégories, maissi les plus petites disparurent définitivement, les plus importantes parvin-rent à manifester une capacité de résistance durable et parfois couronnée desuccès. Dans le département de Chuquisaca, des communautés moyenneset grandes survécurent à toutes les attaques, et se maintenaient encore en1953 26. Leur succès s’explique peut-être davantage par leur capacité de s’inté-grer au marché national que par leur cohésion interne. La communauté deTarabuco (près de Sucre), par exemple, sut commercialiser avec profit son

importante production d’avoine. D’autres, en revanche, échappèrent à la disparition par le peu d’avantages qu’elles offraient à des acheteurs, commecelles de la province de Cinti protégées par leur éloignement des centresurbains et des voies de communication. Il semble même qu’aucun inspecteurchargé d’effectuer la revisita n’ait pénétré dans cette zone. En revanche, lescommunautés situées à proximité de la ville de Sucre ne purent résister aux pressions des citadins et disparurent toutes. La même constatation peut êtrefaite pour les terres communales du département de La Paz, où la proximitéd’un centre urbain et d’un axe important de communication représentait

toujours un facteur négatif pour la survie des communautés 27. À combien peut-on estimer le nombre des membres de communautés en1880? Le rapport que le secrétaire d’État, Ladislao Cabrera, présenta à la Convention le 7 juin 1880 chiffrait à 88595 le nombre des tributaires, lemontant du tribut s’élevant à 511053 bolivianos , des chiffres qui semblentsous-estimés 28. Et quel fut le sort des membres de communautés dispa-rues? Il semble que la plupart restèrent au même endroit, cultivant lesmêmes terres (et occupant probablement les mêmes lopins) mais cette foisen tant que colonos au service d’un hacendado. Les rapports des autorités

locales firent également allusion à l’accroissement du nombre des errants,certains venant chercher des ressources dans les centres urbains deCochabamba et de La Paz, d’autres émigrant au Pérou. Enfin, dans lesdépartements de La Paz et de Chuquisaca, un petit nombre put acquérirdes terres de communautés en rachetant les lopins d’autres membres, réali-sant de la sorte certains projets libéraux, mais en nombre trop réduit pourformer une paysannerie propriétaire capable de jouer un rôle national 29.

Les acheteurs peuvent être divisés en plusieurs catégories. Selon lesmoments, ils étaient ou non directement liés au parti au pouvoir. Entre1866 et 1870, ils ne semblent pas avoir appartenu à de vieux lignages de

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26. Id., p. 76.27. GRIESHABER E. P., 1991, p. 114.28. Id ., p. 116.29. Ministerio de Hacienda, Tierras de origen. Ventas, op. cit., p. 28-30.

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grands propriétaires; il s’agit plutôt d’hommes nouveaux, employés de l’Étatet militaires proches de Melgarejo qui profitent de leur position pours’emparer de terres, ou récupérant sous cette forme les salaires que ne leurversait plus un Trésor exsangue. Après la chute du caudillo, la plupart desacheteurs du département de La Paz durent restituer leurs acquisitions etne furent plus mêlés, semble-t-il, au processus de désamortissement. Maisà Chuquisaca, où les communautés n’avaient pas contribué à la chute dudictateur, les ventes furent confirmées et les nouveaux acquéreurs ne furentpas inquiétés.

La composition du groupe des acheteurs des années 1880 peut se divi-

ser en deux catégories. La plupart des acquéreurs de lots petits ou moyensforment une espèce de nébuleuse qui intègre les propriétaires et les commer-çants de la ville voisine de la communauté, métis et parfois Indiens surlesquels on possède peu d’informations 30. La seconde catégorie, moinsnombreuse mais qui représente la plus vaste superficie acquise, rassembleune poignée d’hommes qui cumulent des propriétés situées dans des écosys-tèmes différents, depuis les champs de coca des vallées tropicales jusqu’aux pacages du haut-plateau, qui possèdent aussi des actions dans des banqueset des mines ; qui exercent des fonctions officielles ou politiques, préfets et

sous-préfets, députés et sénateurs. Et parmi les acheteurs du début du XX e siècle, on note même des présidents de la République, comme le géné-ral Pando, Ismael Montes, et Bautista Saavedra. En somme, des individusqui appartiennent tous à cette oligarchie très peu nombreuse mais activequi domine le département de La Paz dans les années 1880-1930 31.

Et divergences…

Les désaccords entre historiens apparaissent lorsqu’il s’agit d’interpréterles causes de la survie des communautés. Pour Grieshaber, qui décrit nonseulement cette permanence mais parle aussi d’accroissement, la raison dece phénomène résidait dans la faible attraction exercée par les terres commu-nales durant l’époque de marasme économique qui précéda un nouvel essorde l’expansion minière à la fin du  XIX e siècle. Toutefois, cette hypothèse nerésiste pas à l’observation des sources locales qui montrent la récurrence desconflits ruraux pendant tout le  XIX e siècle : les propriétaires d’haciendas ontexercé une pression permanente sur les communautés pour acheter ou usur-

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30. E. Langer observe le même phénomène dans le sud, in Persistancia y cambios…, op. cit ., p. 69.31. Au sujet de cette « oligarchie », consulter DEMÉLAS M.-D. et PIEL J., 1983, p. 53-64; et DEMÉLAS M.-

D., 1992 (conclusion).E. Grieshaber précise que « sur un total de 2657 acheteurs (non-Indiens), 50 (1,9 %) firent l’acqui-sition de 49,1 % des propriétés mises en vente. […] Les acheteurs issus de l’élite concentrèrent leursachats sur le haut-plateau à l’ouest de La Paz et dans les zones les plus proches de la cité […]. » inData, op. cit ., p. 115.

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per leurs terres pendant tout le siècle, mais celles-ci leur ont opposé unerésistance vigoureuse jusqu’à la guerre du Pacifique. Pour entendre le proces-sus de désamortissement, on ne peut négliger la capacité d’initiative descommunautés ni leur participation active à la vie politique nationale.

D’autre part, des divergences entre chercheurs se manifestent à proposdes formes régionales du désamortissement. Jusqu’à ce que G. RodríguezOstría ait infirmé cette hypothèse, on supposait la validité de deux modèles:celui des vallées et des bassins, greniers du pays dont la prospérité aurait étéà l’origine d’une division précoce des terres communales et l’émergenced’une petite paysannerie en même temps qu’un renforcement des haciendas ;

celui du haut-plateau, où le partage des communautés n’aurait commencéqu’avec l’affirmation de La Paz comme capitale économique du pays etl’ouverture de voies ferrées, à la fin du  XIX e siècle 32. Au  XVIIIe siècle, lescommunautés des vallées auraient donc disparu en tant que force majori-taire dans les campagnes 33. Toutefois, l’argumentation convaincante deG. Rodríguez Ostría plaide pour la réintégration des vallées dans un mêmeprocessus national: malgré leur faiblesse et la force des ambitions despropriétaires d’haciendas , les terres collectives des vallées représentèrent aussiun secteur important jusqu’à l’attaque décisive de 1880.

La complexité de la formation et de la composition des communautésdans les départements de Cochabamba et de Chuquisaca a sans doute renduleur étude difficile. Pour Chuquisaca (mais les mêmes conclusions devraientpouvoir s’appliquer à Cochabamba), E. Langer distingue les petites commu-nautés, qu’il considère comme des survivances de groupes de mitmaq (descolons installés dans la vallée par les Incas), et les communautés moyennesqui pourraient être des résidus de groupes ethniques locaux ou résulter dela fusion de plusieurs groupes, certains d’entre eux originaires du hautplateau et des bords du lac Titicaca. Quant aux plus grandes, il s’agirait de

colonies agricoles de communautés encore plus vastes dont le noyaud’origine se trouvait dans la région d’Oruro ou de Potosí. Certaines conser-vaient des liens avec les groupes du haut-plateau, d’autres avaient perdutout contact. Mais aucune loi républicaine ne prit en considération l’exis-tence de terres dispersées dans des terroirs très éloignés, appartenant à unmême groupe ethnique ; alors qu’il aurait fallu résoudre cette questionépineuse, la législation républicaine ignora cette spécificité andine, à l’origine d’interminables conflits entre les communautés des bassins qui sedisaient indépendantes, et celles du haut-plateau qui se considéraient

comme les véritables propriétaires 34.

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32. K LEIN H. S., 1993, p. 51-52.33. Cette évolution a également été bien étudiée par L ARSON Brooke, 1978.34. Cette question, moins difficile à entendre qu’il n’y paraît si l’on s’intéresse aux conflits encore vivaces

entre certains communes de montagnes européennes, se posa avec beaucoup d’acuité lors de la réforme agraire de 1953 et ne semble toujours pas résolue.

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De ce bilan rapide résultent quelques certitudes quant à l’unité et à la volonté de désamortissement des gouvernants durant un siècle, remarqua-blement constante et uniforme en dépit de l’instabilité de la vie politiquebolivienne 35. Les chercheurs s’accordent également sur la chronologie duprocessus, et une majorité semble attribuer les difficultés rencontrées parles ambitions libérales et la réalisation tardive de leurs objectifs à la capacitéde résistance des communautés. Mais les formes de cette résistance, sa direc-tion, sa stratégie, constituent autant de domaines inconnus.

Ce sont ces derniers aspects du processus de désamortissement que jesouhaiterais développer, en me fondant sur des recherches menées dans les

fonds d’archives du département de La Paz.

L’originalité des résistances collectives

Un événement imprévu et soudain, la guerre du Pacifique (1879-1883),produisit des conséquences inattendues et profondes sur la vie des commu-nautés. Mais, en accélérant ou en cassant – selon les provinces – des évolu-tions en cours, elles prirent des formes différentes, parfois opposées.

Un rejet polymorpheMalgré leurs divergences partisanes et régionales, les dirigeants créoles

poursuivaient tous un projet de désamortissement au prétexte de progrèsnational. Devant la Convention de 1880, un député de La Paz bien connu, José Rosendo Gutiérrez, déclarait : « On ne peut fonder un État nationalsans détruire au préalable la communauté indigène 36 ». Et feignant decroire que le partage des terres collectives représenterait une amélioration dusort des Indiens, le député de Cochabamba Nataniel Aguirre s’exclamait:« Suivons l’exemple de la noblesse de France [dans la nuit du 4 août] !

Restituons ses droits [de propriété] à l’Indien! 37 »Les lois de 1880 supprimèrent donc le tribut, remplacé désormais par

un impôt foncier ; mais dans l’immédiat, le tribut fut augmenté de 20 % etl’on ordonna une revisita de toutes les propriétés afin d’établir un cadastreet de donner (ou bien plutôt de vendre) un titre de propriété à chaquemembre de communauté 38. En cas de désaccord au sein de la propriété,les terres pourraient être vendues aux enchères publiques à la demande del’un de ses membres (art. 6 de la loi du 1er octobre 1880). Peu après l’inter-

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35. MESA GISBERT Carlos, 1985. L AVAUD J.-P., 1991.36. « No se puede fundar un estado nacional sin destrucción previa de la comunidad indígena . » Redactor de 

la Convención nacional del año 1880 , tomo I, La Paz, 1926, sesión del 5 de julio, p. 427.37. « ¡ Seguimos el ejemplo de la nobleza de Francia [en la noche del 4 de agosto de 1789] ¡ Devolvemos sus 

derechos al indio! » Id ., sesión del 14 de julio [sic ], p. 167.38. Le paiement du tribut était exigé en monnaie forte, le boliviano, et non en pesos, ce qui entraînait

une augmentation de 20 %.

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vention des experts chargés de la revisita dans chaque canton, commença la vente des terres collectives.

Les registres notariaux du département de La Paz montrent que la majo-rité des transactions furent réalisées entre 1881 et 1883. Les prix de ventefurent souvent ridicules, et toujours inférieurs à l’estimation qui en avaitété faite au cours de la revisita . Les acheteurs justifièrent cette anomalie enarguant du fait qu’ils auraient désormais à payer le tribut à la place de leursnouveaux péons; jamais ils ne s’exécutèrent.

Comment avait-on obtenu ces ventes précipitées? À la différence desdépartements de Chuquisaca, d’Arequipa ou du Cuzco, il ne semble pas

que les communautés vendirent leurs terres à des créanciers. Mais ellesdénoncèrent les abus des autorités subalternes ou les usurpations de la partde citadins, et elles révélèrent souvent qu’elles avaient été victimes de ventesnégociées entre un patron et un faux cacique. En effet, comme la person-nalité juridique des communautés n’avait pas été reconnue par la République, il leur fallut désigner des syndics (apoderados ) appelés à jouer ungrand rôle, qui représentaient leur collectivité en cas de conflit avec les auto-rités, les hacendados , ou d’autres communautés; mais ces hommes étaienttraités par les représentants de l’État comme des individus auxquels on

confirmait la possession des terres collectives selon les mêmes formes etrituels qu’un propriétaire individuel 39. Situation ambiguë et parfois lourdede conséquences pour les communautés grugées par un syndic indélicat.

Le recours à de tels expédients démontre tant la force des propriétairesde la région que la faiblesse conjoncturelle des communautés 40. Après 1880,le sort de ces dernières dépendit en partie du choix de leur dirigeant et d’unedifficile unité. Déjà soumises à de fortes pressions, les communautés étaientdivisées entre originaires qui tentaient de préserver leurs biens, certains quiparvenaient à les accroître, et les plus nombreux, agrégés et forains condam-

nés au servage 41. C’est alors qu’une partie – une partie seulement – organisa sa résistance.

 À partir de 1883, celle-ci acquit une telle importance que le ministrede l’Intérieur ordonna de freiner les revisitas , et jusqu’à la fin du siècle la législation indigène évolua en fonction des risques de soulèvement dans les

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39. AHLP, Expedientes prefectura , 1883, Huaicho, 8 de octubre de 1869. Sur la pratiques de ces rites en Amérique espagnole, consulter C AILLAVET C., 1990, p. 32-34.

40. Les années 1878-1880 furent catastrophiques pour les campagnes. En 1878, une sécheresse excep-tionnelle entraîna une disette suivie d’épidémies. L’année suivante, le gel détruisit les récoltes.

41. Les catégories d’originarios (originaires), d’agregados (agrégés) et de forasteros (forains, venus d’ailleurs)entre lesquelles se divisait les membres ordinaires des communautés semblent avoir correspondu à desmodes particuliers d’usufruit de la terre. Au début du XIX e siècle, on nommait ainsi originaire le chef de famille qui jouissait d’une terre grevée d’un tribut annuel de 7 à 24 pesos, et agrégé ou foraincelui qui versait 3 à 5 pesos l’an. Bien que membres d’une même famille, et fils d’un même père,certains pouvaient être originaires , d’autres agrégés ou forains . Il semble même que dans le cours dela vie, ce statut pouvait varier.

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 Alliances conjoncturelles

 Au même moment, s’accroissaient les tensions entre le parti conservateurau pouvoir et ses rivaux libéraux. À la fin des années 1880, déjà certainsmouvements provinciaux montraient une alliance entre Indiens et libéraux.En mai 1896, deux jours après l’échec électoral du candidat libéral, le géné-ral Pando, les Indiens tentent d’assiéger la ville de La Paz, et lorsque, endécembre 1898, la rébellion fédérale organisée par les libéraux éclate dans la capitale du nord, la participation au mouvement des anciennes commu-nautés devient évidente.

Dans la cité, on construit des barricades. « Cela s’effectua méthodique-

ment et dans l’ordre – écrivait le chargé d’affaires français en poste à La Paz– car les Indiens […] avaient été enrôlés et organisés en équipes de sapeursdepuis plusieurs mois 48 ». Le général Pando défile entouré d’Indiens ayma-ras vociférant : « Vive Pando! Vive la Fédération! Vive la propriété commu-nale 49 ! ». Tandis que l’axe de la guerre civile s’étend de La Paz à Sucre, lesroutes du haut-plateau sont contrôlées par des patrouilles indiennes quiparticipent aux combats.

Mais à la fin du mois de janvier 1899, les alliés indiens manifestent déjà leurs propres visées, hostiles aux Blancs. Ils attaquent l’un des fournisseursd’armes du parti libéral 50, et quelques jours plus tard, ils attaquent et pillentla compagnie minière de Corocoro 51. En février, les communautés d’Ayo- Ayo assassinent un bataillon de l’armée conservatrice et en mars, celles deMohoza égorgent dans leur église 130 soldats de l’armée fédérale 52. Legénéral Pando déclare : « La race indienne a déclaré, motu propio, la guerreà tous les Blancs », et décide de se débarrasser de pareils alliés.

Le 10 avril, les troupes de Pando remportent une victoire décisive sur lesconservateurs; le 13, la junte libérale ordonne aux autorités locales de licen-

cier tous les Indiens, et en mai un bataillon capture les auteurs du massacrede Mohoza 53. Le procès des accusés donnera lieu à ce bilan de la stratégiecommunale: « Les Indiens de Mohoza ont été animés par l’idée d’exter-miner les Blancs au prétexte d’appuyer la révolution libérale 54 ». Au coursde cette « cause célèbre », nul ne fit allusion au processus de désamortisse-ment, qui fournissait pourtant la clé des troubles ruraux de la période etde la volte-face politique des communautés.

 ATTAQUES ET RESISTANCES…

317

48. Archives du Ministère des Affaires Étrangères (Paris) [AMAE], Bolivie, politique intérieure, dossier  général , tomo I (1894-1899), dépêche du 28 décembre 1898, f° 123 v.

49. Id ., dépêche du 1er février 1899, f° 155 v.50. Id ., dépêche du 29 janvier 1899, f° 143 v.51. Id ., dépêche du 31 janvier 1899, f° 151 v.52. AHLP, Proceso de Mohoza, cuerpo n° 8, p. 24, séance du 24 juillet 1901.53. AMAE, Bolivie, politique intérieure, dossier général , tome I (1894-1899), dépêche du 19 mai 1899,

f° 192 v.54. AHLP, Proceso de Mohoza, cuerpo n° 4, réquisitoire, f° 129 v.

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Les dirigeants des communautés

Mon enquête s’achève par quelques notes concernant les hommes quiavaient mené cette alliance conjoncturelle avec les libéraux et organisé la résistance des communautés dépouillées de leurs terres 55. Un fichier proso-pographique réalisé à partir des archives de la préfecture de La Paz révèleque depuis le début du processus de désamortissement, s’était constitué ungroupe de syndics (apoderados ) qui furent dès lors à la tête de toutes lesformes de résistance menées par les communautés, jusqu’à s’affirmer commeles chefs de la guerre civile de 1899. Vers 1885, ils apparaissent comme lesdirigeants d’une partie de la communauté ( parcialidad ou ayllu), puis de la 

communauté entière; ils accèdent à la représentation des communautés detout un canton, puis de toute une province. Durant la guerre civile, ilss’auto-désignent généraux, colonels, gouverneurs. L’un d’entre eux, JuanLero, se déclare Président de la république de Peñas, sa province, et organisele jugement et l’exécution du corregidor, comme l’avait fait, plus d’un siècleauparavant, le chef de la Grande rébellion andine, Tupac Amaru.

Que représentaient ces hommes dans leur communauté d’origine? Desenquêtes entreprises par les autorités préfectorales, dix ans avant la guerrecivile, révèlent qu’aucun d’entre eux n’appartenait à de grands lignages decaciques. Il s’agissait plutôt d’hommes issus du commun des Indiens,parfois même qualifiés de vagabonds (vagos ) par les autorités, des hommessans ressources propres qui vivaient de derramas , des contributions volon-taires que s’imposaient les communautés lorsqu’il s’agissait de financer desdépenses collectives, le coût d’un procès ou la construction d’un bâtiment,aussi bien que l’achat d’armes.

Selon des documents cités par Ramiro Condarco Morales, on remarqueque ces dirigeants ne poursuivaient pas tous les mêmes objectifs 56. Si certains

voulaient, certes, anéantir les Blancs pour recréer des chefferies indiennes,d’autres défendaient un projet national et républicain mais sur la base d’uneséparation entre les deux composantes, blanche et indienne, de la nation,ressuscitant ainsi les deux républiques de l’ancien régime espagnol.

Diversité régionale

Dans le département de La Paz, centre de la résistance au désamortis-sement à la fin du  XIX e siècle, on observe d’importantes différences. Danspresque toutes les provinces, apparurent des mouvements de refus du

partage et de la vente des terres, et fut également général le recours aussibien aux moyens légaux de résistance qu’à la violence pour récupérer lesterres perdues. Mais l’efficacité et la durée de ces mouvements ne sont pas

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55. DEMÉLAS M.-D., 1985, n° 44, p. 91-111.56. CONDARCO MORALES Ramiro, 1983.

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comparables entre les provinces du nord du département qui abandonnentrapidement la lutte et celle situées plus au sud, qui parviennent à se réor-ganiser après un échec et à poursuivre leur résistance jusqu’à la révolution de1952 qui imposera une réforme agraire permettant la restitution des terrescollectives et la reconnaissance des communautés.

Une des explications de ces différences locales se trouve dans la situa-tion et la richesse des communautés. Au nord de La Paz, peu d’entre ellessurvécurent aux lois de 1880 et beaucoup furent achetées par d’importantespersonnalités du parti libéral. En outre, durant les dernières décennies du XIX e siècle, la frontière nord du pays fut fréquemment troublée par des

violences fomentées par des parentèles rivales et des bandes de contreban-diers qui imposèrent leur désordre à cette zone, affaiblissant d’autant cequ’il restait de communautés 57.

La pauvreté relative des provinces du sud et la plus forte cohésion deleurs communautés les protégèrent d’une pareille disparition. Il faut ajou-ter à cela l’existence de liens entre les membres de communautés et lespéons d’haciendas de cette zone, à la différence des provinces du nord où cesderniers, soumis à leur patron, passaient à l’attaque des terres communales.

 Au  XX e siècle, ces tendances se confirmèrent, comme le montrent les

travaux d’Eric Langer sur la rébellion de 1927 dans le département deChuquisaca, et ceux d’Erwin Grieshaber et de Roberto Choque pour la période 1914-1921 dans le département de La Paz. Dans ce dernier cas, la continuité avec la période antérieure est particulièrement évidente etGrieshaber cite même le cas d’une nouvelle forme de résistance apparuedans les communautés d’Omasuyos qui consistait à faire signer devantnotaire un document par lequel chaque membre de communauté s’enga-geait à ne pas vendre son terrain, sous peine de devoir reverser à la commu-nauté le prix qu’il en aurait obtenu 58…

A B

Bien qu’elles fussent considérées comme un obstacle au progrès du payset une entrave au développement d’un marché de la terre et de la main-d’œuvre, les communautés occupaient une position centrale dans les projetsde société des dirigeants créoles. Mais la plupart de ceux qui se risquèrentà les faire disparaître se heurtèrent à des résistances qui adoptaient toutes les

formes à leur portée, depuis la pétition et les procès, jusqu’aux révoltes et la participation à des guerres civiles.

 ATTAQUES ET RESISTANCES…

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57. Informe del prefecto y comandante general del departamento, La Paz, imp. « El Telégrafo », 1898,p. 4, 6, et 7.

58. GRIESHABER (Erwin P.), 1991, p. 135.

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D’autre part, aucune des grandes propriétés qui parvinrent à se consti-tuer ou à s’accroître aux dépens des terres collectives ne se transformèrent enpropriétés modèles, nulle ne fut à l’origine de grandes fortunes fondées surla commercialisation des produits de l’hacienda . Bien que leur propriétairetirât des revenus de ces acquisitions et de leur exploitation, les haciendas restèrent à la fin du  XIX e et au début du  XX e siècle ce qu’elles avaient étépendant des siècles dans le centre des Andes : la base économique permet-tant la reproduction d’un lignage et la permanence de son pouvoir régional,offrant à certains de ses membres la possibilité de jouer un rôle politiquenational. L’enjeu du désamortissement bolivien relevait moins d’un registre

agraire que social et politique.Ceci dit, le champ de ces recherches reste encore largement ouvert,notamment dans deux directions, celle des secteurs économiques dépen-dant des communautés indiennes dont les plus prospères avaient étenduleur champ d’action bien au-delà de leur canton, et dont le dynamismeréduit à néant le cliché d’une survivance archaïque; et celle des terres collec-tives non-indiennes – ejidos et dehezas des villages et des cités – sur lesquellesnos connaissances sont des plus réduites.

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Conclusion

Marie-Danielle DEMÉLAS & Nadine V IVIER 

Les recherches récentes réunies dans ce volume donnent une vision

renouvelée de la question des propriétés collectives, question jadis défor-mée par les passions avant d’être naguère oubliée, surtout en Europe. Lesdoctrines économiques libérales avaient jeté l’anathème sur ces terres qu’elles jugeaient insuffisamment productives et faisant obstacle au progrès ; cetteopinion était confortée par les analyses marxistes, qui pour la plupart, n’y voyaient aussi qu’une agriculture de subsistance archaïque, ne fournissantaux pauvres qu’une aumône. Les propriétés collectives se maintenaient parpure routine et les habitants qui les défendaient livraient un combatd’arrière-garde.

 Aujourd’hui, ces anathèmes doctrinaux ont perdu de leur force, lespassions autour des biens collectifs sont retombées. Force est de constaterque dans une partie de l’Amérique latine, les terres collectives ont été remisesen vigueur au XX e siècle, après plus d’un siècle de revendication des commu-nautés. Les historiens ont pu se dégager du carcan idéologique, sans douteinfluencés aujourd’hui par de nouvelles valeurs. Ces terres suscitent denouveau une réflexion théorique. Les transformations techniques de l’agri-culture ont été si importantes qu’elles aboutissent à une réflexion globalesur la gestion de l’environnement, le concept de développement et d’agri-culture durables. L’utilisation collective de certaines terres retrouve des justi-fications économiques et sociales dans les écosystèmes montagnards.

La confrontation des études par pays présentées ici nous permet de déga-ger quelques lignes directrices. Les attaques contre les propriétés collectives,

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fondées sur une argumentation doctrinale (juridique ou économique),commencent dans la seconde moitié du  XVIIIe siècle; elles sont aiguillon-nées par la Révolution française qui pousse au partage, surtout en dehors deses frontières, puis elles se poursuivent à travers le  XIX e siècle, ne trouvantparfois leur aboutissement qu’au  XX e siècle. Chemin faisant, une distinc-tion a souvent été opérée entre les terres non boisées qu’il fallait partageret les forêts maintenues dans le giron de la propriété collective et dont la gestion a été confiée à un organisme spécialisé. Bien que ces attaques aientété guidées par un même mobile, elles s’appliquaient à des situations agraireset sociales si diverses que les rythmes et les résultats ne pouvaient qu’être

variés.Pour l’Europe occidentale, si on veut essayer de modéliser, on peut avan-cer l’idée que se dessine une géographie des propriétés collectives, où lesrégions se différencient par leurs conceptions de la propriété, leur mode degestion et les attitudes des populations. Les contours s’ébauchent de troisgrandes aires géographiques :

– une Europe anglo-saxonne et prussienne où le seigneur détenait lesterres, en surveillait la gestion et réglait tout litige selon le droit coutu-mier, indépendant du droit national. Ces terres collectives ont disparu,

partagées au profit des propriétaires, ce qui a provoqué le départ despetits journaliers;

– une bande méridienne, courant de l’Allemagne du Nord à l’Italie duNord incluse, aire qui rappelle l’ancien royaume de Lothaire, où lesterres collectives étaient la possession d’un corps juridique, unecommunauté strictement définie, encore appelée corporation. Ellegérait les terres, en surveillait la jouissance qui appartenait à sesmembres;

– un domaine qui couvre Belgique, France, péninsule ibérique et

Mezzogiorno où les terres collectives relevaient soit du roi soit desmunicipalités. Les habitants qui résidaient dans les communes avaientla jouissance des terres dont la gestion était assurée par les conseilsmunicipaux. Il semble bien que cette situation ait été la plus propiceaux litiges, aux accaparements par quelques-uns. Ces régions ont aussiconnu les résistances les plus fortes contre toute attaque car les terresétaient un élément de la puissance financière des municipalités.

Mais cette partition de l’espace, pour stimulante qu’elle soit, n’est qu’une

ébauche aux contours flous, en particulier dans le cas de la France qui setrouve au confluent des trois systèmes.En Amérique latine, la synchronie du processus de désamortissement

est due, dans un premier temps, à une même appartenance à l’espace juri-dique et économique hispanique. Ensuite, lors de la création des nouveaux États, les projets libéraux s’imposèrent à la plupart des dirigeants, à quelques

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exceptions notables que justifiaient soit la conscience que l’État ne disposaitpas encore des moyens de se dispenser du recours aux contribuables indiens(cas du maréchal Santa Cruz en Bolivie), soit la volonté de calmer l’agitationrurale (en Amérique centrale).

Toutefois, le processus que cet ouvrage a entrepris de décrire et d’expli-quer ne s’achève pas, en Amérique latine, au début du  XX e siècle. L’histoiredes terres collectives se prolonge au  XX e siècle, avec les grandes réformesagraires du Mexique et des pays andins. La révolution mexicaine, danslaquelle la part prise par les villages zapatistes fut indéniable, rétablit la première la propriété collective des villages indiens 1. Par un glissement de

sens significatif – comme si les terres collectives n’avaient jamais été quecelles des communautés indigènes – le terme d’ejido, qui désignait à l’origineles terrains collectifs appartenant à tous les villages, espagnols, métis ouindiens, devint synonyme de terres indiennes.

Dans les Andes, la révolution bolivienne de 1952, qui promulgua la réforme agraire de 1953, vint clore, d’une façon particulièrement radicale,un long processus. Comme tout au long du  XIX e siècle, la décision politiqueavait suivi la révolte paysanne, et les affrontements violents qui s’étaientdéroulés dans la région rurale la plus peuplée du pays n’étaient pas étrangers

à la vigueur de cette réforme. Celle-ci parvint à détruire, en très peu detemps, les fondements de la richesse et du pouvoir des hacendados desrégions les plus densément peuplées. D’autre part, certaines des commu-nautés qui avaient résisté depuis des siècles obtenaient enfin satisfaction.Celle-ci ne fut pas sans mélange, toutefois.

En Équateur, et au Pérou, le même processus fut suivi dans les années1960, avec les mêmes réserves. En effet, les communautés enfin reconnuesauraient appelé une nouvelle définition avant de se voir attribuer des terres.Leurs membres, auxquels s’étaient mêlés des nouveaux venus, avaient perdu

beaucoup de cohésion, et  les querelles séculaires entre communautésn’avaient pas pris fin. Aujourd’hui encore, les conflits de bornage restentpréoccupants.

On pourrait hâtivement conclure que, dans les provinces d’Amériquelatine où les terres collectives avaient joué un grand rôle, des siècles d’histoirerurale marqués par les affrontements entre la propriété privée et les terrescollectives, se sont achevés par la préserva tion et la reconnaissance de cesdernières. Mais cette apparente victoire survint bien tard, au moment oùcommençait un processus d’exode rural sans précédent. Désormais, sur leshautes terres de méso-Amérique et des Andes, beaucoup de paysanneriesont disparu sans retour.

CONCLUSION 

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1. La lutte d’Emiliano Zapata, de 1911 à 1919, à la tête du soulèvement des communautés paysannesdu sud du Mexique, a des buts agraires. Son programme demande la restitution des terres collectivesaux villages (plan d’Ayala).

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Ce tableau des avancées de la recherche récente met aussi en évidenceles questions non abordées, les champs à explorer. Ils ont été évoqués toutau long de l’ouvrage, rappelons ceux qui paraissent essentiels : un effort dequantification des propriétés collectives, une réflexion sur leur rôle écono-mique, et sur les conséquences sociales des attaques.

Il faudra d’abord, tenter un effort de quantification. Quel pourcentagedes terres mises en valeur ont représenté les différentes sortes de propriétécollective? Dans le cas de l’Amérique latine, la plupart des historiens, dessociologues et des anthropologues ne se sont intéressés qu’aux terres descollectivités rurales, principalement indiennes. Suivant les régions et les

modes de peuplement, d’autres collectivités propriétaires existaient pour-tant, mais il faudra encore de nombreuses recherches pour parvenir à dres-ser un tableau de la répartition de ces autres terres communes qui, elles,ont définitivement disparu.

L’importance économique attribuée à ces terres devrait être reconsidérée. Alors que leur disparition était présentée comme une étape préalable à la modernisation de l’agriculture, il semble bien plutôt que ce n’était qu’unaspect secondaire de la transformation économique, mais ces terres cristal-lisaient l’attention et les discordes, car elles avaient acquis une valeur sociale

symbolique. Devaient-elles être mises en valeur efficacement par despropriétaires détenteurs des capitaux nécessaires, ceci même au détrimentdes pauvres? Ou bien étaient-elles destinées à aider les populations défavo-risées, journaliers ou Indiens ?

C’est le dossier des conséquences sociales des attaques qui est le plusincomplet et exigerait d’être ouvert d’un œil neuf, à la recherche d’unehypothétique objectivité. Quels furent les bénéficiaires et les perdants de la disparition des terres collectives? Qui s’y opposa et pourquoi? Les résis-tances et les conflits engendrés ont été minimisés, méprisés comme combat

d’arrière-garde. Leurs mobiles devra ient faire l’objet d’une analyse précise etnuancée. Une autre piste connexe mériterait d’être explorée : celle des droitsd’usage collectifs, exercés sur les terres privées aussi bien que collectives,droits qui se sont maintenus longtemps, parfois jusqu’à aujourd’hui.

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Lexique

Sont définis ici les principaux termes spécifiques utilisés dans l’ouvrage. Les entréessont soit des notions (en caractère gras) avec leur équivalent dans plusieurs langues,soit les termes particuliers à un pays (A = Angleterre, D = Allemagne, E = Espagne,F = France, I = Italie, P = Portugal).

 Ademprivi (I). Indique le caractère collectif des terres. Affouage. Droit au bois de chauffage coupé dans les terres boisées appartenant à la commune.

 Allodio (I). Propriété allodiale.Baldios (P). Désignait non seulement les terres de la communauté, mais aussi les

terres de la commune.Baldíos (E). Terres incultes, d’exploitation collective.Bens do concelho (P). Biens communaux.Biens patrimoniaux . Biens appartenant à la commune. Leur exploitation est affer-

mée et le revenu est versé dans la caisse municipale. Propios (E).

Common fields . Terres appropriées qui sont livrées au pâturage commun une fois lesrécoltes enlevées. Openfield (F).Conseil municipal: Gemeinde (D), municipes et concejos (E).Corporation. Corps juridique. Terme utilisé dans le sens anglais, issu du latin

médiéval corporari , qui signifie corps constitué. Corporation civile: autoritésmunicipales.

Desamortización (E) ou désamortissement (F). Soumettre aux droits de mutationles biens de mainmorte, opération réalisée par la privatisation des terres.

Droit d’hivernage. Règle selon laquelle un cultivateur ne peut envoyer au pâturagecommun que le nombre de bêtes qu’il a entretenues sur son exploitation durant

l’hiver: règle des pailles et foins (F), levancy and couchancy (A).Droit d’usage. Droit pour les habitants de prélever des ressources sur la propriété

privée d’autrui. Diritti d’uso ou usi civici (I).Genossenschaft (D) ou Markgenootschatschaffen (B). Corporation de propriétaires.Glanage. Droit de ramasser dans les champs privés, une fois la récolte enlevée, les

produits abandonnés par le propriétaire.

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Grappillage. Droit de cueillir les grains de raisin restant dans les propriétés privéesaprès la vendange.

Latifundio. Grande propriété (I, E).Mainmorte. Les biens de mainmorte sont les biens appartenant à une personne

morale, ils échappent aux droits de succession et n’apparaissent pas sur le marchéfoncier. Les biens appartenant aux communes sont des biens de mainmorte enEspagne et en France.

 Maninhos (P ). Terres incultes en jouissance commune, propriété éminente duseigneur.

 Marken (D). Assemblée d’ayants droit. Monte (E). Zone de végétation arbustive spontanée. Les montes concejiles appar-

tiennent aux municipalités, les montes de vara sont d’appropriation individuelleavec droit de dépaissance indivis, les montes público appartiennent à l’État, aux établissements publics et aux municipes.

Pensionatico (I). Taxe de pâturage.Propios (E). Biens patrimoniaux.Propriété allodiale ou alleu. Terre en pleine propriété, ne relevant d’aucun seigneur.

 Allodio (I).Propriété éminente. En droit féodal, le seigneur a une propriété supérieure qui lui

vaut des prérogatives (services, prélèvement d’impôts, de droits de mutation). Levassal n’a que la propriété utile, c’est-à-dire un droit de jouissance sur la terre etun certain droit de disposition.

Propriété domaniale. Terres collectives appartenant au roi ou plus tard à l’État.Domaines (F), realengos (E), baldios (P), demanio regio en Italie du Sud.

Realengos (E). Propriété domaniale.Resguardos (Venezuela). Terres communes ( propios ) des villages indiensTaxes de pâturage. Somme à verser pour avoir le droit d’envoyer ses bêtes paître sur

les terres collectives. pensionatico (I).Terres en jouissance collective appartenant à des communautés : vecinos (E), vicine (I),

 participanze (I), Genossenschaften (D), Markgenootschatschaffen (B).Terres en jouissance collective appartenant aux municipalités : biens communaux 

en France, les comunes d’Espagne, les bens de concelho du Portugal, le demaniocommunale d’Italie du Sud.

Terres en jouissance collective concédées aux seigneurs : maninhos du Portugal.Vaine pâture. Droit des habitants d’envoyer leurs animaux paître sur les terres

privées, ouvertes une fois les fruits récoltés. common field (A), vagantico (I).

LES PROPRIETES COLLECTIVES…

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TABLE DES MATIÈRES

Marie-Danielle DEMÉLAS & Nadine V IVIER 

 Avant-propos .................................................................................................. 9

Première partie La propriété collective en Europe occidentale

Nadine V IVIER 

Introduction ................................................................................................. 15

Chronologie Europe ..................................................................................... 35 Jeanette NEESON

Les terres en jouissance collective en Angleterre ........................................... 39

Paul W  ARDE

La gestion des terres en usage collectif dans l’Europe du Nord-Ouest  ......... 61

Stefan BRAKENSIEK 

Les biens communaux en Allemagne. Attaques, disparition et survivance (1750-1900) .......................................... 79

 Anne-Lise HEAD-K ÖNIG

Les biens communaux en Suisse aux  XVIIIe et  XIX e siècles :enjeux et controverses ................................................................................... 99

Martina DE MOOR 

Les terres communes en Belgique ............................................................... 119

Nadine V IVIER 

Les biens communaux en France ................................................................ 139

Gabriella CORONA 

La propriété collective en Italie .................................................................. 157Margarida SOBRAL NETO

Biens et usages communaux au Portugal (1750-1950) .............................. 175

María Teresa PÉREZ PICAZO

Propriété collective et « désamortissement » en Espagne ........................... 197

Deuxième partie La propriété collective en Amérique latine

Marie-Danielle DEMÉLASPrésentation ............................................................................................... 219

Chronologie Amérique latine ..................................................................... 225

Rosa María M ARTÍNEZ DE CODES

Les propriétés collectives au Mexique ......................................................... 229

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Hans-Jürgen PRIEN

Les terres de communautés au Guatemala au XIX e siècle ............................ 249

Edda O. S AMUDIO A.Les resguardos au Venezuela.Le cas particulier de la province andine de Mérida .................................... 259

 Jean PIEL

Les formes de propriété collective au Pérou de 1750 à 1920 ...................... 281

Marie-Danielle DEMÉLAS

 Attaques et résistances.Les communautés indiennes en Bolivie au  XIX e siècle ................................. 303

Marie-Danielle DEMÉLAS & Nadine V IVIER 

Conclusion ................................................................................................. 323

Lexique ....................................................................................................... 327

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Collection « Histoire »sous la direction de Hervé M ARTIN et Jacqueline S AINCLIVIER 

Derniers ouvrages parus : Daniel PICHOT

Le village éclaté . Habitat et société dans les campagnes de l’Ouest au Moyen Âge , 2002, 402 p.

 Juan Pablo FUSI

Espagne. Nation, nationalités, nationalisme , 2002, 280 p.

 Jean-Yves LE DISEZ

Étrange Bretagne. Récits de voyageurs britanniques en Bretagne (1830-1900), 2002, 500 p.

Philippe HRODEJ

 Jacques Cassard. Armateur et corsaire du Roi-Soleil , 2002, 320 p.Stéphane BOISSELIER et Monique BOURIN (dir.)L’espace rural au Moyen Âge. Portugal, Espagne, France (  XII e - XIV e siècle), 2002, 232 p.

Thierry LE R OY 

Les Bretons et l’aéronautique des origines à 1939 , 2002, 532 p.

 Jean-Christophe FICHOU avec la collaboration de Françoise GUICHENEY 

Gardiens de phares, 1798-1939 , 2002, 254 p.

Claire TOUPIN-GUYOT

Les intellectuels catholiques dans la société françaises , 2002, 374 p.

 Jean-Clément M ARTIN (dir.)

Napoléon et l’Europe , 2002, 174 p. Joëlle Q UAGHEBEUR 

La Cornouaille du IX e au XII e siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse , 2002, 520 p.

Michelle PERROT, Jacques-Guy PETIT, Christine B ARD, Frédéric CHAUVAUD (dir.)Femmes et justice pénale XIX e - XX e siècle , 2002, 378 p.

Philippe DEPREUX 

Les sociétés occidentales du début du VI e à la fin du IX e siècle , 2002, 304 p.

Christian K ERMOAL

Les notables du Trégor. Éveil à la culture politique et évolution dans les paroisses rurales (1770-1850), 2002, 490 p.

 Jean-Pierre LEGUAY 

L’eau dans la ville au Moyen Âge , 2002, 496 p.

 Annie A NTOINE

Le paysage de l’historien. Archéologie des bocages de l’Ouest de la France à l’époque moderne ,2002, 342 p.

Christian BOUGEARD

Tanguy Prigent, paysan ministre , 2002, 366 p.

Bernard MERDRIGNAC

Le sport au Moyen Âge , 2002, 496 p.

Malcom B ARBER Le procès des Templiers , 2002, 314 p.

Benoît G ARNOT (dir.)Les témoins devant la justice , 2002, 450 p.

Christine B ARD, Frédéric CHAUVAUD, Michelle PERROT, Jacques-Guy PETIT (dir.)Femmes et justice pénale (  XIX e - XX e  siècles), 2002, 380 p.

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 Achevé d’imprimer sur les presses de la reprographie de l’université Rennes 2  2 e semestre 2003

Imprimé en France

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